Ladislas Starewitch, Nina Star et Les Poupées animées (Cinéa 1923, etc.)


Nous avons déjà consacré, depuis le printemps 2015, plusieurs articles au pionnier de l’animation Ladislas Starewitch, (cf ici).

Nous ajoutons ce long post aujourd’hui pour célébrer la sortie du 8° DVD consacré à la période française de la carrière de Ladislas Starewitch : La Petite Chanteuse.

Ainsi, est disponible via Doriane Films, l’intégralité des films tournés par Starewitch en France, c’est-à-dire un travail considérable de recherches et de restaurations menés par sa petite-fille Béatrice Martin-Starewitch et son mari François Martin, le tout sans aide des organismes culturels, sans doute plus préoccupé à privilégier les copains comme d’habitude.

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Sur cette page, nous vous proposons tout d’abord l’article paru dans Cinéa en 1923, qui porte le même titre que celui paru 7 ans plus tard dans La petite illustration cinématographique : Les Poupées animées de Ladislas Starewitch.

Puis, nous avons reproduit plusieurs articles trouvés dans les journaux suivants :

L’homme qui donne une âme aux poupées (Excelsior 1935), M. Starewitch nous parle de son dernier né : « Fétiche » (Paris-Soir 1934), Le royaume des marionnettes et la féerie au cinéma – Une visite à M. Starewitch (Paris-Soir 1935), Le cinéma et ses tendances – Les marionnettes à l’écran (Comoedia 1933).

Nous ajoutons également l’article Poupées, vedettes de cinéma (Regards 1945) sur lequel nous attirons votre attention à cause de ses nombreuses photographies dont certaines en couleur ! (à lire ici).

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Pour finir, nous avons reproduit plusieurs encarts à propos de Ladislas Starewitch trouvés dans la presse entre 1922 et 1935 dont ce court entretien avec Nina Star (Candide 1928).

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Ce post s’inscrit dans la série de posts que nous avons publié suite à une série de projections que nous avons organisé dans le cadre de la seconde édition du Festival Paradisio dans un petit village de Seine-et-Marne, Flagy. Nous avons eu le plaisir de rendre hommage à Ladislas Starewitch à travers une belle exposition dans la chapelle de l’église de Flagy et en projetant les films suivants :

Fétiche Prestidigitateur ( 1934), Fétiche se marie (1935), Fétiche en voyage de noce (1936) Fétiche chez les sirènes (1937), Le Mariage de Babylas (1921), La Voix du Rossignol (1923), La Reine des Papillons (1927),  Le Rat de ville et le rat des champs (1932) et Le Roman de Renard (1941).

Cet hommage a été organisé avec le concours et l’autorisation de Béatrice Martin-Starewitch, que nous remercions en passant pour sa confiance et son enthousiasme.
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Bonne lecture et nous vous souhaitons de joyeuses fêtes de fin d’année avec Ladislas Starewitch bien sûr !

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LE FANTASTIQUE A L’ÉCRAN
LES POUPÉES ANIMÉES DE W. STAREWITCH

paru dans Cinéa du 15 décembre 1923

paru dans Cinéa du 15 décembre 1923

paru dans Cinéa du 15 décembre 1923

L’un des principaux attraits bien propres au cinéma est l’aisance avec laquelle il réalise le fantastique et le merveilleux.

On se souvient des innombrables films « à trucs » que tournèrent, aux premiers temps du cinéma, les Méliès et les Zecca. Le voyage dans la lune est l’un des « classiques » du genre.
Ce genre, qu’on avait presque abandonné depuis, a trouvé un regain de faveur avec les dessins animés, les « Dick and Jeff » de Bud Fisher, en particulier.
Et voici encore une nouveauté, la sculpture animée, en quelque sorte ; ce sont les poupées de Ladislas Starewitch.

