Salles de cinéma dans le Sud de la France en 1934 – part1 (Pour Vous) 3 commentaires


En 1934, Pour Vous a lancé une vaste enquête sur les salles de cinéma en France.

Ces articles sont des mines d’or sur tous ceux qui s’intéressent au Cinéma des années 30 et son impact en dehors de Paris.

Riche d’enseignements sur l’état des salles de cinéma en province et dans la banlieue de Paris, du style de spectateurs qui y va et quels genre de films ont leur préférence, nous comptons publier ces articles au fil des prochaines semaines/mois…

paru dans Le Tout Cinéma 1938

paru dans Le Tout Cinéma 1938

La première partie, consacrée à la banlieue Nord et Sud de Paris, se trouve ici :

Salles de cinéma dans la banlieue de Paris (Pour Vous 1934)

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Maintenant, nous allons nous intéresser à la province et plus particulièrement au Sud de la France avec les villes suivantes :

Toulouse, Montauban, Agen, Avignon, Nîmes, Montpellier, Carcassonne, Narbonne, Béziers, Sète pour finir par Perpignan.

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Ce qui est passionnant à lire, c’est de se rendre compte du décalage entre les films plébiscités par la critique et le public parisien et ceux de la province avec des films tels “La Garnison amoureuse” de Max de Vaucorbeil, “La Symphonie inachevée”  de Willi Forst. Sans surprise, les exploitants de salles confient que les films gaies ont la préférence du public, que la crise leur fait perdre des clients, qu’ils sont trop taxés, etc.

Au passage, Gaston Biard cite le réalisateur Emile Couzinet et deux des salles qui lui appartenait, la première à Toulouse, le Gallia, et l’autre à Agen,  le Select-Cinema.

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Pour finir, signalons qu’à Perpignan, il est intéressant de remarquer que Mr Font, propriétaire des principales salles de la ville, remarque qu’à l’occasion de la programmation de films muets comme “Le Signe de Zorro” (de Fred Niblo avec Douglas Fairbanks) : de nombreux spectateurs (lui) témoignèrent leur plaisir de revoir des films muets. Fait assez rare, à cette époque, il nous semble pour être signalé !

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Pour illustrer ces articles, pauvres malheureusement en iconographie, nous avons choisi de reproduire les extraits de l’annuaire professionnel de Tout-Cinéma 1938-1939 relatifs aux villes visités, avec les détails techniques de chacune des salles (existant encore en 1938).

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Bonne lecture !

 

Notre Enquête en Province – Toulouse, Montauban, Agen par Gaston Biard.

paru dans Pour Vous du 12 juillet 1934

Pour Vous du 12 juillet 1934

Pour Vous du 12 juillet 1934

Toulouse

Un peintre aurait besoin de trois couleurs uniquement pour traduire le cadre pittoresque qui s’offre à sa vue : un rose légèrement ocré lui donnerait les maisons de briques et les toitures plates, tandis qu’avec un bleu pâle ou un vert Veronese il pourrait rendre les tons délicats des persiennes closes. Mais pourrait-il animer fidèlement ces rues et ces jardins qu’habitent les promeneurs aux heures plus fraîches de la soirée ? Cela parait malaisé. Il lui faudra alors retourner sa toile et croquer les terrasses des cafés, où à l’ombre les consommateurs écoutent les orchestres endiablés et les chanteuses à voix scandant, les refrains à la mode. Ainsi s’offre, à première vue, Toulouse l’accueillante, malgré la chaleur torride de son ciel lumineux. Mais le cinéma, où est-il !

« Partout », nous répond avec amabilité M. Gurgui, directeur des Variétés, moderne établissement de 2.200 places qui peut être considéré comme la salle la plus importante de la ville. « Comme vous avez pu vous en rendre compte, la vie de Toulouse est très extérieure, et seule la neige peut changer les habitudes des Toulousains. Mais cela dure peu et la pluie elle-même s’avère incapable d’opérer une transformation quelconque. Et si l’on va beaucoup au café, ici, même pour y traiter les affaires, on aime beaucoup le cinéma. Savez-vous que. les recettes des salles de Toulouse viennent bien avant celles de Marseille et de Bordeaux ? Pourtant il y a de nombreux cinémas, une vingtaine environ en comptant les salles du quartier, et il n’y a guère plus de 200.000 habitants. » 

Et comme nous manifestons un étonnement devant ce fait presque imprévu, notre interlocuteur poursuit avec vivacité.
« Ne croyez pas que la moitié de la ville aille au cinéma, ni même le quart, ce serait trop beau ; mais notre ville étant avant tout un grand centre de passage, nous bénéficions de la clientèle des environs, parfois même venue de villes distantes de plus de cent kilomètres. Là est le secret de la faveur populaire pour les films. Naturellement je ne parle pas de la saison actuelle. Nous sommes en été et la très grande chaleur n’a jamais rempli une salle fût-elle la plus fraîche. Pour cette raison, j’ai donc un peu changé mon genre d’exploitation, et au lieu de passer un grand film en exclusivité à sa première vision, je fais des reprises de succès d’hiver et passe deux grands films au programme. Je vais ainsi donner
Paprika la semaine prochaine qui a été très apprécié, ainsi que Le Grand Jeu un peu plus tard. »

Consultant ses notes, M. Gurgui poursuit en nous donnant quelques précisions.
« Cette année, tenez voici mes meilleurs films outre les deux déjà nommés : Tout pour l’amour (de Joe May, Henri-Georges Clouzot, ndlr), qui a tenu deux semaines, Le Sexe faible (de Robert Siodmak, ndlr), Le Maître de forges (de Fernand Rivers, ndlr), L’Abbé Constantin (de Jean-Paul Paulin, ndlr), La Garnison amoureuse (de Max de Vaucorbeil, ndlr). Vous voyez qu’il y a un certain éclectisme dans ma clientèle qui compte la bourgeoisie aisée, les étudiants et des habitués fidèles. Pourtant il faut savoir les intéresser et varier les genres. Cependant il est un facteur primordial que je ne dois pas passer sous silence. Les Toulousains lisent beaucoup, et les journaux parisiens ont sur le terrain cinématographique une grande portée. Aussi un film qui fait une exclusivité parisienne et qui passe ici avec très peu de décalage est sûr d’obtenir- un grand succès. »

Le Tout-Cinéma 1938

Continuons notre excursion dans le centre.
Sur la place Wilson, nous trouvons deux autres belles salles modernes, le Gaumont Palace, de 1.650 places, et le Paramount, de 1.800 places. Ces établissements, qui se par
tagent avec les Variétés la clientèle toulousaine, ont passé avec succès, l’un : La Robe rouge (de Jean de Marguenat, ndlr), L’Illustre Maurin (de André Hugon, ndlr), Liebelei (en version française) (de Max Ophüls, ndlr), La Symphonie inachevée (de Willi Forst, ndlr), l’autre : Le Signe de la Croix (de Cecil B. DeMille, ndlr), Kaspa (de H. Bruce Humberstone et Max Marcin, ndlr), L’Ile du Docteur Moreau (de Erle C. Kenton, ndlr), La Dame de chez Maxim’s (de Alexander Korda, ndlr), La Poule (de René Guissart, ndlr), Toto (de Jacques Tourneur, ndlr), Les Misérables (qui dura cinq semaines) de Raymond Bernard, (ndlr), Lady Lou (de Lowell Sherman, ndlr), en doublage pour les films étrangers.

