Le cinéma français et international doit beaucoup à l’acharnement de Maud Linder pour perpétuer la mémoire de son père qui pendant longtemps s’était perdue.
Nous avions rendu plusieurs fois hommage à Max Linder en reproduisant plusieurs articles notamment à l’occasion du 90° anniversaire de sa mort en 2015 comme celui-ci :
Maud Linder vient de nous quitter le 25 octobre dernier. Aussi, nous voulions évoquer sa mémoire et saluer l’importance qu’elle a eu pour la transmission du patrimoine cinématographique français malgré son passé tragique.
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Née en 1924, Maud Linder n’a que seize mois lorsque son père se suicide avec sa mère. Ce n’est qu’à l’âge de vingt ans qu’elle découvre qui est véritablement son père et passera le reste de sa vie à rechercher, restaurer les films de son père et perpétuer sa mémoire.
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La publication de ces articles nous a paru intéressant car ils font référence au procès qui opposa la mère de la femme de Max Linder, Mme Peters, au frère de celui-ci, Maurice Leuvielle pour la garde de Maud-Lydie dit Josette (et la fortune de son père). En les lisant on ne peut s’empêcher de penser qu’à l’issue de ce procès la petite Maud est plus en sécurité avec le frère de son père plutôt qu’avec sa grand-mère maternelle. Malheureusement l’histoire nous apprendra qu’il n’en a rien été et que la famille Leuvielle n’avait que faire de la préservation des films de Max Linder.
Voilà ce que Maud Linder racontait en 1995 à Libération à propos de la collection personnelle de Max Linder qui “est partie dans ma famille paternelle. Là, ils ont tout pris et ont tout enterré dans un coin du jardin. C’est Georges Sadoul qui me l’a signalé. J’y suis allée voir. Effectivement, tout avait été mis en terre, et j’ai vu des morceaux de pellicule pêle-mêle. Je n’ai même pas eu le courage de fouiller. Je n’ai pu ramener que quelques boîtes, gardées dans un clapier à lapins.”
Maud Linder racontera son histoire en 1992 dans ce livre paru chez Flammarion.
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Maud Linder s’en est donc allée le 25 octobre 2017, quelques jours avant le 92° anniversaire de la mort de son père le 31 octobre 1925.
Elle avait 93 ans.
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Nos sincères condoléances à sa famille et à ses proches.
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Voici donc ces articles principalement publiés en janvier 1935 en ordre chronologique. Signalons que vous lirez que l’avocat de la famille paternel était Me Paul Boncour, dont Max Linder avait été le chauffeur lors de son service militaire.
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Bonne lecture.
Max Linder rend visite à Charlie Chaplin (rare archive vidéo de 1917).
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Dix ans après le suicide de Max Linder deux familles se disputent encore la garde de sa fille
paru dans Paris-Soir du 5 janvier 1935
Avant le procès qui s’est engagé cet après-midi, le tuteur de la petite Josette, ses grands-parents paternels et sa grand-mère maternelle nous expliquent les motifs de ce douloureux conflit
Plus de dix années se sont déjà écoulées depuis cette matinée du 1er novembre 1925 où, dans une chambre d’hôtel du quartier de l’Etoile, on découvrait, agonisants, Max Linder et sa femme, les veines tailladées ; sur une table de nuit se trouvaient un flacon de véronal vide.
Deux ans auparavant, Max Linder, alors en pleine gloire, avait fait la rencontre, à Chamonix, d’une jeune fille de dix-sept ans, Mlle Marguerite Peters, fort jolie et par surcroît très riche. Max Linder devint follement amoureux d’elle et finit par l’épouser.
Mais leur bonheur devait être de courte durée. Max Linder, obsédé par la jalousie, se montrait brutal et allait, si l’on en croit les dires de certains témoins, jusqu’à séquestrer sa femme. Chaque jour, les scènes de ménage devinrent plus violentes.
On crut que la naissance d’une petite fille, prénommée Josette, apporterait enfin le calme et la paix dans le ménage, mais, le 2 juillet 1925, Mme Max Linder déposait une requête en divorce qu’elle retira sur les supplications de son mari et en considération de l’enfant qu’ils adoraient.
Quatre mois après se déroulait l’affreuse tragédie. Par testament olographe, Max Linder confiait la tutelle de sa fille à son frère, M. Maurice Leuvielle, et exprimait sa volonté que celle-ci fût élevée aux environs de Bordeaux par sa mère.
