Le 19 mai dernier, l’un des grands seconds rôles du cinéma français aurait fêté son centième anniversaire : Daniel Gélin.
A La Belle Equipe, cela nous paraît toujours un bon prétexte pour rendre hommage à ces comédiens que l’on a beaucoup vu au cinéma mais dont nous trouvons peu de documents sur le net.
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Ainsi, nous vous proposons cet article paru dans la grande revue de cinéma d’après-guerre, l’Ecran Français, en 1949.
A cette époque, Daniel Gélin a déjà bien commencé sa carrière, notamment avec des films comme Rendez-vous de juillet de Jacques Becker (qui paraît cette année là), Miroir de Raymond Lamy (1947) où il partage l’affiche avec Jean Gabin (qu’il avait déjà côtoyé dans Martin Roumagnac de Georges Lacombe l’année d’avant). Daniel Gélin avait auparavant joué des petits rôles, pendant la guerre, chez Henri Decoin (Premier Rendez-vous et Les Inconnus dans la maison ), Clouzot (L’assassin habite au 21).
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En 1949, le futur réalisateur et collaborateur régulier de l’Ecran Français, Jean-Charles Tacchella, retrace donc le début de carrière de Daniel Gélin.
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L’histoire retiendra que Daniel Gélin n’en est donc qu’au tout début de sa carrière. Dès 1950, on le retrouve dans deux films majeurs, La Ronde de Max Ophuls et Édouard et Caroline de Jacques Becker. Et tout au long des années cinquante il jouera pour Christian-Jaque, Jean Delannoy, Sacha Guitry, Henri Verneuil, Julien Duvivier, Jean Cocteau, et même Alfred Hitchcock dans L’Homme qui en savait trop.
J’aimerais citer ce polar méconnu que Denys de La Patellière réalisa en 1957, Retour de manivelle, où il est aux côtés de Michèle Morgan.
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Comme beaucoup Daniel Gélin souffrit lors des années soixante de l’impact de la Nouvelle Vague qui le délaissa mais heureusement pût rebondir à partir des années soixante-dix pour ne plus lâcher l’affiche. On se souvient de Détruire, dit-elle de Marguerite Duras (1969, Le Souffle au cœur de Louis Malle (1971), Nous irons tous au paradis d’Yves Robert (1977), La Nuit de Varennes d’Ettore Scola (1982), La vie est un long fleuve tranquille d’Étienne Chatiliez (1987), etc.
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il nous a quittés le 29 novembre 2002.
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Bonne lecture !
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DANIEL GELIN qui doit son plus grand trac à Marlène et tourna un film avec sa femme — sans la connaître — est … il victime d’une injustice ?
par Jean-Charles Tacchella
paru dans L’Ecran Français du 7 novembre 1949
LE HÉROS DE ”RENDEZ-VOUS DE JUILLET”
Une grande injustice des festivals (et ce n’est pas la moindre) c’est que l’on préfère toujours couronner les acteurs chevronnés que les jeunes valeurs. Les jeunes ne sont jamais à l’honneur dans les palmarès de festivals. Nous l’avons bien vu récemment à Cannes, et Francois Timmory l’a fait remarquer ici même : pour le Grand Prix d’interprétation masculine on a choisi Edward G. Robinson. Mais la création de Daniel Gélin dans Rendez-vous de juillet n’est-elle pas plus importante dans une carrière d’acteur ? Entendons nous bien : Edward G. Robinson est un très grand comédien, mais lui donner un prix aujourd’hui, c’est un peu lui conférer la Légion d’honneur du cinéma. Robinson devrait avoir reçu l’Oscar depuis longtemps !
Donc les festivals n’aident pas les jeunes. Tant pis pour eux !
Remarquez que les jeunes auront toujours pour eux la fierté de leur âge. Et si Daniel Gélin n’a pas eu un prix, je suis sûr qu’il n’en a pas eu d’insomnies, Laissons les grandes personnes jouer avec les festivals. C’est de leur âge de vouloir transformer les salles de cinéma en musées et les ouvreuses en conservateurs.
Daniel Gélin est arrivé à Paris, il y a un peu plus de dix ans. Il en avait dix-sept le jour où il quitta son Saint-Malo natal pour venir tenter sa chance dans la capitale. Il a fait le Conservatoire, étudié dans les classes de Jouvet, de Denis d’Inès, de Dussane ; et là, il eut pour camarades d’étude : Maria Casarès, Sophie Desmarets, Françoise Christophe, Robert Dhéry, Jacques Charron, Jacques-Henri Duval.
Le cinéma, durant dix ans, il en a connu tous les stades. De la figuration à la vedette. Il débute dans les rangs de la figuration de la précédente version de Miquette et sa mère (et aujourd’hui, la femme de Daniel Gélin, Danielle Delorme, tourne en vedette la nouvelle Miquette et sa mère).
Par la suite, on pu l’apercevoir dans Soyez les bienvenus, Le Premier Rendez-Vous, Lucrèce, Les Cadets de l’océan, Les Petites du quai aux Fleurs, La Fille du diable, le reconnaître dans La Tentation de Barbizon, Un ami viendra ce soir, La Femme en rouge, La Nuit de Sibylle, l’aimer enfin dans Martin Roumagnac, Miroir, Le Mannequin assassiné, Le Paradis des pilotes perdus.