Déjà ont paru en public les premiers films de ce genre tournés par le réalisateur polonais. Ce sont : Le Mariage de Babylas, l’Epouvantail, Les Grenouilles demandent un Roi et Le Chant du Rossignol.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1923

Se doute-t-on, au cours des quinze à vingt minutes que dure la projection de ces films, du travail formidable qu’ils représentent. Il faut avant tout au réalisateur une connaissance approfondie des expressions du visage humain et de la décomposition des mouvement du corps, qu’il aura à faire reproduire par ses poupées ; et puis il lui faut une dose de patience peu commune, en plus de son talent de sculpteur et de peintre, pour créer de toutes pièces les personnages et le cadre de son film.

Quand le scénario est établi, on compose les décors et on confectionne les personnages qui y évolueront.

Les personnages sont des sortes de poupées articulées ; elles ne comportent pas de visage, mais un support en guise de tête, de la sorte on n’a pas à changer la tête pour chaque variété d’expression. Ce visage est constitué par une sorte de masque que l’on applique sur le support-tête dont nous venons de parler. Ces masques-expressions sont en très grand nombre pour chaque personnage, et, numérotés par le réalisateur, sont à sa disposition quand il en a encore besoin par la suite.

Chaque ensemble de mouvements que l’on fait faire aux poupées est tout d’abord étudié sur un personnage humain ; de cette manière on se rend compte du nombre de mouvements à faire faire à la poupée ainsi que de leur vitesse.

Les petits films de Ladislas Starewitch sont tournés image par image (à l’écran vous voyez seize images par seconde). Les personnages façonnés par le réalisateur le sont de telle façon qu’ils peuvent garder pendant tout le temps voulu la position qui leur a été donnée. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que la réalisation d’un de ces films demande à M. Starewitch environ quatre mois.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1923

Ladislas Starewitch est né en Pologne en 1882. Opérateur, puis metteur en scène aux Films Khanjoukoff, Il réalise dès 1913 un premier film de poupées animées : La Cigale et la Fourmi.
Présenté au tsar et à son fils, ce film obtient auprès d’eux un réel succès, ce qui vaut une récompense à… Khanjoukoff !

Jusqu’en 1917, L. Starewitch tournera pour Khanjoukoff quantité de films dramatiques ordinaires, soit tirés d’oeuvres de grands écrivains, des légendes de Gogol, des poèmes de Pouchkine, soit de scénarios originaux composés par le réalisateur lui-même.

C’est sous la direction de L. Starewitch que, modestes acteurs à l’époque, Mosjoukine et W. Tourjanski— aujourd’hui les deux principaux artistes du cinéma russe en France — firent leurs débuts au cinéma.

Son plus grand film, Starewitch le réalisa en 1915, c’était Jola, un conte du Moyen-Age de Jolovski, avec Vladimir Gaïdarov, qu’on a revu depuis dans La Terre qui flambe.

En 1918, la Compagnie Khanjoukoff se reforme en Crimée, et c’est à Yalta que L. Starewitch tourne son dernier film dramatique : Stella Maris, d’après Locke. C’est cette même oeuvre que Mary Pickford tournait au même moment en Californie, interprétant le double rôle de Mary, la petite fille riche, et d’Unity, la pauvre petite orpheline.

Venu par la suite en Italie, puis en France où il s’est définitivement installé, L. Starewitch a tout d’abord tourné deux films en qualité d’opérateur de prise de vues ; avec le réalisateur russe Protozanoff : Pour une nuit d’amour, d’après Zola, et Vers la Lumière, d’Ouralsky, avec Mme Yanova.

Fin 1921, L. Starewitch, à qui son état de santé ne permettait plus que difficilement d’exercer le métier de réalisateur, si plein d’exigences et de fatigues, commençait une nouvelle série de films à truquages interprétés par des poupées articulées. Voici la liste des films qu’il a de la sorte réalisés à ce jour :

Dans les griffes de l’Araignée (900 mètres ; sans personnages humains ; 9 mois de travail ; édition future par Pathé- Consortium).

