Le Spécial Charlie Chaplin de Cinéa (1922) 1 commentaire


Il y a 40 ans, ce 25 décembre, disparaissait le plus grand génie de l’histoire du cinématographe : Charlie Chaplin.

Nous lui avons consacré de nombreux posts depuis presque trois ans et nous ne pouvions manquer de lui rendre hommage une nouvelle fois.

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Cette fois-ci nous vous proposons l’intégralité du numéro spécial de la revue Cinéa, fondée par Louis Delluc et Jean Tedesco, paru il y a un peu plus de 95 ans !! le 15 décembre 1922.

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Tout d’abord vous trouverez un article sur Le Kid qui était sorti à Paris au cinéma Max Linder ! un an auparavant. Puis quelques souvenirs de Robert Florey sur Chaplin à Hollywood, suivi d’autres anecdotes sur Chaplin. Ensuite Cinéa évoque le trio que Chaplin fonda avec Mary Pickford et Douglas Fairbanks (à lire ici).

Pour finir, Cinéa se réjouit de la réeditions de plusieurs courts-métrages de Chaplin par l’Agence Générale Cinématographique et par Pathé-Consortium.

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De plus de nombreuses photographies illustrent ce numéro spécial, notamment deux avec Max Linder à Hollywood, mais nous vous laissons les découvrir.

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Bonne lecture et surtout nous vous souhaitons de passer de bonnes et belles fêtes.

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THE KID / LE GOSSE

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Ce fut une émotion considérable, une des plus fortes et des plus belles émotions des vingt années de création cinégraphique, quand Le Gosse nous apparut. Nous n’oublions pas cette présentation du chef-d’œuvre de Charlot à laquelle une jeune Société française, « Triomphe », nous convia, le 8 septembre 1921, au Ciné Max Linder.

Malgré tout ce que nous en attendions, la surprise et la satisfaction furent à leur comble. Et Le Gosse connut, de ce jour, le plus formidable succès qu’on ait jamais réservé à un film et peut-être à une œuvre humaine.

Charlot s’élevait à cette sorte de philosophie de la résignation où inclinent les âmes malheureuses et victimes des forces sociales dressées contre elles. Le pauvre hère de tant de films drôles s’émouvait un jour à la vue d’un enfant abandonné qu’il recueillait, lui, le misérable, et qu’il élevait à son image. Sur ce point de départ qui ressort plus de la tragédie que de la comédie, on sait quel drame construisit la fantaisie de Charlot.
Sa tendresse pour l’enfant, ses ruses pour le préserver contre le formalisme de l’administration, ses ingéniosités de père adoptif responsable devant quelque chose de supérieur
à la loi humaine, tout était noté avec une finesse, un sens de l’humour dont on chercherait vainement l’équivalent autre part.

Le Gosse nous révéla en même temps que cette forme quintessenciée de l’art de Charlot, un très jeune acteur, Jackie Coogan, qui fit merveille et devint du coup une grande étoile du ciel cinégraphique. Peut-être manqua-t-il, par la suite, de direction et tomba-t-il dans le cabotinage vulgaire d’enfants prodiges… Il lui manqua Charlot, son père adoptif à l’écran, son conseil et sa conscience…

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Le Gosse, film éternel, nous console de la vie…
Beaucoup diraient qu’il nous réconcilie aussi avec le cinéma.

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A Hollywood. Avec Charlie Chaplin par Robert Florey

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Je rencontrais ce jour-là, Charlie, flânant sur la grève de Crystal Pier.
Il marchait doucement, les mains derrière le dos, son canotier penché sur l’œil gauche et, il dévisageait attentivement toutes les jolies femmes qu’il rencontrait.

— What‘s Master Charlie ?
Oh ! bonjour Monsieur, je vais prendre le train à la gare… me
  répondit Charlie, énumérant ainsi d’un seul coup presque tous les mots français de sa connaissance.
— Que faites-vous Charlie ?
Rien. Je ne cherche même pas d’idées, je pense actuellement que Dame Nature est bien bonne d’avoir créé tant de jolies femmes pour le plaisir de nos yeux !
— Et votre film ?