Notons que le Gaumont Palace possède un orchestre et donne l’hiver des attractions, mais pendant la période d’été le double film est inscrit au programme comme dans presque toutes les salles toulousaines.

 

Le Tout-Cinéma 1938

Sur le boulevard de Strasbourg, nous trouvons le Trianon, qui vient de fermer ses portes pour cause de transformation et que dirige M. Pouget, président de l’Association des Directeurs de Toulouse, que nous n’avons malheureusement pu joindre. Cette salle, étant fermée actuellement, se trouve être un peu en dehors de notre enquête ; pourtant nous nous devons de signaler que par sa clientèle et par la qualité de ses films, le Trianon s’inscrit dans les quatre premiers cinémas de Toulouse. Il a d’ailleurs, cet hiver, passé avec succès en exclusivité : La Bataille (de Nicolas Farkas et Viktor Tourjansky, ndlr), L’Agonie des Aigles (de Roger Richebé, ndlr), La Vie privée de Henry VIII (de Alexander Korda, ndlr), Catherine de Russie (de Paul Czinner, ndlr).

Près du Capitole. nous trouvons encore le Royal, de 850 places, que dirige M. Klein. En son absence, M. Vetzel, qui dirige le Théâtre des Nouveautés, appartenant à la même société, nous précise que, ayant repris tout dernièrement cette salle, seul le programme d’été peut être envisagé et qu’ils ont obtenu de bons résultats avec Le Monde change (de Mervyn LeRoy, ndlr) et une reprise de Sous les toits de Paris (de René Clair, ndlr).

Citons encore, dans le centre, une salle de 400 places, le Gallia, appartenant à M. Emile Couzinet et dirigé par M. Bosc, qui passe d’excellentes reprises et des premières visions. Voici quelques titres : Je suis un évadé (6 semaines en version originale) de Mervyn LeRoy, ndlr, La Symphonie inachevée (3 semaines en version originale), Azaïs (de René Hervil, ndlr), dont c’est la troisième semaine de reprise.

Pour Vous du 12 juillet 1934

Pour Vous du 12 juillet 1934

En nous éloignant du centre, près de l’église Saint-Sernin, nous trouvons l’Olympia-Pathé qui donne les 2° visions des films Pathé-Natan et programme actuellement La Châtelaine du Liban (de Jean Epstein, ndlr) et les actualités du Tour de France.

Un peu plus loin, on rencontre le Fantasio, salle de 650 places, appartenant à M. Galia et que dirige M. Goulpié. Dans cet établissement, pendant l’hiver, un club, « Les Amis du Cinéma », donne, le mercredi en général, des représentations assez suivies. Tentative intéressante qu’il convient de citer, car elle contribue à diffuser certains films excellents qui, sans elle, risqueraient fort de ne jamais être présentés sur les écrans de province. Notons quelques titres de ces films passés en version originale : International Folies, qui obtint un beau succès, Le Président Fantôme (de Norman Taurog, ndlr), Old Dark Home (de James Whale, ndlr), Emil et les détectives (de Gerhard Lamprecht, ndlr), ainsi qu’un film de René Clair, A nous la liberté.

Cette enquête sur Toulouse serait incomplète si nous ne citions pas les autres salles plus populaires situées dans les divers quartiers de la ville. Voici, au hasard de la plume, en nous excusant des omissions : Le Familia Cinéma, l’Odéon Cinéma, le Cinéma Saint-Cyprien, le Cinéma Perignon, le Ciné Rose, le Ciné Bleu, l’Eden et l’American Cosmograph qui jouissent d’une jolie clientèle de quartier.

En résumé, si l’on excepte les deux derniers mois, période estivale, le cinéma à Toulouse, semble jouir d’une grande faveur populaire. Tous les genres y sont représentés, et si, dans l’ensemble, les succès ont été obtenus par defilms français, comme Les Misérables, Tout pour l’amour, Le Grand Jeu, Le Sexe faible, Le Maître de forges, La Robe rouge, La Bataillecertains doublages, eux aussi, ont donné des résultats appréciables : Le Signe de la Croix, Kaspa, L’Ile du Docteur Moreau, Catherine de Russie, La Vie privée de Henry VIII, pour ne citer que les principaux.

D’autre part, les diverses tentatives pour projeter les versions originales étrangères ont prouvé que si leur exploitation s’avère difficile à généraliser, un certain nombre de spectateurs les ont cependant préférées aux films doublés, et quoique cet usage ne soit pas près de se réaliser entièrement, cela nous donne une indication précise.

Montauban

Les rues de la pittoresque cité sont en liesse. Partout, ce ne sont que banderoles multicolores, lampions, drapeaux et rondes joyeuses, qu’accompagnent des orchestres improvisés. Sur la place Nationale aux voussures de pierres grises surmontées de briques roses, pistons et trombones célèbrent cette semaine de braderies, et des couples tourbillonnent. Parfois, un bémol imprévu se glisse dans la partition, mais qu’importe ! le rythme de la gaieté est dans l’air.