Le Mariage de Babylas (300 mètres ; un personnage humain ; trois mois de travail ; édition Gaumont).

L’Epouvantail (400 mètres ; un personnage humain ; quatre mois de travail ; édition Jupiter).

Le Chant du Rossignol (350 mètres ; un personnage humain ; quatre mois de travail ; édition Pathé-Consortium).

Les Grenouilles qui demandent un Roi (400 mètres ; aucun personnage humain ; sept mois de travail ; édition G. Petit).

La Petite Chanteuse des Rues (380 mètres ; un personnage humain et un singe ; deux mois de travail.

Enfin, en préparation :
La Reine des Papillons, conte de fées ; métrage huit cents mètres; un seul personnage humain.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1923

Le personnage humain que nous avons cité à cinq reprises — par opposition aux autres personnages, créés de toutes pièces par le réalisateur — et qui se nomme Nina Star, est une petite fille.

Comme son nom d’écran l’indique en partie, Nina Star n’est autre que la fille du réalisateur Ladislas Staréwitch.

Non Signé

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Ladislas Starewitch : L’homme qui donne une âme aux poupées

paru dans Excelsior du 18 janvier 1935

paru dans Excelsior du 18 janvier 1935

Cela peut s’écrire comme un conte de fées.

Il était une fois, quelque part, en Pologne, avant la guerre, un jeune savant passionné d’histoire naturelle.
Son plus grand plaisir était de réaliser des films scientifiques sur la vie des insectes.

Un jour, il s’avisa d’enregistrer la bataille que se livrent les cerfs-volants. Mais les maudites bêtes, dès que s’allumaient les projecteurs, devenaient désespérément pacifiques.
Comment faire ?
Le jeune savant venait de voir un film dans lequel des allumettes sortaient d’une boîte et effectuaient une petite promenade par leurs propres moyens.
En utilisant des poupées ayant la forme de scarabées, ne pourrait-on, par un procédé analogue, réaliser le combat en question ?
Ainsi fut fait.

L’illusion était parfaite. Le savant devint magicien.
Il eut un royaume : le domaine illimité de la féerie. Des sujets : le peuple innombrable des animaux, terrestres ou marins. Ces sujets, il en est le souverain et le créateur. Il les imagine à sa fantaisie. Il les modèle selon son rêve. Il leur communique le mouvement. Il leur forge une personnalité.

Quand ces créatures sont douées de la vie, il fixe leur image sur une pellicule. Et cela nous permet de voir sur nos écrans ces admirables films de poupées, depuis la Cigale et la fourmi, dont nous eûmes la révélation en 1913, jusqu’à Fétiche, qu’on projette actuellement.

Au risque de détruire son œuvre en la dépoétisant, si nous allions faire un tour dans l’antre du magicien ?

paru dans Excelsior du 18 janvier 1935

Une modeste villa à Fontenay-sous-Bois.

Dans cette pièce, devant une vitrine qui contient une magnifique collection de papillons, Starewitch réfléchit.

Sur une feuille de papier, il laisse courir un crayon. Le personnage se dessine, avec ses yeux candides, sa mâchoire bonasse.

paru dans Excelsior du 18 janvier 1935

Dans cette autre pièce, qui ressemble à un atelier de menuisier, Starewitch pétrit de la terre à modeler. Il se souvient qu’il a été sculpteur. Son héros commence à prendre tournure dans le domaine des trois dimensions.

Aidé de sa fille IrèneStarewitch entreprend d’exécuter ses poupées. D’abord, une carcasse métallique, soigneusement étudiée, et qui permettra tous les mouvements voulus. Sur cette carcasse, de la peau de chamois rembourrée, travaillée et qui affecte la forme nécessaire: renard, chien, poulpe. Tout doit être mobile et stable à la fois.

Il faut que l’œil tourne, que la bouche s’ouvre, que la langue se replie, que la queue puisse s’agiter, que chaque muscle supposé se meuve et se fixe quand cela est nécessaire.
On maquille les personnages. On les habille.

