C’est donc le 18 septembre 1936 il y a tout juste 80 ans que sort à Paris Jenny le premier film de Marcel Carné. On y retrouve déjà plusieurs de ses collaborateurs fétiches : Le chef opérateur Roger Hubert (que l’on retrouvera plusieurs fois chez Carné notamment Les Enfants du Paradis), à la musique Joseph Kosma (que l’on ne présente plus) et surtout c’est aussi la première collaboration entre Marcel Carné et Jacques Prévert qui ici s’occupe du dialogue et de l’adaptation.
Et dans la distribution, comment ne pas signaler Françoise Rosay (que l’on retrouvera dans Drôle de drame) et Jean-Louis Barrault (Les Enfants du Paradis) dans un rôle écrit sur mesure par Prévert, mais aussi Sylvia Bataille (Les Portes de la nuit), Robert Le Vigan (Le Quai des brumes) et René Génin (second rôle que l’on retrouve beaucoup chez Carné : Drôle de drame, Le Quai des brumes, Le Jour se lève et même dans Juliette ou la clef des songes !).
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Jenny sort le même mois que Le Roman d’un tricheur de Sacha Guitry et La Belle Equipe de Julien Duvivier.
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Le film sera un succès et bénéficiera de 6 semaines d’exclusivité au Cinéma Madeleine, ce qui pour l’époque pour un premier film est assez remarquable.
Il échouera de peu de remporter le prix Louis Delluc face à Jean Renoir qui avait, cette année là, deux films en compétition : Le Crime de Mr Lange et Les Bas-Fonds, film pour lequel il remportera ce prestigieux prix.
Quant à Marcel Carné, il lui faudra attendre deux années supplémentaires pour le remporter avec Le Quai des Brumes. Mais ceci est une autre histoire…
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Parmi toutes les critiques de Jenny, celle d’Alexandre Arnoux (de l’Académie Goncourt) est la plus visionnaire (à lire ici) mais il faut signaler celles du critique Lucien Wahl (ici) et de Marcel Achard (là).
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Bonne lecture !
La liste des films programmés dans les cinémas d’exclusivité le jour où sort Jenny de Marcel Carné au Madeleine Cinéma, 14 boulevard de la Madeleine.
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Pour démarrer par un clin d’oeil, nous avons trouvé dans L’Humanité du 15 mars 1936, cette série d’anagramme. Dans son autobiographie, Marcel Carné est fier d’avoir trouvé tardivement que l’anagramme de Carné était Ecran. il aurait pu le savoir dès 1936 s’il avait fait attention à cette solution de Charlochat ! (Charlochat étant un personnage de bande dessinée de l’époque).
Le 18 mars 1936, Paris-Soir annonce le premier film de Marcel Carné qui doit s’appeler “Mensonges” !
Le lendemain le 19 mars 1936, Comoedia annonce le tournage au canal de l’Ourcq des scènes de Prison de velours (du nom du roman dont est tiré Jenny).
Puis on trouve cet article du 30 mars sur le tournage du film aux studios de Billancourt dans Paris-Soir.
Lisette Lanvin fait des tours de passe-passe et Charles Vanel gifle Albert Préjean !
paru dans Paris-Soir du 30 mars 1936
— Lisette Lanvin ? Mais elle vient d’essayer de nous épater tous en faisant une série de tours de passe-passe dont aucun n’a réussi !
C’est par ces mots que Raymond Blondy m’accueille sur un des plateaux, à Billancourt, dans une petite chambre d’hôtel, qui fut peut-être propre un jour, mais qu’encombrent maintenant des meubles et des objets brisés.
Étendu sur le lit, Albert Préjean se plaint de la chaleur. Il a un œil au beurre noir. Le motif ? Un coup de point donné par Charles Vanel avec lequel il vient d’avoir un terrible pugilat. Las ! Sous l’ardeur des sunlights, le noir qui entoure son oeil commence à couler et on appelle le maquilleur à la rescousse.
— Pour mon premier film, Jenny, dont le scénario, inspiré d’une idée de Pierre Rocher, a été écrit par Jacques Prévert et Jacques Constant, j’ai une distribution magnifique, me confie le metteur en scène Marcel Carné. Pensez donc : Françoise Rosay, Albert Préjean, Charles Vanel, Lisette Lanvin, Roland Toutain, Robert Le Vigan, Jeanne Veniat et deux jeunes de grande classe, Sylvia Bataille et Jean-Louis Barrault !
” Jenny est une histoire dramatique, humaine et réaliste, trop réaliste même au goût de la censure qui, avant le premier tour de manivelle, nous a demandé de modifier une scène ou deux. »
Marcel Carné fut longtemps l’assistant de Jacques Feyder. Souhaitons-lui, de réussir son premier film, car un jeune metteur en scène de classe de plus ne fera certes pas de mal au cinéma français.
Serge Berline
Dans Paris-Soir du 11 avril 1936 on annonce la fin du tournage de Jenny aux Studios de Billancourt.
Dans Le Figaro du 13 août 1936, on trouve dans un article intitulé Bravo Les Jeunes, cette référence élogieuse à Marcel Carné par le journaliste Julien J. London. Notons qu’il cite également Léonide Moguy (spécialiste du montage), Le Hénaff (monteur de René Clair), Claude Vermorel (assistant d’Abel Gance).
“On dit le plus grand bien de Jenny, de Marcel Carné qui, hier encore, était l’assistant de Jacques Feyder“.