De son côté, Mme Max Linder laissait une note s’opposant à ce que sa fille Josette fût confiée à ses grands-parents paternels.
Cette enfant est aujourd’hui encore l’objet de l’âpre lutte qui divise deux familles.
La première chambre de la Cour d’appel, cet après-midi, se prononce sur ce douloureux procès. Me Paul-Boncour plaide pour M. Maurice Leuvielle, Me Pierre Masse pour Mme Peters.
« Max Linder était fou » nous dit Mme Peters
Dans un calme petit hôtel de la rue des Acacias, c’est une femme en larme que nous avons trouvé mais encore décidée à la lutte pour reprendre sa petite-fille.
— Je n’ai jamais voulu, jusqu’à ce jour recevoir de journalistes, nous dit-elle. Mais maintenant, il faut que le public connaisse la vérité, car on a trop sali la mémoire de mon enfant, mon enfant que l’on a assassinée !
» Max Linder était un fou, m’entendez-vous, un fou ! Je ne sais si la divulgation du secret médical faite sur le territoire français est une violation et si la loi française ne peut qu’estimer sans intérêt des rapports médicaux, il n’en reste pas moins vrai que les trois médecins qui donnèrent leurs soins au cours de l’année 1925, dans l’établissement de repos situé en Suisse, à Max Linder, le considéraient comme un fou dangereux, à interner immédiatement. J’ai d’autres témoignages de cette folie furieuse qui le mena à faire subir un long martyre à ma fille et à l’assassiner.
» Non, je ne viendrai pas, cet après-midi, accabler la mémoire de mon gendre. Je ne veux pas que ma petite-fille qui porte son nom puisse rougir un jour de cet homme dont elle porte le nom et qui reste, malgré, tout, son père. Mais il faut tout de même que l’on sache que c’est cet homme qui a assassiné sa femme, puisque la loi déclare « le droit individuel de choisir un tuteur ou une tutrice, parent ou parente, étranger ou étrangère, n’appartenant qu’au dernier survivant de père et de mère ».
» Il a assassiné ma fille ; il ne pouvait que rester le « dernier survivant ».
» La loi jouera-t-elle sur ce point de droit, qui serait, dans ce cas, abominable ? Non ! non ! et non ! Elle ne le peut pas.
» Je veux que l’on me donne la garde de ma petite-fille et que l’on sache que ce n’est pas là une tutelle que je désire, mais que je veux élever l’enfant à mes frais. »
A Saint-Loubès les parents de Max Linder veulent garder la petite Josette
(De notre correspondant particulier)
Bordeaux, 4 Janvier (par téléph.).
— Josette, maintenant que tu as dit bonjour à monsieur, veux-tu, mon petit, me laisser un instant ? Je t’expliquerai ta leçon dans quelques minutes. En attendant, demande à Miss, elle saura te renseigner.
Après avoir adressé un joli sourire à son grand-père paternelle, Mlle Josette, qui veut très bien connaître sa leçon, a refermé la porte donnant accès à la salle à manger de la demeure cossue de M. et Mme Leuvielle, à Saint-Loubès.
En regardant cette fillette de 10 ans, on éprouve immédiatement un mouvement de sympathie à son égard. De grandes boucles châtain encerclent un visage ovale au teint mat illuminé par de beaux yeux ; des gestes mesurés et un petit air sérieux, telle m’apparaît Mlle Josette Leuvielle.
En même temps, je me remémore les premiers films d’il y a 25 ans, tournés par un artiste français qui devait devenir peu après une vedette de l’écran ; je le revois, cet artiste plein de jeunesse, d’enthousiasme, tout vêtu de blanc, le teint bruni par le soleil, prenant quelques journées de repos sur le bassin d’Arcachon, en compagnie de ses parents, discutant rugby avec son frère Maurice, alors capitaine du quinze du Stade Bordelais, champion de France.
Neuf années ont passé depuis le drame du Palace de l’Etoile et trois procès successifs ont dressé les uns contre les autres, la grand-mère maternelle et les grands-parents paternels. Lutte pour
la tutelle d’une enfant…
Chez Josette « Max-Linder »
Pour rejoindre Josette et ses parents, j’ai dû me rendre par la route à Saint- Loubès. Le jour décline vite au seuil de la nouvelle année ; les phares de l’auto projettent de larges raies de lumière sur la campagne environnante et c’est à la tombés de la nuit que j’arrive dans ce grand et paisible bourg girondin.
