Nous avons fêté jeudi dernier le 110°anniversaire de la naissance de Pierre Prévert avec des articles sur son premier film sorti en 1932 : L’Affaire est dans le sac.
Nous poursuivons notre hommage avec son deuxième film, Adieu Léonard sorti en pleine guerre le 1 septembre 1943 à l’Impérial, 29 boulevard des italiens (75002 Paris).
Les frères Prévert, Pierre et jacques, ont porté ce projet pendant dix ans avant de pouvoir le réaliser, il s’appelait alors L’Honorable Léonard. On y retrouve outre Charles Trenet dans le rôle principal, toute la bande qui tourne autour des Prévert depuis plusieurs années dont Julien Carette. Signalons Simone Signoret dans les figurants.
Mais le film comme le précédent sera un échec malgré la présence de Trenet.
Un autre film maudit de Pierre Prévert et un autre film invisible…
Bonne lecture.
PIERRE PREVERT veut tourner un film sans vedettes
paru dans Ciné-Mondial du 15 Janvier 1943
Pierre Prévert tourne actuellement un film dont le scénario et les dialogues sont signés Jacques Prévert : L’honorable Léonard.
Jusqu’ici, il avait été assistant de Renoir, de Carné, de Richard Pottier, et, tout dernièrement, de Marc Allégret avec qui il vient de terminer Histoire comique, avec Micheline Presle et Claude Dauphin.
Depuis longtemps il voulait travailler en collaboration avec son frère. L’esprit de famille l’a emporté, L’esprit d’équipe est né. Secondé par son assistant Louis Bonin, dit Tchimoukow, garçon doux et modeste, auteur des ravissants costumes de Drôle de drame, Pierre Prévert prépare avec foi et confiance la réalisation de L’honorable Léonard, film comique et poétique à la fois, résultat d’une fraternelle entente.
Il trouve son métier passionnant. Cependant, une chose le tourmente : son grand désir serait de tourner un film sans vedettes. L’expérience est tentante. Qu’en pensent MM. les producteurs ?
Andrée NICOLAS
A Joinville, l’honorable Léonard dort dans la journée
paru dans Ciné-Mondial du 12 février 1943
Carette, cet homme insaisissable et toujours sous pression, jouerait-il les rois fainéants ?
Tandis qu’autour de lui chacun s’empresse, animé de la sainte ardeur du travail, Carette, devenu Léonard, repose douillettement dans un grand lit… Malgré la chaleur que dégagent les « spots », un édredon à fleurs d’un charme tout bourgeois assure le bien-être de l’occupant et devant lui des mains attentionnées ont posé un plateau garni de tranches de pain d’épice, de confiture, d’une tasse de café et d’un oeuf sur le plat… Bientôt, un marchand d’oiseaux viendra, avec d’aimables paroles, déposer, aux côtés de l’artiste, des cages où de gracieux volatiles s’ébattent joyeusement ; une marchande de fleurs offrira ses bouquets et son sourire …
En attendant, on prépare la scène avec une patiente minutie. Le metteur en scène est Pierre Prévert, qui fait ainsi ses premières armes dans la carrière. Il est toujours intéressant de voir travailler un nouveau réalisateur. Celui-ci semble avoir déjà sa manière. Il dispose son plan, prépare ses interprètes et modifie, dans le même temps, la position d’un chapeau qui doit correspondre aux mouvements de son inspiration. Puis la scène mise au point, sa tâche faite, il ne s’attarde pas derrière sa caméra. Il va et vient, furette de droite et de gauche, l’œil attentif, l’esprit rêveur, s’assoit un instant sur les rails du travelling, fait le tour du décor. On a l’impression qu’il fait le tour de son film, le juge avec un peu de recul comme le peintre son tableau, puis y revient et se met à l’ouvrage…
Pendant ce temps, Carette s’est endormi. On tourne dans le calme, mais un ordre jeté aux électriciens réveille Léonard qui « enchaîne » avec entrain et commence son petit déjeuner… Ce qui n’est pas dans le scénario. Il faut interrompre cette activité, pour répéter avec Rémy, le marchand d’oiseaux, et la marchande de fleurs au délicieux sourire…
Ainsi naît, doucement, un nouveau film qui s’appellera L’honorable Léonard ou La bourse ou la vie, ou autre chose, on ne sait pas encore, mais qui s’inscrit dès à présent sous le signe de la fantaisie la plus charmante…
Pierre Leprohon
20 petits métiers pour un grand film
paru dans Ciné-Mondial du 12 mars 1943
« MOURON pour les p’tits oiseaux ! »
« Chiffons, ferraille à vendre ! »
« Chand d’habits ! »
« Ciseaux ! Couteaux ! »
Tous ces cris tintent encore à nos oreilles parce que tous nous les avons entendus dominer, dans les matins clairs, le tintamarre de la rue qui s’éveille. C’était à l’heure où le soleil glisse et s’étale sur le pavé de tout son long ; à l’heure où les boutiques soulèvent bruyamment leurs lourdes paupières ondulées ; à l’heure où les fenêtres tirent leurs langues chargées d’oreillers et d’édredons blancs ; à l’heure où, sur les trottoirs bleus, les talons des dactylos tapent précipitamment leur retard.
