Les Jours et les nuits du premier Festival de Cannes (1946) par France Roche


Alors que la 70° édition du Festival de Cannes commence ce jour, il nous a semblé amusant de revenir sur la toute première édition en 1946 à travers le regard d’une journaliste de l’époque qui a vécu au plus près cet événement exceptionnel dans la France de l’après-guerre.

En effet, le Festival de Cannes, c’est aussi des journalistes du monde entier qui vont faire ou défaire l’aura d’un film présenté. Ainsi, c’est la fameuse journaliste spécialisée cinéma, France Roche, qui était l’envoyé spécial de Cinévie, revue pour laquelle elle écrivit régulièrement. Il est assez savoureux de relire son article après toutes ces années, car vous allez vous rendre compte que si le cinéma (et le Festival) a bien changé depuis cette époque, il nous semble qu’une certaine ambiance, chez les journalistes et ceux qui participent à cette quinzaine, est resté assez semblable.

*

Bien sur vu la ligne éditoriale de Cinévie, le papier de France Roche est assez superficiel, malgré son auto-dérision, elle évoque les à-côtés des journalistes durant le festival, les soirées, les films ennuyeux. Avec le recul, c’est ce qu’elle ne raconte pas qui est intéressant, car elle parle peu du chaos qui entourait cette première édition (voir cet article de La Dépêche) en dehors du problème des projectionnistes.

Et bien sur c’est toujours drôle de la voir éreinter en une ligne Notorious de HitchcockUn scénario inepte, bien traité par un des grands d’Hollywood. De la mise en scène de grand luxe sur de la pacotille d’histoire.” Mais aussi « Gilda » de Charles Vidor : “Une tape. Pas un applaudissement. Rita Hayworth a de la plastique. Ce n’est pas cela qui peut en faire une actrice. D’ailleurs, le film est à son image. Il n’y a pas de metteur en scène. Il n’y a qu’un opérateur.”  Elle passe également sous silence Rome Ville Ouverte de Rosselini, etc…

*

Bref voici donc un instantané de ce qu’était ce premier Festival de Cannes qui eu lieu du 20 septembre au 15 octobre 1946.

*

Bonne lecture et bon Festival !

 

Les Jours et les nuits du premier Festival de Cannes (1946) par France Roche

paru dans Cinévie daté du 11 octobre 1946 (hors série)

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Train très spécial

Tout a commencé quand le porteur m’a répondu d’un : « Ah ! » révérencieux à mon annonce : « Train spécial ».  J’étais congressiste.

Cela a continué dans le train avec de nombreuses allées et venues, palabres avec une bonne petite hôtesse qui aurait bien voulu me le donner, mais… les boy-scouts de service et l’organisateur — à ce qu’on dit — pour obtenir un wagon-lit.

Il y avait tous les confrères se chuchotant des secrets, récitant leur avis sur la commission de désignation des films « Le Revenant » ou la « Symphonie » — pour la quinzième fois — s’échangeant des billets pour le troisième et le quatrième service — 10 h. 30 contre 11 h. 15.

Les photographes cherchaient des vedettes.
Il n’y en avait pas.

Jean-Pierre Aumont était bien venu à la gare, mais il n’était pas parti.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Jean-Pierre Aumont – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Cantinflas et les Russes Ladynina et Vodianitzkaïa représentaient, seuls, la gent dramatique. Tant pis, les photographes ont photographié les journalistes. Avec un plaisir évident et beaucoup de mines, ceux-ci ont pris la pose. Entre reporter et starlette, le plus cabot des deux n’est pas celui qu’on pense. Les wagons-lits étaient réservés aux corps diplomatique, aux producteurs mexicains vêtus de pyjamas bleu clair et d’affabilité généreuse — exprimée par d’énormes cigares offerts libéralement — enfin à des dames et messieurs plus ou moins avertis des choses du cinéma.

La nuit s’est passée en léger scandale… une dame, expulsée d’un wagon-lit — pokers acharnés, course des courriéristes dans les couloirs — leur ardeur se calmera bientôt — enfin sommeil. Le Tout-Cinéma plus le Gotha ronflaient. Le lendemain, on reconnaissait les « bien » à ce qu’ils étaient propres (wagons-lits) et les « autres » à ce que le charbon leur avait sali le teint.

Il y eut une heure d’arrêt devant l’étang de Berre. « Venise sabote », lança un échotier. « Non, c’est une locomotive qui a déraillé, on attend la grue », dit un autre. « La bataille du rail, en tout cas » susurra un critique qui se rappelait ses jeunes ans en faisant de l’équilibre sur le ballast.

« Il y en a pour deux heures », jura un reporter de quotidien.