Au milieu d’un grand jardin tout fleuri malgré la saison, s’élève une belle maison bourgeoise à deux étages. Un homme de soixante ans nous reçoit.
C’est M. Leuvielle père, entouré de sa femme et de la petite Josette :
— Allons, Josette, va retrouver Miss, elle t’enseignera tes leçons.
Nous pouvons causer.
— Vous venez pour notre procès ? Nous avons confiance. Voyez nos yeux, ils sont pleins d’espoir. Me Paul-Boncour connaît à fond l’affaire et nous sommes certains que l’éminent avocat, auquel nous avons rendu visite en octobre dernier, défendra une fois de plus, avec son grand talent, la mémoire de notre regretté Max.
» Au cours des précédents procès, Mme Peters a demandé l’annulation du testament déposé par Max quelques mois avant sa mort entre les mains d’un notaire. Un testament fut également trouvé dans la chambre où il se suicida. Toutes sortes de raisons ont été invoquées et ce procès s’est terminé en notre faveur.
» La validité de ce testament fut ensuite attaquée. Nouveau procès, mais la loi reste la loi et nous le gagnâmes.
» Notre fils Maurice fut désigné par son frère comme tuteur de Josette.
» N’est-elle pas bien à sa place ici, dans un foyer familial, entourée de l’affection de tous ? Sa grand’mère maternelle vient la chercher tous les mois et la mène à Paris, elle la garde deux jours auprès d’elle. En été, nous la lui confions, non pas pour 60 jours, mais pour quatre à cinq mois.
» L’été dernier, elle la mena à Salies-de-Béarn et sur la Côte d’Azur. Nous, nous veillons sur elle et sur son éducation.
» N’est-ce pas là le véritable rôle de son tuteur et de ses grands-parents paternels ?
» On a dit que Max n’avait pas toute sa lucidité lorsqu’il écrivit ses dernières volontés. A la barre, des témoins vinrent déposer contre ces affirmations. En attendant, la fortune de Josette est sous séquestre et chaque nouveau procès entame sérieusement l’héritage qui lui reviendra à sa majorité. »
Mme Leuvielle intervient :
— Me Paul-Boncour nous a réconfortés par ses paroles. On avait, dans quelques feuilles, jadis, sali la mémoire de notre fils, mais à quoi bon parler du passé ?
« Je ne veux pas que Josette passe son adolescence dans les palaces »
Il fait nuit lorsque je me présente devant le portail de la propriété de Maurice Leuvielle.
» Dans son testament, me dit-il, mon frère me désigna comme tuteur de sa petite fille. Tous les procès entamés par Mme Peters ont été perdus par elle.
» Elle veut l’enfant, mais elle l’a plus que ne l’autorise la loi. Seulement, je ne veux pas, tant que je serai responsable, que Josette passe son adolescence dans les palaces. Mme Peters vient de temps à autre nous voir, elle sait, elle comprend, me dit-elle, mais elle s’obstine.
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La fillette de Max Linder mort tragiquement avec sa femme est l’enjeu d’un procès douloureux
paru dans Le Journal du 5 janvier 1935
Les procès qui opposent de chaque côté de la barre des êtres qui furent unis par les liens du sang ou partagèrent les mêmes joies et les mêmes peines sont toujours infiniment douloureux.
Mais que dire de ceux dont des enfants sont l’enjeu, des querelles familiales nées autour d’un orphelin et dont l’âpreté s’accroît encore de ce qu’il s’y mêle des souvenirs et une commune volonté de justifier la mémoire d’un être disparu ?
C’est un procès de cette sorte, dans l’un de ses derniers épisodes et où s’évoque un drame aujourd’hui presque oublié : le suicide, le 31 octobre 1925, à Paris, de Max Linder et de sa femme, qui était appelé, hier après-midi, au rôle de la première chambre de la cour d’appel.
Un procès qui dure depuis près de dix ans, et qui porte sur la tutelle de la petite fille, enfant unique, de Max Linder, de son vrai nom Gabriel Leuvielle, et de sa femme, Marguerite Peters : Maud-Lydie, maintenant âgée d’un peu plus de douze ans.
Par testament olographe, daté du 18 octobre — quelques jours donc avant sa fatale détermination — et confirmé par une lettre écrite à la dernière heure, l’acteur demandait que la petite Maud fût confiée à son frère, M. Maurice Leuvielle, ingénieur agricole, et qu’elle fût élevée à la campagne par sa mère, qui, disait-il, « est une sainte femme ».