C’était hier…
Jeannette Chauffour (La marchande de quatre saisons)
Aujourd’hui, bien sûr, ces cris se font de plus en plus rares et si vous allez les entendre tous à nouveau, ce sera dans le prochain film des deux Prévert (Jacques scripsit et Pierre animavit), « L’honorable Léonard ».
En effet, sur les plateaux de Joinville ou de Francoeur entre lesquels « L’honorable Léonard » oscille, il y a non seulement l’ineffable Carette que l’action du film condamne à être cambrioleur par nécessité et criminel en impuissance, mais Pierre Brasseur dit Bonenfant, le perfide Jean Meyer dit Tancrède, l’éthéré, Denise Grey, bas bleu et panier percé, la petite Jacqueline Bouvier, Gaby Wagner, etc., et toute une flottille de petits métiers que Pierre Prévert pilote au gré de l’action, dans de ravissants et minutieux décors de Max Douy.
Jacques Dufilho
Jeanne Dussol
Paul Frankeur
Il y a là le vagabond Delmont, le patron de bistrot Pérès, sa femme Jane Morlet, le chef bohémien Roger Blin, le petit ramoneur Mouloudji, le garçon de café Deniaud, le tondeur de chiens Le Duc ; le vitrier Négery, le rémouleur Decomble, le marchand d’habits Pierre Collet, le cireur de bottes Véron, le cordonnier Frankeur, le marchand de glaces Sassia, la marchande de mouron Cécyl Marcyl, le facteur Lavialle, le photographe Varillat, la marchande de quatre saisons Jeannette Chauffour, Van Daële le graveur, Jeanne Dussol la marchande de ballons, etc.
Guy Decomble
Car dans ce film il est un délicieux ingénu — Ludovic, c’est-à-dire Charles Trenet — qui collectionne les petits métiers pour son plaisir. Il les recrute par voie d’annonces et les rassemble dans sa gentilhommière campagnarde.
Chaque matin, au chant du coq se mêle la pittoresque clameur de tous ces artisans ambulants qui saluent leur bienfaiteur par un concert de trompettes, de cornes, de sifflets ou de cloches auquel s’harmonisent les hennissements des chevaux et les broiements des ânes des bohémiens qui campent dans un coin du parc.
Albert Rémy
Et le candide Ludovic est content parce qu’il aime les ballons rouges, les marrons chauds, la vaisselle bien raccommodée et les glaces à la vanille.
Et le candide Ludovic est ravi parce qu’il est sûr d’avoir des couteaux toujours bien aiguisés, des cheminées ramonées, des fleurs fraîches et des chiens bien tondus.
Et le candide Ludovic descend, tout heureux, dans son beau jardin en broussailles pour regarder son vitrier remplacer une vitre et s’étonner :
— Comme c’est beau, ce qu’on peut voir comme ça à travers le sable, à travers le verre, à travers les carreaux — pour que le cordonnier puisse voir clair en réparant les souliers du cireur qui brosse ceux du rémouleur qui affûte les ciseaux du coiffeur qui coupe les cheveux du marchand d’oiseaux qui donne des oiseaux à tout le monde pour que tout le monde soit de bonne humeur…
Yves Deniaud
En effet, dans ce paradis du petit artisanat, tout le monde est de bonne humeur, tout le monde chante et rit parce que Ludovic est gentil, parce que le soleil est chaud et la vie si légère que les jours s’éloignent sur la pointe des pieds pour ne déranger personne dans son travail.