Le train repartit aussitôt.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Tout le monde descend

A Cannes, il ne manquait que l’orphéon ; un monsieur en veste blanche et œillet rouge se précipitait sur les « officiels », le petit doigt en l’air et des engouffrait dans des taxis. Tout Cannes parqué derrière des agents attendait les vedettes. Une fois la pagaille éclaircie et les taxis pris d’assaut par une presse qui s’estimait lésée, il ne resta que Cantinflas, l’unique, le seul, l’inconnu qui s’achemina vers son hôtel. Il avait de la chance il savait où aller. Tout le monde n’était pas dans ce cas. Passons sur le reste de la journée. Bain. Queue laborieuse au Casino pour obtenir des cartes, des tampons, des insignes et des listes. Apéritif à la terrasse du Carlton — il paraît que tout-le-monde se retrouve là — un apéritif cent cinquante francs, sans le pourboire. Tout-le-monde en prend trois. Le coucher de soleil sur la Croisette est pour moi une sorte d’omelette mauve et orangée qui rend lyrique les dames à adjectifs et me fait mal au cœur.

Réunion de l’Association de la Critique au Casino — les seuls, les vrais, les purs, les honnêtes, ceux qui écrivent — j’en suis.

On donnera un prix au film le plus artistique et le plus hardi du festival.
Prix platonique. René Jeanne et Denis Marion sont désignés comme jurés. Une bonne chose de faite.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Denis Marion – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

J’apprends une histoire merveilleuse avec un journaliste du Cru. Les chars du corso fleuri de ce soir justifieront parfaitement l’appellation contrôlée : bataille de fleurs. L’ambassade soviétique avait mis dix mille francs dans le commerce pour son char. Le minimum : trois fleurs et un cheval.
Mais le consortium de productions américaines avait commandé une énorme voiture. L’U.R.S.S. a donné carte blanche — non rouge — aux festivaliers. Son char doit être le plus gros.

On nous distribue avec un sourire confus une chanson. Je la recopie :

Dans Cannes, la mondaine.
Où chacun se démène.
Voici Corso fleuri
Meeting, garden-party.
Fêtes, feu d’artifice
Voyage à Grasse, à Nice.
Les concours d’élégance, etc., etc…

C’est au moins plein de bonne volonté. Cela a nécessité trois auteurs.

Le soir :

Après-midi passée à recevoir et donner des coups de téléphone. Toute la gent masculine cherche des smokings. J’ai trois robes du soir. Mon regard est donc philosophique devant tout ce remue-ménage.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Pierre Laroche et Jacqueline Audry – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Rencontré, tandis que j’attendais depuis une heure et quart, le chef de service de presse, afin de faire accréditer les reporters de Ciné-vie, une journaliste, suédoise, brune, exotique et nommée de Rougemont — tout cela manque de couleur locale. Elle m’a lu le papier qu’elle allait téléphoner à Stockholm. J’ai appris qu’un prix serait attribué à la meilleure critique du festival. Ce prix se nommait le Prix de la Critique. J’ai eu quelque peine à lui faire admettre que le prix de la critique était destiné à un metteur en scène. « Pourquoi pas ? » m’a-t-elle demandé. Je vois mal la horde plumitive de Cannes faire sa composition de critique.

Elève X… 6/10, trop de calembours ;
Elève Z…, 7/10, vous sortez du sujet.
Elève V…, 8/10…, du style mais pas d’idées.
Elève N…, 7/10, des idées mais pas de style.
Elève W…, 4/10, connaissez rien à la question.

(Petit jeu : vous pouvez essayer de rétablir les vraies initiales.)

J.-G. Domergue (veste brune, pantalon à rayures brunes et blanches) fait teindre le vélum du Grand-Hôtel pour la fête de ce soir. Il s’éponge le front. Il est désespéré et déprimé. Pourquoi ? Parce que le vélum teint en rouge déteindra, s’il pleut.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Madame Joseph Bercholz – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Fêtes, feu d’artifice (air connu)

A travers la Croisette barrée, ma robe du soir (verte bordée de perles) m’a servi de laissez-passer. Mon photographe était superbe en smoking. Les autres, pas tous prévoyants, s’étaient vêtus chez les barmen, portiers et autres maîtres d’hôtels.

Il y a eu le Corso. On s’est lancé des fleurs en faisant semblant de s’amuser. La délégation soviétique a applaudi au ravissant lâcher de colombes de son char. Elle s’est assise au passage du char américain. Il n’y avait pas de colombes. Seulement des pin-ups. Le contraire. Pour le reste, il y a eu Grace Moore, des Sénégalais, Margaret Lockwood (à fleurs), des vedettes russes (noires et blanches et décorées), Jean-Pierre Aumont et Maria Montez, Charles Vanel, Ariane Borg, Marcel L’Herbier, qui dit encore bonjour aux journalistes — leur critique du « Collier de la Reine » n’est pas encore sortie — Cantinflas qui, impassible, danse merveilleusement la rumba, Stroheim, qui a failli se battre avec un journaliste danois et traité les hommes de presse de « poux ». Roland Toutain, dépeigné, hagard, mais encore digne après sa dizaine de whiskies, Denise Vernac, Dalio et sa ravissante protégée Agnès Lorie. Elle va tourner. Avec Dalio, bien entendu.