Le Figaro, dans son édition du 7 septembre 1936, annonce la présentation officielle de Jenny au Rex le mercredi 9 septembre 1936.
A la suite de cette présentation paraissent plusieurs critiques du film, la première dans Paris-Soir :
LES PRÉSENTATIONS : « Jenny »
paru dans Paris-Soir du 11 septembre 1936
« C’est parfait. C’est magnifique. C’est une réussite. Plein de tact. Sans longueur. Interprétation hors ligne.. Photographie excellente. »
Rarement vit-on une telle unanimité pour louer un film à l’issue de sa présentation aux exploitants et à la presse. Pas une note discordante, et l’avis de tous était bien que nous tenons là une œuvre digne en tous points du cinéma français et même du cinéma tout court.
Le « pauvre » Marcel Carné, entouré de toutes parts, félicité par tous, ne savait plus où tendre la main ni où donner de la tête, et l’accueil enthousiaste — le mot n’est pas exagéré — reçu par son premier film, doit lui permettre les plus larges espoirs.
Tous les interprètes ont aussi une part égale dans les applaudissements qui soulignèrent les principaux passages de Jenny, que ce soit Françoise Rosay, Albert Préjean, Charles Vanel, Lisette Lanvin, Roland Toutain, Le Vigan, Margo Lion, Jean-Louis Barrault et Sylvia Bataille.
Nous trouvons dans Comoedia du 17 septembre 1936 ce compte-rendu succinct mais montrant le succès de cette présentation :
Dans Paris-Soir, les 16 et 17 septembre 1936 parait cette énigmatique publicité.
Puis le 18 septembre 1936 parait cette publicité annonçant la sortie de Jenny au Cinéma Madeleine, célèbre cinéma d’exclusivité, qui accueillera plusieurs films de Carné par la suite : Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir, Les Enfants du paradis.
Un grand film français : « Jenny » à la Madeleine
paru dans La Semaine à Paris du 18 septembre 1936.
Françoise Rosay, Charles Vanel, Albert Préjean, Lisette Lanvin, réunis dans un même film, suffiraient à assurer à Jenny une brillante carrière, Mais là ne réside pas les seuls mérites de cette très
belle oeuvre… Un scénario attachant, humain, intelligent, une mise en scène de premier ordre qui nous révèle le nom hier inconnu, demain apprécié à l’égal des plus grands, de Marcel Carné, font de Jenny une des plus complètes réussites de la production française.
(résumé de l’intrigue. ndlr)
Il fallait un tact infini pour traiter ce difficile sujet. I.e réalisateur n’en manqua à aucun moment et fit preuve en même temps d’une une fine intelligence, d’une grande sensibilité et d’un métier consommé.
Il faut louer en bloc interprétation qui est à la hauteur du sujet et de la réalisation. Chacun des interprètes mérite les plus grands compliments.
Jenny est le film qu’il faut voir cette semaine.
Yvonne Ibels
Marcel Carné a réussi “Jenny”. D’autre jeunes attendent leur « chance »
paru dans L’Humanité du 18 septembre 1938.
Après A Girl in every port qui tint l’affiche une saison entière, le studio des Ursulines présenta Romance of the Underworld (Après la Rafle), d’Irving Cummins, avec Mary Astor. C’était un bon film de série dont sans doute bien peu ont gardé le souvenir.
En première partie, entre un documentaire de Jean Painlevé et une bande américaine d’ « avant- garde », les spectateurs purent voir Nogent, Eldorado du dimanche, film assez court, signé d’un nom inconnu Marcel Carné. Ce fut une révélation.
De la jeunesse, un accordéoniste, une guinguette, des plongeons, du sport, de la vie. C’était Nogent le dimanche.
Depuis ce film n’a plus guère été projeté ce qui est bien regrettable, car beaucoup auraient aimé le revoir.
Si le cinéma français n’avait à cette époque (comme hélas aujourd’hui) été la proie d’une mafia de marchands de soupe, Carné eût immédiatement trouvé sa chance, il eût pu immédiatement réaliser un des grands projets qui lui tenaient à cœur.
Mais l’argent n’était pas pour les jeunes, les chances on les donnait à des vaudevillistes sans public et aux amis des amies.
Carné attendit, il reprit son métier de journaliste cinématographique et fut l’assistant de Feyder pour ses films principaux. Mais il est bien difficile dans le cinéma de changer de métier. Catalogué comme « assistant », Carné devait le rester.
Pourtant un jour, des commanditaires sans doute un peu moins stupides que d’autres, firent confiance à Carné et lui permirent enfin de réaliser Jenny soit premier grand film.
Ils n’auront pas à s’en repentir, car Jenny qui est un film hardi, jeune, neuf, fera une belle carrière et plaira particulièrement au public populaire, le plus sensible de tous les publics. Ce n’est pas une prophétie. Quand on a vu Jenny on est sûr de son succès.
Mais avant de parler plus longuement de ce film que nous recommandons vivement à nos lecteurs, nous voudrions encore insister sur le fait que Carné, « parce qu’il est jeune » a attendu trop longtemps qu’un producteur veuille bien lui donner une chance.
Il se confirme que ce producteur même à un point de vue strictement monétaire a eu raison de le faire. Jenny lui rapportera de l’argent.
Mais rien ne sera changé. Les vaudevillistes comme les cinéastes chevronnés qui ont tué le cinéma en France continueront à trouver du travail.
Les jeunes, ceux qui aiment et comprennent le cinéma seront demain encore écartés de la production.
Le coup de l’exposition de Venise est assez significatif.
