En 1934, Pour Vous a lancé une vaste enquête sur les salles de cinéma en France.
Ces articles sont des mines d’or sur tous ceux qui s’intéressent au Cinéma des années 30 et son impact en dehors de Paris.
Riche d’enseignements sur l’état des salles de cinéma en province et dans la banlieue de Paris, du style de spectateurs qui y va et quels genre de films ont leur préférence (Bach est leur acteur fétiche), nous comptons publier ces articles au fil des prochaines semaines/mois…
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Tout d’abord voici les deux reportages consacrés à la banlieue Nord et Sud (là) de Paris écrits par Jean Vidal et G.-L. Georges.
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Les villes visitées sont :
Pantin, Saint-Denis, Epinay-sur-seine, Enghien-les-bains, Clichy, Saint-Ouen, Ivry-sur-seine, Vitry-sur-seine, Choisy-le-roi, Villejuif, Gentilly, Sceaux, Montrouge, Malakoff, Vanves, Clamart, Meudon, Sèvres, Versailles.
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Pour illustrer ces articles, pauvres malheureusement en iconographie, nous avons choisi de reproduire les extraits de l’annuaire professionnel de Tout-Cinéma 1938-1939 relatifs aux villes visités, avec les détails techniques de chacune des salles (existant encore en 1938).
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Bonne lecture !
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Exploration cinématographique dans la banlieue nord de Paris (Salles de cinéma)
paru dans Pour Vous du 5 avril 1934
C’est encore Paris et ça ne l’est plus. Car Paris n’a de limites que sur les plans du cadastre et dans les divisions administratives. Une ville n’a pas de frontières. Hors de sa ceinture, d’autres agglomérations se forment qui s’étendent et s’absorbent à leur tour : c’est la banlieue.
Pays confus et pittoresque, routes rectilignes, terrains vagues d’où surgissent, solitaires, des maisons neuves de huit étages ; rues sans nom ; gazomètres ; usines dont l’ombre massive se projette sur les champs de poireaux et de salades ; cheminées et silos, seules tours qui dominent la plaine grise où serpentent, indécis, les grands fleuves ; morceaux de campagne vendus au mètre ; arbres, verdure ; entrepôts : la capitale déborde dans ce chaos, y déverse le trop-plein de sa population.
A la nuit, çà et là, des façades s’allument : ce sont les cinémas.
Quelles sont ces salles de banlieue ? Quels films offrent-elles à leur public ? Qui les fréquente ? Nous avons voulu prendre la température cinématographique de la périphérie parisienne. Et, un beau soir, nous sommes partis, à l’aventure, dans la direction de l’étoile polaire.
Pantin-Aubervilliers
Passé la Porte de la Chapelle, on arrive à Pantin, ville célèbre par ses usines et les transformations chimiques qui s’y opèrent. Un canal la traverse, sur qui lentement glissent les péniches chargées de fûts. Ici vit une population, ouvrière en majorité. Nous sommes, d’ailleurs, en plein pays rouge ; mais les opinions les plus avancées n’altèrent pas le goût des spectacles. Pantin a quatre cinémas.
En voici un, le Central Palace, rue du Centre. C’est une salle de 1.200 places, vraiment luxueuse, et qui ne le cède pas, sous le rapport du confort et de la projection, aux meilleures salles de quartier parisiennes. Mme Conti, qui le dirige depuis seize ans, est une femme qui connaît son affaire.
« Ce qu’il faut, ajoute-t-elle, c’est que le public en ait pour son argent. C’est pourquoi j’ai coutume de donner un grand film en supplément au programme que me fournit le circuit auquel je me suis rattachée. Cette semaine, par exempter je donne Masques de cire ;
— Quels sont les films qui plaisent ici ?
— Ceux qui font rire et ceux qui font pleurer. Le gros comique ou le mélodrame. Bach ou Le Maître de forges.
Le long du canal, le Pantin-Palace est une jolie salle de 750 places dont la décoration « atmosphérique » s’inspire de celle du Rex de Paris. Etoiles et jeux de lumières, rien n’y manque.
Le directeur n’est pas là. Nous en profitons pour interroger traîtreusement le gardien.
« Ici, nous dit-il, on aime la rigolade. Les gens qui ont travaillé toute la semaine ont besoin de s’amuser. Bach, voilà un type qui plaît. Et Harold Lloyd. Mais, par exemple, il faut leur montrer de bons films. Avec les navets, rien à faire.