Dansé sur un plancher dressé sur la pelouse. Pour me changer les idées, encore dansé en compagnie de Claude-Edmond Magny, Van Moppès, Jean Queval et François Chalais, à la « Jungle », un cabaret du pays.

Rentrée à cinq heures du matin. Quand je pense que mon directeur croit que j’ai travaillé.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Georges Sadoul – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Les 100 % et les 20 %

Réveil assez tardif, dois-je dire. Restaurant. Le mien s’appelle Lamour. Nom charmant. Je dois y déjeuner et y dîner, en vertu de l’invitation du festival. Je suis une « 100 % ». Il y a des invités partiels : 20 % de réduction sur la nourriture, 50 % sur la chambre. Je paye la salade niçoise, le rouget de roche, le pigeon aux petits pois et les glaces à la vanille, d’une signature soigneusement calligraphiée. Les. autres « 100 % » que je rencontre ont le nez plongé dans les journaux du pays, Ceux-ci, grâce à l’apport négrier des journaux de Paris ne parlent plus que du Festival. Nous commençons à vivre en vase clos, Cannes est le nombril du monde.

Servitude et grandeur du métier de critique

Cela commence bien.

Premier contact avec la salle de projection. Une ouvreuse dit : « Les journalistes derrière, sur les chaises. »

Deuxième contact : « Berlin », documentaire soviétique, lance sur l’écran le bourgeonnement noir de ses explosions et l’aboi des mortiers qui est le cri même de la guerre. Coupure.

Troisième contact : Trois minutes de projection, Coupure.

Quatrième contact : Quatre minutes de projection. Coupure. Excuses embarrassées.

Cinquième contact : Changement de programme. Chants populaires canadiens. Forme fruste mais un intéressant effort pour libérer le dessin animé de l’esthétique Disney. La mauvaise animation ne permet pas de miser sur cette formule qui participe du désert noir surréaliste et du relief plâtreux des pipes d’écume. Un compromis entre Max Ernst et Pellerin, imagier d’Epinal.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Sixième contact : « César et Cléopâtre ». L’Egypte et Rome habillées chez Cecil B. de Mille, Opéra parlant anglais — et même deux fois anglais puisque c’est du Shaw. Technicolor bleu, jaune et rose. Très bleu, très jaune et très rose.
Du texte comme s’il coulait d’un robinet. D’un robinet d’or, naturellement.
Vivien Leigh, ravissante, écrasée par plusieurs hectolitres de couleurs locales.

Septième contact ; (Ce ne sont pas des contacts, ce sont des knock-outs.) A peine le temps de passer au cocktail de M. Rank que cela recommence, « Les Trois Mousquetaires ». Après un début assez long, l’affaire s’embourbe. Il faut une demi-heure pour en arriver aux ferrets et trois quarts d’heure pour parvenir à Calais. Cantinflas y danse un pasodoble Louis XIII et y chante un tango de même époque. Cela ne suffit pas à faire rester dans la salle les gens qui se battaient pour y entrer. Je sors, le hall est grouillant de moins courageux que moi. Je vais prendre un verre, détruite par la soif. M. Fourré Cormeray, effondré dans un fauteuil, se remémore les incidents diplomatiques qu’il vient d’éviter de justesse. Un peu dopés au retour du Casino, nous apprenons que les Mousquetaires ne sont pas encore rentrés à Paris. Je savais bien que Dumas écrivait des romans fleuves.

« Notorious », d’Hitchcock, avec Bergman et Cary Grant. Un scénario inepte, bien traité par un des grands d’Hollywood. De la mise en scène de grand luxe sur de la pacotille d’histoire : intrigue d’amour et d’espionnage. Deux attractions : les virtuosités de caméra et les angles vicieux du metteur en scène qui ne se résout pas à faire fermer les portes à ses acteurs, simplement. Chaque geste mobilise toute la technique. Et un baiser, que dis-je, une série de baisers, longs, savoureux, appuyés, détaillés, de Bergman et Grant qui transforme les critiques en naufragés agrippés à leur fauteuil.

Merveilleux documentaire d’Arne Suckdoff, opérateur, monteur, producteur, « Ombre sur la Neige ». Du cinéma muet. Le commentaire suédois semble tenir la place de la musique.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Jean Aurenche – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Série grise

Encore réunion des critiques. On va se fédérer en réunion internationale. Bon. Déjeuner. On s’attarde perfidement. Oh ! mon Dieu, déjà 3 h. 30. C’est ce qu’on espérait. On a loupé le premier documentaire. Au casino, « La partie de Campagne » de Renoir. Mi-poétique mi-réaliste. Atmosphère Renoir. Une sorte de poème filial. Gros succès. Ensuite : « Les Ennuis de M. Travet »
MM. les Ronds-de-Cuir, influencés par le style Carmine Gallone, lequel fut influencé par René Clair.

Une sorte de Labiche italien. Sans grand éclat. Sans trop d’ennui non plus. On commence à devenir indulgent.