De son côté, dans une note, Mme Max Linder s’opposait à la requête de son mari, et demandait que le bébé fût remis à sa grand’mère maternelle, Mme Peters. Un conseil de famille se réunit à Neuilly ; le juge de paix accorda la tutelle à Mme Peters, en nommant M. Maurice Leuvielle, subrogétuteur.
Mais le 6 décembre 1927, le tribunal civil prononça la nullité de ce conseil et déclara valable le testament de Max Linder.
Mme Peters renonça à interjeter appel, mais, en 1929, elle introduisit une nouvelle action. Elle demandait l’annulation du testament en le prétendant à la fois immoral et inexistant, Max Linder, affirmait-elle, n’ayant survécu que parce qu’il avait contraint sa femme à mourir, et se trouvant en état d’insanité d’esprit lorsqu’il avait testé.
Une fois de plus donc, les deux familles se retrouvèrent devant le tribunal, le 3 juin 1931. Celui-ci débouta Mme Peters, refusant l’enquête qu’elle avait proposée, et rejetant des débats les pièces sur lesquelles elle appuyait ses dires.
C’est l’appel de ce jugement, interjeté par la tutrice, que la cour avait à examiner hier. Le premier président, M. Eugène Dreyfus, présidait les débats qui ne commencèrent que tard dans l’après-midi, en présence d’une assistance inusitée.
Me Pierre Masse, qu’assistait Me Calandreau, représentait Mme Peters. Me Paul-Boncour, accompagné de Me Gaston Strauss, était le mandataire de M. Maurice Leuvielle.
Me Pierre Masse a pris le premier la parole. Il a donné lecture tout d’abord des premiers jugements.
Après avoir exposé au comité comment s’étaient connus les jeunes époux, il a donné sur leur intimité des détails qui révéleraient que Max Linder, au moment du suicide, ne jouissait pas de l’intégrité de ses facultés mentales. A huitaine, Me Pierre Masse continuera sa plaidoirie.
Visite aux parents de Max Linder qui élèvent la petite Maud-Lydie
paru dans Le Journal du 5 janvier 1935
BORDEAUX, 4 janvier.
La famille Leuvielle réside à Saint-Loubès, à 18 kilomètres de Bordeaux. C’est du reste son berceau ; elle se compose de deux groupes. C’est d’abord le père et la mère de Max Linder, propriétaires d’une belle maison élevée de deux étages et voisine de la gare, et Maud-Lydie-Josette, la fille de Max Linder.
Le second groupe comprend M. et Mme Maurice Leuvielle, qui habitent une ferme importante au milieu d’un vaste domaine situé à deux kilomètres environ du bourg de Saint-Loubès, en bordure de la grand’route conduisant à la Grave-d’Ambares. M. Maurice Leuvielle, dont le nom figure parmi les grands propriétaires viticulteurs de Saint-Loubès, est le frère de Max Linder. Il a été longtemps capitaine de l’équipe du Stade Bordelais à l’époque où cette équipe cueillait tous les lauriers.
M. Maurice Leuvielle était chimiste de son état. Il a repris cette profession, qu’il exerce à la station œnologique de la faculté des sciences, cours Pasteur, à Bordeaux.
Nous avons fait ce matin une visite aux grands-parents qui entourent de leur tendre sollicitude Maud-Lydie. La fille de Max Linder avait dix-huit mois à la mort de ses parents. Elle a aujourd’hui dix ans. C’est une charmante enfant blonde, ressemblant beaucoup à son père. Elle va à l’école communale de Saint-Loubès.
Mme Peters, la belle-mère de Max Linder, entretient de bons rapports avec les grands-parents paternels de Maud-Lydie. Elle vient de temps en temps à Saint-Loubès pour chercher la petite, qu’elle emmène à Paris. Durant la saison estivale, Mme Peters vient aussi prendre Maud-Lydie et passe avec elle ses vacances sur la Côte d’Argent où sur la Côte d’Azur.
