Nous venons de commémorer il y a quelques jours, le 20 janvier, le 80° anniversaire de la mort de Emile Cohl, le pionnier en France du cinéma d’animation dès 1908 avec Fantasmagorie.
C’est donc avec une profonde ironie qu’Emile Cohl meurt dans la misère une journée avant Georges Méliès, un autre pionnier au destin tragique.
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16 ans après Emile Raynaud, à qui l’on doit les premiers dessins animés (Les Pantomimes Lumineuses, présentées au Musée Grévin en 1892), Emile Cohl réalisa l’un des tout premier dessins animés sur pellicule, tourné image par image, ce fameux Fantasmagorie (nécessitant plus de 700 dessins). Il fût influencé par l’américain James Stuart Blackton, qui en 1906 avait réalisé le tout premier dessin animé Humorous Phases of Funny Faces.
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Par la suite, Emile Cohl travaillera pour les plus grandes firmes françaises (Gaumont, Pathé) avant de partir aux USA travailler pour Eclair aux Studios de Fort-Lee où il fut le directeur de l’animation. Vous trouverez plus de renseignements sur la page Wikipédia en anglais (et non en français!!).
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De retour en France pendant la guerre, Emile Cohl travailla encore un peu pour Eclair puis, disparut, au fil des ans, de la mémoire collective et il mourut, miséreux, à l’âge de 80 ans à l’Hôpital de Villejuif le 20 janvier 1938.
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Vous trouverez sur cette page, un entretien avec Émile Cohl paru en 1933 dans la revue Pour Vous. Puis un article de Paul Gilson en 1937 qui revient sur “trois créateurs méconnus” : Reynaud, Méliès, Cohl, paru le 20 Mai 1937. Et la nécrologie par Roger Régent de GEORGES MÉLIÈS et ÉMILE COHL paru le 26 Janvier 1938.
Et finalement, nous vous proposons l’article de Comoedia en 1936 paru deux ans avant sa mort dans lequel le journaliste Jean-Pierre Liausu tente d’alerter (en vain) le milieu du cinéma sur la misère dans laquelle Emile Cohl finit sa vie : “A 80 ans, Emile Cohl qui inventa les dessins animés touche cent francs par mois et ne peut même pas se payer le cinéma!“.
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Nous avions déjà consacré un post à Emile Cohl en 2015.
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Bonne lecture !
En visite chez M. Émile Cohl qui inventa les dessins animés
paru dans Pour Vous du 24 Août 1933
Max Fleischer, Pat Sullivan, Walt Disney. Vous pouvez écrire ces noms sans hésitation dans un magazine français de cinéma. Inutile de préciser. La publicité des grandes firmes américaines est bien faite et il y a beau temps que les patronymes des « cartoonists » spécialisés dans le dessin animé ont franchi l’Atlantique. On sait chez nous que Max Fleischer imagina le clown Koko, que Pat Sullivan donna la vie à Félix-le-Chat et que c’est à Walt Disney et aux cinquante artistes qui travaillent sous ses ordres que nous devons le joyeux Mickey et ses turbulents partenaires.
Mais, si à ces noms célèbres vous ajoutez celui d’Emile Cohl, méfiez-vous : vous avez toutes chances de rester incompris, voire de passer pour un fantaisiste dangereux, si vous ne prenez soin de le faire suivre de la mention : « Inventeur du dessin animé ».
Encore n’est-il pas sûr qu’on vous croira sur parole…
Ceci, bien que les premiers « bonshommes » de M. Emile Cohl aient gesticulé sur l’écran en 1908.
M. Emile Cohl était depuis longtemps un caricaturiste connu quand, le hasard l’amena au cinéma.
Parisien de Paris, élève d’André Gill et ayant comme son maître l’amour des compositions vigoureuses et sans mièvrerie, qui sont dans la grande tradition de la caricature française, il avait passé le plus clair de son existence à « faire des bonshommes ». Ses contemporains lui avaient servi de modèles et, sans cruauté, mais avec beaucoup d’esprit, .il les avait portraiturés dans les journaux satiriques, à La Nouvelle Lune, au Charivari, aux Hommes d’aujourd’hui, où il connut Verlaine, avec lequel il se lia d’amitié, au Sifflet, à l’Hydropathe et dans bien d’autres feuilles, tout aussi spirituelles et tout aussi éphémères.