L’appui officiel malheureusement donné à Marcel L’herbier et Claude Farrère également.
Les spectateurs comme les gens du métier voudraient un changement: Ils l’espèrent encore !
Et il n’est pas trop tard.
Emile Cerquant
C’est le grand critique Lucien Wahl qui publie cette critique de Jenny dans Pour Vous du 17 septembre 1936.
Un drame nuancé : Jenny (Film français)
paru dans Pour Vous du 17 septembre 1936
Il a fallu plusieurs années pour que M. Marcel Carné trouve enfin les possibilités de faire un film important. Son début, une œuvre courte composée sans l’aide de personne, et qui montrait Nogent un dimanche estival, a cependant été salué par quelques-uns comme prouvant un tempérament. Depuis, M. Carné a travaillé auprès de M. René Clair et il a été l’assistant de M. Jacques Feyder. Bonne école. Voici qu’il nous donne un ouvrage de maître, ouvrage collectif, certes, puisque le scénario est de M. Pierre Rocher, et le dialogue, de MM. Jacques Prévert
et Jacques Constant ; mais collectif dans le beau sens du mot, et qui permet à l’animateur d’affirmer sa personnalité et son goût pour le cinéma.
Ce film, uni et varié à la fois, nous fait entrer dès ses premières images dans une atmosphère de réalité sensible, et ensuite, quels que soient décors ou situations, une impression prenante d’exactitude nous enveloppe. Le dialogue est important, certes, mais que nous sommes donc loin du théâtre, et comme une infinité de détails opportuns complètent l’ensemble !
Le sujet, ramené à ses grandes lignes, c’est, si l’on veut, la rivalité d’une mère et de sa fille, mais dans des circonstances si particulières et amenées si naturellement qu’il ne peut être assimilé à un cas de la même famille exposé dans des pièces connues. Rien, en effet, ne ressemble, dans d’autres œuvres, à l’aventure de Jenny, patronne d’une luxueuse maison de plaisir, qui entretient un homme plus jeune qu’elle, Lucien, lequel s’enfuira avec Danièle, fille de Jenny.
La facture de l’ouvrage, son découpage, les détails qui précisent les caractères des personnages principaux et ceux qui élèvent les silhouettes au rang d’individus vrais, observés, toute la cadence de l’œuvre placent Jenny en un beau rang. Ce drame où l’on parle est un film ci-né-ma-to-gra-phique.
Pour résumer convenablement les faits principaux du scénario, il faudrait beaucoup de place. Disons seulement que Benoit, l’associé de Jenny, épris d’elle, est un bonhomme intéressé, vulgaire, énergique et un peu cauteleux ; qu’un bossu est jaloux de la prestance de Lucien ; qu’un parasite joue un certain rôle, ainsi qu’un riche abruti qu’on appelle l’Albinos. C’est à l’hôpital qu’est le point culminant de l’histoire. C’est là que la mère comprend que Lucien l’a quittée pour Danièle, alors qu’elle croyait qu’ils ne se connaissaient pas.
Le film est parfaitement construit, en ce sens, par exemple, qu’aucune ficelle, qu’aucun expédient n’y sont visibles.
Quant aux interprètes, comment les eût-on mieux choisis ? Voici l’unique Mme Françoise Rosay, spirituelle, douloureuse, ironique, demi-gaie, déchirante, déchirée, puissante ou abattue suivant la minute, et simplement et magnifiquement ; MM. Charles Vanel, digne d’être son partenaire et un des grands acteurs de vérité dans les rôles les plus variés ; Albert Préjean, parfait en Lucien, qui, par son tempérament même, laisse comprendre que son personnage ne peut plus être un coquin perpétuel ; Jean-Louis Barrault (le bossu aigri) ; Robert Le Vigan, étonnant en ahuri luxueux, luxurieux, acheteur de caresses à haut prix ; Roland Toutain, Piérade ; Mlles Lisette Lanvin, exquise et sensible Danièle ; Margo Lion, en assistante désabusée de Jenny ; Sylvia Bataille et d’autres.
Jenny comptera parmi les films français importants. Il est divers, vrai, sincère, fort, on l’a fait comprendre tout à l’heure. Il n’a pas un instant de faiblesse. Il est d’une absolue probité ; on entend par là qu’il ne truque rien, qu’il n’exploite pas de ficelles, qu’il ne se livre à aucune virtuosité vaine.
Lucien Wahl
Comoedia publie à son tour sa critique de Jenny dans son numéro du 24 septembre 1936.
A L’ECRAN LES FILMS NOUVEAUX ” Jenny “
paru dans Comoedia du 24 septembre 1936
L’œuvre remarquable – une dramatique étude de mœurs – d’un jeune metteur en scène, Marcel Carné.
On n’a pas oublié certain Nogent, Eldorado du dimanche, bande muette qui témoignait des possibilités du jeune cinéma démuni de moyens financiers, mais attentif à la vie.
Son auteur, Marcel Carné – qui a longtemps travaillé en qualité d’assistant aux côtés de Jacques Feyder – a, cette fois, pour la réalisation de son premier grand film, disposé de tout ce dont il pouvait rêver : de l’argent, du temps ; des collaborateurs de son choix, c’est-à-dire : de talent, et des jeunes eux aussi : Pierre Rocher et Jacques Constant (scénario), Jacques Prévert (dialogue), Hubert (opérateur) ; enfin une distribution éclatante.
Eh bien ! il n’a pas déçu ceux qui lui faisaient confiance, et prouvé qu’il savait aujourd’hui bénéficier de l’abondance de biens, comme il sut jadis s’en passer.