Le Tout-Cinéma 1938

« Certes, nous confirme M. Sansépée, le directeur du Théâtre municipal, cette semaine, Montauban connaît des journées inaccoutumées, et cette braderie organisée par les commerçants a attiré la foule ; mais pour nous, cinémas, la situation est restée inchangée. Actuellement, nous sommes en pleine saison d’été, et je ne peux tabler sur les temps actuels pour faire une moyenne. Pourtant, les temps sont difficiles, et le cinéma marche médiocrement ici. La crise s’est fait sentir tardivement, mais assez profondément toutefois, et nous avons perdu une clientèle appréciable. Ma salle compte 950 places, et je vous assure qu’il est difficile de faire le plein. On sort très peu à Montauban, et malgré sa population assez dense, le pourcentage des spectateurs est très faible. Commerçants, fonctionnaires, rentiers : voilà nos habitués. Pour le reste, la bourgeoisie par exemple, Toulouse nous fait une sérieuse concurrence, surtout pour les films d’exclusivités, que les Montalbanais ont pris l’habitude d’aller voir là-bas. Or, sur ce terrain, nous ne pouvons lutter et passer les films en même temps que Toulouse. Pourtant, cette année, j’ai eu quelques succès : L’Epervier (de Marcel L’Herbier, ndlr), I.F.1 ne répond plus (de Karl Hartl, ndlr), Tire au flanc (de Henri Wulschleger, ndlr), La Voix sans visage (de Léo Mittler, ndlr). Baugé, Bach, Armand Bernard sont très appréciés, mais il me semble que la vedette n’est plus aussi puissante, auprès du public, que jadis au temps du muet.

« Crise et saison estivale, tels sont les facteurs prédominants de la situation du cinéma à Montauban, nous disent à leur tour MM. Clerc et Bessières, qui dirigent le Femina et le Royal Palace, deux jolies salles de 600 et 750 places respectivement. Du reste, l’été nous fermons toujours le Femina et ne conservons ouverte que l’autre salle, qui suffit à la clientèle. Nous diminuons en outre le nombre des représentations et modifions un peu nos programmes. Ainsi, en ce moment, nous donnons deux films, quoique cela fasse un métrage bien élevé. Dans l’ensemble, ce sont les films français qui ont le plus de succès : L’Abbé Constantin (de Jean-Paul Paulin, ndlr), Les Misérables (le premier film surtout) de Raymond Bernard, (ndlr), Caprice de princesse (de Karl Hartl et Henri-Georges Clouzot, ndlr), Les Vingt-Huit Jours de Clairette (d’André Hugon, ndlr), Maurin des Maures (d’André Hugon, ndlr), pour ne vous citer que quelques titres.

« Les doublages s’avèrent très difficiles à exploiter, à moins que ce ne soit des films à grand spectacle. Malgré tout, nous avons un noyau de clients fidèles qui viennent dès que l’on affiche Raimu, Murat, Boyer, Marie Bell et Marlène Dietrich, par exemple.

« Mais dans l’ensemble, le pourcentage des spectateurs est faible à Montauban. C’est pour cela que, pour varier, nous donnons des spectacles théâtraux avec des troupes de passage. Le dernier, par exemple, eut un beau succès avec Le Pays du soleil. Mais les temps sont durs, très durs même, et les taxes qui frappent les spectacles sont trop lourdes pour les recettes actuelles, en raison des frais de toutes sortes qui, eux, n’ont fait qu’augmenter chaque année. »

Agen

Si l’on compare Agen à Montauban sur le terrain purement cinématographique, on ne peut s’empêcher de remarquer tout d’abord une faveur populaire plus grande. Il existe, à Agen, un club de cinéma d’avant-garde qui a fait beaucoup pour l’éducation cinématographique du public intellectuel.

Le Tout-Cinéma 1938

M. Barrère, qui dirige le Gallia Palace, de 1.000 places, et le Select, de 450 places, nous en donne de suite l’explication.
« Ici, quoique depuis quelque temps l’on sente un léger flottement, le cinéma est très aimé, et les Agenois sortent beaucoup, le soir principalement. La ville est gaie, très animée et riche dans l’ensemble. Cela forme un excellent élément de clientèle, et je crois que nous ne devons pas trop nous plaindre de sa fidélité. D’ailleurs, toutes les manifestations sportives ou autres obtiennent un joli succès. L’été, naturellement, il ne faut pas envisager les mêmes recettes ; c’est pour cela que je ferme le Select et ne conserve que le Gallia, qui suffit à la clientèle. Je joue tous les jours, sauf le lundi. Mes meilleurs titres ? Voyons : 
Le Maître de forges (de Fernand Rivers, ndlr), L’Abbé Constantin (de Jean-Paul Paulin, ndlr), Roger la Honte (de Gaston Roudès, ndlr) sans doute, quoique L’Enfant de ma sœur (de Henri Wulschleger, ndlr) et Bach millionnaire (de Henri Wulschleger, ndlr) soient aussi à citer.

« Dans l’ensemble, la comédie dramatique alterne avec le film comique à peu près à parties égales. Ne faut-il pas varier les genres ? J’ai passé aussi avec succès La Symphonie inachevée (de Willi Forst, ndlr) dans les deux versions, mais je dois avouer que la version française a connu un succès plus grand que l’autre. C’était une tentative, mais je ne pense pas que l’on puisse passer utilement les versions originales en anglais, par exemple. Le public, en général, les accepterait difficilement. Avant tout, c’est le film français qui arrive en tête. »

Cette opinion est aussi celle de M. Tabuteau, qui, cet hiver, a dirigé le Majestic, de 550 places.
« Oui, mes meilleurs titres sont :
Théodore et Cie (de Pierre Colombier, ndlr), La Robe rouge (de Jean de Marguenat, ndlr), Le Sexe faible (de Robert Siodmak, ndlr), Nu comme un ver (de Léon Mathot, ndlr). Les Misérables, Paprika (de Jean de Limur, ndlr), Le Voleur (de Maurice Tourneur, ndlr). Pour les doublages, très rares, c’est King-Kong qui a donné les meilleurs résultats. II y a ici des éléments excellents et un public qui aime le cinéma ; c’est pour cette raison que M. Sedar fait édifier, en plein centre de la ville, une salle qui sera pourvue de tous les perfectionnements les plus modernes, tant au point de vue de l’installation, de l’aération, que de la projection. Cette salle se nommera le Florida et doit contenir 1.100 places. Nous pensons faire l’ouverture en octobre prochain, pour la saison d’hiver. »

Le fameux Emile Couzinet, directeur du Select-Cinéma à Agen (Le Tout-Cinéma 1938)

Comme on le voit, Agen n’a rien à envier à d’autres cités sur le terrain cinématographique, mais nous ne voudrions pas clore cette enquête sans parler de l’attraction estivale, qui, le soir, réunit sur les bords de la Garonne une bonne partie de la population. Pendant les deux mois d’été, deux établissements, le café Fon et le café de la Rôtisserie du Gravier, donnent des séances en plein air.