Un jour — c’était vers 1905 — une affiche de cinéma, d’origine anglaise, manifestement inspirée d’un de ses dessins, le conduisit chez Gaumont, aux fins d’information. Ce fut Louis Feuillade qui le reçut. On bavarda et, au cours de la conversation, le cinéaste s’aperçut que le caricaturiste « pensait » et « voyait cinéma ».
Quand il sortit, M. Emile Cohl était attaché à ce qui devait devenir plus tard, beaucoup plus tard, le département des scénarios.
M. Emile Cohl nous conte quelques histoires des « temps héroïques » du cinéma français et nous en arrivons aux dessins animés.
« Comment j’imaginai de reconstituer le mouvement sur l’écran par la projection de photographies successives d’un même dessin chaque fois légèrement modifié, nous dit-il, je ne le sais pas trop. L’idée ne me vint pas tout d’un coup et je crois me souvenir qu’elle me tourmenta des mois et des mois.
« Mais le jour arriva où je la jugeai suffisamment mûrie pour pouvoir la soumettre à mes directeurs. Elle leur plut — ce qui, par parenthèses, prouve que le cinéma français n’a pas toujours été aux mains des imbéciles — et, tout de suite, je me mis à l’œuvre. La besogne était de taille : j’étais seul, bien entendu, je n’employais ni découpages, ni décors et chaque mètre de pellicule exigeait alors, comme aujourd’hui, cinquante deux images différentes, cinquante-deux croquis qui ne différaient les uns des autres que par des nuances quasi imperceptibles.
« Le travail, un peu abrutissant, demandait de la patience et même de la résignation. Ma première bande me coûta un nombre de jours dont je préfère ne pas me souvenir, mais je finis par en venir à bout : elle avait trente-six mètres et ne comportait pas moins de mille huit cent soixante-douze dessins. On le projeta pour la première fois au théâtre du Gymnase, qui était alors un cinéma.
C’était le 17 août 1908.
« Le film, qui s’appelait Fantasmagorie, eut du succès et, délaissant les scénarios et la mise en scène, je me remis à l’effarante cuisine que représentait la confection d’une seconde bande. Ce fut Le Cauchemar du fantoche. D’autres suivirent et, travaillant pour Gaumont, pour Pathé, pour Eclipse, pour Eclair, je passai mes jours et mes nuits entre ma planche à dessin et mon appareil photographique, composant en tout, près de trois cents films, dont le plus coûteux ne revenait pas à plus de quatre cents francs à la firme éditrice.
« En 1912, je partis pour les Etats-Unis, afin de collaborer à l’édition américaine d‘Eclair-Journal et m’installai à Fort-Lee, où, entre deux reportages, je continuai à faire des dessins animés. J’y reçus des visites flatteuses. Des personnalités importantes du cinéma américain vinrent me voir et s’intéressèrent à mes travaux. On examina mes appareils, mes procédés, on me demanda des renseignements… »
M. Emile Cohl s’interrompt. C’est, évidemment, la partie cruelle du récit. Mais l’inventeur du dessin animé ne veut pas être amer.
« Tout ceci pour vous dire, reprend-il avec philosophie, que je n’ai pas été étonné le moins du monde quand, après la guerre, j’ai vu arriver en France les premiers dessins animés américains, de petites bandes pleines d’humour, où j’avais la satisfaction assez mélancolique de retrouver de temps à autre quelque gag que je connaissais bien, pour l’avoir moi-même utilisé, une douzaine d’années auparavant, dans La Lampe qui file ou dans Les Joyeux Microbes.
