Roger le projectionniste du Louxor (L’Ecran Français 1951)


C’est par hasard que je suis tombé sur un post du groupe Facebook Photos des Cinémas Parisiens disparus (que je vous recommande par ailleurs).

C’était un article d’un vieux numéro de l’Ecran Français qui évoquait le métier d’un projectionniste dans un cinéma, Le Louxor, à Paris.

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Or c’est aujourd’hui que les salles de cinéma rouvrent après tant de mois fermés à cause du Covid-19.

Cela nous a paru un beau prétexte pour célébrer ce jour et rendre hommage en même temps à ces hommes de l’ombre sans qui le cinéma n’aurait jamais été ce qu’il a été.

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Et cet article est important car il évoque un métier qui, ironie de l’histoire, a quasi disparu.

En effet, il n’y a rien à voir entre un projectionniste, habitué à la pellicule argentique, et un projectionniste de films numériques au format DCP comme c’est le cas de nos jours dans la quasi totalité des salles françaises.

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Le nom de ce projectionniste n’est pas indiqué, mais son prénom est donc Roger, il fit sa carrière dans les cinémas Pathé de la capitale. En 1951, il travaille dans l’un des plus beaux cinémas de quartier de Paris, le Louxor.

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L’article de Lise Claris est certes un peu court mais fourmille de renseignements sur ce métier et de plus contient quelques rares photographies d’un projectionniste dans sa cabine.

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Marie Collin, qui est à l’origine de ce post facebook, nous apprend que cette cabine du Louxor bénéficie d’équipement Ernemann II avec lanternes reinarc.

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Vive le cinéma !

Roger le projectionniste (du Louxor)

paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

Un veinard qui va tous les jours au cinéma

Roger H. est projectionniste. Dix-neuf ans de métier. Il habite Belleville et travaille à Barbés. Un pur sang parisien.

Le voilà dans sa cabine. Une cabine, ça, peut être quelque chose de luxueux, de confortable, comme celle du Marignan : lavabos, douches, l’été, un vrai délice… Ça peut-être quelque chose dans le genre balcon, : celle du Balzac, par exemple. Ça peut être aussi un trou de rat : celle de l’Impérial.

Il y a le milieu. A (nom censuré. NDLR), justement, ce n’est pas trop moche. Mais, pour des questions de sécurité, il ne faudrait pas chercher la petite bête.

paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

Roger H. et Pierre son co-équipier de cabine au Louxor

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Or, le Projectionniste, dans sa cabine, c’est le capitaine sur un bateau, un mécanicien sur la locomotive.

Il est considéré, par la loi comme civilement responsable.

Mais H. explique les détails de son métier avec une sérénité rassurante.

— Assassin !… Assassin !… Arrêtez-le !… Arrêtez-le !. … ! ,beugle le son dans un tohu-bohu de bruitage assourdissant.

La ferme !… pense H qui tourne le bouton en jetant un coup d’œil désabusé sur l’écran.

On n’entend plus que le ronron reposant de l’appareil.

Pour nous, projectionnistes, il y a aussi le côté maladie professionnelle…

Il passe le doigt sur les parois de l’arc et diagnostique froidement en ramenant une sorte de lichen pâle :

Oxyde de carbone et oxyde de cuivre… Trouble respiratoires et intestinaux… On peut finir par en crever…

paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

A 17 ans, en 1930, H est entré chez Pathé comme apprenti. 1938, il fait son service. La guerre : cinq ans de captivité.

A la Libération, je suis retourné chez Pathé. Depuis, j’ai fait le tour du circuit. C’est une grosse boite : vingt-six salles, rien qu’à Paris…

« Nous fournissons des semaines de quarante heures. On nous paye soit au « cachet » (une séance de quatre heures maximum pour 605 franc), ou à la semaine. Un chef-opérateur se fait 7150 fr. par semaine, un aide, 3.800. Entre ces deux chiffres, plusieurs échelons. Ce sont des salaires terriblement bas. Nous travaillons de nuit, le dimanche et les jours de fête sans récupérer quoi que ce soit. Nous sommes astreints, bien souvent, à la grande journée, de 13 h. 30 de l’après-midi à O h. 30. Ces jours-là, nous recevons 165 francs de prime pour le repas.

« Alors, on boulotte. un sandwich en rechargeant les bobines.

« Pas de vie familiale possible. Ma femme travaille dans la confection. Quand je rentre, à 1 heure du matin, elle dort. Quand elle se lève, à 7 heures, c’est moi qui pionce. Nous nous laissons des mots sur la table de la cuisine… »

paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

— Comment devient-on projectionniste ?

Il faut avoir certaines connaissances : de radio, d’électricité, de mécanique. II faut remplir certaines conditions : être majeur, totaliser trois ans de cabine ou avoir suivi les cours d’une école professionnelle… Mais il n’existe pas encore d’école professionnelle. Depuis 1949, le C.A.P. est devenu Institution légale. Nous devons exiger qu’il soit rendu obligatoire.

« Au Secrétan, ces jours…ci, un opérateur non qualifié, ne possédant même pas sa carte professionnelle, a perdu la tête devant un début de sinistre…

« Voilà le drame : en banlieue, en province, les petits cinémas du dimanche ne peuvent s’offrir le luxe d’un spécialiste. L’électricien du coin vient donner un coup de main… Il en est de même souvent à Paris. Ces amateurs, pour qui le cinéma n’est qu’un métier de complément, rendent plus difficile la défense de notre profession…

Lise CLARIS

paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

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paru dans L’Ecran Français du 26 septembre 1951

Source : Collection personnelle Philippe Morisson

Pour en savoir plus :

Le groupe Facebook Photos des Cinémas Parisiens disparus.

Le site Projectionniste.net pour tous les passionnés de projection et son forum.

Le site du cinéma Louxor Palais du cinéma.

Le site de l’association Paris-Louxor.

Le site des Amis du Louxor et la chronologie depuis 1921 du Louxor.

La dernière bobine, un court-métrage de Guillaume Poux sur la disparition du métier de projectionniste (lorsque les salles de cinéma projetaient encore du 35mm).

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Un reportage sur le collectionneur Pascal Rigaud et sa collection d’appareils de projection.

Il a créé son propre musée privé du Cinématographe (Nièvre).

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Reportage étonnant dans une maison abandonnée avec de nombreuses pièces de collection de cinéma.

Quel dommage toutes ces pièces à l’abandon…

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