Nul n’ignore qu’en art ceci est aussi difficile que cela !
De l’ingénu Nogent, bouquet d’images cueillies au long de flâneries dominicales, données par la chance, Marcel Carné est donc passé au drame de moeurs, soigneusement construit, de Jenny, où il affirme la maîtrise de sa technique en même temps qu’il exprime sa sensibilité d’artiste.
Un regret, pourtant. Pourquoi avoir – encore une fois ! — choisi un milieu humain si vil, des héros si peu intéressants. J’entends bien que tout ce qui existe dans l’Univers est l’objet d’œuvre d’art, comme objet d’observation scientifique. Aucune restriction, aucune limitation; dans l’ordre de l’une et l’autre connaissances. Il est néanmoins permis de dire : dommage ! lorsque le premier grand effort d’un de nos meilleurs espoirs s’applique à nous titiller les lacrymales avec une histoire de tenancière d’élégante {oh ! très élégante !) maison de prostitution, belle femme parvenue au tournant de la ménopause et dont la douce et pure fille, tenue jusqu’alors dans l’ignorance, découvre l’ignominie, tout en se consolant dans les bras d’un gigolo qui se trouve précisément être l’amant de sa mère, mais que va soudain régénérer ce frais et virginal amour.
Cela ne va pas sans rappeler, d’ailleurs, des situations déjà mises en scène. On pense à l’Autre Danger, de Maurice Donnay, transposé dans un autre monde. Et d’aucuns se souviendront de Yvette de Guy de Maupassant ; de La Profession de Mrs Warren de Bernard Shaw.
Mais, cela dit, vous serez tout de même intéressé, indigné, et touché. Parce que Françoise Rosay, avec une admirable sobriété de gestes, — toute sa vie profonde dans le regard, dans les inflexion de la voix — métamorphose en pathétique Femina Dolorosa le personnage de Jenny, pourvoyeuse vouée aux infâmes manigances de ses salons « mondains ” ; parce que Lisette Lanvin est émouvante d’anxiété, exquise de pudeur ; parce qu’Albert Préjean sait avec nuances se montrer transformé par la grâce d’un sentiment sincère; parce que Charles Vanel affiche — réalisme dur et cru — une écœurante bassesse ; parce que Robert le Vigan apparaît sous les traits d’un vieux sadique saccadé qui fait rire et qui fait peur ; parce que Jean-Louis Barrault est ici devenu, un bossu aigri par sa bosse, et que ses regards de haine, sa bouche envieuse et fielleuse, son cruel appétit de vengeance, hantent la mémoire ; parce que Margo Lion, Sylvia Bataille, Roland Toutain sont exactement « à leur place ».
Et, enfin, parce que jusqu’au dénouement, Marcel Carné a su graduer ses effets, choisir les détails significatifs, situer personnages et scènes typiquement et topiquement, et créer une ambiance dont on admirera la sourde poésie, en particulier lors de la si mélancolique idylle dans un revêche décor de banlieue, ou encore durant l’évocation de la détresse de Jenny au milieu des fumées des trains.
Fernand Lot
Comoedia publie le 24 septembre 1936 ce beau portrait d’Albert Préjean dans Jenny.
La légende est : ” Albert Préjean dans Jenny, le film de Marcel Carné qui vient d’obtenir un succès d’autant plus remarquable qu’il s’agit du premier film de ce jeune metteur en scène et que ce coup d’essai a été un véritable coup de maître. On a bien rarement su dégager d’un film une émotion aussi vraie et aussi intense.
Critique de Jenny par André Le Bret
paru dans Le Petit Parisien du 25 septembre 1936
JENNY : Une ambiance dramatique subtilement créée par une valeureuse équipe de jeunes
Un scénario de M. Pierre Rocher vigoureux dramaturge que M. Gaston Baty nous révéla au théâtre Montparnasse, des dialogues. soigneusement écrits, de MM. Jacques Prévert et Jacques Constant, et une mise en scène due à M. Marcel Carné qui travailla longtemps avec Jacques Feyder, telle est l’heureuse collaboration à laquelle nous devons ce drame puissant, où évoluent des personnages remarquablement typés.
(résumé de l’histoire)
Cette étude de moeurs, traité en profondeur, où les caractères ont un relief saisissant fait honneur à cette juvénile équipe que Françoise Rosay (Jenny), Albert Préjean, Charles Vanel, Lisette Lanvin, Roland Toutain, Jean-Louis Barrault, Robert Le Vigan et Margo Lion — tous excellents — ont admirablement servi.
André Le Bret
Les Films Nouveaux : Jenny
Le Figaro du 25 septembre 1936
MADELEINE – Jenny. Un film excellent, mais pénible.
Un conflit entre mère et fille est toujours plus pénible qu’émouvant, mais le talent de Françoise Rosay donne un tour tout particulier à celui qui l’oppose ici à Lisette Lanvin.
Jenny ayant choisi, jeune, un métier très spécial, elle a éloigné sa fille Danièle afin que celle-ci ne connaisse jamais la provenance de l’argent maternel. Jenny partage son existence entre son « commerce ” et l’amour : son amour pour un homme trop jeune lequel, bien entendu, aimera Danièle, revenue inopinément, dès qu’il la rencontrera. Et toute l’action du film tourne autour de cette substitution, dans le cœur de Lucien — Préjean — d’une très jeune fille à une femme vieillie tout l’intérêt est concentré sur le personnage de Jenny — Françoise Rosay — qui tire de sa douleur, des compromis qu’elle lui inspire, et de sa résignation, enfin, des effets simples et dramatiques.