Heureusement terminé.
— En êtes-vous content ?
Très, je crois que quelques scènes porteront, surtout celle du sermon, ne croyez-vous pas ?

Et Charlie, me saisissant par le bras m’expliqua la « scène du sermon ». Il me l’avait déjà racontée et me la raconta encore plusieurs fois, mais Charlie n’a pas de mémoire, du moins pour certaines choses, et lorsqu’il est content de son travail il éprouve le besoin d’en faire part à tous ses amis.
Sur la grève il y avait ce jour-là peu de monde, et une agréable brise marine, nous apportait par bouffées des senteurs d’algues qui semblaient venir du Japon après avoir franchi le Pacifique.
Nous étions arrivés prés de la grande digue, et Charlie s’arrêta.

Vous comprenez la situation, n’est-ce pas ? Je suis un forçat évadé et je deviens pasteur par accident. Je dois prêcher dans ma petite église et je ne sais pas ma foi, quoi dire. Alors, au petit bonheur je narre aux fidèles le fameux combat entre le Géant Goliath et le petit David.

Et Charlie me mima la scène du combat. Il dépassa les bornes de la plus haute bouffonnerie ! Et lorsque, saisissant dans sa main droite, la tête imaginaire de Goliath, il la regarda, la soupesa et finalement la lança par-dessus son épaule, et lui donna encore le coup de grâce en la renvoyant de son pied rejeté en arrière, (comme il fait toujours avec les allumettes consumées ou les mégots de cigarettes) un peu plus loin…

Charlie dit : « Et ce n’est pas tout. Quand j’ai terminé mon histoire, les fidèles de l’Eglise applaudissent comme ils applaudiraient un artiste et alors je viens et reviens saluer, comme le ferait un artiste ; pour les remercier. Je pense que cette scène portera !

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

A ce moment de notre conversation, le brillant jeune premier Rudolph Valentino sortit de l’Océan et vint nous trouver.
— Où dînez-vous ce soir ? nous demanda-t-il, aimable et souriant.

Tandis que Charlie, par politesse répondit qu’il ne savait pas encore, je dis à Valentino : « Mais chez toi, mon cher ! »

La cuisinière de Rudolph Valentino jouit d’une réputation qui s’étend jusqu’aux bornes les plus reculées de « Filmland ». Elle est presque aussi célèbre que George Jomier, le roi des cuisiniers lui-même, et c’est toujours avec plaisir que l’on accepte une invitation à dîner chez Valentino.
La villa de Valentino est bâtie sur le versant sud de la petite colline de Whitley à Hollywood. C’est la seconde femme de V
alentino, Natacha Rambova qui, dessinant l’année dernière le plan de la maison, en a fait une véritable petite merveille.
Frédérick, le maître d’hôtel de Valentino a une bonne habitude. Celle de préparer chaque soir à 7 heures, une dizaine de cocktails et quelques toasts au caviar, ce qui est excellent pour vous mettre en appétit. Suivant le nombre d’amis que Rudolph amène (et il n’en amène jamais plus que 10 à la fois) on trouve toujours un nombre suffisant de cocktails préparés ! C’est charmant et pratique.

Or, comme nous avions pris place, ce soir-là, dans le salon de Rudolph et que nous trinquions à la Gloire de notre hôte, je profitais d’un moment de répit pour prendre Charlie à part et à brûle-pourpoint, je lui demandai :
— N’avez-vous pas l’intention d’écrire vos mémoires ?
Oui et non, vous savez que je suis assez paresseux pour écrire.
— Cependant votre premier livre 
My Trip Abroad a été un gros succès de librairie ?
Encore une fois, oui et non, vous connaissez ce « business » mieux que moi. Voilà bientôt quatre mois que mon livre est sorti et le tirage total pour l’Amérique a été de 10.000 exemplaires, est-ce bon ?
— Ce n’est pas énorme, vu le nombre considérable de vos admirateurs.
Que voulez-vous, en Amérique, on n’aime pas lire, on n’a pas le temps, le public est trop pressé et trop actif pour consacrer quelques heures hebdomadaires à la lecture, on préfère le cinéma…
— Je suis certain que
My Trip Abroad aura pour la France seulement un tirage beaucoup plus important que l’Américain…
Je sais, vos compatriotes aiment à lire et j’espère que mon éditeur confiera la traduction de mon livre à un écrivain habile qui puisse rendre ma pensée exacte, en français.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Notre dialogue fut malheureusement interrompu par un barytonnant :
— Monsieur est servi !
Et nous allâmes nous livrer aux plaisirs de la « bonne chère » délaissant momentanément ceux de la conversation…

Durant tout le dîner, Charlie fut comme de coutume plein d’esprit et il nous raconta maintes anecdotes au sujet de ses débuts au cinéma.