Gaston Biard

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Notre Enquête en Province – Avignon, Nîmes, Montpellier par Gaston Biard.

paru dans Pour Vous du 19 juillet 1934

Pour Vous du 19 juillet 1934

Pour Vous du 19 juillet 1934

Avignon

Peu de villes ont, certes, un passé historique plus chargé en souvenirs que la vieille cité provençale. La ronde si connue, célébrant son pont moyen-âgeux, n’a-t-elle pas aussi présidé à nos rêves d’enfants ? Et, plus tard, n’avons-nous pas appris, en en oubliant parfois, les noms de ces papes qui firent sa gloire, établissant en quelque sorte un Etat dans l’Etat et donnant aux habitants cette liberté et cette urbanité qui les caractérisent ? Malgré l’imposant palais, aux larges préaux que bouclent de vastes tours carrées et qui domine les maisons basses aux toits de tuiles, malgré les murailles crénelées de pierres grises et les portes fortifiées qui l’entourent, Avignon est accueillante, vive et colorée. Centre commercial et touristique, ses rues se peuplent, le dimanche, de visiteurs venus des environs et parfois des bourgades alpestres qui l’on distingue, par temps clair, au levant, ou bien des villages des Cévennes dont le profil, au loin, s’estompe dans une brume légère.

Comme ces visiteurs, les Avignonnais aiment le cinéma et les spectacles. Le pourcentage des salles y est assez élevé, puisque cinq établissements se partagent la clientèle de cette ville peuplée de 52.000 habitants environ. Or, une seule de ces salles ferme l’été seulement, et les trois plus importantes sont de construction récente, décorées avec art et pouvant rivaliser, par le confort, avec les cinémas les plus modernes.

paru dans le Tout-Cinéma 1938

Sur le terrain de l’exploitation, quatre établissements appartiennent aux théâtres Pezet et le cinquième à M. Max Carton. C’est dans le hall du Palace que nous avons pu rencontrer Mme Pezet, qui dirige le premier groupe. Aimablement, elle se prête à nos questions et y répond aussitôt.

« J’aime beaucoup Avignon, et quoique n’en étant pas originaire, j’y ai rencontré aussitôt une telle cordialité que je ne pourrai plus m’habituer dans nulle autre ville, Nous y avons quatre établissements : le Palace, de 2.300 places, et le Palladium, de 1.000 places, que vous pouvez apercevoir un peu sur votre gauche en remontant la rue principale : nous y passons les premières visions et les exclusivités, tandis que nos secondes visions sont réservées à l’Alhambra, de 1.000 places aussi, et à l’Eldorado, de 650, fermé actuellement pour la période d’été. »

Et comme nous l’interrogeons sur les résultats de cette année, Mme Pezet poursuit aussitôt :
« Certes, je ne vous parlerai pas de cette période estivale, quoique, à Avignon, il semble qu’elle n’ait pas été si dure que dans bien d’autres villes. Pourtant les chiffres sont assez loin de ceux de l’an passé, par exemple ; mais je puis vous assurer que le cinéma plaît beaucoup ici et que les habitués sont toujours fidèles. Avec nos quatre établissements, nous touchons tous les genres de clientèle et avons enregistré peu de défections.

« Ce qui plairait le plus ? Peut-être la comédie gaie vient-elle en tête. Ainsi Un soir de réveillon (de Karl Anton, ndlr), La Garnison amoureuse (de Max de Vaucorbeil, ndlr), Le Coq du régiment (de Maurice Cammage, ndlr) ont obtenu un franc succès. Pourtant je ne dois pas oublier de mentionner d’autres genres, comme La Bataille (de Nicolas Farkas et Viktor Tourjansky, ndlr), Primerose (de René Guissart, ndlr), Judex 34 (de Maurice Champreux, nldr), Madame Butterfly (de Marion Gering, ndlr), Back Street (de John M. Stahl, nldr). Certes les doublés sont un peu plus difficiles à exploiter que les films français, mais certains, à grand spectacle, par exemple, ont plu énormément.

« Naturellement, je dois citer aussi dans cette liste une production comme Mireille (de René Gaveau et Ernest Servaes, ndlr) qui, par son caractère local, devait fatalement intéresser Avignon et ses environs.

Pour Vous du 19 juillet 1934

— A votre avis, quels sont les facteurs favorables au succès d’un film ? Son titre ou ses vedettes ?
D’abord, il faut que ce soit une bonne production, cela est essentiel ; car, dans toutes les villes de province, vous n’ignorez pas que la publicité parlée est le meilleur facteur de succès ou d’insuccès. Souvent une semaine dépend de la première représentation et de l’accueil que lui ont réservé nos spectateurs.

« Le titre, lui, a son importance certes, surtout s’il se rapporte à une œuvre littéraire connue ; mais je crois que la vedette fait une grande part du succès et que l’on vient surtout pour la voir dans telle ou telle production. Ainsi, je peux vous donner un exemple : Charles Boyer a un succès considérable, et ses films, excellents d’ailleurs, ont été très appréciés. Je pourrais vous citer deux productions de l’année dernière : Tumultes (de Robert Siodmak, ndlr) et I.F.1 ne répond plus (de Karl Hartl, ndlr). Murat plaît aussi et a de nombreuses admiratrices. Dans un genre différent, Raimu, Fernandel (qui progresse chaque jour), Alibert (un enfant du pays si sympathique) sont certains de faire recette. Pour les femmes, je vous citerai Annabella, surtout depuis La Bataille, Florelle, Marcelle Chantal, Meg Lemonnier. »

Résumant sa pensée, Mme Pezet poursuit :
« Je crois en la vedette, et je puis vous en donner la preuve. L’hiver, assez souvent., comme la scène du Palace se prête à ce genre de représentation, nous avons donné des tournées d’opérette : 
Rose-Marie, No, no, Nanette, L’Auberge du Cheval Blanc, et avons reçu avec succès, Joséphine Baker, Raimu ».

La concurrence du Palace et du Palladium est faite par le Capitole, belle salle des plus coquettes et des plus modernes qui compte 1.800 places environ. Il est dirigé par M. Max Carton, que nous avons regretté de n’avoir pu joindre. Notons cependant que cet établissement a passé avec succès un grand nombre d’importantes productions françaises.