Les vedettes sont prêtes : elles ont entre 1 mètre de haut et 10 centimètres, selon qu’elles sont destinées aux gros plans ou aux plans d’ensemble.
Les décors sont établis à l’échelle des acteurs.

On va tourner !…

Montons à l’étage supérieur. Le studio est exigu.
Pourtant, si on le compare aux dimensions des personnages qui vont y vivre, c’est un des plus vastes du monde. C’est aussi un de ceux ou le travail est le plus lent.

Un film comme Fétiche Mascotte, que projettent les Agriculteurs, a 700 mètres.
Pour le tourner, il a fallu impressionner 1.100 mètres de pellicule, soit plus de 57.000 images différentes.

Toutes ces images ont été prises séparément, comme on le fait pour les dessins animés, l’appareil s’immobilisant entre chacune d’elles pour permettre aux réalisateurs de modifier insensiblement l’attitude et l’expression des personnages.

paru dans Excelsior du 18 janvier 1935

Certaines scènes du Roman de Renard comprenaient jusqu’à 80 figurants, tous en mouvement. Comment, dans ces conditions, se souvenir exactement du geste qu’on fait accomplir à chacun, de la direction dans laquelle il s’effectuait ?
Pour cela, on est obligé de les grouper et de noter, par signes invisibles, au pied de chacun des « chefs de figuration », à quel stade du mouvement est parvenu le groupe.

Je sais bien ; le public non prévenu répliquera :
Pourtant, quel avantage : des vedettes toutes photogéniques, expressives… et dociles !..

N’en croyez rien. Il se passe avec les poupées ce qui de passe avec les êtres de chair et d’os. On s’aperçoit en cours de réalisation que certaines « jouent bien » et que d’autres sont de pitoyables comédiens.

Dans des tiroirs, étiquetées, classées, reposent plus de mille marionnettes.
Certaines sont de grandes vedettes. Fétiche, par exemple, qui vient de tourner successivement Fétiche mascotte, Fétiche prestidigitateur, Fétiche se marie. Fétiche en voyage de noces.

En haut : M. Starewitch et sa fille maquillent leur « acteur > avant une prise de vues : puis deux personnages des films du metteur en scène et un décor.

Benjamin Fainsilber

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M. Ladislas Starewitch nous parle de son dernier né : « Fétiche »

paru dans Paris-Soir du 23 janvier 1934

paru dans Paris-Soir du 23 janvier 1934

Ainsi font, font, font,
Les petites marionnettes,
Ainsi font, font, font,
Trois petits tours
Et puis s’en vont.

Cette vieille rengaine, que nous avons tous entendue, pourrait servir de frontispice à un charmant petit hôtel de Fontenay-sous-Bois. C’est là, en effet, qu’habite M. Starewitch et sa fille, créateurs du cinéma des poupées et précurseurs du célèbre Walt Disney.

J’ai trouvé M. Starewitch dans son bureau, très occupé dans la contemplation au microscope d’un gigantesque (tout est relatif) cerf-volant.

C’est en examinant la structure, presque apocalyptique, de certains insectes, me dit-il, que je trouve des idées pour la réalisation de mes poupées. Je dessine ensuite mon personnage et ma fille se charge du reste.

— Comment ! Mademoiselle fait toutes ces poupées ?
Oui, et pourtant j’en ai plus de mille. Voulez-vous les voir ? Elles sont au studio.

— C’est peut-être un peu loin.
Mais non, c’est au-dessus.

Nous montons un petit escalier et nous parvenons au grenier. C’est bien là le plus petit studio du monde, mais pourtant tout y est. Sur une table, le plateau, avec ses décors miniatures ; à droite des sunlights et par terre des rails. Oui, des rails, pour un travelling ! Le metteur en scène, qui est à la fois opérateur et décorateur, me donne des explications.

Je commence la réalisation d’un conte d’Andersen, Poucette, qui me donnera beaucoup de travail. Je compte environ deux ans pour terminer un film.