Le soir, film danois : « La Lettre ». Il s’agit d’une femme, adonnée aux stupéfiants, que son mari, sadique, torture et que son amoureux, pur et sain, sauve.
C’est long, fumeux et médiocre. A noter que les films Scandinaves présentés au Festival traitent tous d’alcoolisme, drogue, prostitution, etc…

Quand je pense que l’on a refusé « Macadam » au jury d’admission, pour raisons de moralité ! « Tournant décisif » : Lo Duca déclare : « C’est un documentaire psychologique sur les généraux russes ». On y apprend comment Stalingrad a été gagné. Par de la réflexion. C.Q.F.D. Nouvelle débandade des critiques et même des payants pendant la séance.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Lo Duca – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Dimanche pas trop sombre

J‘avais oublié de le remarquer. Au fait, il y a la mer. C‘est l’hydravion géant qui, en amérissant dans la baie, a réveillé Cannes, épuisée par sa première soirée, et m’y a fait penser.

Quatre documentaires, plus ce « Berlin », si malheureusement coupé devant les opérateurs qui étaient dans la salle (10 ans de Sibérie au projectionniste saboteur !)
Tout le monde se prépare à écrire ses papiers dans l’après-midi pour les hebdomadaires, tout cela doit être dicté le lundi au téléphone.

L’histoire du jour. Charensol, des Nouvelles Littéraires, a écrit trois papiers pour transmettre à son public son sentiment sur « La Symphonie Pastorale ». Il était pour.

On présentait, hier soir, Charensol à Delannoy, metteur en scène de « La Symphonie ». Celui-ci, glacial, lui dit . « Ah ! c’est vous, monsieur, qui avez écrit sur mon film. Je ne vous félicite pas. »
Charensol a juré qu’il ne dirait plus de bien des films.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Jean Delannoy – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

1 h. 30. Les amusettes ont continué pendant le film de Painlevé : « Jeux d’Enfants ». Erreur de cadrage. Des cris dans la salle ont ramené l’opérateur à des idées meilleures sur la projection. Il y avait tout Cannes plus Eden-Roc. Georges Lacombe, descendu spécialement de Saint-Vallier et M. Duff Cooper. Il a dû garder un charmant souvenir de la « Symphonie Pastorale » car c’était pour elle que tout le monde était venu. Arrivé à sa loge, il la trouve occupée. On a prié les occupants d’évacuer. — « Non ». — « Mais c’est M. Duff Cooper. » — « Duff Cooper ? Connaît pas. » Le tout : cris et usurpation de loge au milieu d’une figuration en robes de soirée.

Jean Delannoy, en smoking était crispé près de la cabine de son. Prudence est mère de sûreté. On sentait qu’il était prêt à projeter lui-même, au besoin. Aurenche, en saharienne blanche, n’avait pas l’air d’être l’adaptateur. Michèle Morgan brillait par son absence. C’est à elle que le succès est allé. Blanchar n’était pas là, heureusement pour lui. Bruits de coulisses :

« Un chef-d”œuvre, un vrai chef-d’œuvre ». Rencontre d’un critique connu ; « Un chef-d’œuvre, n’est-ce pas ? »
Le critique : « Heu ! »

Enfin, un très bon film…
Le critique : « Comment dirais-je h…»

Quand même, ce n’est pas mal.
Le critique : « Pas du tout ». Un producteur disait à la cantonade : « Mais, c’est le journal des demoiselles. Cette vertu ! ces protestants incompréhensibles. » Il n’était pas non plus catholique !

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Georges Charensol – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Les nuits blanches des Journalistes noirs

On bouscule en partant les producteurs anglais qui présentaient « Magic Bow » en Première mondiale. Les banquettes s’ennuyèrent beaucoup à ce film. Pendant ce temps, au Martinez, avec tous les touristes non-cinématographiques, Mme Bercholz et Delannoy dansaient le tango du triomphe.
Au bout de dix minutes, on présenta aux « invités » des additions. Tout le monde émigra au Palm-Beach. On y paie aussi, mais au moins on choisit sa table.

Dansé avec Astruc, un demi-sauvage saisi par la littérature. Il s’épuise en boogie-woogie et écrit dans Combat — « Les imbéciles ne lisent pas Combat » — et Les Temps Modernes, repaire officiel de l’existentialisme.

Re… projection

« Salut Moscou ». Essai de film musical russe. Histoire d un « accordéon ». Elève appliqué. Pourrait mieux faire. Beaucoup mieux faire.

Rencontré Toutain sur la Croisette entre deux whiskies.

Ce soir, « Lost Week-End », obtenu mes numéros de places de justesse. Les fauteuils étaient derrière une colonne. Grands éclats de voix. Pris les places du jury (qui, entre parenthèses, les avait laissées libres).