— De bons films, lesquels ?
— Monte là-dessus a été un gros succès. La Ronde des heures, Jean de la Lune, Le Chant du Nil ont fait de grosses recettes.
— Et les vedettes préférées ?
— Henri Garat, Meg Lemonnier, Florelle, Clark Gable. »
Continuons notre voyage. A l’ouest de Pantin, s’étend Aubervilliers : là aussi, des usines. Mais aussi une population bourgeoise plus importante. Aubervilliers a trois cinémas : le Family (1.500 places), le Kursaal-Pathé (1.400 places) et l’Eden (600 places).
Saint-Denis
Mettons le cap sur le nord-ouest en laissant la zone à notre gauche : une ville surgit, animée, bruyante, étendue : Saint-Denis. Encore un canal, encore des péniches et des usines, et des fumées. Saint-Denis est une des capitales du travail, la grosse agglomération ouvrière de la banlieue Nord. Elle ne possède pas moins de cinq cinémas.
Mme Hugot dirige le plus important d’entre eux, la Kermesse, luxueuse salle de 2.000 places, qui s’est fait une spécialité de ne passer que des films parlant français, ne programmant jamais un film doublé. Le prix des places varie de 3 fr. 50 à 9 francs, et il y a neuf séances par semaine.
« Mon public, nous dit Mme Hugot, comprend, en plus du fond ouvrier, la plupart des commerçants aisés, des bourgeois et des « professions libérales » de la ville. Il est très sensible, intellectuel, dirai-je même. Les bons films l’attirent, il aime la musique. La Voix sans visage, à cause de Muratore, lui a beaucoup plu. Les films gais, genre Bach ou Fernandel, sont ses préférés, mais les drames, comme L’Assommoir, sont loin de lui déplaire. Enfin les actualités que nous passons chaque semaine ne suscitent guère de protestations, sauf Hitler, qui est sifflé.
— La crise vous a-t-elle touché ?
— Nos recettes sont les mêmes que l’année passée, mais au-dessous de celles d’il y a deux ans. »
Le Théâtre Municipal, où nous nous présentons ensuite, est fermé. Le capitaine des pompiers, qui sont logés dans le même édifice, nous donne quelques renseignements.
« Le public est assez mélangé. Les chômeurs, auxquels la municipalité accorde des places gratuites, sont nombreux. Des séances réservées à certains groupements ont lieu assez souvent. Par exemple, demain soir, les « Bretons de Saint-Denis » ont une soirée où ils projettent Gardiens de phare et L’Or des mers. La salle a 1.400 places, et il y a cinq représentations régulières par semaine et quatre en été. Chevalier est très populaire, surtout quand il joue avec Jeanette. C’est Parade d’amour qui fut leur meilleur film.
Nous quittons, en le remerciant, l’obligeant capitaine, pour qui miss Mac Donald est tout simplement Jeanette, et nous nous dirigeons vers le Chabrol-Palace. Son directeur, que nous trouvons en train de repeindre la salle, nous dit :
« Ce qu’il faut en banlieue ? c’est la grosse rigolade, Bach, quoi. Les comédies sont trop fines et ne sont guère à la portée de notre public. D’ailleurs, le parlant est bien mal arrivé : les films ont perdu de leur mouvement, il n’y a pas assez d’action et trop de dialogue. Au temps du muet, il fallait voir comme les spectateurs pouvaient se passionner. Maintenant, seul Bach les fait rire. Lilian Harvey, Henri Garat, ils les aiment bien aussi. Mais ce n’est rien à côté du temps du muet. Je ne fais plus que six séances par semaine. Ma salle tient 550 places et les prix varient de 3 à 5 francs. Le public est surtout ouvrier, venant assez régulièrement. Mais les cirques nous font une grosse concurrence. Comme le prix de leurs places est plus élevé, mes clients restent parfois deux semaines sans venir… Un autre film qu’ils ont bien aimé, c’est Son homme, à cause des scènes de bagarres qu’il contenait. Ça, c’est une chose qu’on ne sait pas faire en France, les films à bagarres… Tenez, ce qui marche aussi, ce sont tes gros mélodrames. »
Épinay (sur seine)
A mesure qu’on approche d’Epinay, l’atmosphère se modifie. Moins d’usines. Le paysage devient plus souriant, l’horizon s’adoucit et s’entr’ouvre, et laisse voir des champs, de l’espace. On n’habite plus dans ses parages parce qu’on est forcé d’y vivre et d’y travailler.
