Julien Duvivier et Harry Baur évoquent David Golder (1930-1931) 1 commentaire


Pour célébrer la 5ème édition du Festival Toute la mémoire du monde, qui a lieu du 01 au 05 mars 2017 à la Cinémathèque française, nous avons choisi de partager ces entretiens de Julien Duvivier et Harry Baur à propos de David Golder que présente demain le samedi 4 mars 2017 le cinéaste Wes Anderson à Montreuil au cinéma Le Méliès.

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David Golder c’est avant tout le premier film parlant de Julien Duvivier mais aussi le premier film de Harry Baur, que nous avons déjà évoqué dans un précédent post.

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Nous avons retrouvé un entretien avec Julien Duvivier avant le tournage de David Golder datant de mai 1930, puis un autre juste avant la sortie du film en févier 1931 (ici).

Ensuite vous pourrez lire un entretien avec Harry Baur dans Pour Vous paru le 12 mars 1931 au moment où sort en salles David Golder ().

Pour finir, nous avons trouvé un entretien (à lire ) avec Fernand Nozière qui a adapté au théâtre le roman David Golder d’Irène Némirovsky d’où est tiré le film (la pièce est jouée à Paris juste avant la sortie du film). L’intérêt, c’est que la pièce et le film ont la même distribution !! même s’ils n’ont rien à voir, les deux adaptations étant différentes.

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David Golder sort à Paris à l’Elysée-Gaumont le 6 mars. C’est aussi le premier film projeté dans cette nouvelle salle située au 79 avenue des Champs-Elysées et 22 rue Quentin-Bauchart (75008).

L’Elysée-Gaumont deviendra par la suite le Ciné-Hollywood, puis le France-Elysée, l’UGC Biarritz (qui deviendra un multiplexe de 6 salles) et le Majectic-Biarritz. Finalement ne subsiste de nos jours qu’une seule salle, l’Elysée-Biarritz, destinée aux professionnels et aux projections de presse.

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Bonne lecture !

 

– Entretien avec le réalisateur de Maman Colibri –

Julien Duvivier va tourner DAVID GOLDER d’après le roman d’Irène Némirovsky

paru dans Comoedia du 23 mai 1930

Comoedia du 23 mai 1930

Comoedia du 23 mai 1930

— Au fait, vous savez que Duvivier va tourner David Golder ?

Je dois le dire, sur le moment, cette exclamation interrogative me laissa froid et j’y répondis par ce « Ah ! » des gens occupés dont les idées sont tout à fait ailleurs, mais qui, par un reste de civilité indéracinable, émettent un son vague d’acquiescement. Ce « Ah! » vient dans l’échelle des appréciations indéterminées juste après le « vous êtes trop aimable » dit d’une voix aigre et qui signifie tout le contraire de ce qu’il veut dire, savoir : laissez-moi donc en paix.

Entrée par une oreille pour en sortir par l’autre, le temps du parcours, sans plus, cette nouvelle annoncée par quelqu’un qui voulait des détails ne laissa en moi aucun écho, n’excita pas l’ombre d’un réflexe.
Mais le travail du subconscient est impénétrable un peu à la manière de l’infiltration souterraine des eaux. Ici elles disparaissent, là, beaucoup plus loin elles reviennent à la surface ; entre temps, c’est la nuit, l’inconnu.
Ainsi de nous-mêmes.

Deux jours après, un soir que ma tâche terminée, je réfléchissais aux choses intéressantes qui avaient marqué un certain laps de temps, voilà-t-il pas que je me pris à penser presque à voix haute : est-ce que Duvivier ne va pas tourner David Golder ?

Rappel bizarre et que rien ne faisait prévoir, mais qui s’imposa comme une rengaine musicale en mon esprit à un tel point que je répétai cette phrase dix fois au moins à la file sans trouver d’apaisement. Et tout me tracassait.