Charles Vanel, dans un rôle plus brutal que ceux qu’il interprète à l’ordinaire, est moins à son aise : son jeu est moins « au point ». Le Vigan se tire adroitement d’une atroce esquisse.
Préjean joue sainement un rôle équivoque. Lisette Lanvin, très en progrès, marque une émotion qui n’est point feinte et ses élans sont pleins de grâce, de jeunesse et d’harmonie.
Bref, Jenny est un bon grand film auquel il est cependant préférable de ne point mener les jeunes filles bien entendu, la salle du « Madeleine ” en était, hier, à moitié pleine.
Jean Laury
La fameuse critique de JENNY par Alexandre Arnoux
paru dans Les Nouvelles Littéraires du 10 octobre 1936
L’événement capital de ce début de saison, au moins du point de vue français, c’est certainement Jenny, film qui nous révèle un jeune metteur en scène. Carné, retenez ce nom.
Les amateurs avertis ne l’ignoraient pas tout à fait ; il se souvenaient d’un certain Nogent, Eldorado du dimanche, reportage de la banlieue parisienne, qui fut présenté, si j’ai bonne mémoire, aux Ursulines, en 1929 ou 1930. Cette petite bande pittoresque séduisait par sa fraîcheur, la variété des prises de vues, un sens aigu de l’atmosphère.
Elle désignait nettement son auteur à l’attention des maisons de production. Mais vous savez combien il est difficile à un garçon de talent de percer; tout, dans l’organisation du cinéma, se ligue contre lui ; chaque affaire, pour ne pas dire chaque combinaison, n’étant liée à aucune autre, constituant une spéculation isolée, doit réunir le maximum de probabilités de réussite commerciale ; personne n’ose rien risquer sur un inconnu ; il faut aveugler les capitaux par tous les miroitement- : un débutant n’a qu’une chance infime.
Voilà pourquoi les metteurs eu scène et les vedettes se renouvellent si peu ; on se sert d’eux comme appâts aux commanditaires, race généralement mal informée ; ils exigent une affiche et une distribution de tout repos. Seule, une société régulière d’édition, capable d’établir un plan et un programme, d’éprouver, de soutenir et de lancer des jeunes plus riches d’espérances que de passé, pourrait infuser un sang nouveau à notre vieux personnel qui occupe solidement ses positions et ne semble pas disposé, conscient du crédit qu’il assure, à s’en laisser déloger.
Aussi Carné a-t-il piétiné six ans avant d’inspirer confiance. Du reste, il n’a pas perdit son temps. Assistant de René Clair et de Feyder, il a appris à fond son métier sous ces maîtres. Qu’il ait subi leurs influences et surtout celle de Feyder, que sa personnalité ne soit pas encore entièrement dégagée, 0n s’en avise aisément, le contraire étonnerait.
Mais on perçoit dans ce premier ouvrage sorti de sa main, une sensibilité, une sûreté, une entente du cinema, une force intérieure qui promettent beaucoup. Ou je me trompe fort ou nous tenons un homme de grande classe à qui je souhaite qu’on fournisse seulement l’argent et la liberté. Pour le reste, je le juge de taille à s’en charger lui-même.
Le sujet de Jenny est un peu éculé, s’apparente à la Profession de Mrs Warren de Bernard Shaw. Une femme mûre dirige une boite de nuit louche, elle a un amant, Lucien, son cadet de vingt années, et une fille, Danièle, qui habite Londres, qui ignore le métier de sa mère. Vous devinez que Danièle, venue à Paris, aura l’horrible révélation de ce qu’on a pris tant de peine à lui cacher, que Lucien, se détachera de jenny, aimera sa fille et fuira avec elle.
Si la trame n’est pas neuve, elle a du moins été traitée avec une âpreté par les scénaristes et dialogueurs, Rocher, Prévert et Constant, qui ont peuplé leur ouvrage de types bien dessinés, très humains. à peine soulignés d’une pointe de charge, qui n’ont rien cédé à la convention de la sentimentalité boulevardière, aux facilités mélodramatique d’une telle donnée. Les acteurs, excellents et bien conduits, jouent dans la note la plus juste ; leur ensemble a quelque chose de miraculeux ; aucun ne tire la couverture à soi ; chacun travaille pour le tout, s’efface et se détache cependant, porté par son rôle et un découpage adroit qui met toujours l’essentiel en lumière, sans que rien sorte jamais l’écran.
Citons Préjean, Lisette Lanvin, Barrault, Le Vigan, Sylvia Bataille, Margo Lion. Vanel campe, à son habitude, une figure d’un naturel parfait et profond ; Françoise Rosay incarne Jenny avec une sobriété et une acuité admirable.
Nous nous souviendrons longtemps de sa marche hagarde sur le pont de l’Europe ; de la gradation de son vieillissement et de son désespoir, pendant que les train- qui passent sous la voûte lui crachent leur fumée au visage et l’ensevelissent peu à peu dans un épais et âcre brouillard. Ce morceau est, du reste, cinématographiquement parlant, un des plus beaux du film.
Il témoigne de la part de Carné d’une maîtrise surprenante du style et d’un don très rare de l’expression visuelle.
Un autre fragment l’égale au cours de la bande : la scène à peu près muette où Lucien et Danièle, échappés de la boite de nuit, errent au petit jour dans la sinistre banlieue industrielle et se découvrent, commencent à s’aimer au milieu de ce paysage d’eaux noires, de fer et de cheminée. Rien n’est dit. Tout est suggéré par l’image.