On y demeure pour son plaisir, parce que l’air y est plus pur et l’ambiance plus calme qu’à Paris.
En fait, Epinay ressemble à une petite ville de province, à une lointaine sous-préfecture, calme, endormie. C’est pourtant la deuxième ville française du cinéma après Joinville, puisqu’on y trouve deux studios importants. Mais les gens d’ici semblent fort peu soucieux de revendiquer cette gloire.
« Ils ne vont pas au cinéma, nous dit avec un peu d’amertume le sympathique directeur du Magic, l’unique salle d’Epinay. Regardez, je n’ai que trois cents places et je n’ouvre que quatre soirs par semaine. Eh bien, je m’en tirerais difficilement si je ne donnais pas d’excellents programmes ! Ils ne vont pas au cinéma. Ce sont des gens qui aiment rester chez eux et entendre la T.S.F. Il y en a qui ont des voitures et qui vont se distraire à Paris ou à Enghien. Ma clientèle fidèle est constituée par quelques commerçants du pays et surtout par le personnel des studios Eclair et Tobis.
Enghien-les-Bains
Bach, Bach ! On n’a que ce mot à l’oreille quand on interroge les directeurs d’Enghien, et c’est tout à fait compréhensible puisque ce populaire comique est un citoyen du pays.
Entretenez-vous avec un habitant de cette gentille petite ville, il vous dira qu’on peut voir M. Bach tous les jours, à l’heure de l’apéritif, à la terrasse du café des Sports. Son bon gros visage inspire l’amitié et la confiance. Et comme c’est un homme affable, il jouit d’une parfaite considération ; jusqu’à son chien qu’on montre du doigt dans la rue.
Etonnez-vous, après cela, que Bach fasse, à Enghien, de grosses recettes !…
Nous avons été transportés sans transition dans une ville d’eaux. Et pas une ville d’eaux pour rire, je vous prie de le croire, car les eaux (m’a-t-on dit) y sont excellentes, les rues propres et presque aristocratiques, les hôtels confortables. Il n’y manque rien : ni les jardins tondus, ni le casino, ni les fiacres à la sortie de la gare. Assurément, avec le caractère de la population, les goûts changent. C’est du moins ce que nous apprend une charmante jeune fille que nous trouvons à l’Hollywood-Cinéma.
« J’aurais préféré, dit-elle, que vous interrogiez papa. Il vous expliquerait cela mieux que moi. »
Nous la rassurons de notre mieux, et nous l’engageons à poursuivre (car il n’est pas inutile, dans une enquête de ce genre, d’écouter l’avis des jeunes filles).
« Notre clientèle, dit-elle, aime la comédie sentimentale et celle où l’on chante comme Calais-Douvres ou Une heure près de toi. Les artistes les plus appréciés sont Jean Murat, Charles Boyer, André Roanne, Lilian Harvey. On ne veut pas de films en langue étrangère, même sous-titrés : on leur préfère les doublages. Ainsi, nous donnons Lady Lou doublé. Ce sont surtout les films dont on a beaucoup parlé qui plaisent… »
Le Palace-Gaumont, très belle salle de sept cents places, appartient à notre confrère Jean Châtaigne, président de l’Association de la Presse cinématographique. C’est dire qu’elle est dirigée avec compétence. En l’absence de notre confrère, le chef de poste nous reçoit :
« Nos clients sont des habitués, des gens sérieux qui viennent à jours réguliers et dont les visages nous sont devenus familiers. Ce sont des commerçants de Paris qui résident à Enghien, des rentiers, des retraités qu’effraient les grosses farces et qui n’aiment pas les films policiers où l’on entend trop de coups de revolvers. Par contre, la comédie musicale leur convient. Ils en subissent le charme, puis à la sortie déclarent : « C’est gentil, mais dans le fond c’est idiot ! » Ils aiment aussi le documentaire, surtout s’il est romancé, et pleurent au Maître de forges. Théodore et Cie, Fanny, Une fois dans la vie leur ont plu. Leurs vedettes favorites sont : Armand Bernard, Florelle, Charles Boyer et Victor Francen, qui est la coqueluche de toutes les dames.
— Et vous donnez des attractions ?