— Deux ans, fichtre ! Et vous en avez fait beaucoup ?
— L’Horloge magique, le Roman de Renard, la Cigale et la Fourmi et enfin Fétiche, qui passe à Londres et que vous verrez bientôt ici. Tenez, voici mes interprètes.

Et M. Starewitch me montre une grande vitrine dans laquelle sont entassées les poupées. Le lion, l’arsouille, le marquis. le renard. Fétiche, etc. gisent là, dans un mic-mac invraisemblable.

La visite du studio est terminée.

Christian Godefroy

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Le royaume des marionnettes et la féerie au cinéma
Une visite à M. Ladislas Starewitch

paru dans Paris-Soir du 26 janvier 1935

paru dans Paris-Soir du 26 janvier 1935

Il faudrait être le petit Poucet pour explorer à loisir l’univers fabuleux de W. Starewitch, magicien et conteur. Le studio ou il travaille depuis des années est grand comme la main. Les murs en sont tapissés d’étagères de verre où reposent, surpris dans une gracieuse attitude, des héros de trois pouces.

Ici, des chevaliers lancent l’une contre l’autre leurs montures caparaçonnées. Là des mandarins chinois échangent des courbettes. Plus loin dorment des princesses vêtues de brocarts d’or et d’argent ; une danseuse demeure en suspens sur la pointe de son soulier de satin ; et, dans un pêle-mêle héroïque, se pressent les héros des fables et de Roman de Renard : Ysengrin. le loup vêtu comme un magnat polonais, le lion devenu vieux, le Lynx aux yeux de verre vert, et Goupil le Renard, menu, papelard, futé, l’air de Dullin dans Volpone.

Mais ce sont là, pour la plupart, des héros retirés des affaires. Les vedettes d’aujourd’hui dorment (elles ont beaucoup travaillé.), et voilà Fétiche qu’il va falloir remaquiller, Fétiche pas plus haut qu’un chiot nouveau né, avec les plus beaux yeux du monde. Une légère pression sur les babines et il montre les dents ; un coup de pouce sur le nez et il fait la moue ; une paupière demi-baissée, et c’est un Joyeux drille.

Rigide et souple, la carcasse des poupées permet tous les mouvements, m’explique Mlle Starewitch, fille, collaboratrice et interprète de son père. Les têtes sont montées sur fil de fer et recouvertes de peau ; un dispositif intérieur permet de simuler la respiration.

Le film en cours de réalisation s’intitule : Fétiche se marie. Il fait suite à La Naissance de Fétiche et à Fétiche prestidigitateur. Fétiche et Lily son épouse, une femme de tête, partant en voyage de noces et vont échouer dans une île déserte que voici.

Et j’aperçois un îlot de bois peint, stylisé, grand comme un dessous de plat et planté de palmiers géants — 30 centimètres, je vous prie !

Chaque poupée est reproduite en deux ou trois formats. Mon père réalise lui-même décors, scénarii, poupées ; les « gags » sont, par contre, des trouvailles de dernière heure. Quant aux prises de vues, elles ont lieu image par image. Le prochain film de Fétiche se passera au royaume des sirènes, puis, Fétiche, vieilli, prendra sa retraite et un héros lui succédera, tout neuf : Jeannot Lapin.

« J’ai bien l’honneur !» Jeannot Lapin s’incline, il est tout blanc, avec le nez rose et les yeux bleus.

Nous ignorons encore s’il est photogénique. Mais j’ai la conviction que Jeannot fera un acteur de tout premier ordre, ajoute Starewitch.

Contre le mur, un décor vert et or, comme ceux des paravents chinois : celui du Rossignol d’Andersen que Starewitch a entrepris, délaissé, qu’il reprendra peut-être bientôt et en couleurs ! Perché sur un brin de feuillage, un rossignolet doré s’égosille.

