Avant Les Crois de Bois de Raymond Bernard (1932), l’autre grand film français évoquant la Première Guerre Mondiale est celui de Léon Poirier, tourné sur les lieux mêmes de la plus emblématique bataille de 1914-1918 : Verdun, Visions d’histoire.
Pour célébrer le centième anniversaire de l’armistice, le 11 novembre 1918, nous avons voulu consacrer une plus large part à ce film muet dont nous avons déjà parlé en février 2016 avec ces articles parus dans Cinémagazine :
Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier (Cinémagazine 1928)
*
C’est que Léon Poirier a réalisé un film remarquable qui sorti dix ans pile après l’armistice du 11 novembre 1918.
Remarquable car il souhaitait rendre hommage aux combattants français et allemands, loin de tout esprit revanchard, en tournant sur les lieux mêmes de la bataille avec des anciens combattants et le concours de quelques comédiens et comédiennes dont Albert Préjean qui fera la longue carrière que l’on connaît, mais aussi le poète Antonin Artaud pour ne citer qu’eux.
Remarquable également car le film ressemble plus à un film documentaire qu’à une fiction comme Les Croix de bois, au point que souvent des images du film ont servi à illustrer certains documentaires sur la Première Guerre Mondiale.
*
Voici les articles publiés dans Cinémonde et Pour Vous lors de la sortie du film en novembre 1928, ainsi que sa ressortie en 1931 dans sa version parlante sous le titre Verdun, souvenirs d’histoire.
*
La semaine prochaine, nous reviendrons sur Verdun, Visions d’histoire avec une série d’articles publiés par le journal Comoedia tout au long du tournage du film puis à sa sortie.
*
D’ici là bonne lecture et… à suivre.
*
LE CINEMA A L’OPERA
Les représentations de gala de Verdun, Visions d’Histoire
paru dans Cinémonde du 16 Novembre 1928
Les présentations à l’Opéra du grand film de M. Léon Poirier ont eu lieu avec un vif succès : le public a admiré la réalisation technique du film, l’élévation de la pensée de l’auteur. Avec Verdun, Visions d’Histoire, le cinéma vient, à son tour d’élever un monument aux victimes de la plus terrible des guerres.
Le film, bien entendu, est entièrement dominé par la guerre, par les combats héroïques qui se sont déroulés autour de la citadelle, clef de la résistance française. Le bois des Caures, Douaumont, Vaux, l’admirable conduite du Cdt Raynal, à qui l’ennemi rend les honneurs de la guerre, l’héroïsme des chasseurs de Driant, tous ces tableaux horribles et magnifiques sont évoqués devant nos yeux avec une vérité, un souci du détail qui les rendent profondément émouvants. Nous assistons à la bataille qui fait rage, nous voyons les éclatements d’obus, les abris qui s’écroulent, la terre qui tremble, les hommes qui s’élancent, vacillent et tombent fauchés par l’ouragan de mitraille… L’Enfer de Verdun est reconstitué avec une puissance, une vérité qui suscitent l’admiration.
Dans les trois époques de son film : La Force, l’Enfer, le Destin, M. Léon Poirier s’est abstenu de nouer une intrigue comme dans les films de guerre déjà présentés : il se contente d’évoquer quelques figures : Le Soldat français, le Soldat allemand, les Officiers, le Vieux Maréchal d’Empire, la Femme, la Mère, le Fils, le Mari, le Paysan. Ces personnages symboliques ont été animés par quelques-uns des meilleurs artistes de l’écran français : Antonin Artaud, Tommy Bourdelle, Jean Dehelly, José Davert, Daniel Mendaille, André Nox, Pierre Nay, Albert Préjean, Schutz, Mmes Suzanne Bianchetti, Jeanne-Marie Laurent.