Puis passant d’un sujet à un autre nous demandons à Chaplin quels sont ses projets au sujet de sa collaboration pour les « United Artist’s ». Le mime célèbre me répond :
Je n’en sais rien. J’ai différentes idées en tête et mon premier film pour United sera dramatico-comique, il aura certainement huit ou neuf parties et je paraîtrais dans cette production avec mon costume habituel mais à vrai dire je n’ai pas encore fixé un sujet… Mon projet du 
Clown ou du Polichinelle est tombé dans l’eau, je ferai autre chose. En attendant je quitte le First National « en beauté » comme vous dites en français. J’estime que The Pilgrim, ma dernière production pour cette société est mon meilleur film et certainement le plus comique que je n’aie jamais tourné. J’avais songé d’abord à nommer ce film The Minister (Le Prêtre) mais le nom n’eut peut-être pas convenu au public de sorte que j’ai débaptisé ma bande (c’est le cas de dire débaptisé) pour la nommer The Pilgrim (Le Pèlerin).
— Mais quand commencerez-vous à travailler pour les United ?
D’ici un mois, je dois d’abord régler les travaux de Miss Purviance qui ne tournera plus à mes côté comme leading-lady. J’ai jugé que le temps était venu de « starrer” cette charmante et talentueuse artiste et elle va bientôt commencer son premier film, dans mon studio sous la direction de mon frère Sidney.

Puis la conversation roula sur les sujets favoris de Charlie, religion, spiritisme, superstition, révolutions, etc., etc.
Après dîner, Charlie prit un petit morceau de crayon qu’il suça consciencieusement et il dessina ensuite le portrait de chacun des convives, il nous fit cadeau des caricatures, sinon il eût été très facile de confondre Valentino avec Douglas Gerrard ou De Limur avec votre serviteur !

Comme il se faisait tard et que Rudolph avait à tourner le lendemain matin à 6 heures des scènes de Blood and Sand au Lasky-Ranch près d’Universal-City, nous quittâmes l’hospitalière demeure du charmant jeune premier et nous allâmes au « Marcel’s » restaurant prétendu français que Charlie affectionne particulièrement.
Charlie est un conteur intarissable. Il parle, parle… et l’intérêt que l’on prend à sa conversation est tellement grand que l’on oublie rapidement les heures qui passent… Chaque fois que Chaplin m’invite à dîner avec lui,
je suis certain de rentrer chez moi à 4 heures du matin. C’est encore et qui m’arriva cette nuit-là.

Robert Florey


Quelques Instantanés de Charlie Chaplin

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Dans la collection privée de Charlie Chaplin, il existe trois photographies dont le célèbre artiste ne sséparera jamais.
Ces photographies qu’il garde avec un soin jaloux et qu’il ne montre à personne ont été prises aux temps héroïques de la « Karno » lorsque Charlie avait 19 ans.
Je les ai vues…

La première représente la « troupe » Karno. Charlie est au premier plan à droite. Une énorme redingote grise enveloppe son torse, ses pieds sont chaussés de bottines éculées mais n’ayant aucun rapport avec les fameuses « one million dollars Shoes ». Le maquillage de Charlie est semblable à celui qu’il a dans les films, sauf que sa moustache est plus large et plus touffue et qu’il s’est fait un « nez de poivrot » qui semble une fraise trop mûre… La chevelure de Charlie, sur cette photo, est broussailleuse mais aucun fil d’argent ne s’y mêle.
Près de Charlie, les deux grandes vedettes féminines de la « Karno », Misses Amy Minister et Muriel Palmeer, sourient de leurs jolies dents. Un jeune premier comique de la troupe, Mike Asher, est également présent, de même que Alf. Reeves, alors imprésario de la troupe, devenu depuis général-manager des « Charlie Chaplin productions ».