Il n’est pas d’enfant qui n’ait désiré un jour d’être rempailleur de chaises, tondeur de chiens ou marchand de ballons rouges et nous sommes tous plus ou moins des raccommodeurs d’assiettes refoulés ou des vitriers qui nous ignorons…
Édouard Delmont
Quand nous disons « nous », il s’agit bien de « nous, Français », car nous ne connaissons pas de pays au monde où les petits métiers aient été plus fertiles et plus ingénieux. Connaissez-vous ailleurs qu’en France un pays où il y ait eu des fabricants d’asticots à dix sous le cent ? Des souffleurs d’yeux de bouillon gras ? Des gaveurs de pigeons ? Des peintres de pieds de dindon pour simuler la fraîcheur du volatile ? Des réveilleuses qui, bien avant que le réveille-matin ou le téléphone fussent inventés, prenaient dix centimes pour éveiller les dormeurs les plus récalcitrants ?Des fabricants de crêtes de coq et des marchands de braise ? Et dans quelle ville, s’il vous plaît,, y eut-il une manufacture de pipes culottées qui employait plus de trente ouvriers, si ce n’est à Paris ?
Et c’est pourquoi, lorsque vous visiterez, avec « l’honorable Léonard », la gentilhommière du charmant hurluberlu Ludovic et que vous entendrez chanter dans le matin tous ces petits métiers devant lesquels jadis ou hier encore vous restiez les yeux ronds et la bouche attentive, vous sourirez malgré vous de plaisir…
Après ses « Visiteurs du soir », Prévert est en train de faire avec son frère ceux du matin…
Jeander (Jean Derode. ndlr)
(Photos E. C. F.)
À Dax, avec l’honorable Léonard
paru dans Ciné-Mondial du 2 Avril 1943
Sur le pont de l’Adour, l’agent de la circulation laisse passer avec un geste bienveillant la voiture du « cinéma ». Depuis huit jours, Dax est envahi par une troupe hétéroclite de Parisiens ayant pris pour l’occasion des aspects de bohémiens. Ils ont même leur roulotte, leurs chevaux et leur âne gris, tout cela amené à grand’peine ou recruté sur place comme les figurants nécessaires. L’Adour franchi, on roule vers le studio à travers une campagne charmante, toute baignée de lumière. Mais le studio est en plein air et les sunlights semblent bien inutiles sous le soleil méridional !
On tourne dans une propriété située à douze kilomètres de Dax, au milieu des pins et des vignes. C’est là que nous retrouvons les acteurs de L’Honorable Léonard s’adonnant avec complaisance au repos que leur ménage la préparation d’une scène délicate. Charles Trenet chantonne à mi-voix accompagné par un guitariste tzigane, tandis qu’un cercle de jeunes Landaises l’écoute dévotement. Carette se promène, mélancolique, son parapluie sous le bras malgré la pureté du ciel. Simone Signoret, en bohémienne, semble rêver sur son destin, et la petite Jacqueline Bouvier court les taillis pour y découvrir, nous dira-t-elle plus tard, « une source adorable entre des rochers tapissés de mousse »…
A midi, on déjeune sur le pouce, et ce pique-nique champêtre semble convenir à tous ; Les techniciens font table à part avec le metteur en scène ; les assistants emportent leur assiette pour manger sur un vieux mur, comme au bar ; les vedettes essaiment discrètement dans les fermes d’alentour…
Le soir, tout ce monde-là se retrouve au bar basque devenu le quartier général de la troupe. On y commente les blagues du jour et le travail du lendemain. En attendant le dîner, Jacqueline Bouvier répète ses chansons et Carette raconte des histoires… On s’en retourne au clair de lune, vers son gîte respectif, car il fallut faire appel à tous les hôtels du pays pour caser les voyageurs. Mais cela même ne suffit pas et « les petits métiers » décidément voués au pittoresque logent dans un wagon-lit spécialement frété pour cela…
Les producteurs du film ont voulu essayer eux aussi ces figurants à quatre pattes…
Chaque matin, cependant, la troupe se reforme au complet, à Siest.