Nîmes

Un peu différente d’Avignon apparaît l’exploitation cinématographique dans la célèbre Colonia Nemannis Augusta des Césars. Comment, en quelques mots, décrire les beautés architecturales de cette antique cité : ses arènes majestueuses, sa Maison Carrée à la si imposante pureté de lignes et ses vieilles portes romaines, et ses jardins verdoyants aux bassins lumineux ? Ville accueillante aux touristes, Nîmes n’en a pas moins une vie propre très caractéristique, et si le commerce des vins y occupe une grande place, les industries de la soie et de la tannerie y emploient de nombreux ouvriers. Cinq salles de cinéma se distribuent la clientèle locale, et, le dimanche, celle des bourgades environnantes. Pourcentage très normal, si l’on songe que la ville compte 80.000 habitants au minimum. Mais, là comme ailleurs, la crise a sévi dans la classe ouvrière, et les fonctionnaires ont restreint leurs dépenses.

paru dans le Tout-Cinéma 1938

« Signe des temps, nous explique M. Crouzet, qui dirige le Colisée, de 1.900 places, l’établissement le plus moderne de la ville. La saison d’hiver avait été assez quelconque, faible même, proportionnellement à l’année dernière ; puis l’été venu, ce fut la chute verticale. Ici la bonne période va du 15 septembre à fin avril. Après, la chaleur et les vacances nous retirent un grand nombre de spectateurs et nous obligent à vivre sur la clientèle purement locale. Les clients sont fidèles, mais ils aiment les bons films, et, quoi qu’il y ait ici deux classes distinctes, catholiques et protestants, cela ne se fait pas trop sentir.

« Naturellement, les films locaux ont un gros succès. Je pourrais vous citer Mireille (de René Gaveau et Ernest Servaes, ndlr) et L’Illustre Maurin (de André Hugon, ndlr), par exemple. Parmi les autres films, La Bataille (de Nicolas Farkas et Viktor Tourjansky, ndlr), Tout pour l’Amour (de Joe May, Henri-Georges Clouzot, ndlr), Scarface (de Howard Hawks, ndlr), que j’ai passé en version originale, à titre d’essai, ont bien marché, ainsi que presque tous les films gais que l’on met au programme.

— Et actuellement ?
L’été, comme je vous le disais, il faut envisager le double programme, un film nouveau en seconde partie, et une reprise comme complément. Alors on peut travailler un peu, quoique la solution la meilleure serait peut-être la fermeture. Et donner 15 représentations par semaine, cela s’avère difficile, d’autant que nous avons un redoutable concurrent, outre la chaleur qui n’incite pas les spectateurs à fréquenter nos salles — et l’on ne sait pourquoi, puisque souvent la température y est bien plus supportable que dans les rues ; nous avons aussi les arènes qui, par le nombre de ses places presque illimité, attirent une masse imposante à chaque manifestation sportive ou théâtrale. »

Le second groupe de salles nîmoises se trouve composé de trois établissements appartenant aux théâtres Pezet. Ce sont le Majestic, de 1.300 places, donnant des premières visions ; l’Odéon, de 1.000 places, qui projette soit des premières, soit des secondes visions, et enfin l’Alhambra, spécialisé dans les secondes visions, fermé pendant la saison estivale, et qui, d’ordinaire, reprend les programmes des deux autres salles. Tous ces établissements donnent, en hiver, 15 représentations par semaine.

paru dans le Tout-Cinéma 1938

M. Bourrier, qui dirige le Majestic, s’empresse de nous renseigner :
« Cette année a été plus difficile que les précédentes, mais cela tient sûrement aux ressources moindres de notre clientèle plus qu’à son détachement du cinéma. Les grands films marchent tout de même, et comme dans nos trois établissements nous touchons tous les genres de spectateurs, je n’émets pas une vaine affirmation en disant cela. Nous avons bien travaillé avec
Kaspa (de H. Bruce Humberstone et Max Marcin, ndlr), Primerose (de René Guissart, ndlr), Le Signe de la Croix (de Cecil B. DeMille, ndlr), La Maternelle (de Jean Benoit-Lévy et Marie Epstein, ndlr), Le Coq du régiment (de Maurice Cammage, ndlr), La Garnison amoureuse (de Max de Vaucorbeil, ndlr), Le Barbier de Séville (de Hubert Bourlon et Jean Kemm, ndlr), Judex, Mireille. Mais les taxes sont lourdes, et le pallier progressif s’avère injuste parfois. Pourquoi ne réformerait-on pas toutes ces différentes catégories d’impôts venant s’échafauder les unes sur les autres ? Une taxe unique basée sur les ressources réelles des salles serait plus équitable et donnerait certainement un meilleur rendement, et ce serait plus simple ! »

La revision des taxes, M. Bonnet, qui dirige l’Eldorado, salle de première vision de 1.400 places, appartenant à M. Max Carton, l’espère fermement :
« Grâce à cela, nous pourrons maintenir le cinéma malgré les temps actuels si difficiles. Ici, il faut lutter chaque jour pour regagner peu à peu ceux que la crise a touchés : ouvriers et fonctionnaires. Mais j’ai bon espoir, car ce sont des clients fidèles, et ils aiment le cinéma. Dès qu’une industrie reprend légèrement, nous voyons aussitôt revenir nos habitués. N’est-ce pas symptomatique ? Ce qu’il faut avant tout, ce sont les bons films et les films français. Avec
Les Misérables, La Porteuse de pain (de René Sti, ndlr), Le Maître de Forges, L’Epervier…

Pour Vous du 19 juillet 1934

Pour Vous du 19 juillet 1934

— Et les vedettes ?
Elles ont une très grande importanceRaimu, Charles Boyer, Fernandel, Gaby Morlay, Florelle, par exemple, attirent indubitablement. Peut-être ne faut-il pas les montrer trop souvent, et alterner les genres, comédie dramatique ou musicale, film comique… Mais avant tout, je crois qu’il faut être optimiste, et ne pas oublier qu’une stabilisation de fait tend à s’établir. C’est là-dessus que nous devons baser nos programmes pour en obtenir le maximum. Ainsi, malgré la chaleur, en pratiquant quelques reprises des succès hivernaux, je puis tenir mes 15 représentations
par semaine. »

Citons encore l’Olympia, salle de 1.000 places, fermée pendant la période d’été, qui appartient au même groupement que l’Eldorado et qui passe d’ordinaire les secondes visions des programmes Pathé Natan.

Avant de quitter Nîmes, mentionnons encore au titre cinématographique les Arènes, de 10.000 places environ, qui, l’été, donnent plusieurs séances de film parlant par semaine. Cadre unique pour le cinéma en plein air, si prisé dans le Midi et si joliment pittoresque.