D’après le testament, c’est Maurice Leuvielle, l’ex-capitaine du Stade Bordelais, qui a été nommé tuteur légal de sa nièce, mais, en raison de ses occupations professionnelles, ce sont les grands-parents paternels qui veillent sur l’enfant et dirigent son éducation. Soulignons que la famille Leuvielle jouit, dans la contrée, de l’estime et de la considération de tous. La nouvelle que le procès vient aujourd’hui devant la Cour s’est rapidement répandue et les habitants souhaitent que la mignonne fillette reste à Saint-Loubès où tout le monde l’aime.
— (Journal.)
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Ici repose MAX LINDER
Sur la tombe de qui deux familles se disputent une orpheline
paru dans Comoedia du 6 janvier 1935
UN DOULOUREUX PROCES
La terre l’a repris et le garde, la terre maternelle à qui l’on revient toujours. Et c’est dans un petit cimetière à flanc de coteau, presque au bord de la grande ligne qui, des rives de la Garonne à celles de la Dordogne confluente, franchit d’un bond cet « Entre-deux-Mers » aux aimables éventails de pampres et de jardins.
Le jour, c’est d’en bas qu’il faut regarder, alors, pareil à tant d’autres bourgs aquitains, Saint-Loubès apparaît avec son clocher de pierre tendre et patinée comme un visage d’aïeule. Et puis, un parfait rectangle de murs, dominant les vignes : les morts reposerait au-dessus du labeur des vivants.
La nuit, mieux vaut se poster à l’entrée du cimetière, pour plonger, à travers la grille, sur le cordon de points rouges, blancs et verts dans l’ombre que déchirent les cyprès ameutés… Enfant, Max Linder les vit passer, ces même express, un peu moins impatients peut-être, mais aussi fulminants et sonores. Et ce fut Paris, le monde, le succès, le dégoût, le réveil sentimental, la brisure, la chute, le suicide sur un lit d’hôtel.
Une jeune femme le suivait dans la mort. Une toute petite fille était à peine entrée dans la vie.
Suivant la loi, M. Maurice Leuvielle, frère du disparu, et l’une des gloires du Stade bordelais, devint tuteur. Alors, sur la tombe refermée dans un matin gris d’octobre, commença la lutte implacable de deux familles se disputant une orpheline à la fortune séquestrée. Il y a dix ans de cela.
L’affaire venait, cette semaine, devant la première chambre de la Cour. Au nom de Mme Peters, Me Pierre-Masse s’est efforcé d’établir la folie de Max Linder et « l’irrecevabilité » de son testament. Contre quoi, Me Paul-Boncour plaidera à huitaine le maintien du statu quo.
Cependant qu’autour du petit cimetière tranquille ceux de là-bas continuent, comme dirait Paul Fort,
à s’en r’venir aux champs,
aux champs com’m’, tous les jours.
Maurice-J. Champel
Le lendemain toujours en première page de Comoedia paraît cette photo de Maud Linder avec cette légende.
LA FILLE DE MAX LINDER
La petite Josette Leuvielle, que se disputent, ainsi que nous le relations hier, la famille de Max Linder et celle de sa femme : procès qui est venu cette semaine devant la Cour de Paris.
(On lira dans Ciné-Comœdia quelques souvenirs sur la jeunesse de Max Linder, par Jean-Pierre Liausu.)
(Photo Keystone.)
AUTOUR D’UN DRAME
Quand Max Linder se reposait dans ses vignes, à Saint-Loubès
paru dans Comoedia du 7 janvier 1935
QUELQUES VISAGES DE CET HEUREUX TEMPS
On se bat autour d’une enfant et cette enfant est celle de Max Linder. On se bat avec des textes de lois et c’est le dernier acte d’un drame atroce. Si pour essayer de faire le point nous nous souvenions des temps heureux où Max Linder ne pouvait rien prévoir du drame futur ?
Je me revois, encore adolescent, grappillant les vignes de Saint-Loubès. Max Linder était souffrant, il se soignait dans sa famille et j’aime mieux vous dire que les gosses qu’il amusait tant à l’écran lui portaient une curiosité indiscrète. Son frère, Maurice Leuvielle, capitaine de rugby, chef de cette équipe du Stade Bordelais qui fut tant de fois championne de France, n’était pas moins célèbre. Vers cette époque Gaston Bénac débutait, Raymond Thoumazeau était la terreur des récréations, James de Coquet promenait de longs cheveux et de petits poèmes, Guy de Cassagnac venait se payer de douces rigolades aux soirées de « La Voix des Muses », André Lafont adressait aux jeunes des kilogrammes de conseils littéraires, Dhelia-Col récitait : « Etre mère, c’est l’enfer! », Marie Bell avait des tresses blondes et les mollets nus, Marcel Soarez jouait « Polyeucte » et M. Adrien Marquet préparait la révolution au Bar Français de Bordeaux en devisant de Proust avec Lhintillac, Louis Cayrel, les peintres Dupas et Despujol.
