Cet hommage à Lazare Meerson, l’un des plus grands décorateurs du cinéma français, regroupe trois articles parus dans les revues Pour Vous, Cinémagazine et La Revue du Cinéma.
Le premier est l’hommage rendu par le décorateur Lucien Aguettand à son ami Lazare Meerson à la mort de celui-ci le 28 juin 1938. Le second évoque l’importance de son apport aux films de Jacques Feyder, Gribiche et Carmen. Quant au dernier, paru dans la fameuse revue La Revue du Cinéma, il démontre ce qu’est le Style Clair-Meerson.
Lazare MEERSON par Lucien Aguettand
paru dans le numéro 503 daté du 06 juillet 1938 de Pour Vous
Lazare Meerson, qui fut l’un des plus grands décorateurs du cinéma, vient de mourir à Londres.
Lucien Aguettand, décorateur français qui fut son ami, a écrit pour nos lecteurs ce fervent adieu à Meerson.
Meerson fut et restera longtemps le meilleur et le plus étonnant décorateur du cinéma contemporain.
Collaborateur de René Clair, de Feyder, il leur apporta des possibilités nouvelles, il y avait chez lui un sens extraordinaire du métier cinématographique et si, il y a quelques années, on a déclaré qu’il existait un style Clair-Meerson, on pouvait aussi dire après la Kermesse héroïque, qu’il existait un style Feyder-Meerson.
Il apportait tant d’ardeur et d’idées à ta réalisation d’un film qu’il était impossible de déterminer où commençait et où se terminait son travail.
Je ne crois pas avoir un démenti de Jacques Feyder ou de René Clair en affirmant que Meerson demeurera, dans leur amical souvenir, le décorateur le plus précieux, le plus subtil et le plus compréhensif ; ce qu’il y avait d’admirable chez lui c’est qu’il savait s’adapter à l’œuvre et au réalisateur tout en restant lui-même.
Je crois qu’il est de notre devoir de réunir tout ce qui concerne l’œuvre de Meerson et je demande à ses amis de m’aider dans ce travail.
Je suis sûr qu’il s’en dégagera un enseignement utile à tous et ce sera le suprême hommage de ceux qui ont toujours considéré Meerson comme l’un des leurs, car n’a-t-il pas apporté au cinéma français un travail et un dévouement que nous Français, nous n’avons pas toujours su ou pu donner.
LUCIEN AGUETTAND.
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
L. MEERSON DELINEAVIT…
paru dans Cinémagazine n°3 daté du 21 janvier 1927
LES décors de Carmen, qui n’en a pas admiré la vérité, la puissance d’évocation, le pittoresque et la couleur locale ?
Qui n’a aimé l’auberge de Lilas Pastia, la taverne de Calderon, avec son arène minuscule, l’inoubliable rue du Serpent, dont les panoramiques et les travellings n’ont pu scruter dans tous leurs savoureux détails les méandres multiples et les subtils recoins ; et cette élégiaque maison de Grenade, et cette salle grandiose, étincelante de carares et de porphyres, où la gitane danse, devant les officiers de la garnison fascinés et troublés ; et tant d’autres encore, d’où jaillit de l’atmosphère, à flots, comme d’une baie grande ouverte, la chaude lumière de juin.
Déjà Gribiche avait classé d’emblée Lazare Meerson. L’effort d’interprétation et d’expression que représentaient la chambre à coucher de Gribiche et l’hôtel de Mme Maranet, avait frappé les techniciens quelque peu indifférents, désormais, aux splendides banalités américaines. Cette fois, l’intelligence l’emportait sur le faste, l’esprit d’adaptation sur l’esprit de décoration. Le luxe n’était plus un prétexte : il était un corollaire. Comme les basses dans une instrumentation, les cadres de Meerson faisaient ressortir la mélodie de Feyder, en dégageaient les subtilités, en expliquaient discrètement les intentions les plus discrètes.
J’ai vu Meerson peu après la présentation de Carmen, et nous avons parlé de son oeuvre. Toutes les intentions qui m’étaient apparues, si limpides, dans les décors du film, il me les a confirmées en même temps qu’il me livrait, en peu de mots, sa conception de la décoration cinématographique :
« C’est un art d’abnégation, me disait-il. Le décorateur doit s’effacer constamment, de manière à laisser au premier plan les autres éléments de la réalisation : sujet, interprétation, mise en scène. Jamais le cadre ne doit empiéter, ou l’emporter, sur l’œuvre elle-même. Le décor accompagne le film, il s’harmonise avec lui ; c’est de lui que se dégage « l’atmosphère » si précieuse au metteur en scène comme aux interprètes. Il est beaucoup plus difficile de composer un décor d’ambiance qui, passant inaperçu aux yeux du public, renforcé la scène, et lui confère sa vraie valeur, que d’exécuter une super-architecture devant laquelle toutes les bouches restent bées d’admiration, mais qui dénature totalement le sens et la portée du découpage. »
Cette qualité psychologique du décor, dont plusieurs techniciens, déjà, ont senti l’importance et la nécessité, est la plus précieuse à mon sens, comme aussi la plus rare : elle complète ce que Jean Epstein, voici trois ans, appelait déjà « l’animisme » du cinéma. Elle confère aux objets une personnalité spirituelle ou morale.