Duvivier d’abord. Ah! oui, je me souviens. Je crois bien avoir dîné un soir près de lui à l’occasion d’un banquet. Un type agréable et nettement défini : teint coloré, nez un peu pointu, petits yeux vifs, remuants, aigus, presque inquisiteurs. Oui, ah ! très rigolo, il s’était lancé dans une diatribe à fond contre les journalistes. J’écoutais sagement et je m’amusais beaucoup. Soudain, il me regarda pour me demander si par hasard je n’étais pas journaliste et, sur ma réponse affirmative, il me pria de témoigner sur le bien-fondé de ses récriminations puisque, disait-il, j’étais journaliste et que je devais savoir.
Son argumentation ne manquait pas de force et tout en avalant une bouchée ou en vidant son verre, il la ponctuait d’un mot, la soulignait d’un geste.
Après cela, si ma mémoire est bonne, nous avons, naturellement, parlé cinéma pour nous quitter en fin de soirée sans nous être revus, parmi la bousculade du vestiaire et la course aux taxis.

L’autre jour, je descendais les Champs-Elysées lorsque soudain, mon esprit déambulant sur des sujets divers, vint se fixer sur la rengaine :
Est-te que Duvivier ne va pas tourner David Golder ?

Cela devenait assommant et presque une idée fixe d’une puérilité dérisoire. Ce serait devenu peut être une torture si je n’avais pris la décision subite — puisque j’étais dans les Champs-Elysées — d’aller voir Duvivier dont le bureau était à deux pas. Heureusement, il y était et, après une très courte attente, j’accédai jusque chez lui. Il était là, l’œil clair, la mine réjouie, un air de fraîcheur et de jeunesse épandu sur toute sa personne.

Après les cordialités d’usage, je lui posai résolument la question : « Est-ce que vous n’allez pas tourner David Golder ? » Il me répondit :
« Oui, je vais tourner David Golder, mais- comment le savez-vous ? »

Du diable si je me souvenais qui me l’avait annoncé. Toutefois, je repartis avec sang-froid : « Mais, mon cher, tout le monde en parle ».

Alors, vous voulez des précisions ?
— Eh! bien oui, j’en parlerai dans mon journal !

Connaissez-vous le roman d’Irène Nemirowsky ? me dit Duvivier.
—  Non, je n’en lis jamais !

—  Celui-là en vaut la peine, car c’est une étude digne de Balzac.
— On m’a dit que les personnages n’étaient pas très sympathiques, la fille est une grue, le fils un souteneur, la mère entretient un gigolo. Quant au père, David Golder, c’est un financier véreux. De la boue.

On a exagéré. Sûrement, l’histoire est sombre, mais il y a des trouées de soleil et ce n’est pas tout le temps de la boue. Pour moi, j’ai la conviction que cela fera un beau film, avec de la substance et des idées.

« Vous n’avez pas l’air de vous rendre compte de la difficulté qu’on peut avoir à trouver des sujets. L’un vous dit : faites donc une opérette, c’est le moment ; un autre vous confie : mais non, un drame, quelque chose de terrible, le public aime bien être secoué ; un troisième enfin : une comédie, cher monsieur, je vous assure quelque chose de rigolo on va au cinéma pour s’amuser ; un quatrième : un roman policier, etc., etc. Ballotté parmi ces opinions diverses et contradictoires, on se creuse la cervelle pour savoir où est la vérité, on cherche et, finalement, on ne fait rien.
Moi, je travaille à mon idée, j’écoute les avis, j’enregistre les suggestions, mais cela ne m’empêche pas de dormir !

« David Golder m’a emballé, c’est pourquoi je vais en faire un film. J’ai pris le livre le soir et je n’ai pu le quitter avant de l’avoir terminé. C’est une référence. Le personnage central est puissant. Au fond, David Golder, avec tous ses millions, est un pauvre homme. Venu à Paris d’une Europe centrale mal définie, il a conquis la fortune à force de labeur et de ténacité. Les affaires, et sa fille, voilà toute sa vie. Un jour, le médecin lui dit de ne plus travailler, car il est gravement malade. Ne plus travailler ! Autour de lui, c’est la consternation. Alors, plus de bijoux, d’autos, de fêtes, de luxe, de gigolos. Il peut bien crever s’il veut, puisqu’il n’est plus bon à rien. Suprême blessure enfin, sa femme lui jette : « Ta fille, ah! ta fille, elle n’est même pas de toi ! Vous voyez d’ici ce que l’on peut faire avec un sujet comme cela.
Mais attendez, il y a mieux encore.
David Golder renonce à tout et continue d’aimer celle qui, pendant de longues années, a été tout de même sa fille spirituelle  ! Et c’est en concluant une dernière affaire avec les Soviets, afin de la rendre riche, que David Golder mourra tout seul, par une nuit de tempête, à bord du vapeur qui le ramène en France.