Celui qui a signé ces séquences a gagné ses lettres de marque : il se hausse d’un coup au premier rang.
Alexandre Arnoux
Alexandre Arnoux condensera cet article dans la Revue de Paris dans sa rubrique Cinéma sous l’intitulé “Panoramique du début de saison”.
Dans la rubrique “La Semaine à l’écran” de Marianne du 7 octobre 1936, Marcel Achard évoque Jenny en ces termes :
(…) Avec des qualités bien différentes et surtout infiniment moins originales, Jenny, de Marcel Carné, nous révéla un véritable tempérament de metteur en scène. M. Marcel Carné, qui fut longtemps l’assistant de Feyder, pourrait bien égaler son maître rapidement. Il sait l’art d’utiliser les comédiens. M. Albert Préjean et Mlle Lisette Lanvin qui ne furent jamais qu’agréables et charmants sont cette fois tout à fait remarquables. Mme Françoise Rosay n’est pas moins bonne que dans le Grand Jeu.
M. Barrault confirme les éclatantes qualités qu’il avait montrées dans Sous les yeux d’Occident. Quant à M. Charles Vanel, qui est toujours excellent, il est admirable dans un rôle navrant.
M. Carné a encore les sympathiques défauts des très jeunes metteurs en scène. Il adore « faire cinéma » et ne renonce pas à deux ou trois morceaux de bravoure cinématographiques, vestiges périmés de l’ancien « septième art d’avant-garde ». Mais il sait voir. Certains coins de banlieue, certains bouts de quai, certains paysages lugubres sont aussi beaux que des Vlaminck. Il ne croit pas à l’importance de l’histoire, car le scénario de Jenny est banal et, en outre, d’assez mauvais goût. (Fayard publiait, avant la guerre, dans sa collection à trente-cinq centimes, des œuvres de cette qualité.)
Mais M. Carné sait l’importance du dialogue. Il a confié le sien à M. Jacques Prévert, qui est un poète de grand talent, un fort habile homme et qui écrit la langue simple, directe, saisissante nécessaire au cinéma. Quelques-unes des répliques de M. Jacques Prévert dans Jenny sont d’authentiques chefs-d’œuvre, mi-poétiques, mi-comiques, de tout premier ordre.
Jenny en nous révélant le grand talent de M. Carné et en confirmant celui de M. Prévert a — suivant la forte expression de rigueur — bien mérité du cinéma français.
(…)
Marcel Achard
Le quotidien Le Temps ne chroniquera pas le film mais se fera l’écho de son succès, 6 semaine d’exclusivité au Cinéma Madeleine !
D’abord le 3 octobre 1936 pour sa troisième semaine d’exclusivité en ces termes :
Puis le 24 octobre 1936 pour célébrer cette sixième semaine d’exclusivité.
Le Cinéma sur la Tour Eiffel. Françoise Rosay reçoit la presse
Le Figaro du 29 octobre 1936
Quand Françoise Rosay reçoit la presse cinématographique, elle entend que le décor soit à la hauteur des circonstances hier, cinquante d’entre nous déjeunaient autour d’elle sur la deuxième plate-forme de la Tour Eiffel.
Si le cadre était original, le repas fut classique, la chère excellente et les vins généreux. Des roses d’automne s’effeuillaient auprès du homard Thermidor, et quelques discours, plus affectueux que solennels, célébrèrent à l’envi le talent et la grâce de notre hôtesse. Après quoi, Jean Châtaignier donna connaissance d’un télégramme de Jacques Feyder, retenu à Londres par la réalisation du Chevalier sans armure, et qui en exprimait ses regrets.
M. Carné, le jeune metteur en scène de Jenny, se tenait auprès de sa belle interprète qui portait avec élégance vêtement de panthère et toque de feutre brun. On parla cinéma, bien entendu. Du cinéma français, surtout, qui doit à Jacques Feyder et Françoise Rosay quelques-uns de ses meilleurs films et de ses plus brillantes créations.
Et le vent aigre qui s’engouffrait, à la descente, dans les capes et les pardessus, incitait à la franchise : c’est ainsi que nous fûmes plusieurs à confesser que nous avions gravi pour la première fois, à la suite de l’héroïne du Grand Jeu et de La Kermesse héroïque, les degrés de la Tour Eiffel.
J. L. (Jean Laury)
Le Figaro annonce dans son édition du 2 novembre 1936 que Jenny passe au Rex à la suite de plusieurs semaines d’exclusivité au Madeleine. En effet, le film venait de passer six semaines d’affilée au Madeleine, ce cinéma qui sera fétiche pour Carné car plusieurs de ses films y remportèrent un grand succès (Le Quai des Brumes, Le Jour se lève, Les Visiteurs du soir et Les Enfants du Paradis).
La Semaine à Paris du 6 novembre 1936
Paris-Soir du 6 novembre 1936
La semaine suivante il sera donc remplacé au Rex par… La Belle Equipe !
La Semaine à Paris du 6 novembre 1936
Mais il continuera sur sa lancée en étant projeté au prestigieux Gaumont-Palace les semaines du 6 et 11 novembre 1936.
La Semaine à Paris du 6 novembre 1936
Paris-soir du 11 novembre 1936
Puis à partir du 20 novembre 1936, on retrouve Jenny au Gaumont Théâtre.