« Je n’ai protesté qu’une fois : le jour où un certain Windsor Mac Cay se donna comme l’inventeur du dessin animé. On confronta les dates : je le précédais de plus de dix ans. On me rendit justice sur le moment, mais je crains fort, quelques expériences me le font croire, qu’il ne faille de longues années encore avant qu’on n’admette généralement chez nous que Mickey, Flip-la-Grenouille et Félix-le-Chat ne sont que les descendants « industrialisés » des fantoches qu’un caricaturiste parisien dessinait autrefois dans un modeste atelier de Montmartre. »
Mais pourquoi le cinéma français ne rendrait-il pas à l’inventeur du dessin animé l’hommage qui lui est dû ?
Ce qu’il a fait hier pour Méliès, pourquoi le cinéma français ne le ferait-il pas demain pour Emile Cohl, lui aussi oublié, et injustement oublié ? —
L.-R. Dauven
Les deux articles suivants sont parus en 1937 et 1938 et associe Emile Cohl à un autre pionnier du cinéma français : Georges Méliès.
Le premier les associent à un autre pionnier qui finit sa vie dans la misère (un de plus !) : Emile Reynaud.
Reynaud, Méliès, Cohl : trois créateurs méconnus
paru dans Pour Vous du 20 Mai 1937
Des deux inventeurs des dessins animés, l’un est mort dans la misère, l’autre termine, à l’hôpital, une existence médiocre, cependant que Georges Méliès, le magicien du cinéma, a trouvé refuge dans la maison de retraite d’Orly.
Pas de chance ! Ces trois mots composent la devise de trois créateurs qui gardèrent constamment les yeux fixés sur un pays des merveilles et qui reçurent, en échange de leurs goûts pour les illusions, un de ces chocs en retour dont la vie n’a pas perdu le secret. Leurs oeuvres avaient le charme des pantomimes, des croquis-express ou des tours de passe-passe. On y retrouvait la naïveté des images d’Epinal qui servaient de thèmes aux montreurs de lanterne magique et qui représentaient le Diable en bouteille, Irma victime de sa curiosité ou les aventures de Lacroque-au-Sel. Ces enchanteurs connaissaient les secrets du Roi de la Lune qui laisse les enfants grimper sur ses épaules avant de s’envoler dans les airs ; ils considéraient avec flegme un monde renversé où les brouettes révoltées mettent des sacs sur le dos des hommes. Mais ils apprirent à leurs dépens, en faisant mentir un dicton, qu’invention est mère de nécessité et la magie rose dont ils prodiguaient les merveilles devint pour eux magie noire. Les amateurs de cinéma connaissent aujourd’hui les noms de ces hommes : Charles-Emile Reynaud, Georges Méliès, Emile Cohl.
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Charles-Emile Reynaud
Au lendemain de la guerre, pendant une semaine, un passant se dirigea chaque soir du côté du quai des Tuileries. Les bras chargés de colis, il marchait furtivement comme s’il eût craint d’attirer l’attention des sergents de ville. Mais ce noctambule, dont le but de promenade ne variait jamais, n’avait pourtant rien à se reprocher : rien, sinon d’avoir fait preuve de génie.
Lorsqu’il arrivait au bord de la Seine, il se débarrassait lentement de ses paquets en les jetant l’un après l’autre dans le fleuve. Les paquets, c’étaient des rouleaux d’images colorées qui s’intitulaient : Le Bon Bock, Guillaume Tell, Le Premier Cigare, Un rêve au coin du feu.
L’homme qui noyait ses bandes, c’était Charles-Emile Reynaud, précurseur du cinéma, inventeur de la photo-peinture animée et des premières projections en mouvement du théâtre optique. Seules, deux de ses œuvres, Autour d’une cabine et Pauvre Pierrot, échappèrent, par miracle, à la destruction.
Las, ruiné, désemparé, Reynaud mourut, le 26 mars 1924, à l’hospice d’Ivry.
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Georges Méliès
Un marchand de bonbons et de jouets dessinait une gigue merveilleuse dans le palais des bottes sans prendre garde au client qui réclamait une boîte de cachous et sans souci des courants d’air qui balayaient la gare Montparnasse. C’est ainsi que je découvris jadis le créateur du spectacle cinématographique, le constructeur du premier studio, l’inventeur de la plupart des truquages et l’auteur de plus de quatre mille films : Georges Méliès.
