Avant Les Crois de Bois de Raymond Bernard (1932), l’autre grand film français évoquant la Première Guerre Mondiale est celui de Léon Poirier, tourné sur les lieux mêmes de la plus emblématique bataille de 1914-1918 : Verdun, Visions d’histoire.
Pour célébrer le centième anniversaire de l’armistice, le 11 novembre 1918, nous avons voulu consacrer une plus large part à ce film muet dont nous avons déjà parlé en février 2016 avec ces articles parus dans Cinémagazine :
Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier (Cinémagazine 1928)
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C’est que Léon Poirier a réalisé un film remarquable qui sorti dix ans pile après l’armistice du 11 novembre 1918.
Remarquable car il souhaitait rendre hommage aux combattants français et allemands, loin de tout esprit revanchard, en tournant sur les lieux mêmes de la bataille avec des anciens combattants et le concours de quelques comédiens et comédiennes dont Albert Préjean qui fera la longue carrière que l’on connaît, mais aussi le poète Antonin Artaud pour ne citer qu’eux.
Remarquable également car le film ressemble plus à un film documentaire qu’à une fiction comme Les Croix de bois, au point que souvent des images du film ont servi à illustrer certains documentaires sur la Première Guerre Mondiale.
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La semaine dernière nous avons donc retranscrit les articles publiés dans Cinémonde et Pour Vous lors de la sortie du film en novembre 1928, ainsi que sa ressortie en 1931 dans sa version parlante sous le titre Verdun, souvenirs d’histoire.
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Cette fois-ci, nous avons retranscrit une longue série d’articles publiés par le journal Comoedia tout au long du tournage du film puis à sa sortie et finalement au moment de la sortie en 1931 de la version parlante.
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A suivre.
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Un grand film. “Verdun, Vision d’histoire”
Léon Poirier veut le réaliser avec l’aide des anciens combattants
paru dans Comoedia du 18 janvier 1927
M. Léon Poirier, à qui le cinéma français doit de belles œuvres comme Le Penseur, Jocelyn, Geneviève, et, tout récemment, La Croisière noire, documentaire étonnant, met au point un projet plus vaste, plus noble aussi, celui de reconstituer par le cinéma la rude, la glorieuse, l’immortelle bataille de Verdun, en prenant la ville même comme héroïne, comme vedette ; ce film doit, dans l’esprit de l’auteur, constituer une page d’histoire, à la fois un exemple et un souvenir.
— Est-ce après avoir vu La Grande Parade, ai-je demandé à M. Léon Poirier, que vous avez conçu le projet de faire revivre la guerre de 1914 ?
— Non, l’idée de Verdun, vision d’histoire, ne doit rien au film américain, elle est bien antérieure.
« C’est en sortant indemne d’une représentation un peu plus chaude qui se donnait en mars 1918 vers Moreuil et Ailly-sur-Noye. Ce soir-là, étendu dans le fond d’une cave, j’étais habité, je ne sais pourquoi, d’une idée mêlée à de forts bourdonnements d’oreilles. Quel art fixera la tragique grandeur de pareilles catastrophes ? La réponse vint en même temps que la question : le cinéma.
« Roncevaux a eu les chansons de geste ; la chevauchée d’Empire a eu ses peintres ; notre guerre à nous, le cinéma. »
— Mais pourquoi Verdun ?
— Parce que Verdun est non seulement un pivot de la bataille, une vedette, si j’ose m’exprimer ainsi, mais encore le point culminant de la résistance d’une race qui ne veut pas mourir ; parce que, aussi, Verdun est la grande réponse aux rhéteurs qui vont à la guerre, un bandeau sur les yeux et un rameau d’olivier à la main.
— Prenez gardes. Votre Verdun risque d’être un plaidoyer ou plutôt, une polémique.
— Pas plus l’un que l’autre ! Je ne suis ni un politicien, ni un avocat, et voudrais n’avoir jamais, été qu’un poète.
« Verdun sera de l’Histoire : il me semble que cela suffit. Je voudrais faire revivre les grands faits et les petits détails, montrer les figures célèbres comme les héros anonymes, exalter toute la nation tendue pour maintenir contre le bélier gigantesque qui les disjoint et déjà les enfonce ces portes sanglantes : Douaumont, Fleury, Vaux.
— Quels seront vos personnages ?
— Ceux du front, bien entendu, ceux de l’arrière aussi qui ont tenu, je les montrerai dans leur cadre, dans leur milieu, à l’école, à l’usine, dans la famille.
— Vos artistes ?
— Ceux que je connais et que j’aime, capables de s’associer à l’oeuvre entreprise pour laquelle je n’aurai jamais assez de collaborateurs. Dès aujourd’hui, conscient de ma responsabilité et de l’importance de ma tâche, je dis : « A l’aide ! »
« Et d’abord, je fais appel à tous les anciens combattants, les plus humbles comme les plus illustres. »
« Certes, j’utiliserai les documents enregistrés par la section cinématographique de l’armée, dont bon nombre sont inédits ; mais il y aura des reconstitutions, il faudra faire vibrer le drame, animer le sujet. Or, ici, la fournaise ne sera plus comme dans certains films, dits de guerre, le cadre d’un sujet : elle sera le sujet lui-même. Verdun sera Verdun ; comment ferais-je revivre l’épopée sans la présence de ceux qui l’ont vécue, sans leur aide morale, matérielle, complète ?
« Je demande à Comœdia de lancer, à ceux qui sont qualifiés, un premier appel — fait d’un seul mot qu’ils connaissent bien : « Rassemblement ! »
« Quant aux appuis officiels, j’y compte. N’ai-je pas besoin, en. premier lieu, du concours de l’armée ?
« L’idéal serait de grouper de grands militaires, des hommes de gouvernement, des chefs d’industrie, de finance, de hauts représentants de l’intellectualité, du travail.
« De cette façon, je serai le réalisateur de Verdun, mais Verdun ne serait pas de moi. Le film comme la victoire serait l’œuvre des Français.
— A quand le premier tour de manivelle ?
— Je ne sais encore. Pour le moment, tous mes instants sont pris. Avec les documents inédits de la mission Haardt-Audouin-Dubreuil, je suis en train de monter un film : En marge de la Croisière noire.
« Cette Croisière noire ! tenez, c’est en voyant l’enthousiasme de tous les publics, même étrangers, pour l’effort de quelques Français que j’ai compris combien était proche l’heure de Verdun, vision d’histoire.
Jean-Louis Croze
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Quelques semaines après cet entretien, Léon Poirier publie ce texte dans Comoedia insistant sur ce que devra être Verdun, vision d’histoire.