Il y a des éléments, hein ? me dit Duvivier, on peut faire quelque chose avec cela ? Je suis allé voir Irène Nemirowsky et c’est une jeune femme charmante, ajoute-t-il. Elle croyait que je venais pour lui faire remanier son livre. J’ai bien ri, et Vandal, qui m’accompagnait, aussi. Mais non, Madame, tous les metteurs en scène ne « tripatouillent » pas forcément leur sujet et je respecterai celui-là. Cela se terminera sur l’écran comme sur le papier, vous avez ma parole ! lui ai-je dit. Elle n’en revenait pas..

— Sonore et, parlant, naturellement ?
Quelle question ! Mais bien sûr. Je ne sais pas au juste à quel pourcentage, mais c’est pour le moment sans intérêt.

— Et pour David Golder, qui ?
—  Ah ! voilà. Je cherche et je n’ai pas encore trouvé.

— Entre nous, tout de même, vous avez bien une idée?
Ecoutez, je veux bien vous le dire, mais que cela ne sorte pas d’ici.

Duvivier me prononça un nom, quelqu’un de très connu au théâtre, mais j’ai promis de ne rien dire et je tiendrai.

L’ennui, ajouta-t-il, c’est qu’il fait des tours pendables. Je pourrais vous en raconter ! 

—  Quand commencez-vous et où allez vous tourner?
Rien de précis encore à vous dire là-dessus. Pourtant, dans la maison, on parle d’aller tourner assez loin, très loin même, mais rien n’est arrêté. En tout cas, ce serait une nouveauté qui ferait du bruit dans le « Landernau » !

Et dans les Champs-Elysées, que je descendais maintenant l’esprit en repos je me pris à dire : c’est un fait, une certitude, Duvivier va tourner David Golder.

Jean-Paul Coutisson

Comoedia du 23 mai 1930

Comoedia du 23 mai 1930

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Notre enquête auprès des metteurs en scène : Les confidences de M. Julien Duvivier

paru dans Pour Vous du 12 février 1931

Pour Vous du 12 février 1931

Pour Vous du 12 février 1931

Vers 1916, j’avais à peine vingt ans, et je jouais, à l’Odéon, quelques rôles secondaires… J’aimais le théâtre, oui, mais je m’ennuyais, je m’ennuyais pour de bon. Cela se passait encore sous la direction Paul Gavault. J’avais connu Daniel Riche, qui faisait répéter une de ses pièces à l’Odéon : il s’était pris de sympathie pour moi, et c’est lui qui me conseilla de faire du cinéma. Pourquoi pas, en effet ? Aussi mes débuts au cinéma furent-ils assez humbles : c’est en qualité de régisseur, et sous les auspices de la Société des Gens de Lettres, plus exactement de Pierre Decourcelle et de Daniel Riche, que j’ai commencé mon apprentissage, car vous vous doutez bien que je ne connaissais rien au cinéma.

« J’appris, petit à petit… J’avais, bien entendu, interrompu ma carrière d’acteur : et je ne regrette pas le théâtre, non. Aussi, quand la Société des Gens de Lettres eut cessé sa production, je fis ce que tout le monde fait : je trouvai un commanditaire et, avec un opérateur de mes amis, je dus commencer mes deux premiers films. J’ai encore joué quelques rôles secondaires… Et mes débuts de metteur en scène furent assez bons : malheureusement un incendie, à Bordeaux (où nous avions travaillé), détruisit le négatif de l’un de mes films, et, du même coup, ma petite maison de production… Alors, je suis venu à Paris, et j’ai continué : Les Roquevillard, L’ouragan sur la montagne (le premier film dû, après la guerre, à une collaboration franco-allemande), Cœur farouche, Le Reflet de Claude Mercœur, enfin je ne vais pas vous donner une liste complète de mes films : il y en a beaucoup… »

Voilà un passé bien copieux pour un auteur qui a l’air si jeune. Car la quantité de titres que me cite M. Julien Duvivier ne paraît pas peser sur ses épaules. Il me raconte d’une voix unie et, dirait-on, désenchantée, ses débuts, dans son cabinet de travail tout étoffé de livres bien rangés. Un aspect un peu mutin, peu de gestes et un sourire plein de simplicité, voilà M. Julien Duvivier.