La Semaine à Paris du 20 novembre 1936
Et à partir du 27 novembre, Jenny continue sa carrière dans les salles de quartier : le Royal, Pereire et Palais-Avron.
La Semaine à Paris du 27 novembre 1936
La Semaine à Paris du 11 décembre 1936
Nous avons trouvé une chronique intéressante de Jenny dans une revue intitulée Le Domaine (revue littéraire, artistique et corporative) sorti à l’automne 1936.
“Courrier Cinématographique” : Jenny au Madeleine-Cinéma
Le Domaine automne 1936
Les vacances n’ont pas ralenti l’activité de nos cinéastes et nombreuses ont été, dès le début de septembre, les présentations de films nouveaux. Parmi celles-ci, la première réalisation de M. Marcel Carné, qui est un disciple de M.Jacques Feyder, le prestigieux animateur de La Kermesse héroïque, mérite une mention spéciale.
A l’issue de la séance où Jenny fut projeté sur l’écran du Rex devant les exploitants de salles cinématographiques et les représentants de la presse, chacun admirait la simplicité, l’harmonie des images, la dextérité dans le découpage, le tact enfin avec lesquels cette oeuvre a été exécutée et qui fait le plus grand honneur à la production de la Gaumont-Franco-Film-Aubert.
Le sujet de Jenny n’est certes pas nouveau, mais il ne peut manquer d’exciter notre sensibilité : une jeune fille élevée très correctement loin de la maison familiale revient au foyer vers sa vingtième année et découvre l’existence assez équivoque de sa mère qui dirige une boîte de nuit, à la fois cabaret et tripot, « chez Jenny ».
Epouvantée, elle veut fuir et le hasard lui donne pour compagnon un honnête garçon qui, par faiblesse, n’a pas su autrefois résister aux amabilités de Jenny. Elle vivra heureuse avec lui, tandis que la mère prend conscience de son indignité.
Le milieu dans lequel se déroule l’action est admirablement observé : tous les personnages s’y meuvent avec aisance et leur silhouette est dessinée d’un trait sûr.
Jenny, c’est Mme Françoise Rosay, simple, sobre, parfois déchirante, toujours profondément humaine.
M. Charles Vanel est le « mauvais garçon » qui va refaire sa vie avec la délicieuse Lisette Lanvin dont la beauté rayonne et qui est une parfaite «jeune fille ».
MM. Albert Préjean, Roland Toûtain, fils de famille à la conscience élastique, Jean Louis Barrault, étonnant dans un rôle de bossu hargneux, Le Vigan, fêtard déséquilibré, d’autres encore ont su donner une vie intense au scénario qui est de M. Pierre Rocher et sur lequel —je ne saurais trop le répéter — M. Marcel Carné à su faire un film de grande classe.
Jean Valserre
Mais Jenny sera également projeté en province, par exemple à Marseille, voir ce compte-rendu dans La Revue de l’écran.
Gaumont-Franco-Film-Aubert : « JENNY »
paru dans La Revue de l’Ecran du 2 octobre 1936
Ce n’est pas sans curiosité que je suis allé voir ce film. Il était intéressant de voir à l’oeuvre le disciple de Jacques Feyder, Marcel Carné.
C’est un metteur en scène sincère comme les images qu’il affectionne. Sincère comme l’émotion qu’il arrive à faire éprouver à ses interprètes et aux spectateurs et qui ne doit presque plus rien à l’art théâtral. Sa simplicité réside dans l’art de marquer les arrières plans de traits surs faisant ressortir par là les qualités des premiers rôles. Les personnes sensibles seront enchantées du sujet de Jenny.
(résumé de l’histoire).
Inutile de s’appesantir sur les détails et les personnages épisodiques, du reste remarquablement sentis, le bossu haineux, le vieillard lubrique, le jeune dévoyé. On peut dire simplement que les évolutions de ces divers personnages tiendront souvent le spectateur dans l’angoisse.
Les acteurs sont tels que leur réputation n’est plus à faire : Françoise Rosay est aussi émouvante et sincère que dans Pension Mimosas. Charles Vanel, Roland Toutain, l’étonnant J.-L, Barrault, Le Vigan, Margo Lion et Albert Préjean ont montré ce qu’ils pouvaient faire sous la direction d’un animateur comme Marcel Carné.
Bon succès en perspective.
Ch Mullot
EN MARGE DE LA PRÉSENTATION DE “JENNY”
paru dans La Revue de l’Ecran du 2 octobre 1936
A l’occasion de la présentation à Marseille de Jenny, le remarquable film de Marcel Carné, dont il est parlé dans notre rubrique “Présentations”, MM. Frank Rollmer et Albert, administrateurs des Réalisations d’Art Cinématographique, avait tenu a réunir, en un déjeuner amical, servi à la Réserve, quelques exploitants et les représentants de la presse marseillaise.
Y assistaient, avec MM. Rollmer et Albert, Mr Pierre Rocher, auteur du scénario de Jenny, et Madame, MM. Beauvais, Barthélémy et Cafta, de G. F. P. A.; Gardelle, de S. E. D. I. F., Fougeret, président de l’Association des Directeurs; Buisson, directeur du Pathé-Palace; Puig, des Etablissements Milliard ; Maia et Baïotto, du Royal-Bio et du Provence; Portai, du Foyer; Campagne et Fils, de l’Estaque; Laugier, de Saint-Marcel; Roubaud, de la Seyne; Max Carton, d’Avignon ; Srabian et Héron, de Cinéae à Marseille, le représentant de l’Office de Tourisme, ainsi que nos confrères de la presse quotidienne et corporative.