Ah ! qu’il est difficile de prendre congé du seul royaume où se réfugient désormais les fées : du royaume des marionnettes qui naissent, vivent et meurent, obéissant aux obscurs desseins de leur maître comme les créatures humaines aux caprices de la Providence ! —

Simone Dubreuilh

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LE CINEMA ET SES TENDANCES – LES MARIONNETTES A L’ECRAN

paru dans Comoedia du 05 mars 1933

paru dans Comoedia du 05 mars 1933

Parmi les essais curieux et intéressants suscités par le cinéma, il en est un qui semble mériter une particulière attention. Nous en eûmes la primeur, récemment, au cours d’une séance privée où fut présenté d’ailleurs un beau film fort intéressant de Baroncelli : Gitanes.

Il s’agit d’une bande de court métrage, inspirée de deux fables de La Fontaine : Le lion et le moucheron et Le lion devenu vieux, et jouée par des marionnettes. Mais attention : ici il ne s’agit pas de petits personnages animés par une main humaine ou tout un assemblage habile de ficelles.

Ceux que nous vîmes sur l’écran étaient libres et semblaient réellement doués de vie, et l’on avait l’impression un peu hallucinante de vivre dans un monde nouveau, encore inconnu. L’illusion était d’autant plus forte qu’il s’agissait d’animaux, replacés par l’art du réalisateur dans la posture où l’imagination du grand fabuliste les avait évoqués.

L’auteur, M. Starewitch, avait d’ailleurs déjà fait des films du même genre. Il nous semble que ses œuvres méritent une très grande estime, tant par leur valeur artistique que par leur utilité didactique.

Disons d’abord que le mouvement des marionnettes est ici obtenu suivant un principe comparable à celui des dessins animés, chaque marionnette étant déplacée insensiblement à chaque tour de manivelle de la « caméra ». De plus certaines expressions de physionomie : pleurs, sourires, rictus de fureur, etc., sont réalisés suivant le même procédé. On se doute dans ces conditions, de la patience et de la persévérance qu’il faut à l’auteur de ces films. Or ses marionnettes elles-mêmes sont des merveilles de vie et de vérité et c’est ce qui fait le mérite artistique de son œuvre.

Il faut voir la fierté du lion, dans toute sa force, l’aspect hérissé et désinvolte du moucheron dressé sur ses hautes pattes. Et quand le lion vieilli, déchu, pleure de rage en voyant les animaux, ses valets, devenus insolents, et meurt en voyant l’âne s’approcher pour le frapper à son tour, il y a là tout un drame poignant, vivant, et qui tient le spectateur en haleine. Et c’est précisément là, dans cette puissance d’évocation, que réside la valeur didactique des films de Starewitch. Ils complètent, dans l’esprit de l’enfant, la fable qu’il a apprise peut-être un peu mécaniquement, il la grave dans sa jeune mémoire de toute la puissance de ces images animées.

A une époque où le cinéma pénètre de plus en plus à l’école, ils complètent fort heureusement le répertoire des cinémathèques scolaires.

Constatons une fois de plus que le cinéma unit ainsi l’utile à l’agréable, et apporte une innovation nouvelle du meilleur goût, qui mérite un grand succès. Mais surtout saluons, à cette occasion, la puissance du génie de notre grand La Fontaine. Ce n’est diminuer en rien le mérite du cinéaste que de reconnaître la valeur des sujets traités par lui. Valeur morale et valeur artistique se trouvaient déjà en eux, il a su habilement le porter sur un autre plan.

Et cela aussi méritait bien qu’on le signalât.

Pierre-Henry PROUST

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Poupées, vedettes de cinéma (Ladislas Starewitch)

paru dans Regards du 15 décembre 1945

paru dans Regards du 15 décembre 1945

Producteur, scénariste, metteur en scène, opérateur, décorateur, maquilleur, mécanicien et poète, Ladislas Starewitch réunit toutes ces activités. Depuis vingt-cinq ans, il a fabriqué lui-même des milliers de poupées, conçu des scénarios et tourné plusieurs films dont certains, comme Le Roman du Renard, lui auront demandé dix années de travail.