Montpellier

A Montpellier, capitale incontestée des pays vinicoles du Languedoc, belle ville à fière allure de 85.000 habitants environ, l’exploitation cinématographique se divise très facilement en deux groupes distincts de trois salles chacun qui se partagent une clientèle assez variée, composée de commerçants, de rentiers, d’étudiants, de quelques ouvriers et d’une population rurale assez importante. Le cinéma y est très en faveur, mais subit des fluctuations diverses. C’est ce que nous explique M. Guignier, qui dirige le Capitole, de 1.400 places, l’Odéon, de 1.000 places, et l’Hippodrome.

paru dans le Tout-Cinéma 1938

« Ici, c’est le vin qui prime tout ; si la saison est bonne, les recettes suivent la même courbe ascendante., sinon nous ne bénéficierons pas de deux catégories de clients, les commerçants et les ruraux, ces derniers étant surtout nos habitués du dimanche. Cette année, la crise générale s’est fait assez durement sentir, et, surtout depuis deux mois, la saison estivale est très mauvaise. Autrefois, certes, il en était de même à cette époque, mais jamais nous n’avions touché un plafond aussi bas. Je ne crois pas qu’il faille aller chercher d’autres causes à la chute des recettes, car, touchant par suite de la spécialisation de mes salles toutes les catégories de spectateurs, je puis vous assurer que la faveur populaire est toujours très vive pour les choses du cinéma ; ce sont uniquement les budgets restreints qui ont raréfié les spectateurs.

« Tenez, au Capitole, qui passe uniquement les premières visions, j’ai obtenu de bons succès avec Les Misérables, La Bataille, Le Maître de forges, et l’on sent très bien qu’une légère reprise des affaires aurait donné de suite des résultats appréciables, car ces films avaient intéressé les habitués. Il en a été de même à l’Odéon, salle plus populaire. C’est cette gêne et cette incertitude qui sont la cause de nos difficultés, sans compter les taxes qui nous paralysent entièrement.

« Pour les vedettes, je citerai : Gaby Morlay, Florelle, Annabella, Raimu, Bach, Fernandel comme les meilleures têtes d’affiche. L’été, à l’Hippodrome, je donne des séances en plein air ; cette semaine, je passe une reprise de Marius. »

L’autre groupe se compose de trois salles : le Pathé et le Trianon, salles de premières visions, et le Royal, salle plus populaire, fermée pendant la saison estivale. En l’absence de M. Rolland, le directeur général, MM. Pascal et Lebois, directeurs respectivement du Pathé et du Trianon, nous ont confirmé l’acuité de la situation estivale. Chaleur, crise des affaires et taxes. Pourtant, eux aussi sont certains de la faveur populaire, toujours grande vis à vis du cinéma. Henry VIII et Catherine de Russie n’en sont-ils pas les preuves ?

Les taxes. Leitmotiv trop souvent entendu hélas ! Pourtant la solution est là, et leur revision s’impose. La crise, certes, a touché certaines villes plus durement les unes que les autres, mais la crise n’est-elle pas en fonction de la fiscalité exagérée ? Nulle industrie n’est frappée aussi lourdement que celle du cinéma. Pourquoi cette injustice ? Et pourquoi ne veut-on pas comprendre que seule une revision équitable des diverses taxes pourra permettre une reprise des affaires et sauvegarder encore une industrie qui traverse une grave crise ?

Gaston Biard

*

Notre Enquête en Province – Carcassonne, Narbonne, Béziers, Sète, Perpignan par Gaston Biard.

paru dans Pour Vous du 26 juillet 1934

Pour Vous du 26 juillet 1934

Carcassonne

Lorsque, au loin, l’on découvre les murailles de la célèbre cité se profilant à l’horizon et offrant aux regards émerveillés créneaux et poivrières, une bouffée d’histoire vous étreint. Vite l’on sent le désir intérieur de se mêler plus intimement à ces pierres, d’essayer de recréer, ne fût-ce qu’un instant, les époques héroïques du passé. Murailles romaines, tours wisigothes, défenses moyen-âgeuses, la cité offre un tout compact que couronne son château aux barbacanes redoutables. On ne peut en quelques lignes évoquer les légendes et l’historique de ses sièges. Mais quel cadre merveilleux, quelle grandeur majestueuse !

De nombreux metteurs en scène y réalisèrent plusieurs films. Dans ses lices, se déroulèrent des scènes du Miracle des loups, du Tournoi dans la Cité, et des toits pointus arbalètes et flèches s’élancèrent sur les assaillants montés sur les hautes échelles. Puis la cité reprit son calme habituel, et les touristes remplacèrent les hommes de guerre, brève résurrection du passé.

Site touristique par excellence, Carcassonne est aussi un centre commercial très important dont le rayonnement, s’étend des Pyrénées aux Cévennes.

Trois salles se partagent la clientèle cinématographique : ce sont le Colisée, de 600 places, l’Odeum, de 1.400 places, et le Moderne, de 750 places — fermé pendant la saison estivale. M. Fargues, qui dirige le premier, nous explique les difficultés de l’heure présente :

« Certes, dans la ville nous pouvons compter sur une clientèle d’habitués, que la crise a touchés en partie, mais qui restent fidèles au cinéma. Malgré tout, la concurrence est grande, non pas entre nous, directeurs, puisque nous avons conclu un accord en vue d’une entente générale pour l’exploitation, mais vis-à-vis des épreuves sportives qui, à la belle saison, sont assez nombreuses. Le dimanche est un bon jour, cependant, puisqu’il attire les environs même assez éloignés. Ce serait peut-être notre meilleur noyau d’habitués. »

paru dans le Tout-Cinéma 1938

Nous faisant visiter sa coquette salle, M. Fargues poursuit en nous désignant quelques affiches : « Les Misérables, La Bataille, L’Agonie des Aigles, Tire au flanc. Le Sexe faible, Au Pays du soleil (qui est presque un film local) de Robert Péguy, ndlr, voilà ceux qui ont eu le plus de succès dans mon établissement, non pas toujours au point de vue de la recette : cela tient à tellement de facteurs étrangers aux films qu’il est impossible de tabler par avance. Pourtant, je crois que les bandes comiques seraient les plus en faveur. »

« Les films comiques ? Ma foi, oui, nous répond M. Sagnier, qui dirige les deux autres salles. De toute façon, Bach, Raimu et Fernandel ont leur public. Mais les temps sont de plus en plus difficiles, et avec les taxes qui nous grèvent, nous glissons sur une pente bien dangereuse.

« Voyez-vous, Carcassonne va modérément au cinéma, et pour déplacer la foule, il faut donner des spectacles qui compensent difficilement les frais. Ainsi en est-il des attractions ou des tournées que je programme quelquefois, malgré le goût très vif d’une certaine clientèle. »

Ajoutons qu’outre un cinéma muet, la ville va être dotée d’un théâtre actuellement en construction, qui donnerait des représentations cinématographiques.