Daniel Gélin aurait pu faire la connaissance de Danielle Delorme pendant le tournage des Petites du quai aux Fleurs, car tous deux figuraient dans la distribution Mais c’est chez Gérard Philipe que Simone Signoret présenta Danielle à Daniel. Daniel Gélin fut fiancé à Simone Signoret alors qu’elle n’était qu’une petite figurante.
Ils jouèrent d’ailleurs ensemble en 1942 dans Dieu est innocent, aux Mathurins. Avant cette pièce, Gélin avait débuté dans une pièce de Clouzot, mise en scène par Pierre Fresnay. Aux Mathurins, il joua encore Deirdre des douleurs. Il monta avec Michel Vitold au Studio des Champs-Elysées, Tenue de soirée de rigueur. Ses autres pièces, depuis : Winterset, Huis Clos, Au petit bonheur, Les Parents terribles, Virage dangereux, Zibeline.
Il va très souvent au cinéma, au moins quotidiennement. Films préférés : Le Voleur de bicyclette, tous les Charlot, tous les Renoir et surtout La Règle du jeu.
« Il ne pense qu’à la mise en scène, m’a confié Danielle Delorme, mais il n’ose pas s’y lancer dès maintenant. » Gélin prépare une adaptation de L’Etranger, de Camus.
Les metteurs en scène étrangers qu’il admire le plus sont Preston Sturges, John Huston, Carol Reed, John Ford et Vittorio de Sica.
Les comédiens avec qui il voudrait tourner : Jean Gabin (Gélin tourna déjà deux films avec lui) et Michel Simon.
A l’écran, durant ces prochains mois, Daniel Gélin sera l’interprète du Journal d’un curé de campagne, de Robert Bresson : d’Histoire d’amour, d’Yves Ciampi (sur un scénario de Michel Audiard), avec Danielle Delorme ; de Rachel de William Dieterle, où il tiendra le rôle d’Alfred de Musset et de Goupi-Mains Rouges à Paris, d’Yves Ciampi, avec Fernand Ledoux.
En attendant la réalisation de ces projets il part en tournée avec une pièce sur Saint-Germain-des-Près, puis il mettra en scène Le Chien coiffé, pièce de Juliette Sarvil, avec Martine Carol.
La principale différence de point de vue entre Daniel Gélin et Danielle Delorme, c’est qu’il vit la nuit et elle le jour. A dix heures du soir, Danielle Delorme s’endort. Mais Gélin, lui ne se couche qu’à trois heures du matin. Le soir il prend son apéritif dam un bar de la rue Prançois-Ier et termine généralement ses soirées à Saint-Germain-des-Prés, où il a des tas de copains.
Il s’intéresse aux concerts classiques (J .-S. Bach) et à la musique de jazz. II adore le music-hall et rêve de jouer une comédie musicale.
Chansons préférées : Charles Trenet, Aristide Bruant, Léo Perret.
Il devait monter L’Opéra de quat’ sous, avec Edith Piaf et les Compagnons de la Chanson, mais le projet échoua.
Il ne collectionne rien, si ce n’est les livres. Il aime particulièrement Jarry. Mais il ne veut pas lire ( « je parcours seulement ») car il estime que cela fausse l’éducation. Il achète les livres « pour plus tard ». En attendant, il écrit des nouvelles et des poèmes et s’adonne aussi à la peinture. La peinture, c’est moins sérieux, dit-il. Mais il en faisait déjà dans sen enfance à Saint-Malo.
Il parle un peu l’anglais, aime flâner dans Paris, pratiqua dans sa prime jeunesse le hockey et le football. Le football est encore le seul sport qu’il tolère en spectateur, et il assiste souvent le dimanche à des matches.
Il boit de l’eau à table et du scotch entre les repas. (Danielle Delorme, elle, boit du vin à table). Si on demande à Daniel Gélin, les manies et les tics qu’il déteste le plus chez les femmes, il répond : « Elles en ont tellement qu’on finit par les oublier. » Il est très fier de son fils Xavier.
Son plus grand trac. C’était pendant le tournage de Martin Roumagnac :
« Je n’avais pas le trac. Jusqu’au jour, de la première scène où je devais donner la réplique à Marlène et à Gabin. Brusquement, je m’aperçus que Marlène était morte de trac. Elle, Marlène, avoir le trac ! Alors véritablement je fus pris de panique ! »
Jean-Charles TACCHELLA
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Source : Collection personnelle Philippe Morisson
Pour en savoir plus :
La première partie du documentaire “Daniel Gélin,mon père” réalisé par Manuel Gélin.
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Daniel Gélin raconte “Les Cadets de l’Océan” (Jean Dréville / 1942).
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Daniel Gélin : anecdote sur le film “Les Mains Sales” | Archive INA (1957)
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Bande annonce de Rendez-vous de juillet de Jacques Becker.
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Bande-annonce du film ÉDOUARD ET CAROLINE de Jacques Becker.