Croquis de Georges Méliès : le palais des bottes dans « La Gigue merveilleuse ».
Certes, il a pu trouver depuis une retraite à peine digne de lui. Mais il avait assez durement éprouvé sa patience et mérité de prendre un repos qu’il ignore. Car comment Méliès se reposerait-il ? A soixante-seize ans, ce prestidigitateur qui se joue même du temps prépare une exposition de dessins reproduisant les meilleures scènes de ses films : Les Quatre cents coups du diable ou Le Voyage dans la Lune. Et s’il vit pour tout le monde dans le parc d’Orly, cet enchanteur n’a pas fini d’habiter heureusement, malgré ses déboires, un univers de fantasmagorie, de visions, de métamorphoses : le Royaume des Fées.
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Emile Cohl
Il y a déjà plus d’un an, lorsque le consul de France à Los Angeles lui remit la Légion d’honneur, Walt Disney exprima sa gratitude au Français qui découvrit l’un des moyens de mettre le plus sûrement la poésie à la portée de tous, à l’inventeur des dessins animés : Emile Cohl. Mais ce que Walt Disney, dont il convient de louer l’élégance, ignorait, c’est qu’Emile Cohl était voué à la misère.
A quatre-vingts ans, l’auteur de Fantasmagorie, la première bande de dessins animés sur pellicule, avait droit à l’allocation de l’Assistance publique qui lui permettait seulement de ne pas mendier. Il n’y eut guère que la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale à se préoccuper de son cas : elle lui fit remettre, en effet, une médaille « grand module » accompagnée d’une somme de quatre mille francs en espèces. Et chacun pensa sans doute, après cette manifestation, que Cohl pourrait désormais évoquer tranquillement les souvenirs de ses films : Transfigurations, Les Couronnes ou Le Miracle des roses.
Mais le créateur de tant de films à transformations devait encore éprouver les vicissitudes des personnages de dessins animés comiques, tragiquement.
Emile Cohl, qui composa jadis Les Allumettes animées et La Lampe qui file, travaillait récemment à la lueur d’une bougie lorsqu’il s’assoupit, tomba de fatigue et laissa sa barbe s’enflammer.
L’arrivée de son fils l’empêcha, seule, d’être brûlé grièvement. C’est ainsi que, depuis le 23 avril 1937, Emile Cohl ne vit plus modestement à Saint-Mandé, dans un immeuble de la rue de l’Amiral-Courbet. L’auteur de Ni ni, c’est fini a changé d’adresse.
N’en concluez pas qu’on vient enfin de lui réserver une place auprès de Georges Méliès à la « Mutuelle du Cinéma ». Non : pour lui rendre visite, il faut franchir la porte de l’hôpital de la Pitié. Mais il reste bien entendu qu’Emile Cohl naquit à Paris dans le quartier des Lilas et que la France est fière de ses inventeurs.
Paul Gilson
Le diable tel qu’il apparaît souvent dans les films de G.Méliès.
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Deux grands précurseurs GEORGES MÉLIÈS et ÉMILE COHL viennent de mourir par Roger Régent
paru dans Pour Vous du 26 Janvier 1938
Le cinéma français a perdu cette semaine deux de ses plus grandes figures : Emile Cohl et Georges Méliès sont morts à deux heures d’intervalle…
Si quelques galas donnés à leur bénéfice n’avaient ces dernières années, attiré l’attention sur ces deux hommes, la plupart des jeunes d’aujourd’hui qui composent l’important public du cinéma auraient ignoré jusqu’à leur nom.
C’est que, depuis de longues années, ils avaient abandonné toute activité cinématographique. Il a fallu qu’un de nos confrères découvrit Méliès tenant une modeste boutique près de la gare Montparnasse et que d’autres signalassent la vieillesse infortunée d’Emile Cohl pour que l’on se décide enfin, bien tardivement, à s’intéresser à la situation difficile de ces deux pionniers.