Narbonne

Vieille cité au passé glorieux et aux monuments pittoresques, Narbonne compte deux belles salles de spectacle groupées sous la même direction. Ce sont le Kursaal et l’Alcazar, situés à quelque distance l’un de l’autre. Ces deux établissements modernes ont programmé cet hiver, avec succès, quelques titres excellents dont nous pouvons citer les derniers : Le Barbier de Sévillc, Le Harpon rouge (de Howard Hawks, ndlr), Révolte au Zoo (de Rowland V. Lee, ndlr), Fanny, Un certain M. Grant (de Gerhard Lamprecht, ndlr), La Guerre des valses (de Ludwig Berger, ndlr), Raspoutine (de Richard Boleslawski, ndlr), Cette vieille canaille (de Anatole Litvak, ndlr).

paru dans le Tout-Cinéma 1938

N’oublions pas de mentionner une des attractions narbonnaises pendant la période estivale : durant quatre jours par semaine, les représentations en plein air sur les écrans des cafés Glacier et des 89 Départements, situés à chaque extrémité de la jolie promenade des Barques.

Béziers

Béziers est la capitale du vin, si l’on peut employer ce terme, et, naturellement, tout le commerce de la ville est en fonction de la récolte.

C’est ce que nous explique M. Pradel, qui dirige le Palace, de 1.600 places, appartenant aux théâtres Pezet.
« Avec ce facteur, nous pouvons préjuger à peu près de la tendance annuelle. Si le vin se vend bien, les cinémas travaillent ; sinon ce sera le marasme, car nous perdons une partie de notre clientèle. Ainsi, cette année, la saison a été moyenne pour nous. Quelques films ont connu un certain succès, mais ils sont rares. Je pourrais vous citer
Primerose, La Robe rouge. Tout pour l’amour, Le Signe de la Croix, La Garnison amoureuse. En général, les films comiques plaisent beaucoup, et la vedette attire le public peut-être plus que le titre du film, Boucher, Garat, Lilian Harvey, Kate de Nagy, par exemple. Malgré tout, le succès dépend surtout de la publicité parlée, qui joue après la première représentation. Elle est très importante et prime tout autre genre de propagande. »

paru dans le Tout-Cinéma 1938

Près du Palace, sur les belles allées Paul Riquet, aux arbres majestueux, se trouvent aussi deux jolies salles modernes, le Royal, de 1.200 places, et le Kursaal, qui passent avec succès d’excellentes productions françaises.

Sète

Colbert avait dit : « Le port de Sète sera l’œil de la Provence, ». Il semble que le célèbre ministre ait été bon prophète et que ses plans, modifiés en partie par la suite, ont donné au nouveau port une activité grandissant chaque année. Liaison directe avec l’Orient, extrémité du canal des Deux Mers, Sète se double encore de deux plages très- fréquentées par les baigneurs. Mais abandonnons les canaux pittoresques qui, pendant les fêtes, sont le théâtre des joutes nautiques de célèbre renommée, et abordons le problème cinématographique.

« Certes, la saison estivale s’avère la plus mauvaise que nous ayons jamais traversée, nous déclarent MM. Vachier et Arrighi, qui président aux destinées de l’Habitude Cinéma, jolie salle de 1.200 places, donnant 10 représentations par semaine.

« Depuis quelques semaines, pourtant, un mieux semble s’être fait sentir, surtout auprès de la clientèle maritime. Ici, deux choses priment : le vin et la navigation. Vous n’ignorez pas que nos dockers sont de grands spécialistes du déchargement des fûts. C’est pour cela que Sète, admirablement située à un des confins de la région vinicole, offre un débouché important sur le marché méditerranéen. Une petite reprise dans ce négoce et les clients reviennent assez vite.

paru dans le Tout-Cinéma 1938

— Bon public ?
Oui, naturellement un peu bouillant ; ses manifestations sont sincères, et le bon film est presque toujours applaudi. La vedette y fait beaucoup. Ainsi Murat, Boyer, Préjean, Annabella, Florelle, Marlène Dietrich sont très prisés. Les films sportifs bénéficient, eux aussi, d’une certaine faveur vis-à-vis du public : le cyclisme par exemple. Par contre, les doublages plaisent moins et, à part
Blonde Vénus et Madame Butterfly, nos meilleurs succès ont été des films français, notamment I.F.1 ne répond plus et Le Barbier de Séville. »

Tel est aussi l’avis de M. Pouget fils, qui dirige le Trianon, salle de 850 places située sur le pittoresque port.
« Ici je ne vois pas de clientèle pour ce genre de films, malgré l’intérêt certain que de bonnes productions peuvent offrir vis-à-vis d’un public aimant le côté artistique. Mais en province nous sommes obligés de nous cantonner dans les doublages. Je pourrais vous citer
Kaspa, Son Homme, Le Signe de la Croix, Résurrection (de Rouben Mamoulian, ndlr). Dans l’ensemble, ce sont les films gais qui intéressent le plus, ou les productions touchant des sujets locaux, comme Mireille, par exemple. »

« Les films régionaux, certes, nous dit Mme Jor, qui dirige l’Athénée, salle de 800 places, je désirerais pouvoir en passer plus souvent. Malgré les temps difficiles que nous traversons — je ne parle pas de la saison d’été — Au pays du soleil a été fort goûté du public.

— Les baigneurs fournissent-ils une clientèle intéressante ?
Cela dépend de la saison. Mais on ne peut tabler sur leur assiduité, car, venus des quatre coins de la France, nous ne pouvons connaître les films qu’ils ont pu voir. En fait, et de loin, la saison d’hiver est la meilleure. »

Ajoutons que l’été, le Casino, qui possède une belle salle de théâtre, y donne des représentations cinématographiques alternées avec des opérettes et des comédies. Et naturellement, c’est dans ce dernier établissement qu’il faut chercher la clientèle estivale et les baigneurs venus pendant la saison.

Perpignan

Ce n’est pas sans raison que nous terminons cette enquête sur la saison par la ville la plus méridionale. Tout d’abord, parce que sa situation géographique est assez particulière, Perpignan échappe en partie aux divers éléments commerciaux qui régissent la Narbonnaise. Capitale du Roussillon, nous sommes là en pays catalan, avec toutes ses couleurs vives et sa vie si belle de traditions.
Accueillante et gaie, la ville est un pôle d’attraction important pour les villages environnants, soit des Corbières, soit des Pyrénées, soit de la côte méditerranéenne. Des Loges au Castillet, le soir, dans les rues animées, aux terrasses des cafés, aux sons des orchestres, c’est là qu’il faut chercher Perpignan pour se sentir gagné par cette vitalité intense et cet accueil simple, mais si sincère.

paru dans le Tout-Cinéma 1938

Sur le terrain cinématographique, Perpignan est très important, parce qu’il fournit à l’édifice de l’exploitation une partie spéciale d’activité. Trois belles salles, dont deux sont modernes : le Castillet, de 1.500 places, et le Nouveau-Théâtre, de 1.200 places, forment, avec le Familia, un ensemble compact, puis la direction en est unique, centralisée entre les mains de M. Font, leur propriétaire. Celui-ci, avec cordialité, nous donne son avis :