— De temps en temps. Les fakirs attirent toujours du monde…
Au Pathé-Cinéma (400 places) même clientèle ;
« D’une façon générale, nous disent les directeurs, on aime les films qui ont eu du succès à Paris. On se guide d’après les critiques des quotidiens et des journaux de cinéma, et l’on est attiré par les vedettes : Novarro, Clark Gable, Garat, Wallace Beery, Garbo continuent à exercer leur prestige… »
Saint-Ouen
A Saint-Ouen, il n’y a que deux salles ; une troisième, achevée depuis longtemps, n’a jamais été ouverte au public.
Le Trianon est une petite salle de 450 places, dont les prix varient de 2 fr. 50 à 4 fr. 50, avec réduction pour les enfants.
« Ce qu’ils aiment, nous dit le patron, ce sont les films de mouvement. Vous les entendez, en ce moment ! Les comédies gaies, les drames populaires, très sentimentaux leur plaisent aussi. Je passe en principe deux grands films par séance : un parlé direct et un doublé. Jamais d’actualités pour éviter les manifestations : ils sont très à gauche, par ici ! Les documentaires doivent être courts pour les contenter.
« Je ne me plains pas trop de la crise, mais Paris m’enlève une partie de ma clientèle : les moyens de communication sont très faciles.
« Ma clientèle est assez familiale. Le samedi, je fais des soirées populaires ; le dimanche en matinée, ce sont les enfants et les vieux ; en soirée, c’est plus sélectionné. Pas de morte saison : les ouvriers ne se paient pas de vacances. A part juillet et août, où ça ralentit un peu, je revois toujours les mêmes figures.
L’Alhambra est la grande salle de Saint-Ouen, avec 1800 places, valant de 3 à 7 francs. Elle appartient au circuit Rocher.
M. Bontemps, le directeur, nous dit :
« Mon public est exclusivement ouvrier. Il lui en faut pour son argent : aussi je passe deux grands films, les actualités, des attractions et de la musique. Ces spectateurs sortent vers minuit et demi ; ils ont des opinions politiques précises : je préfère couper la Marseillaise aux actualités, mais en revanche les films religieux, comme Le Signe de la Croix, passent sans protestation. Mais leur roi, c’est Bach. Les drames, Roger la honte, la Robe rouge, les font pleurer. Les films sportifs plaisent beaucoup. La Maternelle, Les Croix de bois ont eu un grand succès.
« Le jeudi, matinée à 1 franc pour les enfants. Je suis obligé de placer les filles à gauche et les garçons à droite. Le samedi soir, les gars de Saint-Denis « descendent » à mon cinéma pour la « chasse aux filles » de Saint-Ouen. Je fais la police moi-même dans ce cas, et j’expulse les chahuteurs après les avoir remboursés. Mais ils reprennent leurs billets à l’autre caisse.
Clichy
A Clichy, nous nous présentons au Palace, coquette salle de 700 places. Selon M. Barrière, son directeur, la clientèle est bourgeoise, avec des employés et des ouvriers aisés.
« La comédie intelligente ne fait pas recette. Pour le public, il n’y a rien au-dessus de Bach. Évidemment, on voudrait éduquer les spectateurs. Mais on ne peut le faire sur son porte-monnaie. La grosse rigolade, les mélos, ça marche. Les films pour lesquels on a fait beaucoup de publicité rendent également et le système de la vedette est malheureusement efficace. Les films où il y a des enfants plaisent : La Ronde des heures, Mater Dolorosa.
Au cinéma de l’Union, M. Rousseau nous accueille :
« Ma salle tient 700 spectateurs et mes prix varient entre 3 fr. 50 et 7 francs. Le public est ouvrier. Ce qui lui plaît, ce sont les films d’action, les mélodrames. La proximité de Paris nous gêne, en plus de la crise qui touche l’exploitation en général. Mais je crois que si l’on revenait aux films de mouvement de l’époque du muet, on retrouverait des spectateurs. Chez moi, Le Chemin de la vie, le film soviétique, a eu beaucoup de succès. »
M. Ferret dirige à Clichy deux salles rattachées au circuit Pathé-Natan : le Casino (900 places) et l’Olympia (1.700 places).
« Mon public, assez mélangé, a une préférence marquée pour les films réalistes et les comédies. Le Maître de forges, Le Signe de la croix ont été de grand succès.