Nous avons dit que la réalisation atteint une grande intensité dramatique, grâce au réalisme des reconstitutions : M. Léon Poirier, grâce au concours que lui ont apporté les plus hautes autorités militaires du pays, a pu, en effet, disposer non seulement de documents, mais encore de personnel et de matériel. Ce n’était que justice de donner un appui illimité pour la réalisation d’un film qui est d’un incontestable intérêt historique et constituera pour l’avenir une précieuse documentation. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que les frais seuls de pyrotechnie se soient élevés à douze millions de francs ! Ce chiffre n’étonne plus quand on a vu le film où les éclatements d’obus soulèvent des montagnes de terre, où les geysers de flamme et de fumée se multiplient sans relâche…
Dans le cadre de l’Opéra, avec une adaptation musicale et sonore admirablement composée et réglée, Verdun, Visions d’Histoire a pris toute sa valeur et le public d’élite, qui se pressait à ces représentations de gala, a chaleureusement manifesté son enthousiasme. Le film de M. Léon Poirier, d’ailleurs, ne convient pas seulement à tous les publics mais encore à tous les pays. Il a été traité avec tant de tact qu’il ne saurait éveiller nulle susceptibilité.C’est une œuvre grande, forte, complète.
Gaston Thierry
“Verdun, visions d’histoire”, film français jugé par les allemands
paru dans Pour Vous du 27 Décembre 1928
Friedrich Sieburg, correspondant à Paris de la Gazette de Francfort, a publié, il y a quelques jours, dans ce journal, une étude fort copieuse et fort impartiale sur le beau film de guerre de Léon Poirier, Verdun, visions d’histoire. Nous reproduisons, dans cette page même de Pour Vous, des extraits de l’article de M. Sieburg, qui ne manqueront pas, je pense, d’intéresser le lecteur français.
L’écran, à l’heure actuelle, mesure, par les réactions qu’il provoque, la sensibilité politique et sociale, indique, d’une manière aiguë, les fluctuations de l’opinion, les voies où elle s’engage, celles dont elle se détache, écrit, en quelque sorte, sur sa surface blanche, pour le spectateur qui sait lire, l’accomplissement des évolutions de l’esprit public et l’amorce des destinées des groupements humains.
A ce titre, il est passionnant pour nous, ses ennemis d’hier, de connaître les sentiments que peut éprouver, devant une bande française de guerre, un Allemand tel que M. Sieburg, de haute culture certes, mais qui ne constitue pas un fait individuel, un cas isolé, puisque, collaborateur d’un journal à grand tirage, il ne peut exprimer, par sa profession même, que des idées capables de susciter un écho. S’il a jugé Verdun, visions d’histoire comme on le verra plus loin, c’est qu’il sentait, derrière lui, une masse capable de comprendre son jugement et de le suivre. Sinon, il serait poète ou philosophe, mais pas journaliste.
Je ne veux pas analyser en détail l’article, à la fois perspicace et courtois, du quotidien de Francfort, mais on pourrait y relever bien des observations précieuses pour la psychologie des peuples. C’est ainsi que nous avons une tendance, qui parait un peu comique outre-Rhin, d’attribuer à tous les Allemands un système et une puissance philosophiques, et que nous supposions, assez gratuitement, que le moindre Gefreiter emportait Kant et Nietzsche dans son havre-sac. Les généralisations faciles dupent aisément.
Nous apprenons aussi que nous avons tendance à estimer avec trop d’optimisme et de logique la révolution qui a chassé le Kaiser, à accorder une grandeur un peu factice aux généraux de l’Empire, à pécher, si l’on peut dire, par excès de sportivité en refusant d’humilier le vaincu, en transformant sa défaite en libération révolutionnaire. Ces mises au point, par un ancien adversaire, nous fournissent des indications fort utiles et redressent quelques-unes de ces idées courantes sur lesquelles se fondent les malentendus et les aveuglements.
Mais je n’ai pas l’intention de m’étendre sur des remarques que le lecteur pourra faire aussi bien que moi-même. L’article de M. Sieburg peut, il me semble, inspirer des pensées d’ordre plus universel, nous aider à découvrir les caractères spécifiques de notre époque.
Il est assez extraordinaire d’abord que, dix ans à peine après l’armistice, un Français et un Allemand puissent se rencontrer devant l’écran où l’on projette Verdun et discuter avec sang-froid, loyauté et courtoisie. Les escarmouches de 1870 avaient laissé, dans les âmes, de plus corrosifs ferments que l’ample tuerie de 1914-1918. Nous tous, combattants de la dernière guerre, étions, au fond, au bout de quatre années, par la force des choses, des soldats de métier, et il s’est établi, entre les armées, même ennemies, des rapports de compagnonnage professionnel. Le jour de la présentation de Verdun, à l’Opéra, je me trouvais près de Dorgelès. Nous avons observé, à un moment, qu’un soldat du Kaiser lançait assez incorrectement sa grenade. Et Dorgelès a ajouté : « Dans mon escouade aussi il y avait pas mal de maladroits ». Réflexion d’homme de la partie.