Pour Vous du 12 février 1931

Pour Vous du 12 février 1931

Au lendemain de l’achèvement de David Golder, alors qu’il se disposait à prendre des vacances bien gagnées, M. Julien Duvivier dut s’aliter. Et aujourd’hui c’est un convalescent qui répond à mes questions. Faut-il voir là une explication de son désenchantement et de son indulgence à la fois ?

Mon film préféré ? Aucune hésitation : c’est Poil de Carotte. De tous les films que j’ai faits, voilà celui qui m’est demeuré le plus cher. J’aime, par-dessus tout, les films d’atmosphère : Poil de Carotte en est un, je dirais même que c’est le type du film d’atmosphère. Par la suite, Le Mariage de Mlle Beulemans, et aujourd’hui David Golder, rentraient dans le genre que j’aime : aussi les crois-je mieux venus que mes autres films…
Que voulez-vous ! On ne peut bien faire que ce qu’on aime : il est vrai qu’il faut tenir compte de tant de facteurs, lorsqu’on prépare un film, que souvent on est forcé de faire ce qu’on aime peu…
Poil de Carotte est, je crois, de 1924 : qu’ai-je fait après ? J’ai « stagné », si j’ose dire…

« Et maintenant, je vous le répète, David Golder : ce film va passer vers la fin de ce mois. On m’en a dit un grand bien. C’est mon premier film parlant. Un ami, qui l’a vu, m’a dit qu’il l’aimait parce qu’au moins on y parlait peu : or, on y parle tout le temps…
Je crois donc que l’animation des images, leur changement, permettront au dialogue de passer. Ce dialogue était nécessaire : je défie qu’on y trouve trois phrases qui ne soient pas indispensables. J’ai moi-même composé le dialogue, bien entendu, en m’inspirant constamment du livre de Mme Irène Nemirovski. Quand j’avais lu le roman, et m’en étais enthousiasmé, tout le monde me l’avait déconseillé ; personne ne croyait à ce film. Et à présent… »

L’optimisme encore indécis que laissent voir les paroles de M. Julien Duvivier me paraît significatif. La présentation de David Golder, voici quelques semaines, a obtenu un certain succès. Ce film parviendra-t-il à détrôner Poil de Carotte dans le cœur de M. Julien Duvivier ? Nous le verrons bientôt…
En attendant, je ne peux pas m’empêcher de lui demander s’il est vraiment si enthousiaste de la formule cent pour cent parlant.

Mais pas du tout, cher monsieur. Je suis de ceux qui, au début de l’ère des talkies, en ont pensé et dit du mal. Je me rappelle que je sois allé à Londres exprès pour voir les premiers « parlants » américains : j’ai vu Alibi, je m’y suis ennuyé, j’en ai vu d’autres… Puis, peu à peu, je me suis acclimaté… Aujourd’hui encore, je demeure persuadé que la liaison harmonieuse entre la parole et le son est encore à trouver. Actuellement, on s’égare un petit peu : tous ces chanteurs, ces horreurs en musiquette, — à quoi bon ?

« Néanmoins, le fait est là : le « sonore et parlant » est, pour le cinéma, un grand progrès technique. Maintenant, si vous voulez mon avis sur la question du « cent pour cent », je vous dirai que je n’en ai pas : ça dépend du sujet. Certains films demandent à être tournés parlants, d’un bout à l’autre ; mais il y en a aussi pour lesquels il faut le moins possible de paroles. Je vous cite deux exemples : j’avais tourné, dans David Golder, certaines scènes muettes. Eh bien ! il m’a fallu les couper, car elles fichaient tout le film par terre ; d’autre part, le prochain scénario que je vais tourner est Les cinq gentlemen maudits, d’André Reuze (scénario d’aventures et de mystère qui est intelligent et logique, et qui a déjà été tourné il y a quelques années en muet), et je ne pense pas qu’il y aura pas plus de vingt ou vingt-cinq phrases en tout et pour tout… »

Pour Vous du 12 février 1931

Pour Vous du 12 février 1931

M. Julien Duvivier hésite un instant, puis :

Un autre projet que je caresse depuis longtemps et que je ne sais pas si je pourrai réaliser : tourner Poil de Carotte en parlant.
Pas de synchronisation, non : refaire complètement le film… Enfin, ne parlons pas de travail : pour le moment, mes projets immédiats sont deux mois de vacances dans le Midi. Je veux vous dire encore une chose : l’évolution du cinéma, la vogue des
talkies,
tout cela a été une chance pour nous, parce que nous avons été obligés de travailler. La stagnation du film français est terminée : à présent, je vous l’ai dit, on s’égare un peu ; néanmoins, je suis persuadé que le cinéma français parviendra à produire des œuvres de premier ordre. »