La deuxième photo représente une scène de A Night in a London Clubla pantomime que jouait la troupe.
Charlie, à la renverse sur une chaise, boit du
Champagne à même le goulot d’une respectable Heidsiek ; il a, sur cette photo, le même costume que sur la précédente.

Enfin, la troisième représente les principaux artistes de la troupe « à la ville ». Une énorme cravate-foulard noire entoure le cou du comédien ; sur cette dernière photo Charlie ne parait pas 19 ans, mais bien 25.

Si, un jour, Chaplin vous invite chez lui, demandez-lui la permission de voir ces photos, elles en valent la peine.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Le jour où Douglas Fairbanks inaugura ses bains turcs, il invita quelques-uns de ses bons amis. Charlie était du nombre. Nous étions là une douzaine d’hommes, et Charlie, avant le bain turc, fit de la lutte à mains plates avec le géant turc Abdull, masseur de Douglas Fairbanks. L’absence de magnésium m’empêcha de prendre un cliché de cette irrésistible scène.

Charlie Chaplin envia beaucoup le bain turc de Douglas. Il revint chaque après-midi prendre son bain…
Maintenant, depuis deux semaines environ, il glisse confidentiellement dans l’oreille de ses amis : « Vous savez, ma maison de Beverly-Bills sera bientôt construite!.. Et il y aura des bains turcs, vous viendrez, n’est-ce pas ? »
Et Douglas n’aura plus son privilège…

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

D’autre part, j’ai déjà raconté l’anecdote suivante, elle mérite les honneurs de la réédition :

Un jour, Charlie Chaplin regardant avec admiration l’immense château féodal que Douglas Fairbanks a fait construire sur ses terrains pour tourner Robin Hood. Soudain, Chaplin dit :
Cher Doug, voulez-vous être assez aimable de me prêter votre château pour une scène de mon prochain film ?
— Qu’en ferez-vous, Charlie ?
Eh bien, voici comment j’ai l’intention de me servir du château de Richard Cœur de Lion, écoutez :
La scène se passe à six heures du matin. Je suis le propriétaire du château. Je donne à mes larbins l’ordre de baisser l’énorme pont-levis, et alors, on me voit, tout petit, avec mes énormes souliers et mon costume habituel, dans l’embrasure de la porte immense… J’avance très doucement sur le pont-levis, et je vais ramasser, de l’autre côté du fossé plein d’eau, les croissants, la bouteille de lait et les journaux du matin que mes fournisseurs ont déposés devant ma porte, puis je chasse un tout 
petit chat noir et abandonné qui insiste maintenant à me suivre parce que j’emporte la bouteille renfermant le lait qu’il convoitait… Vous savez comme je le chasse, en lançant mon pied en arrière, honteusement, sans le regarder… Je repasse le pont-levis qui se referme lentement derrière moi… Que pensez-vous de l’effet que produira cette scène sur le public ? N’est-ce pas une bonne idée, dear ?

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Ce disant, Charlie, pour convaincre tout à fait Douglas, mima la scène, et tout le monde éclata de rire…
Malheureusement Doug, qui n’avait pas bati un décor de 100.000 dollars à cet usage, ne voulut rien savoir…
C’est dommage !

Quand, en 1917, Chaplin entra en possession de son propre studio qu’il venait de faire construire à La Brea Avenue, il voulut y mettre sa marque de fabrique.
Comme l’allée centrale du studio n’était pas encore terminée et que le ciment y était encore frais, Charlie chaussé de ses « godillots » fameux, marcha sur le ciment frais, tout le long de l’allée. Les empreintes de ses semelles resteront ainsi indéfiniment gravées sur l’allée… Au bout du petit chemin, avec l’extrémité de son jonc, Charlie grava encore son nom et la date.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Tout le monde connaît le couteau de Jean-Pierre.
Ce couteau qui avait été remis au brave matelot par sa bonne amie, la Paimpolaise, devait servir de fétiche à Jean-Pierre.