Cela, malgré tout, rapproche. Nous nous sommes trop longtemps entretués et avec des procédés trop semblablement perfectionnés pour qu’un étrange lien d’inimitié ne se soit pas, à la fin, créé entre nous, et que l’invective et l’injure ne nous paraissent pas des armes peu efficaces.
En second lieu, l’article de M. F. Sieburg et les réflexions qu’il inspire ne laissent plus de doute sur la puissance du cinéma. Autrefois, c’est dans un livre, un poème, une pièce de théâtre, leur succès ou leur échec, que nous aurions cherché une base de nos investigations sur l’état d’esprit d’un peuple. Aujourd’hui, l’écran les a remplacés. Il nous offre, si nous savons à la fois le consulter et écouter les paroles qu’il provoque, le rire où les larmes qu’il fait naître, il nous offre, dis-je, le tableau le plus sensible de notre époque, le graphique des mouvements d’idées, la courbe des sentiments. Sur son rectangle blanc passent, comme des fantômes rapides et ramassés, toutes les fermentations d’un temps chargé d’histoire, de fièvres et de grands espoirs.
Alexandre Arnoux
“La Gazette de Francfort” juge le film de Léon Poirier
Le compositeur Poirier a voulu réaliser un film historique ; il n’a pas voulu seulement évoquer des souvenirs, mais représenter et commenter les événements tels qu’ils se sont passés.
Dans les films de guerre, on tire. Les explosions prennent la plus grande place des scènes. Et les éclatements allemands ressemblent à s’y méprendre aux éclatements français. Il est impossible d’obtenir un effet de contraste dramatique entre les obus, mais bien entre les hommes qui doivent être atteints par eux. Le compositeur Poirier met donc en relief quelques destins particuliers.
Ce sont les sujets sur lesquels se mesure la fièvre de la bataille. Certains sont représentés par des acteurs, d’autres ont figuré pour la première et dernière fois devant l’objectif. Parmi eux, il en est à peine de qui l’on peut dire qu’ils jouent. L’interprétation cinématographique française a atteint là un sommet qui n’avait encore jamais été atteint.
On ne saurait accorder un grand éloge à l’acteur allemand Hans Brausewetter. Il a à représenter le jeune Allemand qui découvre la liberté dans la douleur et qui va créer la nouvelle Allemagne. Mais son visage n’est pas assombri, comme celui des autres acteurs, par une ombre silencieuse et tragique. Ses yeux n’ont pas cette profondeur énigmatique, ils ne plongent pas dans cet avenir, que seul peut-être, peut contempler véritablement celui qui a connu et vécu le passé. Les autres rôles allemands sont joués par des Français. Leurs scènes ne laissent pas que d’être imprégnées de ces malentendus, auxquels les Français, même de bonne foi, se prêtent volontiers. Une des convictions françaises les plus fortement ancrées, c’est que l’exploitation frontière de la guerre avait été préparée dans la vieille armée allemande par une lecture abondante des œuvres philosophiques de Nietzsche.
Parlant de l’idée, juste en soi, que l’Allemand tient toujours un système tout prêt, pour motiver chacune de ses actions, système dans lequel celles-ci ont à se classer, le Français admet volontiers que l’armée du kaiser n’a pu entrer dans cette guerre souhaitée par elle, sans avoir construit au préalable une philosophie utilisable pour la justifier. Sans doute, faut-il faire remonter la responsabilité de ce malentendu au livre que le général de Bernhardi édita en personne durant la guerre mondiale, sans d’ailleurs réussir le moins du monde à se mettre en vedette, à côté de la splendeur flamboyante de Ludendorff.
Au fond, le malentendu français est plutôt flatteur pour nos généraux, « poignardés dans le dos », qui ne peuvent se plaindre du film de Verdun, que dans la mesure où ils sont, finalement jetés à la ferraille dans des conditions qui, hélas, ne répondent plus entièrement à la réalité.