Est-ce l’influence du cadre ? Il semble qu’artistes et techniciens considèrent ces jours d’extérieurs, un peu comme des jours de vacances. On travaille sans hâte, dans le calme et la joie.
On est aux petits soins pour Pierre Prévert !
Seul, Pierre Prévert, le metteur en scène, le chapeau sur l’oreille et le regard soucieux, ne sourit pas. Il porte le poids du film et un nom qui a ses exigences. Double raison pour travailler avec minutie au scénario dont son frère Jacques Prévert a réglé les burlesques aventures…
Pierre Leprohon
(Photo, E.C.F.)
Adieu Léonard nous apportera-t-il la clé d’un domaine enchanté ?
paru dans Ciné-Mondial du 27 Août 1943
On parle toujours du studio, des vedettes. Pourtant quand le dernier tour de manivelle a été donné, quand le dernier décor attend le marteau des démolisseurs, l’aventure n’est pas finie pour le film. On pourrait presque dire qu’elle commence… Jusqu’alors, on a travaillé sur des certitudes, celles du scénario, du découpage patiemment mis au point. Il va falloir maintenant donner à ces bouts de scènes leur mouvement logique, en faire une histoire cohérente, l’envelopper de musique et lui trouver un rythme. Cela fait, on se lancera dans l’inconnu en affrontant le double jugement de la critique et du public…
A la veille d’une présentation, la maison de production ressemble à un quartier d’état-major. Tous ceux qui ont leur part de responsabilité dans l’affaire considèrent l’enfant mis au monde avec un mélange d’angoisse et de fierté. Et c’est alors, peut-être, qu’il est intéressant de confronter ce que furent les intentions avec l’aspect définitif du film. Nous l’avons voulu tenter sur un film dont nous avons déjà conté, ici même, quelques détails des prises de vues : Adieu Léonard ! primitivement dénommé L’Honorable Léonard. Il se prêtait assez bien à l’expérience, en ce sens que les prises de vues auxquelles il nous fut donné d’assister révélaient une originalité indiscutable.
— Il y a deux façons d’envisager la création d’un film, nous dit sans détour le producteur André des Fontaines : ou pour faire une chose qui plaît, ou pour gagner de l’argent. Si l’on se contente de la seconde, il y a des formules infaillibles. L’une et l’autre pourtant ne sont pas incompatibles et l’on peut aussi tenter de faire quelque chose de neuf pour satisfaire un public moins incompréhensif qu’on veut bien le laisser entendre.
Avec Adieu Léonard ! nous avons voulu réaliser une chose drôle, un film amusant qui ne doive rien aux traditions théâtrales, ni aux situations de la comédie de boulevard. Nous avons donc été amenés à choisir un sujet d’abord. Au cinéma, il faut bien dire qu’on fait souvent l’inverse : on choisit des vedettes pour bâtir ensuite, une histoire selon leurs moyens. Le scénario que nous proposaient Jacques et Pierre Prevert avait ses types, ses héros. C’est d’après eux que nous cherchâmes ensuite des interprètes à leur taille.
Ainsi Charles Trenet est-il le personnage de Ludovic, mais le film n’est pas nécessairement un film « Charles Trenet »…
— Avec notre première production, Dernier Atout, enchaîne le jeune et toujours actif Paul Pavaux, nous avons révélé le sûr métier de Jacques Becker, qui est déjà l’un des grands metteurs en scène du cinéma français. Avec Adieu… Léonard ! nous révélons Pierre Prévert qui, lui aussi, signe son premier film.
Dans le premier cas, nous avions un renouvellement de la technique. Il s’agit, cette fois, non seulement de technique, mais d’un esprit nouveau. C’est surtout, je crois, ce que Pierre Prévert apportera demain au cinéma français. Et n’est-ce pas l’une des choses dont il a le plus besoin ?