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Vision d’histoire “Verdun” Film de Léon Poirier
paru dans Comoedia du 11 février 1927
Il n’est pas de plus noble destin pour un art que d’exprimer l’histoire de son temps. Roncevaux a eu sa chanson de geste, la chevauchée napoléonienne a eu ses peintres, il appartient au cinéma — et au cinéma français — d’évoquer sur l’écran, livre vivant de notre époque, l’épopée de Verdun.
La grande guerre est assez lointaine pour qu’on puisse en mesurer sans passion toute la tragique grandeur, assez proche pour que les effigies de bon nombre de ceux qui en furent les héros puissent être fixées pour l’avenir: le temps de l’Histoire est venu et l’art cinégraphique peut sur un pareil sujet, donner toute sa mesure.
Déjà les étrangers l’ont compris. En Angleterre, des essais viennent d’être tentés sur Ypres, Mons — essais trop sèchement documentaires pour réussir.
Réalisées en Amérique, des fantaisies comme la Grande Parade tiennent plus du roman que de la vérité et ont, malheureusement le tort de faire passer au second plan le rôle de la France dans la guerre mondiale.
Verdun, vision d’histoire, ne sera ni un documentaire, ni un roman. Certes, il y aura dans le film des plans d’attaque et de défense, des précisions puisées aux sources les plus sûres ; des documents de la section cinématographique de l’armée y formeront un cadre d’authenticité — mais des reconstitutions faites avec l’aide des anciens combattants eux-mêmes s’enchaîneront, scènes pathétiques du drame, dont l’émotion renaîtra ainsi du souvenir même de ceux qui l’ont vécu.
Pas d’intrigue : la lutte se suffit à elle-même. Pas de conflit autre que l’étreinte gigantesque de la race qui veut tuer et de celle qui ne veut pas mourir. Verdun, vision d’histoire les montrera toutes les deux.
A côté des figures authentiques seront placés, non des personnages, mais des entités. L’Histoire a le droit d’agrandir les hommes ; une fresque ne décalque pas la vie, elle la transpose. Pas de silhouettes imaginaires aux noms romanesques, aux sentiments fictifs, mais le paysan, l’intellectuel, l’ouvrier, le mari et l’épouse, le fils et la mère : le Front et le Pays.
Car les coups frappés à Verdun ont porté partout la souffrance : Verdun pour être une vision d’Histoire ne doit pas évoquer seulement l’héroïsme de la bataille, mais aussi l’angoisse de tous ceux dont le cœur battait au rythme affreux de la lutte.
Ainsi, Verdun sera non seulement une vision d’histoire, mais un drame poignant, un poème épique. Il pourra constituer la première œuvre des archives cinégraphiques françaises et montrer à l’étranger, dans un temps singulièrement opportun, la grandeur de notre pays.
Léon Poirier
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Un film national : “Verdun, visions d’Histoire”
paru dans Comoedia du 10 juin 1927
M. Léon Poirier vient de faire à Verdun même un séjour au cours duquel il a, tout à la fois, commencé la découpe de son film et réuni les premiers éléments de réalisation.
— J’ai rencontré, nous a-t-il dit, dans tous les milieux militaires et civils une compréhension parfaite et les appuis les plus complets. Heureusement, car le travail sera considérable et je ne puis espérer le mener à bien qu’avec la bonne volonté de tous.
— Certains points du champ de bataille, comme Fleury-Douaumont-Vaux, ont conservé leur désolation et l’hiver suffira à parachever l’impression. Au Bois des Caures, par contre, la nature a vigoureusement repris son œuvre.
« Dans l’ensemble, des difficultés, mais pas d’obstacle insurmontable aux reconstitutions que j’ai en vue.
« Le premier tour de manivelle ne sera pas donné avant le mois d’août au plus tôt.
— Avez-vous déjà songé à votre distribution ?
— Nullement, quoi qu’on ait pu dire à cet égard. Mes personnages sont seulement en train de naître. Pour le moment, il y a six rôles d’hommes et trois rôles de femmes, mais je ne songerai à leur distribution qu’après avoir achevé entièrement la découpe.
— C’est-à-dire ?
— Impossible de vous donner aucune précision. Il y aura trois parties, La Force, L’Enfer, La Justice, et c’est pourquoi le titre sera Verdun. visions d’histoire.
— Et la partition musicale ?
— Je puis déjà vous dire qu’elle sera musicale. Il y a un monde — ou plutôt un océan — entre la conception du bruit de coulisse et celle de l’harmonie imitative.
Au-delà de l’océan, on secoue des tôles pour imiter l’orage. En deçà, dans notre vieille Europe, un Beethoven a écrit sur ce thème La Symphonie Pastorale. Il y a peut-être un moyen terme. La partition de Verdun sera écrite par mon ami André Petiot et commencée en même temps que le film, car il ne doit pas seulement y avoir, entre l’orchestre et l’écran, synchronisme d’exécution, mais de conception. Vous-vous souvenez de ce que Petiot a fait de la Gan’za dans La Croisière noire. Et puis il sait ce que c’est qu’un champ de bataille et la guerre lui a laissé de cuisants souvenirs. Pour le reste, vous connaissez mon opinion : le travail ne se fait bien qu’en silence. »
J-L. Croze
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Cinéma : Le premier tour de manivelle de Verdun, visions d’histoire
paru dans Comoedia du 9 août 1927
Ayant poursuivi méthodiquement la préparation de l’œuvre que nous annoncions il y a trois mois, Léon Poirier atteint la seconde partie de son grand labeur : Verdun, visions d’ histoire, après avoir été conçu, composé, découpé, va maintenant être filmé.
Aujourd’hui mardi 10 août, en Présence de M. Schleiter, maire de Verdun ; du général Bordereaux, commandant d’armes de la glorieuse Cité ; de M. Simon, président de l’Association des anciens chasseurs de Driant ; du colonel Heath, secrétaire de la British Légion ; du major Hicks, « commander » de l’American Légion ; et de nombreuses personnalités, aura lieu la première prise de vues de cette œuvre française que la force du souvenir rend si profondément internationale.
Le cinéma international par “l’idée” n’est-ce pas la plus belle formule ?
Et quand, avec l’idée, c’est aussi l’art cinégraphique français qui s’impose à l’attention du monde, le fait vaut la peine d’être signalé.
C’est devant le monument de la « tranchée des baïonnettes » que les opérateurs de Léon Poirier donneront le premier tour de manivelle : images liminaires dont le sens s’éclaire par la dédicace du film
A tous les martyrs de la plus affreuses des passions humaines : la guerre.
Parti des baraques foraines, le cinéma connaît aujourd’hui un plus haut destin : il fixe l’histoire de son temps.