En effet, dans leur effort pour faire preuve du maximum de loyauté à l’égard de l’Allemagne, les réalisateurs français ont chargé le Kaiser, le Kronprinz et un Maréchal fictif, qui évoque le vieil Haeseler, de la responsabilité pleine et entière et représentent l’aventure de Verdun comme un acte de folie dynastique. Dans leur désir de ne pas humilier le vaincu par le fait indiscutable de la défaite, ils transforment cette défaite en un acte de libération révolutionnaire du peuple allemand ; en d’autres termes, l’Allemagne donne quittance à ses chefs de leurs vaines offensives, en les envoyant au diable. L’ardent Brausewetter brise finalement ses chaînes, si bien que, vers la fin, un Allemand peut avoir pour un instant l’agréable illusion que la révolution se serait accomplie tout à fait selon ses voeux.
Il était réservé aux Français de dresser dans ce film un monument au soldat allemand inconnu. Les assauts furieux des régiments allemands, les souffrances de l’infanterie, son courage, son mépris de la mort et sa constance, tout cela prend dans le film une place plus grande qu’en Allemagne même. Encore et toujours se dresse la silhouette allemande, la bouche muette, serrée, sous le casque d’acier, devant les horizons en feu. Encore et toujours, la masse allemande anonyme monte, grave, à travers les tirs de barrage.
Oui ce film a le droit de se glorifier d’être sans haine.
(Ces lignes ont été extraites d’un numéro de La Gazette de Francfort, paru le 8 décembre.)
Dernière heure – Pour Vous à la présentation de “Verdun, visions d’histoire” à Berlin
Comment les Allemands ont accueilli le film de Léon Poirier
paru dans Pour Vous du 20 juin 1929
(de notre envoyé spécial)
De Paris à Berlin, le Nord-Express met tout juste quinze heures.
A la gare du Zoo, six caméras mitraillent pacifiquement Léon Poirier, tandis qu’une douzaine de photographes enregistrent sous des angles divers l’amicale réception qui lui est réservée. Des reporters le suivent à son hôtel et, de suite, il doit subir l’interview. On ne peut donc s’étonner de voir le Tempo publier, dès trois heures, son opinion sur le « Ton film » (film sonore), annoncer sa présence au gala de la Mozartsaal, donner des détails sur Caïn, sa prochaine production, et relater son départ imminent pour Madagascar.
L’heure du déjeuner existe à peine pour le Berlinois qui, suivant les méthodes chères aux Américains, n’interrompt son travail que le temps d’un sandwich. Nos hôtes tiennent toutefois à nous recevoir à la française, et nous font connaître la dernière nouveauté de leur capitale : le toit-terrasse du palace qui domine les merveilleux jardins du « Zoologique ».
La conversation roule sur mille sujets, tous plus ou moins corporatifs. M. Schlesinger nous annonce que le ministre de l’Instruction Publique vient de décréter « film de Kultur » Verdun, page d’héroïsme de deux peuples, et de recommander sa projection dans les écoles et patronages. Malgré l’assurance de ces grands directeurs, M. Poirier ne reste pas moins anxieux de connaître l’impression du public allemand, et je sens qu’il attend avec impatience les représentations du soir.
Devant la Mozartsaal, à 7 h., il y a foule. Un service d’ordre imposant maintient avec peine le flot grandissant de ceux qui sont attirés par le titre puissamment évocateur Verdun.
Le « Journal » nous montre le roi Fuad en promenade officielle dans la capitale allemande, puis l’arrivée de M. Poirier, prise le matin même. Sans entr’acte, Verdun, visions d’histoire, et, pleins d’une très compréhensible émotion, nous attendons les réflexes d’un public composé en majeure partie d’anciens combattants.
Les spectateurs sont recueillis, et l’apparition des grands chefs français ne les trouble pas davantage que celle du kaiser et kronprinz.
Ils comprennent cette évocation scrupuleuse de la vérité historique, et ils acceptent sans mot dire cette reprise de Douaumont et de tout le terrain perdu, qui est la fin réelle de cette terrible bataille, mais leur rappelle évidemment de très pénibles souvenirs.
La sortie nous montre des gens absolument bouleversés d’un tel spectacle, et nous pouvons entendre des réflexions étonnantes. Dans un coin, je retrouve M. Poirier. Ses yeux sont humides… la joie d’avoir été compris.
Le gala qui suit est présidé par l’ambassadeur de France, M. de Margerie, entouré du personnel de sa légation, par M. Severing. ministre du Reich, le Dr Abegg, secrétaire d’Etat, et le Dr Scholz, bourgmestre de Berlin.