Nino Frank

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Harry Baur,  « le financier David Golder »

paru dans Pour Vous du 12 mars 1931

Pour Vous du 12 mars 1931

Pour Vous du 12 mars 1931

David Golder a-t-il du coeur ? Oui, sans doute, a en juger par M. Harry Baur qui lui a prêté une vie avec une ampleur exceptionnelle. C’est le même homme qui s’impose la dureté quand il s’agit de ruines ou de suicides par lui provoqués et qui, devant les larmes d’un petit être superficiel dont il a cru être le père, reprend, avec une ardeur désespérée et fatale, une lutte qu’il avait décidé d’abandonner. Énigme des lois qu’entraîne l’aveugle asservissement de l’Or…

Il y avait là un rôle extrêmement dur, un de ces rôles qui exigeaient une maîtrise de soi, un dépouillement de gestes et un double aspect pour un seul et même individu.
M. Harry Baur, homme de théâtre, n’a pas seulement surmonté ces difficultés. Il nous a prouvé que notre sens de l’hospitalité était bien grand pour les acteurs de l’étranger que précédaient des réputations tapageuses.
On a, à propos de sa création, évoqué un autre nom ; on a même établi une comparaison. Nous voici comme étonnés de cette constatation. Rien de forcé dans le jeu de l’acteur français : pas de romantisme grimaçant ou d’effet souligné, pas de lenteur trop accusée. D’emblée, dans son
premier film, M. Harry Baur a atteint cette puissance qui confère, à un artiste, la grandeur qu’on accorde avec tant de facilité aux ressortissants de pays qui sont organisés pour célébrer des gloires.

Je l’ai trouvé parmi des hommes qui avaient tous la boutonnière fleurie de rouge et tandis qu’un récepteur de téléphone apportait l’impression d’un film parlant lointain et sans images. Curieux aspect de ces foyers d’artistes équipés sous une forme moderne…

« Le film parlant ? J’en fais. Voilà tout. »
C’est ainsi que M. Harry Baur fit débuter notre entretien. C’était à vrai dire un peu bref, d’une brièveté comparable à certaines réflexions que David Golder, désabusé, laissait échapper parfois. Mais en évoquant le film, M. Harry Baur se départit bien vite de sa réserve.

« C’est un art à part, plus intelligent. Sur scène, on travaille avec un clavier ; quand on force la note, on est prévenu. Le cinéma apporte un labeur d’auto-criticisme. Tel acteur, sans intelligence exceptionnelle, pourra faire une figure à peu près convenable au théâtre. Il sera admissible. Au cinéma, il serait inadmissible. Le film parlant n’admet pas d’acteurs médiocres.

« Quant au metteur en scène, quelle tâche ! Il reste bien faillible, lui aussi. La preuve ? Il n’y a pas que de bons films…

« Mais c’est le film parlant qui représente vraiment l’avenir ; c’est vraiment un moyen d’expression admirable. »

Pour Vous du 12 mars 1931

Pour Vous du 12 mars 1931

Je l’observe. Il est fiévreux. Il me rappelle les scènes de David Golder Paule Andral lui donna la réplique non sans allure.

« Oui, reprend-il, David Golder m’a laissé quelque peu fiévreux. Et de plus, je viens de subir une légère opération. On n’imagine pas le labeur que peut représenter, pour un acteur, une double activité théâtrale et cinématographique. J’étais à Elstree quand on m’a sollicité pour David Golder. J’ai fourni pour le film un effort considérable. Ainsi, dans cette scène où j’ai le visage trempé de sueur, j’ai, obtenu le résultat en me faisant griller trois heures sous des spots. On me dit maintenant le plus grand bien du film. Mais hélas ! il s’achève tout de même, pour moi, par un procès. »

Et M. Harry Baur m’expose certaines difficultés en présence desquelles il se trouve. Il s’anime, il s’indigne, et soudain, s’appuyant contre un pan de mur :

« Après tout, me fait-il, tout ça, c’est de la cuisine, n’en parlez pas. Ou tout au moins, faites comme vous voudrez… »

Eh bien ! Je me permets d’avouer que je laisserai, en effet, ces difficultés dans l’ombre.
M. Harry Baur va tourner dans le
Juif polonais avec Jean Kemm. Il va poursuivre, au cinéma, une carrière dont les débuts ont été tout à fait exceptionnels. Pourquoi nous appesantirions-nous sur des faits qui ne comptent guère si on les compare à celui que constitue une création comme celle de David Golder ?