A Saint-Loubès, non loin des Quinconces et du monument des Girondins, Max Linder se retrempait les nerfs auprès de son frère, doux colosse. Et ce fut la guerre !
Quelques années plus tard, entre un matin, dans le hall de Comœdia, notre ami Croze, le visage décomposé, les yeux pleins de larmes.
Max venait de se suicider. Vous rappelez-vous, Croze, cette, photo signée Charlie Chaplin : « A mon maître, Max Linder »? Terrible reportage : il faudrait ouvrir son cœur.
Pour moi, les yeux fermés, je revoyais Max Linder, souriant tristement aux petits grappilleurs du « Bosquet Belligon », dont la plupart sont morts, un Max si différent de celui qu’imaginait la foule.
Et nous voici au dernier acte.
« Max a tué sa femme, il était fou. Rendez-moi ma petite fille ! » dit Mme Peters, belle-mère de Max.
Les procès se suivent. A Saint-Loubès, Maurice Leuvielle veille sur la santé de Josette Linder. A Paris, Me Paul-Boncour veille sur un dossier qui, une fois de plus, présent avec autant d’éloquence que d’émotion, laissera Josette à Maurice Leuvielle.
Et celui-ci parle avec un bon sens total ; son désir n’est pas de priver Josette de sa grand’ mère. « Je ne veux pas pour elle d’une adolescence passée dans les palaces ».
Oui, il vaut mieux le grand air de Saint-Loubès, les laiteries où tout est’ calme et douceur, ses vignes où l’on grappille, son fleuve couleur de souffre, ses paysans travailleurs et francs, son atmosphère de province sage et studieuse et le jardin où le petit Leuvielle rêva d’être tragédien avant de devenir Max Linder.
Jean-Pierre LIAUSU
Finalement c’est presque deux mois plus tard que le dénouement de ce procès survint comme le relate cet article paru en première page de Comoedia du 2 mars 1935.
La fille de Max Linder restera à la garde de son oncle
paru dans Comoedia du 2 mars 1935
LA FIN D’UN LONG PROCES
Un gros succès pour Mes Paul-Boncour et Gaston Strauss… et l’on va pavoiser à Saint-Loubès, près du petit cimetière à flanc de coteau où dort Max Linder.
Nous avons relaté en son temps le douloureux procès qui mettait aux prises, autour d’une fillette, Maud-Lydie, unique héritière du grand artiste disparu, les familles Leuvielle et Peters. La première chambre de la Cour d’appel, présidée par M. Talion, a rendu hier son jugement dans cette affaire aux rebondissements multiples et déjà vieille d’une dizaine d’années.
Les prétentions de Mme Peters, arguant de l’insuffisance mentale de son gendre, ont été rejetées et, la condamnant aux dépens, la Cour a purement et simplement confirmé les conclusions formulées par le jugement de première instance et reprises par M. Rolland, avocat général, confiant la garde de l’enfant à son oncle et tuteur, M. Maurice Leuvielle.
Ainsi, espérons-le, se trouvera mis un point final à la tragique aventure qui défraya la chronique mondiale et les mânes de celui qui mourut de la plus fiévreuse existence pourront enfin reposer en paix.
Maurice-J. Champel
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
Entretien touchant en 1992 de Maud Linder pour le journal belge Le Soir.
Maud Linder en 1995 évoque son père dans Libération à l’occasion d’une soirée sur Arte.
En 2014, la rencontre affectueuse entre Maud Linder et l’auteur du blog La Culture entre deux chaises, admirateur de Max Linder.
L’article du Monde “Max Linder côté noir, côté blanc” qui revient sur l’histoire de Maud Linder et son combat pour retrouver les films de son père.
Le site allemand sur Max Linder.
Entretien de Maud Linder en 1963 dans l’émission Cinq Colonnes à la une.
*
Le colloque Max Linder en présence de Maud Linder à la Cinémathèque Suisse (2012).
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Un long entretien passionnant de Maud Linder en 2014 pour la webtv Etoiles du coeur.
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La bande-annonce du coffret indispensable Max Linder paru aux Editions Montparnasse.