 

Connaissez-vous les films de poupées ?
Ils sont presque aussi vieux que le cinéma. En effet, nous trouvons les premiers films de ce genre dans la production de Méliès. Et malgré cela, ils sont peu connus du grand public, non par manque d’intérêt, mais parce que les difficultés techniques de réalisation déterminent une production réduite.

— Oui, mais, allez-vous me dire, comment fait-on les films de poupées ?
— Sur un plateau réduit à leur échelle, dans des décors, aussi construits que les décors ordinaires, évoluent les marionnettes. Celles-ci sont construites spécialement pour le cinéma.

— Comment sont-elles animées ?
— Chaque mouvement corporel et chaque changement d’expression sont décomposés et photographiés image par image : pour reproduire un bras qui se lève, geste qui dure, par exemple, une seconde à la projection, le cinéaste est obligé de prendre vingt-quatre photos différentes, changeant à chacune la position du bras.
Vous pouvez, ainsi, imaginer facilement la complexité de réalisation d’une scène à plusieurs personnages évoluant en même temps dans le décor.

paru dans Regards du 15 décembre 1945

Une seule chose que Starewitch prétend faire seul : la fabrication et la réparation des appareils de prises de vues.
C’est sa manière à lui de se distraire après avoir joué avec les poupées.

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Différentes sortes de poupées ont été essayées : les unes en bois et tout à fait rigides, avec lesquelles Georges Pal a fait « Aladin et la lampe merveilleuse » (en 1936. ndlr); d’autres, en plastiline colorée, employées par René Bertrand et Jean Painlevé, pour leur beau film « Barbe-Bleue ».

Le visage des poupées était remodelé à chaque image cinquante-deux fois par mètre de pellicule — pour donner la vie aux acteurs.

Au début, Starewitch avait essayé, en faisant une série de masques pour chaque poupée, masque reproduisant différents mouvements de physionomie, qu’il changeait à chaque image. Il a, depuis longtemps, abandonné cette méthode pour utiliser des poupées entièrement articulées jusqu’au petit doigt et dont la face, recouverte de matière plastique, permet les mouvements des paupières, des yeux, des lèvres.

En U.R.S.S., les metteurs en scène Ptouchko et Kadotchnikov ont employé ce système pour la réalisation du « Nouveau Gulliver ».

paru dans Regards du 15 décembre 1945

Mlle Starewitch est la fidèle collaboratrice de son père. Comme lui elle participe à la réalisation complète des films.
La voici colorant la tête du dragon.

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Starewitch a obtenu des résultats merveilleux. Ses vedettes, les chiens « Fétiche », « Ric et Rac » et son « Renard », sont étonnantes par la perfection de leurs gestes et leur vivacité d’expression.

La réalisation des films de poupées demande des connaissances approfondies de la technique cinématographique. Ils posent tous les problèmes des productions normales additionnés des difficultés techniques de la prise de vues image par image. C’est là, la différence fondamentale avec le dessin animé. Pour les films de poupées, il faut étudier le décor en profondeur, les éclairages, les effets artistiques qui en découlent, l’emplacement et les déplacements des acteurs, les angles de prises de vues et les mouvements de caméra.

Il serait profitable aux futurs techniciens de se servir d’un plateau de poupées pour étudier des effets afin de les réaliser sans hésitation dans les films avec acteurs humains.

Les films de poupées sont les mieux appropriés aux sujets d’imagination, tout y est possible, le fantastique et le merveilleux. Une histoire contée par les poupées est pour nous plus émouvante que par le dessin animé. C’est sans doute que, comme tous les enfants, nous avons eu plus de tendresse pour les poupées ou les jeunes animaux, que pour les dessins.

paru dans Regards du 15 décembre 1945

Il y aurait donc un intérêt incontestable à réaliser des films de ce genre spécialement conçus pour les enfants.