Jean Vidal et G.-L. George
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Le Cinéma dans la banlieue sud de Paris (Salle de cinéma)
paru dans Pour Vous du 21 juin 1934
(De notre envoyé spécial)
Depuis la Seine, à Ivry, jusqu’à Versailles, passé le bois de Meudon, s’étend la banlieue Sud de Paris. C’est cette région que, poursuivant notre exploration dans les cinémas de la périphérie, nous avons visitée cette fois.
Villes ouvrières se pressant l’une l’autre, au point de se confondre, villes de rentiers contrastant avec elles par leur calme et leur aspect provincial, se sont succédé au cours du voyage. Dans
celles-ci, cinémas petits pour la plupart, se cachant un peu au fond de cours ou de jardins ; dans celles-là, vastes salles aux fauteuils souvent confortables, décorées de panneaux aux couleurs voyantes par des peintres croyant faire « moderne ».
La note caractéristique est donnée par le chevauchement des affiches. Sur les murs d’Ivry, les salles de Vitry vous appellent. A Villejuif, ce sont celles du Kremlin ; à Montrouge, à Malakoff, les salles parisiennes des quartiers extérieurs essaient de raccrocher la clientèle de ces banlieues si proches.
Procédons par ordre. Tout d’abord
IVRY-SUR-SEINE
Ivry est une ville industrielle, où l’élément ouvrier domine par conséquent. Trois cinémas sollicitent la population.
Le gérant du Grand Cinéma National, salle de 850 places à cinq séances par semaine, nous dit :
« Bien qu’en majorité ouvrier, mon public se compose aussi de commerçants et d’industriels d’Ivry. Mais c’est le premier élément qui constitue mon noyau d’habitués.
« Il faut donc que je contente deux types de spectateurs : c’est sur le genre de films gais sans grossièretés que j’ai pu les mettre d’accord. Bach, Garat aussi, leur font oublier leurs divergences, tandis que Back Street les a également déçus. Les comédies musicales leur plaisent de temps en temps : il ne faut pas abuser de Baugé. La Maternelle a été un triomphe, mais Chercheuses d’or n’a pas eu le succès de Plein aux as.
« La publicité de journaux parisiens et les hebdomadaires comme Pour Vous font beaucoup pour notre exploitation. Les lecteurs suivent les films et attendent leur sortie dans ma salle pour venir les voir. »
Le Casino, salle de 1.000 places faisant six séances, reçoit ensuite notre visite.
« Public populaire, comme chez mes collègues, nous y dit-on, mais que la crise a bien frappé. Aussi les recettes baissent, pour ne pas dire plus.
« A part Bach, qui déplace le plus de monde, ce sont les films sérieux qui semblent plaire à ma clientèle. Le Maître de forges, Les Deux Orphelines, les films tirés des vieux romans populaires ont la côte. Ou bien les films sportifs : ce serait presque à nous donner envie de voir refaire des films muets genre Tom Mix ; aussi, l’« Ecran sportif » des actualités. Eclair a-t-il un grand succès. »
Enfin, le Palace, la plus grande salle d’Ivry, est dirigée avec compétence par M. Lussiez, président du Syndicat français des directeurs de cinématographes.
VITRY-SUR-SEINE
Trois cinémas également dans cette cité ouvrière : le Casino et le Palace, appartenant à la même direction, et le Central.
Dans ce dernier, belle salle de 1.300 places, ouverte il y a un an, le directeur nous confie :
« C’est surtout le titre qui attire le public, et les vedettes qui jouent dans le film. Aussi en résulte-t-il une préférence égale pour les films gais et les beaux drames.
« Bien sûr, il y a des exceptions : ainsi, j’ai constaté que la comédie assez fine ne marchait pas trop mal ; Topaze en est l’exemple. Et pourtant, ma clientèle est à base d’ouvriers. »
Au Palace, salle de 1500 places, on nous dit :
« Nous avons un public mêlé ; beaucoup de nos habitués sont employés des chemins de fer. Notre salle, très centrale, attire beaucoup de monde, et les goûts diffèrent. Ce serait plutôt le film sérieux qui plairait le plus. Avec Les Misérables, il y avait foule, et Le Maître de forges a très bien marché. Après ça, il y a les films sportifs qui sont aussi en faveur. Les films doublés sont assez bien accueillis. Pour les actualités, que nous passons en première semaine, il faut faire attention.
« Dans notre autre salle, le Casino, les choses ne sont guère différentes, sauf le public qui est plus ouvrier. Elle fait 600 places, et les films que nous passons ici repassent en deuxième vision au Casino. »
CHOISY-LE-ROI
Cette ville, que la célèbre Mlle de Montpensier habita dans un château de Mansard, dont on voit encore les restes, ne possède que deux salles de cinéma.