Malheureusement, il cassa un jour la lame qu’il fit remplacer, puis le manche qu’il changea… Et le fétiche fut, cependant, toujours celui de la Paimpolaise, et il eut le don de préserver Jean-Pierre de bien des malheurs.

C’est en voyant les souliers de Chaplin que je me suis souvenu de cette enfantine historiette…

Charlie possède trois ou quatre paire de chaussures qui lui servent pour ses films, mais il en affectionne une plus particulièrement. Celle dont il se servit à l’époque de ses débuts… Elle est extraordinaire… Imaginez pour chaque chaussure, une trentaine de petits morceaux cousus les uns après les autres… La semelle, composée de plusieurs fragments, a dû être changée au moins vingt fois.

Un jour, Chaplin enfilait ses “godillots” pour tourner une scène de Pay day, il me les montra triomphalement et me dit : “Je les ai usé chez Sennett, chez Keystone, chez Essanay et je les porte encore“.

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Le célèbre Trio MARY, DOUG et CHARLIE
La Maison de Charlot

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Depuis deux ans, Mary Pickford, Douglas Fairbanks et Charlie Chaplin passent le « week-end »ensemble à Beverly-Hills. Les trois célèbres artistes ont pris cette habitude qui est devenue une coutume et le grand palace de Douglas retentit chaque fin de semaine, du samedi soir au lundi matin, des jeux et des rires de ses « Big Threes. »

En général, le dimanche matin, de très bonne heure, Chaplin et Douglas vont faire un tour à cheval, aux environs de Beverley. Depuis longtemps, Chaplin convoitait un délicieux morceau de terrain voisin du « Pik-Fair » et, un jour, il se décida enfin à l’acheter pour y faire construire une nouvelle propriété.
L’acte d’acquisition fut signé, un samedi à 4 heures.
Le lendemain, après le lunch, dans le parc de Doug, nous buvions à petites gorgées un délicieux moka, quand Chaplin qui, depuis le matin, paraissait soucieux, déclara :
Excusez-moi, j’ai beaucoup à travailler, j’aurai terminé d’ici une heure, attendez-moi au jardin et ne me dérangez pas…

Puis il se rendit dans le cabinet de travail de Doug et il s’y enferma. Trois heures se passèrent…
Comme Spencer ne revenait pas, 
nous nous rendîmes au cabinet de travail de Douglas
Un très curieux spectacle s’offrit alors à nos yeux étonnés…

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Des monceaux de feuilles de papier jonchaient le grand bureau de Doug et derrière ces papiers apparaissait la tête de Charlie… Sa figure et ses doigts étaient maculés d’encre et de crayon. Il paraissait très fatigué et ses yeux étaient fiévreux. Comme nous le regardions, il se leva et dit, solennel :
J’ai fini !
— Quoi? questionna Doug.
Mes plans… J’ai fini mes plans, ça a été dur, mais ça y est…

Et il poussa un énorme soupir …
Nous remarquâmes alors que Chaplin s’était mis à l’aise et qu’il avait enlevé sa veste, sa chemise était toute tachée d’encre et il n’était plus à prendre, même avec des pincettes.
Doug dit :
— Mais vous avez usé toutes mes réserves de papier à lettres ?

Charlie répondit :
Cela ne fait rien, j’ai accompli mon œuvre. . Venez dans le parc, je vais vous expliquer…

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Et, autoritaire, il nous entraîna.
Dehors, à la clarté du grand soleil californien, il nous montra une petite feuille de papier, sur laquelle des 
arabesques fantasques étaient tracées. Majestueusement Chaplin expliqua son œuvre…
Eh bien, vous voyez, voici le plan de ma maison. (Puis il ajouta très vite). Voici le salon, voici le vestibule, et regardez la salle à manger. Et le premier étage, et ma salle d’armes, et mon bureau de travail… Magnifique, n’est-ce pas ! je n’ai plus qu’à m’entendre avec l’architecte ; quel papier pourrais-je mettre dans le salon et quel…
— Permettez ! trancha Douglas autoritaire ..
Permettez quoi ?
— Votre plan est très bien. Spencer, mais où sont les fenêtres de votre maison ???