J. V.
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(Premiers jours de tournage de) Verdun, visions d’histoire
paru dans Comoedia du 19 août 1927
Pour la première fois, depuis la fin de la guerre, j’ai pris la voie sacrée qui mène à la glorieuse cité. C’est encore au cinématographe que je dois ce pèlerinage accompli tant de fois de 1915 à 1918 dans le brouhaha des camions et des convois, dans le défilé ininterrompu du matériel et des hommes, alors que Verdun, clef de la bataille gigantesque,, barrière de Paris, subissait victorieusement l’assaut de l’ennemi.
On filme à nouveau, on va filmer à Souville, à Vaux, à Douaumont, autour de la ville martyre dont Léon Poirier entend retracer le rôle, si magnifiquement tenu aux yeux de la France et du monde entier.
Je ne reviendrai pas sur l’intérêt, pas plus que sur l’importance de l’œuvre entreprise. Quant au but poursuivi par le maître cinéaste de Jocelyn, en s’attaquant à un pareil sujet qui comprend si peu de romanesque pour contenir, hélas ! tant de vérité, ce but nous l’avons exposé aussi.
C’est, au demeurant, une autre manière de dire « guerre à la guerre » et de collaborer avec ceux qui veulent éviter à tout jamais le retour du monstrueux fléau. Le cinématographe est, doit être plus intensément encore, le propagateur des idées de paix, mais il ne doit pas négliger d’écrire, de rappeler l’Histoire. Or, le conflit qui mit aux prises tant de peuples, avec tant de souffrances et tant d’héroïsme, mérite tout particulièrement d’avoir son film où s’évoquera la merveilleuse et impartiale Histoire.
Nous l’aurons, ce film. Il sera grand, il sera beau, car je connais le talent et le cœur de celui qui le fait, je sais les moyens dont il dispose, et le gouvernement encourage de façon effective, aide le réalisateur, l’historien.
L’autre jour, devant la Tranchée des Baïonnettes, j’ai vu donner le premier tour de manivelle par les opérateurs Robert Batton et Georges Million, au signal de Léon Poirier, en présence de nombreuses personnalités civiles et militaires, françaises et étrangères.
Minute de poignante émotion quand, sous une poussée invisible, qu’une surimpression ultérieure rendra — celle de milliers de combattants allant, douloureuse apothéose, de la mort vers la gloire — la porte du monument s’ouvrit, lente et lourde, et fit découvrir la route dallée montant vers l’immortelle Tranchée des Baïonnettes.
Pendant quelques minutes, on n’entendit que le bruit des appareils de prises de vues. Toute l’assistance se penchait, plus recueillie que curieuse, vers l’entrée du monument, masse de bronze ajourée d’un glaive autour duquel s’enlacent des feuilles de chêne. Brandt fecit.
Depuis lors, le travail continue. Assisté de Thomy Bourdelle, son administrateur, qui sera également un des protagonistes du film — grand artiste et vaillant combattant, — notre ami Léon Poirier poursuit de jour et de nuit sa besogne d’apôtre, d’artiste et de soldat.
Verdun, visions d’histoire demandera de longs mois pour son achèvement. Nous l’attendrons. Est-ce inutile d’ajouter que les destinées commerciales de cette grande production française sont déjà totalement remplies. Dans leur pays respectif, les acheteurs cherchent déjà la date et la manière de présenter la bande. Le monde entier la verra pour l’applaudir, tout en la discutant peut-être, car l’histoire, la plus fidèlement reproduite — le plus impartialement aussi, et là-dessus j’insiste — l’histoire n’est pas toujours acceptée par tous les individus, par tous les publics. Les pacifistes, de mauvaise foi, protestent : le film passe.
J.-L. Croze
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Léon Poirier tournera les intérieurs de son film aux Studios Gaumont des Butes-Chaumont en janvier 1928 comme en témoignent les encarts suivants :
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En bavardant avec Léon Poirier
paru dans Comoedia du 28 février 1928
Il y a quelques jours, lors de la répétition générale des Ursulines ,j’ai eu le plaisir de rencontrer Léon Poirier. Tandis qu’accoudés au bar, quelques spectateurs commentaient entr’eux les excentricités d’une bande d’énergumènes chahuteurs que quelques invités courageux venaient de mettre à la porte, je me mis à bavarder avec l’excellent réalisateur.
— Alors, que devenez-vous ? La réalisation de Verdun, visions d’histoire s’avance-t-elle comme vous l’entendez ?
— Mais oui, me répondit Léon Poirier souriant, j’ai terminé aujourd’hui même les intérieurs au studio Gaumont et je me prépare pour un long séjour à Verdun où seront tournés de nombreux extérieurs du film. Le travail du studio, s’est effectué comme je l’espérais, dans le calme et la tranquillité, et les décors se sont succédé dans un ensemble parfait.
— N’êtes-vous pas allé à Berlin ?
— Si. Je suis allé tourner là-bas plusieurs passages du film dont l’action se déroule sur le front allemand de Verdun. J’ai rencontré beaucoup de personnes très aimables, ne demandant qu’à me rendre service. C’est ainsi qu’ayant reconstitué au studio le fameux « Kasino de Stenay » où s’est tenu pendant longtemps le grand état-major allemand, j’ai reçu la visite d’anciens officiers allemands me proposant de figurer dans le film avec leurs propres uniformes.
Jamais figurants ne se montrèrent plus dociles. Je leur fis faire tout ce que je voulus, même défiler au pas de parade. Ils restèrent en admiration devant Maurice Schutz qui interprète le rôle du maréchal d’Empire et de Thommy Bourdelle qui personnifie l’officier allemand. Ils les trouvèrent tous deux très « dans leurs personnages ».
Ces scènes aussitôt terminées, je suis rentré à Paris afin de surveiller la préparation des décors.
— N’avez-vous pas également tourné quelques scènes en Angleterre ?
— Non. Je suis bien allé à Londres, mais pour traiter quelques affaires et surtout présenter La Croisière noire au prince de Galles, qui vous le savez est un ardent cinéphile. N’ayant pas de temps à perdre, mon séjour à Londres a été fort court.
A peine de retour à Paris, j’ai mis en scène tous mes intérieurs et maintenant que ceux-ci sont terminés, je pars pour Verdun afin d’y reconstituer d’importantes scènes de guerre. Je compte y séjourner quatre bons mois, aussi j’ai loué une villa qui sera mon quartier général. De plus j’aurai sur le terrain d’opérations une cagna très confortable qui sera en sorte mon poste de commandement.
Je pars là-bas avec quelques-uns de mes interprètes, à savoir : Albert Préjean, Madeleine Renaud, André Nox, Pierre Nay, Suzanne Bianchetti, Hans Brausewetter, Thommy Bourdelle, Maurice Schutz et Jean Dehelly.
Je compte avoir là-bas un temps favorable, d’ailleurs, j’aurai avec moi plusieurs groupes électrogènes pour des scènes de nuit et suppléer, le cas échéant, au soleil.
Dès mon retour à Paris, j’entreprendrai le montage de ce film qui sera présenté le 11 novembre prochain.