« Ici, la vie est très extériorisée, et cela se comprend aisément en raison de la température et du climat. Le Perpignanais sort beaucoup et aime les spectacles de toutes sortes. Rugby, cyclisme ! Notre équipe n’est-elle pas célèbre, et notre ville n’est-elle pas une des étapes importantes du Tour de France avant la montée des rudes cols pyrénéens ? Il faut voir Perpignan à l’arrivée de l’étape pour se rendre compte de sa vie et de son activité. Pour les spectacles, théâtres, concerts, cinémas, vous retrouvez la même vogue, mais j’avoue qu’un certain ralentissement s’avère assez net sur le terrain des films. Je puis aisément faire des comparaisons, puisque j’ai exploité ici un cinéma avant la guerre. J’ai donc connu des années bien différentes les unes des autres.

« Naturellement, je ne vous parlerai pas de la saison estivale. Trop d’éléments différents contribuent à la rendre fort médiocre. Sur mes trois salles, seule celle du Castillet reste ouverte avec un double programme. Au Familia, dans le parc, j’ai installé un cinéma muet en plein air, et là est ma surprise !

— Surprise ?
Oui, surprise, non pas commerciale, mais psychologique presque. Vous savez que dans le Midi, en été, la vie ne peut être qu’extérieure, et ce genre de spectacle convient aux goûts et aux habitudes. Ce n’est pas là qu’est ma surprise, mais surtout dans l’opinion émis par un assez grand nombre d’habitués. J’avais passé quelques films de Douglas Fairbanks
Le Signe de Zorro par exemple, et de nombreux spectateurs me témoignèrent leur plaisir de revoir des films muets.

— Croyez-vous à un retour du public vers le muet ?
Ce serait aller un peu vite ! Il se peut que le plaisir de revoir des films qui ont eu du succès jadis soit à la base de ce désir. Je ne voudrais pas formuler une opinion là-dessus, mais il est deux facteurs qui s’imposent à première vue. D’abord, le prix des places, qui est fatalement moins élevé, et par les temps actuels ce n’est pas un argument négligeable ; mais aussi, et en cela je vous donne un goût personnel, les bonnes productions actuelles parlantes sont si rares à trouver ! Pour alimenter mes trois salles en hiver, vous voyez le nombre de films que je dois donner, avec peu de possibilités de faire des secondes visions, puisque je touche tous les genres de clientèle. De toute façon, il me faut, au Castillet et au Nouveau-Théâtre (fermé pendant l’été), deux grandes productions par semaine. Ce n’est pas si facile à trouver. Consultez les programmes des maisons éditrices et vous verrez la pénurie de bons titres. Certes, des bandes ont très bien marché : 
Primerose, L’Epervier, Les Misérables et Le Maître de forges, surtout ces deux derniers. »

Après un long silence, M. Font reprend en souriant :
« N’allez pas croire que je sois rétrograde ; je vous fait part de réflexions assez nombreuses d’habitués, et je suis moi-même perplexe, voilà tout. Je crois toutefois qu’une salle qui donnerait des films muets connaîtrait un certain succès. Cela serait-il durable ? C’est un essai à tenter.

« Si l’on veut que le cinéma ne fasse pas un plongeon dans l’inconnu, je vous assure qu’une refonte des diverses taxes est tout à fait nécessaire, car si certains cinémas ont pu tenir jusqu’à présent, beaucoup se trouveront dans une situation difficile l’année prochaine. Unification des charges, suppression des paliers, voilà quelle serait la sagesse, et suppression aussi d’un tas de petites indemnités qui, à la fin de l’exercice, font un total impressionnant. Songez donc : 60.000 francs rien que pour le règlement des agents de police et des pompiers (sur mes trois salles, certes) ! Mais n’est-ce pas là un chiffre excessif ? Grâce à la municipalité, j’ai pu obtenir un allègement partiel ; mais cela n’est qu’un détail, et je ne parle pas uniquement pour moi. N’est-ce pas une refonte totale qu’il faut envisager sur tous les plans ? Il n’est pas logique qu’il y ait deux poids et deux mesures suivant les villes dans lesquelles vous exploitez un commerce, et que la fiscalité dépasse le chiffre brut du tiers des recettes. Nulle industrie ne pourrait le supporter, le cinéma pas plus qu’une autre ! »

Pourquoi conclure ? Les paroles de M. Font ne reflètent-elles pas les justes desiderata de la corporation ?

Gaston Biard

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Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

Source : Le Tout-Cinéma 1938-1939 Collection personnelle Philippe Morisson

Pour en savoir plus :

Retrouvez sur le site Ciné-Façades plusieurs posts sur des salles de Béziers : Le Variété (ici et ) ainsi que le Palace (ici et ).

Retrouvez sur le site salles-cinema.com les pages sur ces cinémas qui existent toujours :

à Avignon, le Capitole.

à Toulouse, Les Variétés.

à Carcassonne, le Colisée.

à Montpellier, le Royal (ex- l’Eden) et le Capitole.

à Perpignan, le Castillet.


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3 commentaires sur “Salles de cinéma dans le Sud de la France en 1934 – part1 (Pour Vous)

  • Guilhem Claude

    Très bon encadré sur Emile Couzinet, un personnage qui avait bien compris qu’un public populaire, dans le bon sens du terme, nombreux mais aux moyens modestes et pas très pointilleux, pouvait à l’époque dans le Sud-Ouest former une clientèle fidèle. À Toulouse il acheta au milieu des années 30 le GALLIA rue Lapeyrouse, jolie salle spécialisée dans les reprises. Ses 450 fauteuils de velours rouge faisant face à un rideau de scène en tulle transparent avec un arbre dessiné devant un rideau lamé or. Couzinet le fit entièrement transformer à l’été 1955 et il rouvrit après deux ans de travaux rebaptisé PARIS sous l’apparence du plus élégant et confortable cinéma de la ville rose avec un programme d’exclusivités. En 1981 une librairie lui succéda.
    (pour votre information : vous pouvez voir des photos du Gallia et du Paris sur Salles-cinema.com au chapitre “Souvenirs d’un cinéphile toulousain”)

    • Philippe M. Auteur de l’article

      Merci pour ces renseignements. C’est vrai que l’on ne connait sans doute pas suffisamment le travail d’exploitant d’Emile Couzinet. Et j’ai bien évidemment pensé à vous en préparant ce dossier !