« Lost Week-End » ou les méfaits de l’alcoolisme. Excellent. Film d’auteur. Le scénario, la mise en scène, le dialogue sont un faisceau. Formule de cinéma-roman. Le cinéma s’achemine de plus en plus vers la rhétorique. D’aucuns trouvent cela théâtral. Erreur. Et moralisateur. Double erreur.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

René Jeanne – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Après le beau temps la pluie. L’Egypte présente « Le châtiment du bourreau », doublé. Mal doublé, mais doublé. Quelle fraîcheur !…
Malgré ce merveilleux doublage, on abandonne le héros — qui a découvert le virus du mal et le sérum anti-mal — à son tour de grimaces. Sous les Pyramides, on joue encore comme Le Bargy dans « L’Assassinat du Duc de Guise ».

Les trois faits du jour. L’arrivée d’Errol Flynn. Bobard lancé par Balducci et Nick de Morgoli et repris par toute la presse. Le licenciement éventuel du projectionniste. Ce pauvre homme était projectionniste hebdomadaire dans le civil.

Conférence de presse où on nous explique que si tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des Cannes possible, c’est que le festival a eu trop de succès. Si la projection et le son furent défectueux, c’est que les appareils étaient trop neufs. Le responsable, c’est la fatalité. Parfaitement.

M. Erlanger a ajouté : « Que peut-on reprocher à la maîtresse de maison qui a trop d’invités et qui est débordée ? » « Rien », a répondu notre confrère Morskoï, directeur de Paris-Cinéma. Rien à elle, mais quand on est restaurateur…

On attend M. Bogomolov et Michèle Morgan.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Richard Balducci – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Cannes est à Nice : Enfin seuls.

Bonne journée. Tout le monde est parti déjeuner à Nice. Eludé la corvée. Peut-être pourrai-je voir la mer aujourd’hui. A déjeuner, les prudents qui avaient évité l’autocar commentent l’affaire du jour. Un entrefilet de France-SoirSimone Dubreuil interprète en fantaisie les malheurs du festival.

Un tuyau de derrière les rideaux. Le Jury international a délibéré hier pour savoir comment noter les films. Chacun avait sa petite méthode. Le juré belge produisit des feuillets couverts d’appréciations détaillées sur les films. Le sage Huysman, juré français, lui conseilla vivement de mettre ses feuillets dans quelque caverne secrète. Un journaliste pourrait les découvrir et on ne pourrait plus jurer de rien. Après une heure de discussions, on se mit d’accord sur ce fait : chacun noterait comme il voudrait.

Vu Delannoy sur la plage. Il nage très bien, et Toutain, dans un bar.
Ce n’était pas du lait qu’il buvait. Il n’a donc pas vu « Lost Week-End » ?

Une heure. — Découverte du Festival . « Maria Candelaria », une histoire rustique triste, pure, sans afféteries de mise en scène, jouée par Dolorès Del Rio, dont la beauté triomphe de l’âge. Une lumière de perle et de cristal. Quelques passages de bon travail. Applaudissements en cours de projection. Il n’y avait dans la salle que deux membres du jury. Les autres étaient allés voir « Citizen Kane ». Histoire de varier les plaisirs. Puis, « La Fleur de Pierre », légende russe en couleurs anti-naturelles. Difficile de rêver chose moins poétique que ce conte qui se voudrait être de fées.

Le « Chatelelsky » dans toute son ampleur. L’Agfacolor affirme sa supériorité sur le Technicolor. Une scène de danse qui a servi de nuancier au metteur en scène nous a montré un mauve sensationnel. Toutes les dames, habillées chez Molyneux ou Rochas, ont applaudi en connaisseuses.

Les amis revenus de Nice m’ont fait mille reproches. Il paraît que cette entreprise touristique est la plus réussie du Festival.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Maria Mauban – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Rideau de fer sous rideau de velours.

Je sors de la réception organisée par la délégation soviétique au Martinez. Celle-ci était gratuite. Les Martinez se suivent et ne se ressemblent pas. Tout le monde était là, y compris tout le monde qui n’avait pas été invité. On a épinglé au revers des danseurs un petit drapeau rouge avec dessus : « La paix au service de l’art », ou le contraire, je ne sais plus (vodka) ; distribué ainsi que des cigarettes à longs bouts de carton (papyrossi). On pouvait reconnaître les fascistes à ce qu’ils croyaient nécessaire de les fumer jusqu’à la fin. Comme il n’y avait pas eu de consigne spéciale, les uns étaient venus en tenue de soirée, les autres en costume de ville. Plusieurs arboraient une cravate rouge : des Français.

A minuit, la piste était encombrée d’une foule d’hommes à la fourchette entre les dents. Paul Eluard était là. J’ai entendu dire beaucoup de bien de la « Fleur de Pierre », le film russe en couleurs présenté la veille. Beaucoup plus de bien qu’à la sortie de la projection. Un moment, il y a eu un éclat. Quelqu’un a voulu empêcher M. Bogomolov de serrer la main à Tino Rossi. Tino Rossi a fait état de sa carte d’invitation. Chacun a brandi la sienne et son petit drapeau. Cela a donné un très joli mouvement d’ensemble.