Ah ! avant de vous quitter, laissez-moi vous dire ce qui, dans ce film, m’a donné le plus de tracas, vous ne devinerez jamais ; c’est de trouver des jeunes gens de, vingt-cinq à vingt-huit ans portant la barbe et les moustaches. En effet, la mode actuelle exige à ce que toutes deux soient complètement rasées, aussi le régisseur a eu fort à faire…
La sonnerie annonçant la fin de l’entr’acte s’étant mise à tinter, je pris congé de Léon Poirier et regagnai ma place en caressant mon menton.
— Quel dommage, il était imberbe.
Sans cela, qui sait, j’aurais pu être une grande vedette de cinéma.
George Fronval
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Au mois de mai 1928, Léon Poirier semble être revenu tourner quelques plans à Verdun même.
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Finalement, le tournage du film est terminé vers le 7 juin 1928 :
Au début d’un article Autour de Verdun, visions d’histoire à propos du Bois des Caures, paru dans Comoedia du 16 juin 1928, on peut lire ces lignes de Léon Poirier :
Le temps accomplit son œuvre. Sur le chaos et les entonnoirs l’herbe repousse. Dans la mémoire des jeunes générations, la Légende remplace le Souvenir. Le cinéma par son action directe est sans doute l’art le plus désigné pour combattre l’Oubli. Oubli néfaste, car c’est à partir du moment où les hommes ne se souviennent plus de l’enseignement du Passé, qu’ils sont à nouveau tentés de se battre.
Léon POIRIER.
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Nous avions déjà retranscrit l’article suivant, qui était paru dans le numéro de Cinémagazine du 9 novembre 1928, soit quelques mois plus tard. Voici la publication originale écrit par Léon Poirier et parue dans Comoedia le 27 juillet 1928.
Les figures symboliques de “VERDUN, VISIONS D’HISTOIRE”, film de Léon Poirier par Léon Poirier.
paru dans Comoedia du 27 juillet 1928
Il n’y a pas de rôles dans Verdun, visions d’Histoire. Il ne peut pas y en avoir car, ici les événements dominent les hommes ; ceux-ci n’agissent pas : ils sont actionnés. Ce sont de petits jouets dans une grande tempête. Leur vie privée ne saurait intéresser personne, donc pas d’intrigue romanesque, pas de rôles à jouer.
Mais, à côté des personnalités historiques représentées dans le film par des documents authentiques, un certain nombre de figures symboliseront chacune une idée, donneront des expressions humaines aux forces du jeu. S’il s’agissait de rôles au sens théâtral du mot, ce seraient en vérité de très petits rôles, de bien fugitives silhouettes, mais nous ne sommes pas plus ici dans le théâtre que dans le roman. Nous ne sommes même pas dans la vie, mais au-dessus d’elle : dans l’Histoire.
L’Histoire ne décalque pas les hommes, elle les grandit, ce qui serait petit rôle devient grand symbole.
Cela, une pléiade d’artistes pour la plupart anciens combattants, l’ont compris et, renonçant à toute préséance, se sont groupés autour de moi pour m’aider à réaliser mon œuvre dans le large esprit où je l’ai conçue, car ils se sont laissés entraîner les yeux bandes hors des sentiers battus, à travers un sujet inconnu de tous.
Ces artistes, qui ont renoncé à se maquiller, à rechercher la grande scène, à préparer leurs effets, à imiter les vedettes américaines, qui ont accepté de tout faire au contraire, pour ne pas se détacher de la fresque épique, mais bien s’y incorporer, ces courageux artistes, il faut les nommer ici. Et il faut les nommer à un double titre : d’abord ils ont collaboré à une œuvre hardie, sans d’autre souci que de la faire aussi grande que possible, et cela n’est déjà pas banal, ensuite ils ont été parmi les premiers à s’engager dans une voie où s’enfoncera sans doute beaucoup plus avant le cinéma de demain : le remplacement de l’acteur, « vestige de théâtre », par le « visage humain », reflet de la Vie.
Les figures symboliques de « Verdun Visions d’Histoire » sont :
LE SOLDAT FRANÇAIS (composé par Albert Préjean). — Un cerveau qui comprend, un cœur qui vibre. Atteint l’héroïsme par l’initiative. Fait le sacrifice de sa vie pour l’idéal qu’il s’est créé. Chevaleresque, gouailleur.
Suit ses chefs jusqu’à la mort, quand il les aime. L’homme qui souffre pour la Liberté qu’il adore. Celui à qui la France doit d’être restée la France.
LE SOLDAT ALLEMAND (composé par Hans Brausewetter). — Rouage solide du matériel humain. Atteint l’héroïsme par la discipline. Fait le sacrifice de sa vie pour l’idéal qu’on lui a enseigné.
Loyal, consciencieux. Suit par devoir ses maîtres jusqu’au bord du gouffre.
L’homme qui, dans la souffrance découvre la Liberté. Celui qui engendrera l’Allemagne nouvelle.
L’OFFICIER ALLEMAND (composé par Thomy Bourdelle). — L’orgueil. La Force. Philosophie de Nietzsche. Dogme de von Bernhardi : « La guerre et le courage ont fait plus de grandes choses que l’amour du prochain ». Fidèle à la foi jurée à l’Empereur, à l’Empire. Homme de fer. Machine à conduire les hommes et à les broyer.
LE VIEUX MARÉCHAL D’EMPIRE (composé par Maurice Schutz). — Le fantôme de la vieille Allemagne romantique. Personnification de la mystique de la guerre. Apôtre de la doctrine de la force. L’âme lourde de toutes les gloires et de toutes les vies humaines qui forment l’auréole des conquérants.
Vieil arbre que couche par terre le vent de la défaite, et l’avènement irrésistible des temps nouveaux.
LA MERE (composée par Jeanne-Marie Laurent). — Toutes les mères — celles qui attendent, veillent, prient. Celles dont le cœur souffre la guerre à chaque minute,, dont la pensée accompagne les fils dans le danger, ne les quitte pas dans la mort. Celles qui se souviendront quand tous auront oublié.
LE FILS (composé par Pierre Nay). — L’âme des mères, comme leur sang, est dans l’être de tous les fils et le mot « Maman » est le premier et le dernier cri des hommes.
LA FEMME (composée par Suzanne Bianchetti). — Elle aussi peut mourir, car elle peut devenir « la Veuve » et ce serait comme si une autre femme continuait sa vie.
LE MARI (composé par Daniel Mendaille). — Combattant grave et douloureux, l’homme du Présent. Celui qui fait le sacrifice de ce qu’il possède : bonheur, amour, foyer. Renonce à la vie en la connaissant — le Sacrifié total.
LE JEUNE HOMME (composé par Jean Dehelly). — Celui qui frôle la mort en pensant à la vie. Héritier de l’héroïsme des Marie-Louise de 1813. Insouciance.