Comme le singe de la lanterne, Charlie n’avait oublié qu’une chose : mettre des fenêtres à sa maison…
Un moment, il resta interloqué, puis murmura, navré :
Alors, tout est à recommencer ?
— Oui, dit Doug, mais je vous en prie, pas aujourd’hui. D’ailleurs, je n’ai plus de papier à lettre !..

Pendant quelques minutes, le petit homme barbouillé d’encre fut très triste, puis il oublia ses plans, sa maison, et comme l’on entendait au loin la voix de Mary Pickford, Charlie partit vivement se débarbouiller !


paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

TROIS PROCHAINES RÉÉDITIONS ATTENDUES : Charlot fait une cure, Charlot s’évade, Charlot Voyage.
(AGENCE GÉNÉRALE CINÉMATOGRAPHIQUE)

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Nous avons réclamé bien des fois dans ce journal la réédition de plusieurs Charlot qui marquèrent l’évolution du grand artiste vers sa forme définitive.
Entre les premiers Essanay et les derniers Robertson Cole se place, en effet, toute une série de Charlot en deux actes qui constituent de vrais chefs-d’œuvre de fantaisie et d’humour. Parmi les plus heureux, je rappellerai cette trilogie désopilante dont l’Agence Générale Cinématographique prépare actuellement des rééditions :
Charlot fait une cure, Charlot s’évade et Charlot voyage.

Vous vous rappelez le début de Charlot s’évade : Charlot, forçat évadé, sortant d’une plage sablonneuse où il avait trouvé, contre ses poursuivants, une cachette peut-être incommode, mais absolument sûre. Et les aventures se suivent sans jamais se ressembler, avec une ingéniosité de découvertes comiques, d’à-propos et d’inattendu qui déconcerte.
Le moindre incident de
Charlot s’évade ferait les honneurs du meilleur film comique. Et il y en a presque autant que de scènes. C’est du rire à jet continu, de la cascade géniale dont le plus étonnant était d’en maintenir l’esprit et l’accent.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Même continuité dans Charlot fait une cure. Il y a là une sorte de martyre de l’obèse que ne désavouerait pas Henri Béraud. Et le tortionnaire n’est autre que Charlot, l’homme torpille et articulé, le maigre dont le gros ne peut jamais venir à bout. Les scènes de la piscine et de la table de massage sont parmi les plus irrésistibles de toute la littérature charlotesque. C’est du grand art et de la plus haute fantaisie.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Charlot voyage n’est pas moins amusant. On trouve déjà dans ce film quelque chose de la philosophie désabusée et de l’humour triste dont les deux ou trois Charlot qui sont venus ensuite nous ont apporté la formule quintessenciée.

L’Agence Générale Cinématographique fut donc bien inspirée de redonner la vie à ces trois Charlot qui ouvrent déjà la série héroïque et dont on peut attendre de nouveaux triomphes.

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QUELQUES RÉÉDITIONS DE CHARLOT

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Tout le monde réclame des Charlot. Ce grand amuseur, favori du public, semble déserter l’écran. Et il manque à la foule dont les occasions de rire sont si rares ! Il y a, dans les collections de Charlot que possèdent certaines de nos maisons d’éditions, des films étonnants par leur verve, leur fantaisie, leur émotion légère.

Pathé-Consortium fut donc bien inspiré de les exhumer et de nous les offrir un peu pour nos étrennes de grands enfants sages.
Voici
Une Journée de plaisir, un des meilleurs Charlot qui précédèrent Une Vie de chien, Charlot soldat et Le Gosse. Nous y voyons un Charlot embourgeoisé, propriétaire d’une petite auto et emmenant promener sa femme et ses enfants. Mais l’auto ne va pas toute seule et Charlot est un assez mauvais chauffeur. Il y a des incidents, comme il convient, et Charlot, laissant là le capricieux tacot, avise un paquebot qui fait des promenades en mer le dimanche et y embarque sa famille. Au retour il trouvera son auto à l’endroit où il l’a laissée, car on ne vole pas aisément une auto récalcitrante. Mais auparavant Charlot, sa Charlotte et ses Charlottins, seront mêlés à des événements mémorables et maritimes dont le plus épique sera un universel et gigantesque mal de mer…