Dans le fond, tout le monde était très content pour deux raisons principales : premièrement, le buffet était bon, deuxièmement, en l’honneur de invitation soviétique, on avait supprimé la séance du soir. Le rideau de fer a du bon, dit quelqu’un. Et François Chalais de préciser en faisant allusion au velours souple du Casino : « Un rideau de fer sous un rideau de velours ».

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Roland Toutain, Eric von Stroheim, Denise Vernac, Dalio – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Ces quelques heures de détente ont eu l’avantage de permettre un débat général sur la représentation de l’après-midi. Un metteur en scène connu souligna les mérites du journal filmé néerlandais ; mais il s’interrompit dès qu’on lui eût dit que cette projection n’avait pas eu lieu.

On entama aussitôt le chapitre du « Revenant » de Christian-Jaque. A voir « Un Revenant », dit un critique, « il apparaît que Christian-Jaque est un cinéaste qui ne sait pas plus ce qu’est un travelling qu’un clair-obscur. » — « Les dialogues de Jeanson sont une honte », dit un autre. Il cita plusieurs mots qui mirent la salle en joie ; puis l’accord se fit sur le point que de tels mots ne sauraient faire rire personne. Pierre Scize déclara qu’il avait entendu dire tant de mal du film par les ennemis de Jeanson qu’il commençait à le trouver excellent. « Cela ne vaut pas Farrebique », rugirent en duo Marcel Idzkowski et Denis Marion. Puis, comme M. Kalotozov approchait, on se remit à parler avec animation de « La Fleur de Pierre ». Moi, je suis pour « Le Revenant ». d’abord, j’aime Jeanson. Ensuite, il n’y a pas de raison pour que je ne sois pas du parti pris opposé à un autre parti pris.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Simone Sylvestre – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

L’honorable partie de mer.

Toutes les conversations roulent encore sur le film mexicain « Maria Candelaria ». La révélation du Festival, souligne-t-on. On en parle sut le quai du port, dans l’ombre rouge du Casino, tandis que les petites vedettes qui doivent nous conduire aux Iles de Lerins, pour déjeuner, commencent à se remplir. Nous devions être 150. Mais nous embarquons 300.

Le comité d’honneur a, en effet, autant d’amis que d’ennemis. Cela suffirait pour remplir le « Queen Mary ». A l’entrée de la jeté et Eugénie Helisse, chef du service de presse, filtre les passagers. « Tous ces gens, dont je n’ai aucune idée de ce qu’ils sont venus faire à Cannes », dit-elle. Elle a les traits tirés, le regard chargé de reproches qu’elle adresse aux autres et des reproches que les autres lui adressent. On se tasse dans les bateaux. Dans le nôtre, Simone Sylvestre, dont le ravissant museau pointu a l’air d’être fait en papier-tue-photographe, Colette et Jacqueline Audry, celle-ci une tresse dans chaque œil de Pierre Laroche. Il fait beau. Jacques Erwin a une tenue complète de pêcheur sous-marin. Déjeuner de poisson à la rouille, facéties au vin rosé, meringues. Le comte d’Herbemont, président du Comité d’accueil, arbore un magnifique panama jaune vif et un tricot raillé bleu et blanc. A trois heures et demie, une voix propose de reprendre le bateau pour aller à la projection de l’après-midi. Personne ne bouge. A cinq heures et demie, tout le monde est de retour. Il y avait dix personnes dans la salle pendant « Réseau X » et « Hitler vit » : celles qui avaient raté les bateaux du matin.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Margaret Lockwood – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Le soir a retrouvé un public plus docile. Pour parer aux excès de l’affluence, on a supprimé les places payantes. Chacun, maintenant, a son fauteuil à soi, avec un numéro qu’on peut apprendre par cœur. La séance débute par « Sang et Feu», film suédois de Anders Henrikson. L’Armée du Salut au secours des filles perdues, flétries, mais foncièrement chastes. De la violence et de la fadeur sans aucune transition de l’une à l’autre. Le film intéresse pendant une heure. Il dure une heure trois quarts. Le metteur en scène ne cesse de se servir d’une grue — au fait, couleur locale — pour photographier son histoire. On prend son élan à 50 mètres, la scène finit sur un gros plan de prunelles. A noter l’orgueil qu’on peut lire sur le visage de tous les spectateurs ayant assisté jusqu’au bout à une mauvaise projection exprimée dans une langue difficile, ce n’est plus : « Le jour du Cid, j’étais là », mais « le jour du « châtiment du bourreau », je suis resté jusqu’à la fin ».

« Patrie » passe après. Ce n’est pas si mal que d’aucuns disaient. Les costumes semblent avoir autorisé les dialoguistes à un pathos résistantialiste que les costumes modernes ne permettent pas.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Michèle Morgan – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Salades russo-américano-italiennes

La presse a diversement apprécié le discours de M. Bichet. Pour la presse locale, Mougins va devenir la cité du cinéma. Pour le bulletin d’un de nos confrères, sa mort est décidée. Il ne s’agit que de s’entendre.