On a cité Jannings. On pourrait citer Bancroft, Wallace Beery, Kortner, Werner Krauss. Voici enfin, chez nous, Harry Baur.

Jean Vincent-Bréchignac

Le Matin du 04 avril 1931

Le Matin du 04 avril 1931

Encart Publicitaire pour David Golder

paru dans Le Matin du 06 mars 1931

Le Matin du 06 mars 1931

Le Matin du 06 mars 1931

La salle la plus élégante, l’Elysée-Gaumont  ouvre ses portes aujourd’hui à 15 heures, soirée à 21 heures avec le plus beau film parlant qui ait été réalisé jusqu’à ce jour : David Golder, sur lequel nous avons recueilli les opinions des personnalités ci-dessous.

COLETTE

Oui, j’ai trouvé le film David Golder presque tout le temps très bien. Que ne dirait-on pas d’un interprète comme Harry Baur s’il venait d’Amérique ou d’Allemagne ! On chanterait à tue-tête sa puissance, sa sobriété, son émotion habilement contenue.

Gaston CHERAU, de l’Académie Goncourt

Il y a quelques grands films, David Golder vient de s’assurer une des premières places dans le petit groupe de ces élus.
Sa ligne, qui est simple et forte, ne s’embarrasse d’aucune inutilité ; elle montre d’un trait jusqu’à l’anéantissement de ce terrible brasseur d’affaires qui a gardé intacte dans un coin de son cœur l’oasis de tendresse dont les hommes d’action les plus âpres entretiennent secrètement la fraîcheur.
Dès les premières vues, dès les premières notes, l’action nous saisit comme elle nous prend des les premières pages de ce grand acte littéraire qu’est le roman de Mme Irène Nemirowski. D’un coup, nous connaissons David Golder, nous le connaissons à fond et nous le suivons dans sa vie haletante sans que jamais il nous soit loisible de contrôler notre émotion. Nous le suivons de Paris à Biarritz, de Biarritz dans les bureaux de la Russie des soviets, et jusque sur le bateau de la mer Noire qui devait le ramener, riche et triomphant, à sa Joyce, et qui le conduit la mort, tandis que les réfugiés chantent des chœurs mystiques. Cette fin est un vrai chapitre d’épopée, un des chapitres les plus grandioses qu’on ait jamais conçus.

Le mérite du metteur en scène Duvivier est immense ; il a été servi magnifiquement par Harry Baur qui atteint là un tragique noble et contenu exceptionnellement juste. Cette partie du film demeurera dans les annales de la cinématographie comme une borne sur la longue route que l’art de l’écran a entreprise.

Paul MORAND

David Golder. Excellent. Ce n’est pas une comédie photographiée au prix du moindre effort, c’est une création, et un des plus beaux films parlants. C’est aussi un grand voyage humain, du ghetto polonais au luxe de Biarritz, de la pauvreté à la richesse, de la vie à la mort,
C’est au cinéma et non au théâtre qu’un romancier doit s’adresser s’il ne veut pas être trahi.

Maurice RAVEL

L’ingéniosité, la perfection de la technique, les admirables protagonistes font de David Golder le film le plus émouvant.

Maurice ROSTAND

La réalisation de David Golder au cinéma produit une grande impression. A certains moments, la sensation de vie y est presque pénible.
On a le sentiment, non d’une représentation où les artistes reproduisent des scènes, mais des minutes mêmes d’une existence moderne, à la fois féroce et tendre, auxquelles on aurait l’indiscrétion d’assister.
Et Harry Baur fait du personnage de Golder une création inoubliable.
VAN DONGEN

David Golder est un film d’une très belle réalisation artistique. Il restitue fidèlement, sur le plan visuel et sonore, le roman émouvant d’Irène Nemirovski.
On y retrouve tout : de poignantes situations, de magnifiques paysages et jusqu’à la vivante complexité des comédies et des drames qui se nouent autour de l’argent.
C’est d’une technique parfaite du point de vue images et bruits.
Le jeu des acteurs n’est pas moins puissant, Harry Baur incarne le rôle de David Golder avec une incomparable maîtrise, sans effet mélodramatique, avec une sobriété, une humanité saisissantes.