Au Casino, charmante salle de 900 places, le directeur nous reçoit avec amabilité.
« Notre salle, en plus des habitants de Choisy même, attire les habitants des communes voisines, qui en sont dépourvues.
« J’ai pu constater que ce sont les gosses qui aiment le mieux le cinéma. Aussi, les matinées que je fais spécialement à leur intention, avec prix des places réduit, connaissent un certain succès.
« Pour le reste de mon public, qui est à base d’ouvriers, ce sont les films comiques qui sont le mieux aimés. Mais il faut évidemment qu’une vedette connue soit sur l’affiche. Jean Murat, Meg Lemonnier, Henri Garat et, naturellement, Bach, sont ceux qu’on réclame le plus souvent. Les films sportifs attirent toujours une certaine clientèle. Enfin, nous avons une spécialité : nous passons toujours, chez nous, le film qui est sorti aux Miracles. Cela nous a toujours porté bonheur. »
VILLEJUIF
Avec Villejuif, c’est dans la banlieue essentiellement ouvrière que nous retombons. A cause de la proximité des autres villes, un seul cinéma se trouve sur le territoire de Villejuif.
Au Capitole, où nous nous présentons, nous sommes reçus par le directeur :
« Nous avons 1.200 places et jouons tous les jours, sauf le mardi. Le public, en majorité ouvrier, aime des films divers et veut en voir de tous les genres. Un seul genre est pourtant exclu : comme ils sont fort avancés d’opinion, le film patriotique n’a aucune chance ici. Notre programme est toujours très copieux : deux grands films, deux attractions et les actualités. Ils en ont jusqu’à minuit trente ! »
GENTILLY
Aux portes mêmes de Paris se trouve Gentilly, où deux salles attirent les amateurs de cinéma.
Au Gallia, en l’absence du directeur, une ouvreuse nous donne quelques renseignements.
« Ce sont les films sportifs qui remplissent le mieux nos 600 places ; ils font autant de monde que les comiques. Les beaux films, comme Les Misérables, ont également leur public fidèle. Mais les films doublés ne sont pas très aimés ; ce n’est jamais aussi bien que du parlé direct. »
Au Gaïté-Palace, qui contient 1.000 fauteuils, le directeur avisé déclare :
« Chaque film a une clientèle régulière qui lui est propre : les femmes préfèrent les drames, les jeunes, des films sportifs, et ainsi de suite. Par ailleurs, tous les « grands » films, ceux sur lesquels une grosse publicité est faite, sont sûrs de faire dans ma salle une bonne recette, même s’ils ne plaisent pas tous. »
SCEAUX
Ici, le ton devient bien différent. Le caractère bourgeois de la population influe sur ses préférences cinématographiques.
Le Trianon, qui est l’unique salle de Sceaux, n’a que 365 places et ne donne que quatre représentations par semaine.
« On vient dans ma salle en famille, nous dit le directeur, et les bourgeois et employés aisés qui composent ma clientèle ne supporteraient pas d’y voir des films sales. D’ailleurs, je marche d’accord avec le curé, qui recommande, du haut de la chaire, les spectacles que ses paroissiens peuvent voir. Mes prédécesseurs, pour n’avoir pas observé cette règle, ont fait faillite. Ce curé prêchait contre eux et déchirait les affiches du cinéma. Aussi, mes meilleures recettes ont été L’Abbé Constantin, Primerose, L’Ange gardien et d’autres, aux tendances également morales. »
MONTROUGE-MALAKOFF
Importantes agglomérations industrielles aussi bien que bourgeoises ; cinq cinémas s’en partagent la nombreuse population. Par malchance, les deux salles de Montrouge sont closes, et il nous est impossible d’en trouver les directeurs.
A Malakoff, par contre, nous trouvons chez lui le propriétaire du Bijou.
« Ma salle n’a que 500 places, mais j’ai bien de la peine à la remplir avec tous les chômeurs que nous avons par ici. D’ailleurs, la clientèle est devenue très hésitante. Elle ne sait plus très bien ce qu’elle veut. Les habitués se… déshabituent, et vous pouvez imaginer l’embarras du pauvre directeur. La production est loin d’être brillante et les taxes nous accablent. Une seule chose est sûre : les films doublés marchent encore moins que les parlants français. »
Ne trouvant personne au Palace (1.500 places), nous allons voir le Family, appartenant au circuit Brézillon.