Voit toujours un sourire féminin à travers la fumée des batailles. Fait la guerre en songeant à la paix qui est au bout — l’Avenir.
LA JEUNE FILLE (composée par une jeune Meusienne anonyme). — L’espérance. Ombre souriante du jeune homme. Garde en son cœur le talisman des joies de la vie pour que ceux qui reviendront puissent la trouver encore digne d’être vécue.
LE VIEUX PAYSAN (composé par José Davert). — Incarnation de la Terre.
Déchiré avec elle, bouleversé comme elle, lourd comme elle, immuable comme elle. Considère la guerre comme un fléau aussi inévitable que le gel et la grêle : Résignation la rage au cœur, souffrance les poings serrés.
L’INTELLECTUEL (composé par Antonin Artaud). — Celui que révolte la stupidité de la guerre et qui meurt sans avoir compris.
L’AUMONIER (composé par André Nox). — Au-dessus des horreurs humaines. La pitié. La prière. Celui qui, au milieu des obus, vit dans le Royaume de la Paix : le Royaume qui n’est pas de ce monde.
Léon Poirier
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Cette publicité, parue dans Comoedia du 12 octobre 1928, annonce les différentes sorties du film pour commémorer l’armistice de 1918.
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L’article suivant a été également reproduit dans le numéro de Cinémagazine du 9 novembre 1928.
Autour d’un film de guerre : La figuration allemande
paru dans Comoedia du 13 octobre 1928
Les scènes d’ambiance allemande de Verdun, visions d’histoire, ont été tournées à Berlin, avec le concours d’anciens combattants allemands.
Nombre d’anciens officiers de l’armée allemande ont accepté de figurer dans les scènes du château des Tilleuls, du Casino de Stenay, de l’abri d’un colonel devant “Douaumont, de l’observatoire blindé, etc.
En outre, les défilés et les parades sont, ou d’authentiques documents, ou des réalisations faites avec le concours de soldats allemands.
Avant d’obtenir le concours des éléments allemands, M. Léon Poirier a réuni les principaux de ses éventuels collaborateurs et leur a dit, devant la Presse, le but de son film dédié à tous les martyrs de la Guerre, et dirigé, non contre l’Allemagne, mais bien contre la Guerre.
Tous ont accepté de collaborer à une œuvre dont ils ont compris la valeur et la portée morale, ainsi qu’en témoignent ces deux lettres écrites spontanément par M. Hans Brausewetter :
“Cher Monsieur Poirier,
Je voudrais vous remercier très cordialement pour le travail si intéressant que j’ai fait avec vous à Verdun.
Je suis intimement persuadé que votre grand film fera beaucoup pour l’idée de Paix et contribuera à rapprocher la France et l’Allemagne, qui apprendront aux spectacles de leurs communes souffrances à mieux se connaitre.
Ce faisant vous aurez rendu un grand service aux deux pays.
Laissez-moi vous remercier encore de m’avoir permis de collaborer, à une telle œuvre et espérer que ce n’est pas la dernière fois que je travaille avec vous.
Hans BRAUSEWETTER”
et par M. Heinz von der Laucken
“Cher Monsieur Poirier,
J’espère que vous ne m’en voudrez pas de venir vous déranger dans votre travail. Je voudrais vous demander en souvenir du travail que j’ai eu l’honneur de faire avec vous à Berlin, quelques photos se rapportant, aux scènes du film où j’étais moi-même.
Vous vous rappelez certainement que j’étais le lieutenant de uhlans au Casino de Stenay et j’insiste sur ce fait que j’ai accepté de figurer dans votre film, non pas comme acteur de cinéma, que je ne suis pas, mais bien, en ma qualité d’officier prussien et comme volontaire pour ce cas spécial.
Je me mets à votre disposition pour vous rendre service, de quelque manière que ce soit.
Heinz von der LAUCKEN”
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En introduction d’un texte historique sur Verdun, Visions d’Histoire, nous trouvons ces propos de Léon Poirier, parus dans Comoedia du 7 novembre 1928.
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La présentation à la presse eut lieu le 7 novembre 1928 comme en témoigne le numéro du jour de Comoedia.
La publicité, parue dans Comoedia du 8 novembre 1928, annonçant le soir même la première projection publique à l’Opéra de Paris de Verdun, Visions d’Histoire en présence du Président de la République, Gaston Doumergue.
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LES PRESENTATIONS – Verdun, visions d’histoire
paru dans Comoedia du 8 novembre 1928
On peut bien le dire aujourd’hui, – après l’inexprimable émotion qui nous a hier littéralement terrassé, – on peut bien dire à M. Léon Poirier que nombre d’anciens combattants, saturés de guerre en parade, ou d’erreurs irritantes, redoutaient ce Verdun..
Ils l’ont tous acclamé hier, acclamé silencieusement. Car, devant cette réalisation bouleversantes, devant cette terrifiante restitution des journées et des nuits affreuses, seul le silence pouvait exprimer l’angoisse qui, de nouveau, les étreignait.
Combien d’anciens poilus étaient las, écœurés par tant de films de guerre si loin de l’horrible et grande vérité qu’ils semblaient vraiment attenter à leurs souffrances, à leur muet héroïsme.
Hier, ils se sont retrouvés devant leurs vrais souvenirs. Le cœur contracté comme naguère par l’anxiété des attaques, par la peur qu’il fallait vaincre, et comme rejetés tout à coup dans la tourmente, ils ont senti monter en eux une grande reconnaissance pour celui qui va leur permettre de dire à ceux, à celles qui n’ont pas vu la guerre: « La voilà !” Avec ça, vous pouvez presque comprendre.
Presque ! Car le film donne la minute de l’horreur, la minute de la volonté victorieuse, mais point la durée, l’interminable durée, ni la couleur des choses, ni la nuit, ni la quantité d’obus et de blessures, ni l’air déchiré, ni les chairs proches de la vôtre….
Ne demandez pas trop. Admirons cette évocation vraiment prodigieuse, quasi incroyable et si intelligemment distribuée ! Ne nous plaignons même pas de quelques passages qui sacrifient aux idéologies en cours. Constatons que Léon Poirier a su respecter même l’adversaire, comme les Poilus le faisaient eux-mêmes. Regrettons seulement n’avoir point vu, deux secondes seulement, entre Joffre et Pétain, le visage de Castelnau qui, durant dix-huit heures, fut l’arbitre et persuada son chef qu’on devait, qu’on pouvait garder Verdun. Et le visage de Driant ?
Le cinéma ne me conquiert que rarement. Cette fois, il a fallu subir sa puissance de vérité.