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

On se souvient de Charlot, victime des faiblesses d’estomac dues au roulis exacerbé d’un paquebot hystérique… C’est un épisode inénarrable où l’art simple du grand fantaisiste trouve à s’employer très comiquement.
Le mal de mer s’accompagne de 
complications sentimentales. Charlot, déséquilibré sur ses jambes flageolantes, tombe aux genoux d’une dame dont le mari, épargné par le mal de mer, survient. On voit d’ici quel sort est réservé au pauvre Charlot, mais la justice a des retours triomphants. Et alors que l’estomac de Charlot se remet en place, celui du mari jaloux connaît à son tour les affres du désarroi. Charlot en profite pour se venger, à sa manière qui est épique.
Ce dernier incident termine l’excellente journée de plaisir que Charlot a offerte à s
a digne famille et tout le monde regagne la maison dans l’auto qui s’est enfin décidée à marcher.

Quatre autres rééditions sont annoncées par Pathé-Consortium, Charlot débute au Cinéma, dont le titre seul est de la joie en espérance, Charlot, chevalier du balai, Charlot se montre un cascadeur inimitable ; Les Hallucinations de Charlot, dont le comique touche parfois au tragique ; Charlot joyeux garçon dont nous nous souvenons avoir ri aux larmes.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

A côté de ces rééditions impatiemment attendues, Pathé-Consortium continue sans que jamais le succès en ait été interrompu, la location des trois plus beaux Charlot : Charlot soldat, Une Idylle aux champs et Une Vie de chien. Ce sont, à des titres divers, trois éternels chefs-d’œuvre d’imagination, d’ingéniosité, de trouvailles drolatiques et inattendues que nous ne nous lasserons jamais d’admirer. Ils marquent le point d’aboutissement d’un art très personnel et d’une science du rire très subtile dont l’analyse se confondrait avec la psychologie même du rire humain.

Charlot, si nous nous en tenons à à ces quelques œuvres essentielles, s’est révélé un des plus grands amuseurs de tous les temps. Voilà pourquoi, en négligeant les premières comédies où ce génial artiste n’était pas encore arrivé à prendre conscience de ses véritables aptitudes et de ses fins, nous devons réclamer avec insistance de nos éditeurs et aussi des établissements qu’ils rehaussent leurs programmes des meilleurs Charlot.

Félicitons sincèrement Pathé-Consortium d’avoir si bien compris le goût et le désir du public, du grand public dont nous sommes tous.

Sur une pleine page nous trouvons ce beau portrait de Charlie Chaplin avec la légende ci-dessous.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

Voici un portrait de Charlot auquel on pourrait donner cette simple légende : « Charlie Chaplin intime ».

Nous le devons à l’obligeance de Pathé-Consortium qui annonce quelques rééditions de choix : Une journée de plaisir, Charlot débute au Cinéma, Charlot joyeux garçon, Charlot chevalier du balai, Les hallucinations de Charlot, sur lesquelles on trouvera d’autre part quelques, renseignements complémentaires.

On remarquera l’expression de mélancolie et de rêverie désabusée que Charlie Chaplin a parfois hors du studio et même au studio. Le sérieux du visage, la tendresse du regard et une finesse des traits presque aristocratique expliquent, loin de la contredire, cette aptitude géniale a l’humour qui est autre chose que la simple aptitude au rire, quelque chose de plus délicat, de plus profond, de plus émouvant, déplus difficile.
Il y a des portraits qui éclairent une âme. .. Ne trouvez-vous pas que celui-ci nous révèle l’âme de Charlie Chaplin ?


Nous trouvons également une double page de photographies de Charlie Chaplin avec diverses personnalités dont Max Linder, Douglas Fairbanks.


Pour finir ce post spécial Charlie Chaplin, voici la couverture de ce numéro avec cette belle photographie où on le trouve aux côtés de Douglas Fairbanks et Mary Pickford.

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

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paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

paru dans Cinéa du 15 décembre 1922

 

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

Pour en savoir plus :

Le site officiel de Charlie Chaplin.

Le site Charlie Chaplin Archives de la Cinémathèque de Bologne.

Magnifique bande annonce autour des chefs d’oeuvres de Chaplin.


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