La décoration, ainsi comprise, n’est pas l’œuvre, seulement, d’excellents professionnels.
Il faut, pour la servir, des artistes de vrai talent, et des intelligences cinématographiques affinées.
C’est pourquoi Lazare Meerson nous donnera, par la suite, d’autres occasions de parler de lui…
Raoul Ploquin.
Joaquín Peinado était un peintre cubiste espagnol.
Raoul Ploquin a produit de nombreux films de Jean Gremillon et de Henri-Georges Clouzot. Il a débuté sa carrière en écrivant les intertitres de films muets et écrivit également dans Cinémagazine.
Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française
Le style Clair-Meerson
paru dans La Revue du Cinéma n° 27 daté du 01 octobre 1931
On ne peut pas parler des décors du cinéma sans parler de la mise en scène tout entière. Du metteur en scène dépend tout ce qui peut contribuer à donner, par l’unité dans la forme, son style et son rythme à l’oeuvre, l’entreprise cinématographique.
L. Meerson et René Clair ont résolu la question de l’étendue des fonctions du décorateur par une très étroite collaboration : la prochaine production de René Clair, A nous la liberté, sera la sixième à laquelle ils travaillent ensemble depuis Un chapeau de paille d’Italie. Ayant choisi le scénario et y ayant trouvé leur inspiration, ils font avec les décors, durant toute la réalisation, des essais pour chaque scène (de prise de vues, d’éclairage) ; par cette répartition du travail, rien n’est laissé au hasard.
Une des conditions auxquelles le public tient le plus au cinéma, est que ce soit « comme dans la vie », mais on lui offre un idéal de dancing et d’acteurs aussi jolis que possible ; d’autre part on lui adapte des opérettes pour introduire un peu de fantaisie dans ce spectacle.
René Clair a été très habile à créer cette atmosphère de fiction, sans trop insister sur ses propres sentiments et à obtenir un juste milieu entre le trop réaliste et le trop invraisemblable. Ce sont les décors stylisés de Meerson qui donnent à ses films la légèreté et l’aisance qui les caractérisent ; ils sont tellement expressifs dans l’action que, comme dit Meerson, on ne les voit pas (on se rappelle par exemple la scène du Million où par un effet de mise au point le décor attire l’attention et s’efface progressivement).
Pour les premières scènes du nouveau film, les bâtiments de la Tobis ont été recouverts par une construction d’usine : les murs du décor sont en ciment, les fenêtres en verre comme dans la réalité, mais leur simplification, obtenue, malgré de grandes dimensions, soit par la répétition du même détail, soit par une couleur uniformément claire, lui confère l’aspect irréel qui caractérise le style Clair.
Le Cabinet du docteur Caligari est au cinéma la plus belle réussite de stylisation des décors ; les acteurs y apparaissent aussi étranges que le cadre dont ils font partie. Meerson de même, en exagérant les éléments caractéristiques de ce qu’il a à représenter, nous donne beaucoup plus l’illusion de la vérité qu’avec des paysages naturels.
Ce procédé mal employé en France par le défunt cinéma d’avant-garde ne parvenait, par un excès d’artificiel ou en accordant trop d’importance au décor, qu’à détruire l’unité recherchée.
Enfin si on ne peut plus aimer autant Les Trois Lumières c’est que, depuis que le cinéma parle, les décors doivent être aussi solides et massifs que le VRAI et c’est à peine si l’on peut se contenter d’une maquette pour un plan d’une maison qui explose.
Aussi les Américains bâtissent-ils de véritables architectures qui sont animées par la lumière et les acteurs, la figuration ; etc’est le chef opérateur et le metteur en scène, plus que le décorateur qui leur donnent leur caractère, leur valeur d’évocation.
Dans un esprit tout à fait différent, René Clair, qui stylise jusqu’au son, a pu avec le concours de L. Meerson, montrer les décors du caractère le plus français de tout le cinéma français.
Robert Jourdan
Source : Collection personnelle.
Cet article est disponible également dans l’édition du cinquantenaire en fac-similé de l’intégralité de La Revue du Cinéma (1928-1931) paru en 1979 chez Pierre Lherminier Editeur.
Pour en savoir plus :
La notice biographique de Lazare Meerson sur le site de Ciné-Ressources.
Le listing du fonds d’archives Lazare Meerson chez Ciné-Ressources
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