Dans le petit bureau où l’on discute ainsi des destinées du film français, les efforts d’aujourd’hui, les exemples d’hier sont évoqués. Il existe sans aucun doute, en ce moment, une tendance intéressante à souligner, et méritoire même quand elle commet quelque erreur. On s’efforce, de plusieurs côtés, à sortir le film français de la routine. Adieu… Léonard ! constitue un témoignage de cet esprit nouveau…
— Il faut bien dire, poursuit a son tour, M. Gèhret, directeur de la Production, que le public d’aujourd’hui se bute plus facilement que celui d’hier quand un film s’écarte un peu de ce qu’il a coutume de voir et d’entendre. La parole a apporté un élément de réalisme trop étroit ; le film s’est matérialisé. Autrefois, toutes les recherches étaient admises, toutes les extravagances possibles. Depuis Méliès, en passant par tant d’autres films fantastiques ou féeriques, comme Caligari ou Feu Mathias Pascal, le cinéma offrait au spectateur une évasion hors du quotidien qu’il savait bien apprécier. La fantaisie, la poésie étaient du domaine courant. C’est vers cet esprit qu’il nous faudrait peu à peu revenir et c’est à quoi, Adieu… Léonard ! tend, dans la mesure de ses moyens…
— Maintenant à la critique et au public de juger, conclut des Fontaines, notre tâche est remplie… »
Or, ce film, il m’a été donné d’en voir quelques « bouts ». Je ne voudrais pourtant pas pousser l’indiscrétion jusqu’à dévoiler l’intrigue imaginée par les frères Prévert ou empiéter sur le domaine de la critique. Mais il y a, dans cette fantaisie un peu « loufoque » un charme, une fraîcheur qui plairont, un côté « petite fleur bleue » traité avec finesse et d’autant plus sensible qu’elle s’insinue délicatement entre des effets de charge qui vont parfois jusqu’au burlesque.
Charles Trenet y devient tout naturellement acteur, sans rien perdre, on le devine, de ses qualités de chanteur. L’interprétation de Carette et celle de Pierre Brasseur sont également remarquables. Quant à Jacqueline Bouvier, elle joue avec un charme spontané son personnage de petite amoureuse.
Adieu… Léonard ! va commencer sa carrière. Ce qu’il peut apporter de neuf s’inscrira à l’actif du cinéma français, car dans le septième art, comme dans ceux qui l’ont précédé, compte d’abord tout ce qui est fait pour aller de l’avant, vers une forme neuve.
Jean Dorvanne
Critique d’Adieu Léonard
paru dans Ciné-Mondial du 10 Septembre 1943
S’il fallait assigner au film de Pierre Prévert un genre défini, les amateurs de classification seraient bien ennuyés ! Fantaisie est bientôt dit…
Dans cette œuvre des frères Prévert — Jacques pour le scénario, Pierre pour la mise en scène — il y a de la bouffonnerie, du comique, de l’humour, de la poésie, du charme et parmi tout cela un certain esprit de charge satirique et de caricature qui ne saurait faire illusion quant au désir des auteurs de dépasser le cadre de la simple fantaisie.
Mais cette diversité rend la chose d’autant plus divertissante. Elle concrétise son expression en trois personnages. Les trois personnages sont les héros d’une aventure qui passe de l’un à l’autre avant de les réunir en un seul motif d’intérêt.
C’est tout d’abord le paisible Léonard, incarné par Julien Carette. On a souvent eu l’occasion de signaler les dons étonnants de ce comique-né. Personnage épisodique de quantité de films, il n’avait guère trouvé pourtant jusqu’à présent l’occasion de développer son expression, de donner toute sa mesure. Adieu… Léonard lui en offre le moyen. Cette fois il s’installe dans l’action, il en est le pivot, il la détermine en partie. Et en même temps qu’il se révèle, il se renouvelle… Son caractère de comique populaire — mimique de music-hall, accent du boulevard — est dépassé et tend à créer un « type » nouveau de timide un peu ahuri que les événements emportent au gré de leur fantaisie…
Avec Pierre Brasseur, l’humour ne perd pas ses droits. Mais c’est un humour à froid au travers duquel transparaissent un certain cynisme, une pointe de cruauté. Bonenfant malgré son patronyme débonnaire, est un personnage inquiétant, le mauvais génie de Léonard… Faut-il pourtant prendre au sérieux sa fureur homicide ? Ce serait mal connaître l’esprit des frères Prévert qui nous ont déjà prouvé avoir plus d’un tour dans leur sac.