Vérité telle et d’une fécondité morale si inéluctable que ce film, qui a voulu nettement nous inspirer l’horreur de la guerre, et qui l’inspire, nous impose bien au-dessus une admiration extasiée pour ceux, chefs et soldats, qui, en dépit des plus épouvantables rafales, sont restés maîtres d’eux et du destin. Et l’on songe : quand donc la, volonté humaine s’était-elle davantage élevée?
Gabriel Boissy
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« VERDUN, VISIONS D’HISTOIRE »
paru dans Comoedia du 8 novembre 1928
Souvenons-nous ! Il y a déjà douze ans et plus !
Février 1916 ! Les Allemands ont déclenché contre Verdun une monstrueuse offensive. Chaque jour, les communiqués annoncent un nouveau recul de nos troupes héroïques, dont les bataillons sont déchiquetés par la mitraille. L’angoisse a planté sa lance dans le cœur de tous les Français. Souvenons-nous !
Le bois des Caures et les sublimes chasseurs de Driant. L’admirable sacrifice des défenseurs de Douaumont. Le fort de Vaux qui ne capitule qu’après une lutte opiniâtre. Verdun !
« Vous ne les laisserez pas passer, mes camarades ! » dit Nivelle à ses soldats… Ils ne passeront pas ! Le champ de bataille n’est plus qu’un chaos fantastique. Des hommes vivent-ils encore dans cet enfer ? Oui. Et les voilà qui se lèvent à l’appel de leur chef ! Souvenons-nous !
Juillet 1916 ! Le temps des moissons dorées ! De la terre hachée où nulle herbe ne repoussera plus jamais, les soldats bleu-horizon s’élancent. En quatre heures, ils ont reconquis le terrain que les armées du kronprinz avaient mis huit mois à enlever. Verdun était sauvé !
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Oui, de tous les morts qui ont mêlé là-bas leurs os blanchis au sol rougi de leur pays, de tous les héros qui ont survécu à la sublime hécatombe, il faut que le souvenir demeure en nous.
Hier, à l’Opéra, quand, sur l’écran fut évoquée la vision de cette épopée, nous avons senti affluer à notre cœur la pieuse émotion qui nous souleva aux heures de la victoire.
Avons-nous vu un film ?
N’avons-nous pas, plutôt, assisté à un nouveau et plus grandiose réveil des morts qu’avec autant de génie que Raffet, Léon Poirier a peint en images de lumière ?
Verdun, vision d’histoire est une chose admirable, tant par son inspiration que par son exécution.
De l’inspiration, il ne nous appartient pas de juger. Elle est née dans l’esprit d’un Français et ce sont les morts, tous les morts de Verdun, qui la lui ont soufflée. Aussi bien, Verdun, visions d’histoire, est-il dédié à tous les martyrs de la guerre, et cette dédicace mieux cette épitaphe — exprime pleinement la pitié humaine dont l’œuvre est comme illuminée.
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L’exécution est impeccable. Mais est-ce bien assez d’accoler ce froid adjectif à une mise en scène vibrante, vivante, empoignante !
N’attendez pas que je vous retrace par le menu les épisodes qui ont marqué la bataille de Verdun et que le film restitue avec une pieuse fidélité. Dans une aussi parfaite symphonie, les accords se fondent ; ne demeure qu’une impression d’ensemble imprécise comme la beauté, mais durable.
Magnifique réussite. Jamais la guerre, avec son cortège d’héroïsme et de deuils ne fut si majestueusement évoquée. Le choc est formidable, qu’on reçoit à la vue de ces tableaux pathétiques qui peignent la force brutale du combat ou l’apaisante sérénité des scènes allégoriques.
Léon Poirier nous dispensera de lui adresser des éloges, ce serait bien fade. Qu’il soit seulement assuré qu’à lui ira la reconnaissance de tout un peuple pour l’inoubliable page d’histoire qu’il vient d’écrire.
Verdun, visions d’histoire, n’a pas d’interprètes. Léon Poirier a mis au milieu de l’action quelques figures symboliques qui sont personnifiées par Mmes Bianchetti et Jeanne Marie-Laurent, MM. José Davert, Jean Dehelly, Albert Préjean, Maurice Schutz, Hans Brausewetter, Thomy Bourdelle, André Nox, Pierre Nay, Daniel Mendaille et Antonin Artaud.
Il suffit à leur gloire, et c’est pourquoi je laisse de côté les compliments que je voulais leur décerner, qu’ils aient été choisis pour symboliser les grandes figures de l’épopée.
René Lebreton
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Autour de « Verdun, visions d’histoire »
paru dans Comoedia du 18 novembre 1928
Tous les frais ayant été pris en charge par la Société de Production du film, la recette du gala de Verdun, Visions d’Histoire à l’Opéra, a rapporté plus de 150.000 francs à l’Œuvre d’Aide aux Veuves de Guerre.
De nombreux anciens combattants assistaient à cette soirée : voilà un bel exemple de fraternité envers nos chers camarades disparus.
La photographie du film Verdun, Visions d’Histoire est l’œuvre de MM. Robert Baton et Georges Million.
Mr Robert Baton, en qualité de premier opérateur, a tourné le premier négatif et le second a été confié entièrement à M. Georges Million.
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A partir du 21 novembre 1928, Verdun, Visions d’Histoire entame son exclusivité au Marivaux qui va durer jusqu’en février 1929.
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Au début de l’année 1929, une polémique éclate entre Léon Poirier et le producteur Jacques Haïk à propos d’une interview dans un journal allemand dans lequel celui-ci a mal retranscrit les propos du réalisateur de Verdun opposant ce film à La Grande Epreuve produit par Jacques Haïk (réalisé par Alexandre Ryder et André Dugès) sur le même thème.
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A propos de films de guerre
Léon Poirier met fin à un incident causé par un article de la “Lichtbild-Bühne »
paru dans Comoedia du 5 janvier 1929
En même temps que tous nos confrères nous avons reçu la traduction d’un article paru récemment dans la Lichtbild-Bühne, sous le titre: « Poirier contre La Grande Epreuve — interview du créateur du film Verdun ». L’esprit tendancieux de cet article nous fit un devoir par souci de courtoisie de ne mettre celui-ci sous les yeux de nos lecteurs qu’après avoir demandé à M. Léon Poirier si sa pensée n’avait pas été quelque peu trahie pour les besoins d’une cause quelconque. Léon Poirier, alité ces jours-ci n’avait pu prendre connaissance de l’article paru dans la Lichtbild-Bühne. Aujourd’hui, le réalisateur de Verdun, visions d’histoire nous adresse copie d’une lettre rectificative qu’il envoie au journal allemand.
Rien ne s’oppose plus à la publication de ces deux documents: l’article de la Lichtbild-Bühne et la lettre de Léon Poirier, maintenant que celui qui fut mis en cause a fait usage du droit de réponse. Nous considérons, pour nous, l’incident comme clos.