Le même recueillement, la même atmosphère, la même émotion… et lorsque la salle est de nouveau éclairée, Léon Poirier qui, cette fois, est placé dans une loge en évidence et vient d’être reconnu, a l’immense satisfaction de s’entendre applaudir par ces officiels, par ces journalistes, par tous ces invités qui, jugeant le film en dernier ressort, reconnaissent la puissance de l’œuvre et témoignent leur admiration à celui qui la conçut et l’exécuta.
Dès le lendemain, la Presse, sans distraction de tendances politiques, ratifia l’impression que nous avaient si heureusement données ces deux assemblées si différentes.
En parcourant les différentes feuilles, nous eûmes la joie de relever les preuves très nettes de cette compréhension, et pour que le doute ne subsiste pas dans l’esprit du lecteur qui voudrait voir un trop bel enthousiasme personnel, je m’empresse de citer quelques phrases tout à fait caractéristiques :
Et… pourquoi !… et… jamais plus !… ce sont les cris de ce film français qui, dans un affreux réalisme, évoque les jours de Verdun. Il n’enjolive pas, ni ne déforme rien, il ne défend aucun, il n’attaque personne, il accuse, il parle clair, terrible, sans fard.
(Das 12 Uhr Blatt).
Autour de la bataille gigantesque et meurtrière de la guerre mondiale, les français ont tourné leur film « Verdun ». Au point de vue technique, il est impeccable. Au point de vue militaire, raisonnable. Il ne contient aucune inexactitude et il a été engendré sans aucune ombre de tendance.
(Nachtausgabe).
Si le film de guerre allemand est un document par trop positif, si le film de guerre américain, avec sa technique grandiose, montre une campagne fraîche et joyeuse, le film de Léon Poirier ne montre que la créature humaine dans la lutte contre la machine destructive « la guerre ». Y a-t-il une cause à la guerre la plus terrible ? Ce film prononce une sentence terrible, une image terrible de la fureur folle des hommes s’entre-déchirant tout à coup apparaît le kromprimz… souriant… préoccupé d’un nouveau quartier général…
Le travail de mise en scène de Poirier est un des plus remarquables qui ait été exécuté sur le terrain de la technique moderne.
(Lichbildbühne).
Plus fortement que les films de guerre édités par l’Etat-Major allemand, qui étaient faits avec beaucoup de statistiques, de schémas et de symboles, le film de Léon Poirier montre ce que fut la guerre de tranchées.
(Tempo).
C’est un film qui ne met en valeur aucune personnalité. Il interprète la masse. Il montre les abominations des champs de bataille et doit servir l’entente des peuple.
(B.Z. am Mittag).
Le film a un avantage, qui est en même temps un désavantage ; il est objectif. Il décrit la guerre d’une façon consciente, presque scientifique. Il montre d’une façon objective, pleine de tact et de retenue, les effets d’un événement de la nature contre lequel nous restons impuissants. Il ne prend aucun parti. Il est synthétique et analytique.
(8 Uhr Abendblatt),
…Et tous ceux qui, à cette époque, ont passé par cette fournaise, seront touchés par le souffle vivant de cette lutte héroïque, dans laquelle a fondu la jeunesse de deux armées.
(Lokal Anzeiger).
Contrairement aux films américains, qui mêlent à la guerre de banales histoires d’amour, et aux films tendancieux tournés en Europe, qui veulent assurer la « gloire » nationale, ce film montre la guerre telle qu’elle est. Certes, il ne peut en dévoiler toutes les horreurs. La réalité entière serait intolérable. Mais, cet enseignement immense : « Plus jamais de guerre » se gravera dans l’esprit de tout spectateur d’une façon ineffaçable.
(Vorwaerts).
Aucune propagande raisonnable et aucun sermon passionnant ne peut agir ainsi. Le film « Verdun, page d’héroïsme de deux peuples », de Léon Poirier, nous donne le maxima de réalisme sur la guerre de tout ce que nous avons pu, jusqu’à présent, voir et lire.
Il ne montre pas la guerre comme une chose vécue, mais il la montre comme un événement, une attente, une tension énervante et un orage foudroyant. Destruction et non-sens. C’est la guerre… offensive et défensive, avance et recul, les hommes se heurtent, les canons, plus grands, plus gigantesques que les hommes et aussi vivants, se dressent contre nous et ils disparaissent aussi vite qu’un gibier heureux et fuyant qui lutte pour son existence.