Et voici enfin la fantaisie propre avec Charles Trenet, en Ludovic, charmant hurluberlu dont l’ingénuité n’enlève rien à la vraisemblance. On rencontre dans la vie courante un certain nombre de ces Jeans de la lune. Leur désinvolture et leur innocence font contrepoids aux bas calculs des autres. Ici, parmi le monde pittoresque des petits métiers — marchands d’habits, marchands d’oiseaux, rémouleurs et tondeurs de chiens — il passe, amoureux des fleurs, des sourires et des chansons, comme un bienfaisant messager.
Et avec lui, le film propose un voyage sur lequel ne pèse plus aucune contingence. N’est-ce pas assez pour céder à l’invitation ?
Michel Despré
Critique d’Adieu Léonard
paru dans Ciné-Mondial du 17 Septembre 1943
Décidément, non, Charles Trenet n’est pas un comédien. Pourtant, cette fois, Jacques et Pierre Prévert lui avaient donné un rôle qui devait lui aller, un rôle passif d’hurluberlu n’ayant rien à exprimer que l’ahurissement.
Le film est, parfois, bien séduisant. On y retrouve, au début, le vrai Jacques Prévert, celui de « Drôle de drame », son rire sarcastique, sa joie amère, son ironie burlesque.
Toute la première partie d’ « Adieu… Léonard » est un régal. Les aventures joyeusement rocambolesques du petit fabricant de farces et attrape, guirlandes et lampions, ruiné par la crise et les bouleversements mondiaux et qui tâte de la cambriole, sont contées avec un esprit, une cocasserie, une invention étonnants.
Hélas ! la chance tourne vite, le film s’étire, s’effiloche, les caractères se transforment pour les besoins des événements et il ne reste plus qu’une grosse farce villageoise pleine de trouvailles, sans doute, et habilement mise en scène, mais qui n’a plus le ton, la veine, la richesse du début.
Julien Carette est le grand triomphateur. De bout en bout, le film est animé par sa verve étonnante. Les responsabilités de Pierre Brasseur sont importantes. Son adresse est grande en dépit des faiblesses de son rôle.
Didier Daix
Adieu Léonard sort à Paris le 1 septembre 1943 au cinéma Impérial avant de poursuivre ses séances dans divers cinémas parisiens jusqu’au 14 décembre 1943.
Cinémondial du 3 septembre 1943
Cinémondial du 10 septembre 1943
Cinémondial du 17 septembre 1943
A partir du 6 octobre le film est retiré de l’affiche de l’Imperial mais revient la semaine suivante à partir du 13 octobre au… Gaumont-Palace.
Cinémondial du 8 octobre 1943
Mais il quittera l’affiche du Gaumont-Palace à partir du 20 octobre 1943.
Cinémondial du 15 octobre 1943
Avant de revenir au à La Royale à partir du 27 octobre 1943, un vrai jeu de piste !
Cinémondial du 22 octobre 1943
Nous retrouvons le film la semaine du 10 novembre 1943 au Cinéphone Montmartre.
Cinémondial du 12 novembre 1943
Le film continue sa sortie parisienne au Berthier la semaine du 17 novembre puis à l’Imperator la semaine du 24 novembre 1943.
Cinémondial du 19 novembre 1943
On le retrouve au Majestic la semaine du 8 au 14 décembre 1943 puis il disparaît des écrans parisiens.
Cinémondial du 3 décembre 1943
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
Une page sur les lieux du tournage à Siest.
Le site consacré au coffret DVD Mon Frère Jacques par Pierre Prévert avec de nombreux bonus.
Une page sur l’Impérial (Imperial-Pathé, Gaumont Opéra Impérial) sur le site sallesdecinema.blogspot.fr.
[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=3jBXkfJgS7A[/youtube]
Charles Trenet chante “Quand un facteur s’envole” dans Adieu Léonard.
[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=pxsSol9ORfk[/youtube]
Interview d’Anais Lancien qui interprète “La chanson du vitrier” de Jacques Prévert et Joseph Kosma, inédit composé pour Adieu Léonard.
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