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L’article de La Lichtbild-Bühne.
Poirier contre « La Grande Epreuve ». Interview du créateur du film Verdun.
Léon Poirier, dont le film Verdun a rencontré l’approbation sans réserve de la presse quotidienne allemande, depuis le Lokal Anzeiger jusqu’au Vorwaert, a exprimé son opinion dans une conversation que nous reproduisons en détail ci-dessous sur le film de guerre : La Grande Epreuve, ou, comme la U.F.A. l’a baptisée, La Légion des Morts. Il s’élève avec véhémence contre la tendance chauviniste de ce film, contre la manière injuste avec laquelle il représente le « militaire allemand ». Comme il a été démontré, il est impossible de représenter ce film dans les centres ouvriers, car la masse du peuple français réprouve pareil chauvinisme. Il trouve, comme Français, incompréhensible qu’une maison allemande ait pu faire du commerce avec ce film.
Le grand film français, Verdun, de Léon Poirier, vient d’être représenté en première à l’Odéon. La presse du monde entier a souligné la neutralité intime et profonde de ce puissant épisode de la guerre, universelle et l’ambassadeur d’Allemagne, par sa présence à la première, que le peuple allemand ne refuse pas son adhésion à un film de guerre qui honore les vivants et respecte ceux qui sont tombés.
Poirier est le type de l’intellectuel français qui unit le dévouement à une cause, la capacité de l’esprit, le sens européen à une politesse aimable. Il n’est pas inconnu à Berlin. Son film La Race noire (La Croisière Noire, ndr) qui, jadis, a été représenté au Capitole, a trouvé, ici, un grand succès. Il voit dans son film Verdun un geste de respect pour ceux qui se sont sacrifiés dans ce grand choc entre les peuples.
— Un colportage insensé représente, aux yeux de la jeunesse, la guerre comme une sorte de match de football, comme une promenade héroïque qui procure aventures et gloires. Il faut protester, contre cet empoisonnement. Je crois que mon film montre la guerre telle qu’elle a été, sans fard, sans dorure, mais représentée comme elle fut dans toute sa force, dans toute sa cruauté. Moi-même, j’ai pris part à la guerre, depuis le commencement jusqu’à la fin. J’ai connu l’enfer de Verdun, et ce n’est pas seulement là que j’ai appris à respecter l’adversaire.
« Tous les Français regardent avec horreur, et avec un profond mépris, les films de guerre qui glorifient la force militaire et la désunion entre les peuples. Je sais que vous connaissez le film La Grande Epreuve. La France n’a rien à voir dans ce film : avec ses caricatures de militaires allemands, avec sa glorification de la guerre, avec son chauvinisme à bon marché. Nous voulons la paix du monde et condamnons toutes les fanfares qui poussent à une nouvelle guerre. »
Il est intéressant de noter que certaines parties du film Verdun ont été tournées à Berlin. Poirier est très fier de ce que les événements de ce film sont historiques, et que les principaux personnages ont existé, et qu’il les a connus. On pourra bientôt voir son film, et nous espérons qu’il contribuera à resserrer les rapports amicaux entre la France et l’Allemagne. De plus la prochaine création de Poirier sera un film d’un sujet à la fois allemand et français.
La réponse de M. Léon Poirier
2 janvier 1929.
Lichtbildbuhne, 225, Friedrichstrasse Berlin.
Monsieur le Directeur,
« Le Lichtbildbuhne vient de publier un article qui prétend être la reproduction de paroles que j’aurais prononcées lors de mon dernier passage à Berlin.
« Je pense qu’il y a malentendu et déplore les traductions successives dont il est probablement le résultat.
« J’ai eu plusieurs fois, en effet, l’occasion d’expliquer l’esprit dans lequel j’avais conçu mon film Verdun, Visions d’Histoire, et de déclarer qu’à mon sens les souvenirs de guerre devaient, pour n’être pas dangereux, rester bilatéraux. J’ai dû également, à la suite d’une question précise qui m’était posée, donner les explications nécessaires pour dissiper une confusion déjà accréditée en Allemagne entre mon film et plusieurs autres films d’origine française ou édités par des firmes établies à Paris.
« Mais je ne voudrais pas que mes paroles fussent déformées au point de devenir une violente diatribe et un argument dans la polémique menée contre une maison d’édition allemande, polémique dans laquelle je n’ai pas à intervenir.
« Je ne veux pas non plus que les idées générales exprimées par moi sur les films de guerre et que je maintiens, soient transformées en une attaque contre une production spécialement désignée.
« Il me serait très désagréable vis-à-vis de mes confrères de toutes nationalités de passer pour un détracteur, alors que, précisément, je considère la courtoisie comme une des bases de l’entente cinégraphique internationale nécessaire.
« Au nom de cette même courtoisie, je vous demande donc de bien vouloir insérer la présente mise au point dans votre prochain numéro et, en vous remerciant, vous prie de croire, Monsieur le Directeur, à mes sentiments bien distingués. »
Léon POIRIER
Nous n’allons pas retranscrire l’échange paru dans Comoedia les jour suivants, mais vous pouvez cliquer sur les liens suivants pour lire le courrier qu’adresse Jacques Haïk à Comoedia le 6 janvier. Polémique qui s’arrêtera le 9 janvier avec le démenti formel de Léon Poirier paru dans Comoedia.
Après plusieurs mois d’exclusivité, Verdun, Visions d’Histoire quitte le Marivaux le 9 février et poursuivra sa carrière le 15 mars au Gaumont-Palace.
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Ainsi, le 29 mai 1929, Comoedia annonce que Verdun, Visions d’ Histoire est passé en vingt semaines dans 992 cinémas qui ont réalisé un total de quinze millions de recettes.
Ce qui, pour l’époque, est impressionnant.
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Finalement, Léon Poirier sortira en novembre 1931 une nouvelle version, parlante cette fois-ci, de son film sous le titre Verdun, souvenir d’histoire.
Ainsi, le 10 octobre 1931, Comoedia publie cet encart :
Verdun, souvenir d’histoire, le nouveau film entièrement sonore et parlé que Léon Poirier vient d’achever sur la bataille de Verdun qui lui avait déjà inspiré son mémorable film muet, Verdun, visions d’histoire, sera projeté pour la première fois en public au début de novembre.
La présence, rendue réelle par la magie de l’image parlante, des grandes figures historiques, qui dirigèrent les événements, comme celle des héros authentiques qui y participèrent et, enfin, la réalisation de la bataille, tant au point de vue visuel que sonore sur les Hauts-de-Meuse mêmes, font de cette rouvre le premier document véridique sur la guerre, dû au film parlé.
La présentation à la presse aura lieu le 12 octobre au cinéma l’Artistic, 59 rue de Douai, 75009 Paris.
