Histoire de varier un peu nos posts, nous avons trouvé ce bel article, quoiqu’un peu court, sur l’ambiance, haute en couleur, autour d’un cinéma de quartier, près du boulevard Sébastopol à la fin des années vingt.
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Si le nom du cinéma n’est pas précisé dans cet article, en cherchant la liste des cinémas sur ce boulevard à cette époque nous avons trouvé le Cyrano, 40 bd Sébastopol (75004), qui pourrait correspondre à cette description.
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Mais l’une des photographies ci-dessous montre les deux films à l’affiche du cinéma dont parle cet article, il s’agit de :
Le Maître de poste (1925) de Ivan Moskvine et Youri Jeliaboujsky avec Ivan Moskvine,
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et Une Java (1928) de Jean de Size et Henry Roussell avec Jean Angelo et Henriette Delannoy.
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Justement ces deux films sont à l’affiche d’un même cinéma dans le quartier de Sébastopol (à deux cent mètres) quelques semaines avant la parution de cet article : le Palais des fêtes, 8 rue aux Ours (75003). Signalons que cette salle possédait une sortie au 199 rue Saint-Martin.
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Le site Ciné-Façades nous apprend que le Palais des fêtes avait été inauguré en 1910 et qu’il s’agissait d’un grand cinéma de quartier avec deux salles, l’une au rez-de-chaussée et l’autre au premier étage d’une contenance totale avoisinant les 2000 personnes.
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Quoiqu’il en soit cet article nous évoque celui de Marcel Carné, lorsqu’il était critique pour Cinémagazine et que nous avons publié dans notre recueil “Marcel Carné, Ciné-reporter 1929-1934” (cf notre page spéciale ici).
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Nous espérons que vous apprécierez cet instantané qui ressuscite un moment ce Paris humaniste que nous aimons tant.
Bonne lecture !
Les cinémas du “Sébasto”
paru dans Cinémonde du 29 août 1929
“C’est l’gars le plus costaud De la Bastoche au Sébasto”
La casquette bien enfoncée, les deux mains dans ses poches, le mégot au coin des lèvres, il flâne devant les cinémas. Il regarde les photos et il pense que Claire Windsor est une bien jolie môme ! Et autant qu’au bal-musette, mieux même qu’au bal-musette, il emmène sa femme au cinéma, les grands soirs de tendresse, les grands soirs d’amour…
Les Halles et le Sébasto ont leurs cinémas, les cinémas du quartier où l’on vend plus que dans tout Paris, du quartier qui nourrit le ventre de Paris. Ils fonctionnent le dimanche et la semaine, en matinée et en soirée. Plus qu’ailleurs, les devantures sont couvertes d’affiches. On entre, on sort. On est bien dans le quartier le plus vivant et le plus commerçant de la capitale.
Ici, deux salles sont superposées. Et près des impasses les plus mystérieuses de la ville, j’ai vu deux femmes monter un escalier de mystère, belles, souples et parfumées, qui, quittant pour deux heures la chaussée où l’on glisse sur des légumes, allaient apprendre à rêver. Des « clochards » qui, tous, portent quelque panier, se dirigent, après avoir pris une chopine de rouge, vers ce « permanent” où toutes les places valent, prix unique, 2 fr. 50.
C’est dans ce cinéma que je vis un jour un enfant rire si fort en voyant Buster Keaton, qu’il tapait des pieds, applaudissait, trépignait à tel point, seul au premier rang, qu’il n’avait pas même pensé à ôter son capuchon, et toute la salle, une salle populaire pourtant, s’en amusait plus que du film.
Le samedi soir, c’est la grande fraternisation. La fille du laitier est assise à côté de la femme qui toute la semaine fit du trottoir son domaine. Le père de famille, qui amène sa « légitime » et ses mioches, ne voit pas d’un trop mauvais œil le pâle adolescent sans métier avouable.
Car, somme toute, on crie en même temps, et on applaudit en même temps. On n’imagine même pas que les uns siffleraient tandis que d’autres crieraient d’enthousiasme, comme dans les salles spécialisées. Il est indéniable et indiscutable que Buck Jones est un héros sympathique et qu’il est bien bon et juste que le traître soit déjoué et puni.
Pendant l’entr’acte, c’est la vraie orgie. Pour une fois, le marchand d’oranges achètera des oranges, et le marchand en gros de cacahuètes sortira vingt sous de son gousset pour en avoir acheté un petit paquet.
— Dans aucun quartier, je ne fais autant d’affaires, m’a confié la dame qui crie : « Esquimaux, pochettes-surprises, oranges, mandarines, pastilles de menthe ! » Et pourtant, elle est vieille et elle connaît bien toutes les salles de Paris.
— Et quels sont vos meilleurs clients ?
— Les bouchers, indiscutablement.
Georges Omer
Source : Collection personnelle Philippe Morisson
Pour en savoir plus :
La page consacré au Palais des Fêtes sur le blog Ciné-Façades.
Le Palais des fêtes n’existe plus, bien sur, mais à la place nous trouvons l’Espace Saint-Martin, un lieu qui sert pour des séminaires.
A La Bastoche chanté par Aristide Bruant (avec les paroles) cité en exergue de cet article sur le site Chanson Retros.
Jacques Douai chante A La Bastoche.
Le Palais des fêtes vers 1914 @ Gallica (agence Roll).*
Claude Dubois lit “La Bastoche Un histoire du Paris populaire et criminel” (éditions Tempus); filmé par Gérard Courant.
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Mon Sébasto, paroles de Jean-Roger Caussimon, chanté par Léo Ferré.