Qu’ont-ils donc fait ?
A peu près tout, aux premiers âges du cinéma…
Dès 1896, Georges Méliès devait s’intéresser à l’invention des frères Lumière. Il avait la passion du bricolage, et toutes les grandes découvertes cinématographiques, le fondu, la surimpression, les substitutions d’objets et de personnages, le ralenti, l’accéléré, etc.. sont le résultat d’un concours de hasards heureux qu’il suscita. Il disait lui-même : Le cinéma m’intéresse parce qu’il est avant tout un métier manuel.
Il fut le premier metteur en scène et créa le spectacle cinématographique. Il peignait ses décors, construisait ses appareils, et le premier studio, à Montreuil-sous-Bois, lui doit ses murs. Nous avons revu souvent, depuis peu, quelques-uns de ses films : le Voyage dans la Lune, plus récent que les Quatre cents coups du diable, les Aventures du baron de Munchausen, le Cabinet de Méphistophélès et que tant d’autres comédies burlesques qui sont conservées comme les plus précieux classiques du cinéma.
L’un des ouvrages les plus curieux de Méliès, et à peu près inconnu, est le raccourci de l’Affaire Dreyfus qu’il traça en dix films de 20 mètres chacun, et qui évoquent la Dictée du bordereau, le Suicide du colonel Henry, la Dégradation, etc.
Georges Méliès, dont on a pu lire un bien intéressant article dans le numéro spécial de Noël de Pour Vous, est mort à 77 ans, à l’hôpital Léopold-Bellan où il avait été transporté.
Il avait passé les dernières années de sa vie à la Maison de retraite du cinéma, à Orly, et l’on ne songe pas sans mélancolie à la situation difficile qu’il connut alors qu’en Amérique, par exemple, la vieillesse d’un tel homme eût été largement assurée.
Comme Méliès, Emile Cohl fut l’un des “inventeurs spirituels” du cinéma.
On lui doit l’idée d’utiliser à l’écran le dessin linéaire. En substituant à la nature et aux êtres humains des personnages tracés à la plume sur des feuilles blanches, il inventa le dessin animé !
Récemment, au Gala des fantômes, organisé par Pour Vous (fête qui permit de remettre quelques milliers de francs à Emile Cohl), nous avons pu revoir quelques-unes de ces bandes les plus significatives. La Vie des microbes, notamment, réalisée en 1908, est une étonnante fantaisie humoristique.
Pat Sullivan, Walt Disney, Max Fleischer n’ont pu exister que parce qu’Emile Cohl avait ouvert la voie. Il est mort lui aussi, à 80 ans. dans une situation difficile…
Ainsi, en deux heures, deux des plus grandes personnalités du cinéma disparaissent. Leurs mains ont tracé les grandes lois qui régissent encore l’écriture cinématographique.
Roger Régent
Pour finir cet hommage à Emile Cohl, nous avons retrouvé cet article émouvant du journaliste Jean-Pierre Liausu, publié dans Comoedia en 1936, révolté à l’idée de voir dans quelle misère Emile Cohl finit sa vie alors que l’on vient de célébrer en fanfare Walt Disney à Paris et que celui-ci lui rendait un bel hommage.
A 80 ans, Emile Cohl qui inventa les dessins animés touche cent francs par mois et ne peut même pas se payer le cinéma !
paru dans Comoedia du 10 janvier 1936
J’ai fait écho récemment aux gentilles paroles prononcées par Walt Disney quand on lui décerna la Légion d’honneur et dit comment ce parfait artiste sut avec discrétion nous rappeler que les dessins animés étaient nés français. Sur quoi j’ajoutais : inventeur des dessins animés, Emile Cohl doit professer urne souriante philosophie.
Je croyais Emile Cohl à l’abri du besoin. Las ! il n’en est rien. Je ne soupçonnais pas que la vérité fût si dure, si révoltante : Emile Cohl manque de tout, il n’est pas simplement pauvre, il est, pardon ! il serait dans un complet dénoument sans le joli dévouement d’un jeune ami.