« Ce sont uniquement les films gais qui satisfont notre clientèle, ouvrière en très grosse part, nous répond la secrétaire. Les noms des vedettes les attirent surtout, et Bach, Garat, Meg Lemonnier sont leurs préférés. Par contre, les mélos et les comédies un peu fines ne marchent pas du tout, ainsi d’ailleurs que les films doublés.
VANVES
Une seule salle, le Palace (1.200 places), dans cette ville peuplée, comme nous dit la directrice, de « bourgeois et de blanchisseuses ».
La salle appartient au circuit Pathé-Natan.
« Ce sont plutôt les films sentimentaux qui marchent ici. Mais les grands films attirent une clientèle qui, d’habitude, ne vient pas. Ainsi, Les Misérables et Bach font le maximum. Mais Paris avec ses salles de quartier, nous fait une grosse concurrence. »
CLAMART
Mme Médicis, directrice du Modern, nous dit :
« On voit malheureusement tant de films légers que notre programmation en devient très difficile. A Clamart, où on va au cinéma en famille, il ne faut pas exposer les mères à faire sortir leurs filles au milieu d’un film, à cause d’indécences. Chaque fois que nous le pouvons, nous visionnons le film avant sa projection, afin d’en extraire les passages licencieux.
« Notre clientèle, composée principalement de bons bourgeois, goûte surtout les beaux drames, à condition qu’ils se tiennent. »
MEUDON
Le directeur du Central, salle de 400 places, se plaint surtout de la concurrence :
« L’été, c’est le bois de Meudon qui éloigne le public. L’hiver, ce sont les salles d’Issy, de Clamart, de Sèvres, de Paris même qui attirent notre clientèle. »
SEVRES
Après la faillite du Palace, le Cinéma-Théâtre reste la seule salle de Sèvres. Il contient 500 fauteuils et donne quatre représentations par semaine.
« Mon public est composé de petits commerçants et d’ouvriers, nous déclare le directeur. Ce qui les attire surtout, c’est le film à vedette, lancé par Paris et la publicité. »
VERSAILLES
L’ex-ville du Roi-Soleil marque enfin le terme de notre voyage. Nous y arrivons comme le soir commence à tomber, troué par les façades lumineuses et les sonneries grelottantes des cinémas, qui sont au nombre de quatre pour cette ville de près de 70.000 habitants.
Au Cyrano, la plus grande avec ses 2.000 places, M. Petitpas se plaint des taxes.
« Leur superposition à la crise rend l’exploitation bien difficile. C’est le film gai que réclame notre publie. Il plait aux bourgeois et aux ouvriers, mais les films à thèse, comme La Robe rouge, ne manquent pas de spectateurs. Les films doublés ne sont guère goûtés ; ainsi, Back street n’a pas eu de succès. Par contre, Cavalcade, qui avait attiré un public particulier, fut un triomphe. »
Des remarques à peu près identiques nous sont faites à l’Alhambra (1.800 places).
« C’est Raimu qui fait le plein dans ma salle, nous dit le directeur. Ou alors, des films comme Les Misérables. En règle générale, si le titre du film est connu, ayant précédemment été un livre ou une pièce, une certaine affluence peut être escomptée. De même, bien entendu, pour certains acteurs. »
Enfin, au Kursaal, le directeur, qui tient la caisse avec sa femme, nous répond :
« J’ai un fond de clientèle d’habitués, et je me suis spécialisé dans les reprises de grands films. Ainsi Le Chemin du Paradis, Mam’zelle Nitouche, le charmant film de Marc Allegret, ont fait salle comble. Il est vrai que je n’ai que 650 places.
« A Versailles, il y a de nombreuses sociétés qui montent des pièces, et ces cercles nous portent une grosse concurrence. »
G.-L. Georges
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Source : Pour Vous Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Source : Le Tout-Cinéma 1938-1939 Collection personnelle Philippe Morisson
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Pour en savoir plus :
Nous avions déjà mis en ligne un article de 1929 sur le Cyrano à Versailles :
Sur le site Ciné-Façades, vous pouvez retrouvez plusieurs pages consacrés à certains des cinéma cités dans cette enquête :
Dans les Hauts de Seine, La Seine Saint-Denis et le Val de Marne.