Dernièrement, nous sommes allés rendre visite à Ladislas Starewitch, le plus grand animateur de films de poupées. Nous l’avons trouvé dans sa retraite de banlieue occupé à la construction d’un appareil de prises de vues spécial pour la couleur. Son studio, endommagé par des éclats de D.C.A., n’a pas retrouvé son activité d’avant guerre.

Il y a vingt-cinq ans que Starewitch travaille inlassablement avec ses poupées. Avec la collaboration de sa fille, il a réalisé des films devenus classiques dans l’histoire du cinéma :
« L’Horloge magique », « Les Yeux du dragon », « Le Roman du Renard », « Les Aventures de Fétiche », etc.

Mais les producteurs se désintéressent de ce genre de film. Il serait pourtant souhaitable de voir ce grand artiste entouré d’une équipe de jeunes cinéastes désirant assimiler la technique particulière à ce type de production, car il est permis d’espérer que le cinéma en relief réservera un magnifique essor aux films de poupées, qui contribueront au rayonnement du cinéma français.

G. ZUNIGA

Cet article est illustré par de très belles photographies dont certaines en couleurs. NDLR.

paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

Les oiseaux chantent dans « Fétiche au pays des sirènes », une amusante composition de coûtées et d’animaux stylisés.

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

Les rivaux malheureux de Fetiche sont Ric et Rac, chiens de bonne famille, dont le fêtard triste dit tout le dépit amoureux.

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

Cette composition, d’inspiration chinoise, est bien dans la tradition de l’esprit cinématographique russe.

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

La richesse des parures ajoute à l’agrément de la couleur pour faire de chaque tableau une féerie animée.

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

Tous les Santons du classique arbre de Noël s’animent pour la plus grande joie des tout-petits à qui on pense trop rarement dans le cinéma.

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

Starewitch est passé maître dans l’art de faire revivre de manière très poétique tous les insectes de sa création.

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paru dans Regards du 15 décembre 1945

Le magicien Baboulca et son chat, sont les curieux personnages du film « La Mascotte ».

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Pour finir, voici divers encarts à propos de Starewitch parus dans la presse française entre 1922 et principalement 1935.

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1922

paru dans Comoedia du 30 octobre 1922

1923 – C’est cette année que sort dans plusieurs salles parisiennes La Voix du Rossignol avec Nina Star, la fille cadette de Starewitch.

paru dans La Liberté du 31 mars 1923

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paru dans Comoedia 26 décembre 1923

1924

paru dans Paris-Soir du 22 août 1924

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paru dans L’Intransigeant du 23 février 1924

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paru dans L’Ouest-Eclair du 23 septembre 1924

1925

paru dans Paris-Soir du 05 janvier 1925

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paru dans L’Intransigeant du 24 janvier 1925

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paru dans Le Grand Echo du nord de la France du 28 février 1925

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paru dans L’Echo d’Alger du 04 février 1925

1926

paru dans La Semaine à Paris du 26 février 1926

1928

paru dans Le Peuple du 24 décembre 1928

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paru dans L’Ouest Eclair 18 février 1928

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Voici le seul article que nous avons trouvé qui retranscrit les propos de Nina Star, paru dans Candide en 1928.

paru dans Candide 05 avril 1928

1929

paru dans L’Intransigeant du 16 février 1929

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paru dans L’Action Française 13 octobre 1929

1933

paru dans Le Populaire 17 février 1933

1935

paru dans L’Auto Velo du 18 janvier 1935

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Pour en savoir plus :

Pour en savoir plus :

Le site officiel de Ladislas Starewitch très complet et mis à jour régulièrement.

La Cinémathèque de Bourgogne montre Ladislas Starewitch (2015) de Gérard Courant.

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Bande-annonce : Les Fables de Starewitch.

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Extrait du Roman de Renard, 1941.

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Extrait de la version anglaise de Fétiche (The Mascot), 1933.

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