Je n’ai pas osé frapper à sa porte.
Je n’ai pas osé exiger de ses quatre-vingts ans l’effort douloureux et public de la détresse.
Emile Cohl touche cent francs par mois de l’Assistance. Le fils d’un ami veille sur lui.
Voilà toute la vérité.
Ainsi donc, il se peut que l’on soit l’un des maîtres d’un art qui remue des millions ; que, le premier, on ait mis à la disposition des peintres et des poètes une technique merveilleuse ; que cela soit connu, écrit, répandu et être un doux vieillard qui n’a pas de quoi se payer le cinéma une fois par mois.
De telles réalités établissent assez bien l’égoïsme et l’aveuglement d’une époque fertile en injustices. Mais celle-ci dépasse l’imagination.
Comment, il y a un mois, nous fêtions l’élève américain du maître français et personne, parmi ceux qui n’ignoraient pas, ne s’est levé pour pareille cause ! Je n’invoquerai pas d’autre sentiment que la passion du vrai, l’honneur de servir la bonté. Je ne voudrais pas conclure par des généralités. Mais, tout de même !
De quelle laideur morale sont coupables les hommes qui pensent avoir fait leur devoir quand ils ont obtenu cent frans par mois pour l’inventeur des dessins animés !
Certes, les savants et les poètes ont assez l’habitude de l’ingratitude et leur résignation est proverbiale. Mais, nous, les jeunes d’un art jeune et d’une industrie jeune, qu’allons-nous faire ? Allons-nous accepter qu’Emile Cohl ne soit pas honoré comme il convient, fêté et pourvu d’une rente digne des services que le cinéma compte à son actif ? Serons-nous assez veules, assez odieux pour nous satisfaire que l’aumône soit faite à qui mérite la gloire, une haute distinction et de quoi vivre décemment ?
Je ne m’adresse pas aux industriels grands et petits qui se sont enrichis avec les travaux d’Emile Cohl et ne songent pas à adoucir la fin de ses jours ; ni aux organismes qui désorganisent le septième art. C’est à vous les jeunes que, jeune, je parle.
Jean-Pierre Liausu
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Source :
Pour Vous = Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Comoedia = gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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Pour en savoir plus :
Le site officiel sur Emile Cohl a disparu (malheureusement il était en flash) mais vous pouvez en consulter une trace grâce aux archives du net et la page Wayback Machine.
Une courte notice biographique sur le site des Indépendants du premier siècle.
La page biographique sur l’indispensable site de la revue 1895 par Valérie Vignaux.
Nous avions déjà reproduit la nécrologie d’Emile Cohl (paru dans le quotidien Ce Soir) mort un jour avant Georges Méliès en janvier 1937.
A lire ici :
Gloire et tristesse de Georges Mélies (Le Figaro 1937 Ce Soir 1937)
Le tout premier dessin animé en 1906, Humorous Phases of Funny Faces, de James Stuart Blackton.
[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=aEAObel8yIE[/youtube]
Fantasmagorie d’Emile Cohl (1908)
[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=gJw0vIsO_no[/youtube]
Le Cauchemar du Fantoche d’Emile Cohl (1908)
[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=uW71mSedJuU[/youtube]
Little Nemo de Winsor McCay (1911)
De toutes vos précieuses publications celle de ce 29 janvier 2018 semble être pour moi l’une des plus émouvantes !
Consacrer ces pages à la géniale vie de Cohl, Méliès et Reynaud est vraiment admirable. Nous rappeler aussi les terribles conditions de leurs fins d’existences est une contribution à l’histoire trop souvent ingrate de notre pays envers ses enfants de génie; sans oublier comme vous le suggérez Henri Langlois.
L’iconographie est ici essentielle, et un autographe de Georges Méliès au bas d’une lettre apporte une note bouleversante à cet hommage tellement bienvenu. Merci !
Encore une fois merci pour vos commentaires et votre fidélité !