Charles VILDRAC

David Golder ? Un film dont la valeur documentaire vient doubler l’intérêt dramatique ; car cette œuvre projette une implacable lumière sur le milieu social le plus sinistre, le plus absurde et aussi le plus redoutable qui soit aujourd’hui celui de l’argent.
Une prodigalité de belle images, un découpage ingénieux et franc, une volonté d’utiliser plutôt que d’esquiver ce que l’œuvre présente ça et là d’un peu trop romanesque.
Surtout, un interprète d’une rare puissance, si profondément humain, si authentique qu’il nous dévient impossible d’évoquer David Golder autrement qu’avec les traits et la voix d’Harry Baur.

Le Matin du 06 mars 1931

Le Matin du 06 mars 1931

 

Saviez-vous que peu de temps avant la sortie du film, Harry Baur joue David Golder au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, une adaptation du même roman par Fernand Nozière ?
Signalons que la distribution de la pièce est la même que pour le film de Duvivier.

M. Fernand Nozière nous parle de “David Golder”

Paru dans Paris-Soir du 26 décembre 1930

Vous voulez quelques renseignements sur la pièce que va représenter, vendredi, le Théâtre de la Porte-Saint-Martin ?
J’ai lu avec passion le roman de Mme Irène Nemirowski. Les personnages sont si puissamment dessinés et les situations si fortes que j’ai été aussitôt tenté de les porter sur la scène. C’est un exercice de théâtre qui m’a souvent séduit : Les Liaisons dangereuses, Maison de Dame, L’Eternel Mari, avec Alfred Savoir ; L’Idiot, avec Bienstock ; Bel Ami, Un Episode sous la Terreur. Il est tout naturel que j’aie voulu écrire une pièce d’après David Golder. Le traité autorisant l’adaptation théâtrale a été signé deux mois avant le traité qui autorisait l’adaptation cinématographique.

On sait, en effet, que MM. Dulac et Vandal, avec la collaboration de M. Duvivier, ont tiré de David Golder un film parlant et ils nous ont fait l’honneur d’éprouver quelque inquiétude en apprenant les prochaines représentations de la pièce. Pourquoi ? Nous n’enlèverons pas un spectateur au cinéma. J’ai essayé d’écrire une pièce à grandes scènes et je ne me propose pas d’offrir au public une succession de rapides tableaux.

Harry Baur a dirigé les études et la mise en scène. Il joue le rôle de David Golder. Jamais son art n’a été plus simple. Il va, humainement, de la drôlerie au pathétique. La pièce, en effet, n’est pas triste. Il y a du comique dans cette étude d’un milieu inquiétant.

Mme Golder — c’est Paule Andral — est terrible et presque bouffonne. Joyce Golder est inquiétante et gaie : c’est Jackie Monnier, une jolie et fine débutante. Les amis et les parasites de Golder sont pittoresques : vous verrez la fantaisie de M. Amiot, qui est le comte Hoyos : d’Arvel, le sordide Soifer ; de Chabert, le concupiscent Fischl ; de Mlle Lindsay, la quinquagénaire énamourée ; de M. de Boncourt, gigolo de sang royal. M. Beaulieu dessine deux figures puissantes. Des acteurs russes représentent avec une rigueur extrême les délégués des Soviets.
M. Goldblatt est un petit juif qui pourrait bien devenir un nouveau Golder. M. Coizeau marque avec talent le rôle de l’associé Marcus. Tous ces artistes ont de la vie, du caractère.

Nous avons essayé d’offrir au public une pièce qui puisse l’amuser, bien que les personnages en soient redoutables. Trois décors de Bertin, deux décors de Colin.

Fernand Nozière

Mais la pièce semble avoir été très différente du film comme le montre cette critique acerbe paru dans La Semaine à Paris. Chose rare, la distribution de la pièce est la même que pour le film…

David Golder le remarquable roman de Mme Nemirovsky vient à la scène après l’écran

paru dans La Semaine à Paris du 2 janvier 1931

La Semaine à Paris du 2 janvier 1931

La Semaine à Paris du 2 janvier 1931

Ce fut un beau succès de librairie pour l’éditeur Grasset que le David Golder de Mme Irène Némirovsky. Nul ne connaissait le nom de l’auteur. Mais notre attente des réels bons livres est telle qu’un ouvrage qui se situe au-dessus de l’honnête et coutumière médiocrité, qui contient ces parcelles, d’infini que la littérature dispense parfois, voit sa renommée instantanément croître.