L’événement de ce matin était le cocktail Cinévie. Comme il avait eu lieu à 12 h. 30, chacun a été charmé de n’avoir pas à boire une coupe entre une projection, une excursion et une conférence de presse. La journée bien commencée a bien fini. « Aubusson », de Jan Lods, est un excellent documentaire. Comme je le dis à la radio (hum… hum.,..) « un documentaire doit être un poème ou un reportage ». Mais à coup sûr, pas des photos en mouvement commentées de mignardises pseudo-astucieuses. « Aubusson » est l’un et l’autre — poème et reportage. La poésie ne vient jamais que de la réalité.

Encore une sorte de reportage : « Croc Blanc », film russe, d’après London. Une des bandes soviétiques les plus réussies.

« Rhapsodie in blue ». Biographie longuette sur la vie de Gershwin. J’aime sa musique. Moins sa vie. Il paraît qu’il ne s’y est rien passé. Alors, pourquoi la raconter ?

« I Bandito ». Film italien, remarquable but. Tableau cru d’une vie d’après guerre que nos metteurs en scène n’arrivent pas à découvrir. Étrange que personne n’ait songé chez nous à faire un film sur le marché noir et ce banditisme qui prolonge les combats. Le film ne finit pas aussi bien qu’il commençait. Cela suffit pourtant à nous donner un préjugé favorable pour le cinéma italien et ses sujets d’actualité. L’actualité, meilleur moyen de travailler pour l’histoire.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Michèle Morgan – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Peu d’amours, quelques délices et pas d’orgues.

Concours d’élégance. — Les voitures prêtées aux starlettes et stars du Festival. Deux ou trois ont failli s’arracher les yeux pour occuper les plus belles Buick. Mais le succès est allé à Larquey, qui s’est présenté avec un rouleau compresseur de 15 tonnes.

Vu quand même quelques films. « Matricule 217» (russe). Déportation d’une Russe en Allemagne. Mi-vrai mi-mélo. « Camoëns ». Les Portugais se maquillent comme au temps du muet. Tant pis. Soirée au Beach. Tables louées trois fois. Le général-producteur Corniglion Molinier lut, dit-on, sur son invitation : «Vous êtes invité en qualité de général et non en qualité de producteur ». Les producteurs n’étaient pas invités. Les journalistes sont allés au baccarat. Le matin, le groom de l’hôtel ployait sous les demandes de mandats télégraphiques.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Maria Mauban et Simone Sylvestre – Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Elle, Elle, Elle.

« Gaslight ». Bergman surpasse Boyer, Imitation d’Hitchcock par Cukor. Hélas ! pas d’histoire. « Elle », la nouvelle divine, ravage certains cœurs et suscite des réprobations indignées. « Si sensuelle », soupirent les uns. « Si froide», laissent tomber les autres. Une dame plus glaciale encore — une sorte de menthe féminine — Ann Todd. Garbo en raté. Mais elle est excellente actrice. Son film « Septième voile » est le dixième kilomètre de pellicule psychologique et freudienne.

« Elle » — la troisième, Michèle Morgan — est arrivée à 10 h. 40 du matin, accueillie par son producteur et Jean Delannoy. Elle a embouteillé la Croisette. Elle est allée, à Eden Roc pour être tranquille, mais elle était à la soirée du Beach.

Un point d’histoire. Le bruit avait couru que Michèle avait demandé 2.000 dollars pour venir au Festival. Elle a déclaré qu elle est venue en France à ses frais, mais qu’elle est l’invitée à Cannes du Festival et que son producteur, M. Bercholz, lui offre son voyage de retour.

Journée à Grasse. Tout le monde dormait, résultat de la nuit du Beach. Ce fut charmant quand même.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Mexique For over.

« Me he de comer esa tune », cela veut dire : « Je veux manger cette figue », film qui voudrait être un film musical et très folklorique. Surtout médiocre.
On aurait aimé pourtant le trouver bien, ce film, les Mexicains sont si sympathiques. A leur soirée au « Paradise », on vit une exhibition de danses folkloriques par un couple expert en pasodoble. Renseignement pris c’était M. Oliva, attaché militaire du Mexique, et sa femme. Ce serait si gentil, une exhibition au Mexique du général de Lattre, dans un numéro de bourrée.

Succès et insuccès français… et autres.

« Le Père Tranquille », une illustration gentille de la Résistance française Mais c’est le pavé de l’ours. Extrait du film ; « J’arrive de Londres, donnez-moi la liste des résistants », dit un traître. On la lui donne aussitôt

« Aubervilliers » remporte un grand succès. Jacques Prévert, descendu spécialement de Vence, noie sa joie dans le vin blanc.

Autre succès pour Sonika Bo et sa séance de cinéma pour enfants. Ceux-ci ont rompu les cordons de police d’enthousiasme. Ils ont aussi montré qu’ils savaient s’organiser. Ils se sont casés à trois par fauteuil.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Soupe aux canards.