LES PRÉSENTATIONS – « VERDUN, SOUVENIRS D’HISTOIRE »
paru dans Comoedia du 14 octobre 1931
La synthèse d’une grande bataille – « Verdun Souvenirs d’Histoire »
Léon Poirier a raison lorsqu’il tient à ce que Verdun, visions d’histoire, ne soit pas confondu avec son nouveau film, Verdun, souvenirs d’histoire. Les deux œuvres n’ont en effet rien de commun dans leur facture et seul le sujet traité peut les rapprocher.
Verdun, souvenirs d’Histoire, très habilement conçu et, disons-le à la louange de Léon Poirier, non moins habilement réalisé, nous fait revivre la tragédie de 1916. Les films de guerre, et particulièrement celui-là, sont de l’histoire à la manière dont l’écrivaient les Romains. Ils nous donnaient le fait brutal et l’enjolivaient ensuite de discours et de commentaires. En l’occurrence, Léon Poirier nous fait dire par son commentateur ce qui s’est passé, puis il nous donne le commentaire des images.
C est à mon avis, le meilleur moyen de faire de l’histoire avec de la pellicule.
J’entends bien également que cette histoire, comme celle des Romains d’ailleurs, peut devenir tendancieuse pour des raisons faciles à comprendre, et qu’il me semble inutile d’exposer. Mais puisque la guerre n’a pas été filmée, ou d’une manière si irrégulière qu’elle ne peut être montrée aux foules, il fallait faire des reconstitutions. Nous avons eu dans ce genre de nombreux films que tout le monde connaît et qui ont pour base des romans.
Ici rien de semblable. L’oeuvre de Léon Poirier a pour base les faits et il en dégage, avec l’élément discours et l’élément image, une synthèse.
Je ne pense pas qu’il soit besoin de s’appesantir sur la nouveauté du procédé, non en soi-même, mais en ce qui est de la guerre. Le nouveau film de Léon Poirier restera, je pense, comme un document impartial et indiscutable d’un des plus grands bouleversements qu’ait eu à subir l’Europe.
J-P Coutisson
Quelques jours plus tard, Comoedia publiera un courrier reçu par Léon Poirier du Président de l’Association des Anciens Chasseurs de Driant :
paru dans Comoedia du 28 octobre 1931
A l’issue de la présentation privée de Verdun, Souvenirs d’Histoire, son nouveau film entièrement sonore et parlé. M. Léon Poirier a reçu, la lettre suivante :
« Il semblait impossible de faire un film plus parfait que Verdun, Visions d’Histoire et c’est une véritable gageure que vous avez réussie, car, sans héros principal qui concentre l’attention, sans aucune part de roman, avec le simple exposé des faits, vous avez réussi à faire une œuvre plus vivante, plus poignante et plus saisissante que la première fois.
De plus, votre film constitue pour les générations futures un document historique d’une valeur unique, par l’exactitude des faits, rappelés sur place et par les personnages qui y ont eu un rôle important à jouer. A mon avis, qui sûrement sera celui des véritables anciens combattants, votre film est à cent coudées au-dessus de ces soi-disant films de guerre, à tendances plus du moins humanitaires donnés à l’étranger, et dont le public s’est tellement engoué ces temps derniers.
Signé: P. Simon, Président de l’Association des Anciens Chasseurs de Driant. »
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En marge de « Verdun, souvenirs d’histoire »
Léon Poirier nous dit pourquoi il a voulu une minute de silence
paru dans Comoedia du 6 novembre 1931
Une personnalité bien intentionnée m’a dit « Dans Verdun, souvenirs d’histoire, il n’y a pas de musique pendant la projection sur l’écran du titre et des indications liminaires. Votre film débute dans le silence et c’est fâcheux, car le public n’aime pas le silence. »
Logique aboutissement de l’esprit de négoce. Observer ce qui semble avoir plu à la clientèle et en faire aveuglément sa loi, semble être la formule infaillible du succès. Mais pourquoi cette formule est-elle presque toujours en défaut. Pourquoi les pièces ou films « selon la formule », « à l’instar », « dans le goût du jour », n’atteignent-ils jamais au succès des œuvres originales dont ils sont l’imitation camouflée ?
Parce que le raisonnement des commerçants avisés qui « connaissent le goût du public » est faux à la base.
Ils oublient que l’état d’âme du public est une condition essentiellement instable. Souvent foule varie. Dès lors, comment décréter que ce qui a plu plaira, comment enfermer le succès dans une formule.
En réalité, le succès ne se définit pas. C’est une étincelle qui jaillit entre deux pôles, chargée d’un fluide que nous ignorons. Seule, une catégorie d’êtres bizarres dénommés artistes, sont doués d’un pouvoir analogue à celui des sourciers et parviennent quelquefois — mais pas toujours — à pressentir les pôles richement chargés d’effluves qui donneront la plus brillante étincelle.
Malheureusement, les artistes, on le sait, sont des individus impossibles, indomptables, dangereux, qui refusent obstinément de mettre le secret dans le commerce.
Hélas ! les malheureux ne le connaissent pas, ce fameux secret. Il se manifeste simplement par, une faculté inséparable d’eux-mêmes: la sensibilité.
Sentir le moment où, dans le bruit banal de la vie quotidienne, il convient de se taire quelques instants ; cela ne s’explique pas plus que l’effet d’un accord ou celui d’une dissonance, et pourtant l’homme de rue se tait devant une tombe.
Il m’a semblé qu’on devait observer une minute de silence devant le mot « Verdun ».
Léon Poirier
Ainsi, Verdun, souvenirs d’histoire sort à l’Olympia le 6 novembre 1931. Signalons que l’Olympia était, à l’époque, la propriété du producteur Jacques Haïk…
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
L’Analyse du film sur le site DVDClassik.
Une page biographique sur Léon Poirier sur le site de l’Encinémathèque.
“Verdun, entre fiction et réalité” ou l’histoire d’un photogramme de Verdun, Visions d’histoire, pris par erreur comme une vrai photo de la bataille de Verdun (sur le site du Monde).
Cliquez ici pour regarder la bande annonce exceptionnelle de Verdun, souvenirs d’histoire, version sonore de 1931 (dans lequel nous retrouvons Leon Poirier en studio qui revient sur les différences entre les deux films) sur le site des Documents Cinematographiques.
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La version intégrale de Verdun, souvenirs d’histoire est à regarder sur le site des collections des Archives françaises du film du CNC via European Film Gateway à l’adresse suivante : http://www.cnc-aff.fr/internet_cnc/internet/aremplir/parcours/efg1914/pages_fr/101623.html.
Le générique de Verdun, visions d’histoire.
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La version intégrale de 1928 de Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier.
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Le reportage de France 2 de février 2016, Que reste t-il de la bataille de Verdun ? pour mieux comprendre ce qu’était cette bataille.