Il est merveilleux que le film de guerre le plus objectif soit un film de guerre français.
(Berliner Tageblatt).
L. Robier
Voici deux critiques publiées dans Pour Vous de la version sonorisée de “Verdun, Visions d’histoire” sous le titre de “Verdun, souvenirs d’histoire” que Léon Poirier proposa en 1931.
Critique de “Verdun souvenirs d’histoire”
paru dans Pour Vous du 22 octobre 1931
La série des films de guerre n’est pas close. En attendant Les Croix de bois, voici un film nouveau et non point une version nouvelle, Verdun, souvenirs d’histoire, de M. Léon Poirier. Les visions sont devenues des souvenirs. L’anecdote est réduite à la plus simple expression, elle illustre le commentaire de la formidable bataille de 1916 qui joue le rôle principal du film.
C’est, à mon avis, la plus saisissante évocation de la guerre telle qu’elle fut. La sonorisation est remarquable et fidèle. J’ai retrouvé, à certains sifflements de balles et au tac à tac de la mitrailleuse, de vieux frissons à hauteur des épaules que je croyais endormis à jamais.
On voit et on entend brièvement quelques grands chefs de la guerre : Pétain, Castelnau. Les acteurs : Mendaille, Nox, Dehelly, Annot, Suzanne Bianchetti, etc., n’ont qu’un rôle de stricte, mais admirable figuration.
Voilà un « documentaire » rehaussé d’une peinture synthétique des grandes et douloureuses silhouettes de la guerre : le soldat, le réserviste, l’aumônier, les vieillards et la femme des régions envahies, un « documentaire » qui mérite l’épithète de classique et qui n’est qu’une pieuse, habile et poignante reconstitution, supérieure, d’ailleurs, à ce qu’aurait « donné » la réalité, impossible à filmer.
L
Critique de “Verdun souvenirs d’histoire” par Nino Frank
paru dans Pour Vous du 12 novembre 1931
Il est tout à fait naturel que nous ne puissions plus concevoir, aujourd’hui, un film de guerre muet. Dans notre souvenir, Verdun, visions d’histoire, le film muet de Léon Poirier, a bien pâli.
Courageusement, Léon Poirier s’est remis à l’œuvre ; il n’a pas hésité à se servir de son film muet comme d’une matière brute, qu’il fallait retravailler, enrichir, rendre de plus objective. Le résultat, c’est que nous avons avec Verdun, souvenirs d’histoire, sonore et parlant (et en attendant Les Croix de bois), un très beau film de guerre, le meilleur qu’on ait réalisé en France, qui vaut par un équilibre parfait de tous ses éléments, par une objectivité profonde, par un montage habile, et qui n’est plus qu’un grand documentaire épique, où l’idéologie est sacrifiée, et avec raison, à l’impartialité des faits.
Pour préciser, soulignons d’abord le véritable enrichissement que représente, pour Verdun, l’introduction des éléments sonores : ce que les images avaient d’impressionnant, nous le ressentons davantage en les entendant aussi. D’autre part, si M. Poirier a supprimé la plupart des images symboliques, il n’en a laissé que les éléments d’un épisode d’une humanité simple et profonde, qui ne font pas tache dans l’ensemble. Enfin, les graphiques extrêmement clairs, les bouts d’actualités françaises ou allemandes d’il y a quinze ans, les images qui nous montrent les grands chefs français et le colonel Raynal, images pour lesquelles ceux-ci ont bien voulu poser, donnent à Verdun, souvenirs d’histoire une valeur historique.
Nino Frank
*
Source :
Pour Vous Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Cinémonde Ciné-Ressources / La Cinémathèque française
Pour en savoir plus :
L’Analyse du film sur le site DVDClassik.
Une page biographique sur Léon Poirier sur le site de l’Encinémathèque.
Cliquez ici pour regarder la bande annonce exceptionnelle de Verdun, souvenirs d’histoire, version sonore de 1931 (dans lequel nous retrouvons Leon Poirier en studio qui revient sur les différences entre les deux films) sur le site des Documents Cinematographiques.
Le générique de Verdun, visions d’histoire.
*
La version intégrale de 1928 de Verdun, visions d’histoire de Léon Poirier.
*
Le reportage de France 2 de février 2016, Que reste t-il de la bataille de Verdun ? pour mieux comprendre ce qu’était cette bataille.