L’histoire du jour. Le New York Herald Tribune, sous la signature de David Perlman, publie : « Il est déplorable que les U.S.A. n’aient pas compris toute l’importance du Festival. La seule personne importante américaine vue à Cannes jusqu’à présent est Errol Flynn, qui, pourtant, fut refoulé par les douaniers ».
C’est la plus belle. Le canard a traversé l’Atlantique.

Officiels.

Les producteurs se sont réunis. Un cocktail de bienvenue — douze jours après le début du Festival. — C’était pour la bienvenue de son organisateur, M. Lourau-Dessus (Régina). Il a reçu MM. Corniglion Molinier, Alexandre (Franco London Film), Hubert de Rouvres (Sirius), Lartigue (M.G.M), Klarsfeld (Paramount), Aron, Artus (Consortium du film), Rupp, Charles Bauche,  Frogerais (Vog), Le Duc (Gaumont), Dervaux (Minetva), Philippe Acoulon (O.P.C.), Fournier (secrétaire du Syndicat des producteurs), Houdet, Chezeau et Laroche, de la Direction générale du Cinéma.
Une bombe au milieu de la réunion, et la production française était plus que compromise.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

On ferme… on ferme…

Et maintenant, à toute vitesse, « Gilda ». Une tape. Pas un applaudissement. Rita Hayworth a de la plastique. Ce n’est pas cela qui peut en faire une actrice. D’ailleurs, le film est à son image. Il n’y a pas de metteur en scène. Il n’y a qu’un opérateur.

La Terre sera rouge. Résistance danoise. Ils l’ont réussie.

Make Mine Music. Disney dort sur ses lauriers. Des lauriers roses. Le pinceau trempé dans les garances agressives de « Fantasia » a trois bons morceaux. Cinq moyens, un franchement mauvais. Chacun reçoit son lot égal d’applaudissements d’un public facile à duper. Mais la critique est réservée. La baleine de Disney est du genre de la sardine qui a bouché le port de Marseille.

L’Epreuve (film suédois). Cinquième grand film de la journée, venant à la neuvième heure de projection. Spectateurs abrutis, mais médusés par la qualité étonnante de la photographie et l’audace candide des situations quelque peu scabreuses.

La Bataille du Rail : succès habituel.

Le Bachelier aventureux (film tchèque). Les Tchèques n’ayant pas trouvé assez de clients dans la salle à la première projection, ont demandé que le film soit repassé et ont fait salle vide. Ils pleurent, mais on ne fera pas de troisième projection.

Wonder Man : A la 26° projection, on a enfin ri. Ce n’est pas un film, c’est un numéro de music-hall. Danny Kaye est étourdissant. Un Trenet qui aurait du dynamisme.

Brief Encounter : Un amour bref, sage et sans espoir, entre deux Anglais moyens qui se rencontrent dans une gare. C’est simple, dépouillé, malheureusement encore commenté. Mais cela prouve que les Anglais sont meilleurs dans l’intimisme que dans le grand spectacle. Cela prouve aussi que des acteurs sans beauté peuvent intéresser aussi bien que les Venus et les Apollon d’Hollywood.

Le sprint des projections s’accélère ; on voit des films dix-huit heures par jour. Tout cela va se terminer chez l’oculiste. Quand je serai rentrée à Paris, je demanderai à mon patron huit jours de vacances. Que je prendrai à Cannes. C’est une ville que je ne connais pas.

FIN

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

*

Et voici les résultats de la distribution des prix du Festival : c’est la France qui remporte le Prix International du meilleur film avec : LA BATAILLE DU RAIL.

Le premier prix d’interprétation féminine va à Michèle Morgan, Celui d’interprétation masculine à Ray Milland.
La meilleure mise en scène est celle de René Clément.

Les prix nationaux sont décernés à Lost Week-end pour les Etats-Unis, La Symphonie pastorale pour la France, Brief Encounter pour la Grande-Bretagne, Rome, ville ouverte pour l’Italie, Maria Candelaria pour le Mexique, Tournant décisif pour l’U.R.S.S., La Terre sera rouge pour le Danemark, Ville basse pour les Indes, L’Epreuve pour la Suède, La Dernière Chance pour la Suisse, Les Hommes sans ailes pour la Tchécoslovaquie.

Cinévie daté du 11 octobre 1946

Cinévie daté du 11 octobre 1946

 

Source : Collection personnelle Philippe Morisson

Pour en savoir plus :

Le site officiel du Festival de Cannes.

La page consacrée au premier Festival de Cannes en 1946 sur le site officiel.

Sur le site de la ville de Cannes, un article complet sur ce premier Festival de Cannes 1946.

L’article sur le site de La Dépêche sur les débuts chaotiques de ce premier Festival de Cannes.

“Histoire du festival de Cannes : sa naissance en 1946” sur France 3 en 2007.

Le premier festival de Cannes en 1946 (Extrait). Archives INA

Les rushes non utilisés du premier festival de Cannes en 1946 par Pathé.

 

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.