Histoire actuelle et contée âprement, récit balzacien, épopée financière de David Golder, du petit juif parvenu au sommet de la fortune : un coup du sort le renversera, et les exigences de sa femme et de sa fille y contribueront. Joyce, exquise figure, trouva son interprète à d’écran dans Jackie Monnier qui prodigua, pour son rôle sa gentillesse et sa beauté. Harry Baur fut David Golder. Et Paule Andral, son épouse.

Nous disons ailleurs combien ce film est excellent. Nous avons été peut-être un peu surpris de voir la matérialisation d’une oeuvre d’art littéraire ; mais la création suit ici la pensée de Mme Némirovsky, et la qualité des interprètes, et le soin des photographies, et l’agencement général, nous plaisent et font de David Golder un grand film.

Notre surprise a été plus grande encore en venant assister au théâtre de la Porte-Saint-Martin à la pièce David Golder que Fernand Nozière a tirée du roman. Et notre surprise se changea en déception, Tout a changé, C’est pourtant le même David Golder, la même aventure, les mêmes interprètes.

Plus rien ne subsiste du roman dramatique de Mme Némirovsky. Voilà du théâtre, et du plus conventionnel, et du plus poncif, et du plus ennuyeux. Nous ne retrouvons à aucun instant la trame dramatique puissamment humaine qui nous enchaînait au sort des personnages, L’action devient nulle ; l’intérêt s’épuise, s’alanguit. Ce souffle du roman qui obligeait le lecteur à le lire d’une traite, cette passion de l’argent, cette aventure financière, ces assauts dans le foyer, même du juif tout puissant, se sont effrités en mauvais théâtre.

Une première scène voudrait nous montrer David Golder avant son ascension : ayant-propos inutile et sans aucune force ; nous ne sommes pas encore dans l’action, aucun intérêt ne s’éveille.
Et tout à coup, plusieurs années après, l’intrigue commence ; L’entrevue avec Marcus manque de vérité. Où donc est la fête de Biarritz ? Paule Andral a perdu ce premier plan, de juive rapace, belle et intrigante, qu’elle possède souverainement dans le film. Jackie Monnier, toute en gentillesse, semble, timide, contrainte sur la scène, sa jeunesse ne s’acclimate guère au soleil de la rampe ; quant à son prétendant et amoureux, il fait naître une extrême indifférence. Hoyos passe inaperçu et les comparses ennuient. Seul, Harry Baur défend sa partie, en lion, il se bat dans le filet d’un texte, relâché. Son feu toujours émérite a soulevé les applaudissements.

Nous souhaitions de voir une grande pièce, plus forte, plus expressive que le film, et dès le début de la soirée, nos regards se tournaient vers Lugné-Poë, l’illustre acteur, le créateur des rôles exceptionnels d’Ibsen, et qui assistait à la représentation. David Golder, ascension surhumaine d’aujourd’hui, figure héroïque du financier colossal, exemple moderne de grandeur, de travail, de lutte. La pièce de Mr Nozière n’offre rien de cette image, de cette magnifique énergie dressée dans la tourmente par Mme Némirovsky. Nous le regrettons. Peut-être, l’habituel public des théâtres s’en contentera. On se doit d’être plus difficile.

François Ribadeau Dumas

Paris-Soir du 27 décembre 1930

Paris-Soir du 27 décembre 1930

Nous avons trouvé une rare photographie de la pièce de théâtre David Golder avec Harry Baur, dans Comoedia du 28 décembre 1930.

Source :

Tous les articles : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

sauf  Pour Vous : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

 

Pour en savoir plus :

Le site du Festival Toute la Mémoire du Monde 2017 à la Cinémathèque française.

La critique de David Golder chez nos confrères de DVDClassik.

Qui êtes-vous Julien Duvivier ? Conférence de Noël Herpe (2010) à la Cinémathèque française.

Les deux posts consacrés à la destinée de l’Elysée-Gaumont sur le site Ciné-Façades, ici et .

Le site de l’Elysée-Biarritz.

 

 


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