De l’avis de ceux qui y assistèrent, cette réunion fut en tout point réussie et se déroula sous le signe de la plus franche amitié.
Puisqu’un concours de circonstances regrettables empêcha La Revue de l’Ecran d’y être représentée, nous tenons à remercier M. Rollmer de son aimable attention, et lui exprimons nos regrets de n’avoir pu nous rendre à son invitation.
Comoedia le 22 décembre 1936 publie cet article sur le prochain Prix Louis Delluc, premier du nom, dans lequel est nominé Jenny. Le même jour on remettra le « Grand Prix 1936 » par un jury présidé par Louis Lumière.
On décerne aujourd’hui le « Prix Goncourt » et le Prix « Théophraste Renaudot » du Cinéma sous la désignation du « Grand Prix 1936 » et du Prix Louis Delluc. […]
Le prix Louis Delluc, créé par la « Jeune Critique Indépendante », et qui porte le nom du précurseur le plus audacieux, le plus aimé du cinéma français, est destiné à récompenser tout film fait pour un esprit français.
Le jury constitué de tous les ” moins de quarante ans » a décide de limiter ses discussions à une trentaine de films dont beaucoup ne prennent pas le départ dans le Grand Prix du Cinéma Français et entre autres : Jenny, La belle équipe, Les Amants terribles, Le Crime de Mr Lange, Un de la Légion, Sous les yeux de l’Occident, César, Les Bas-fonds, Le Mort en fuite, La Vie est à nous. etc.
Les critiques qui décerneront le prix Louis Delluc sont :
Marcel Achard. Georges Altman, Claude Aveline, Maurice Bessy, Pierre Bost, Odile Cambier, Suzanne Chantal, Georges Charensol, Louis Cheronnet, Emile Cerquant, Georges Cravenne, Benjamin Fainsilber, Nino Frank, Paul Gilson, Paul Gordeaux, Marcel Idzkowski, Henri Jeanson, Pierre Humbourg, André Le Bret, Roger Lesbats, Pierre Ogouz, Roger Regent, Jean Vidal.
Ce prix conçu dans l’esprit de Théophraste Itenaudot pour la littérature veut servir, lui aussi, la cause du cinéma français.
Mais le lendemain nous apprenons par cet article d’Henri Jeanson, qui était juré comme nous venons de le voir, que c’est Les Bas-Fonds de Jean Renoir qui l’emporta contre Jenny de Marcel Carné.
Le prix Louis Delluc à Jean Renoir par Henri Jeanson
paru dans L’Humanité du 23 décembre 1936.
Jean Renoir a obtenu, sans le solliciter, le prix Louis Delluc pour son film Les Bas-Fonds. Le prix Louis-Delluc a été créé par les critiques cinématographiques indépendants. Il est au grand prix du Cinéma français ce qu’est le prix Goncourt au grand prix de l’Académie française, ce que fut naguère le Salon des Indépendants au Salon de la Nationale.
Trois candidats étaient en présence : Jean Renoir, Marcel Carne et Jean Renoir. En effet, certains membres du jury entendaient primer Les Bas-Fonds de Jean Renoir tandis que d’autres voulaient absolument voter pour Le Crime de M. Lange de Jean Renoir.
Finalement, les « Langistes » se joignirent aux « Bas-fondistes » et Renoir l’emporta.
Tous ceux qui aiment le cinéma se souviennent de Delluc, qui fut un admirable pionnier de la caméra. Le premier, il comprit tout ce que Chaplin apportait au cinéma. Il réalisa des films admirables et créa la critique cinématographique.
Il eût certainement approuvé le choix du jury Delluc. En récompensant le metteur en scène des Bas-Fonds, on a aussi récompensé l’admirable réalisateur du Crime de M. Lange et le courageux
animateur de La Vie est à nous. C’est sur toute la carrière de Renoir, sur toute sa vie d’artiste indépendant, que le jury du prix Louis-Delluc a entendu attirer l’attention du public.
Et maintenant, cher Renoir, au travail pour un cinéma libre, pour un cinéma courageux, pour un cinéma-cinéma.
Henri Jeanson
Un autre article paru dans Comoedia le même jour nous en apprend plus sur la manière dont se sont passés les votes, où l’on voit que Jenny a bien failli l’emporter !
(…) trois tours furent nécessaires, dont, deux à la majorité absolue ; le troisième à la majorité relative. Les résultats oscillèrent donc entre un véritable chef-d’œuvre : Le Crime de Monsieur Lange, qui fit une triste carrière parisienne et banlieusarde, et une adaptation assez médiocre — d’un roman fameux : Bas-fonds, de Gorki.
Le Crime de Monsieur Lange méritait, comme les martyrs, sa post-canonisation. Les Bas-fonds lui furent proférés pour des raisons d’opportunité d’exploitation.
Le résultat des trois tours de scrutin en fait foi :
1° tour : Le Crime de M. Lange, 8 ; Jenny, 6 ; Bas-fonds, 5.
2° tour : Le Crime de M. Lange, 11 ; Jenny, 10 ; Bas-fonds, 2.
3° tour : Bas-fonds, 12 ; Jenny, 9 ; Le Crime de M. Lange, 2.
(…)
Le prix Louis Delluc, ainsi se nomme la récompense officieuse des moins de quarante ans, avait ainsi réussi à apposer son favori : Bas-fonds à L’Appel du silence. (qui est le film de Léon Poirier qui remporta le Grand Prix du cinéma français 1936. ndlr).
N’est-ce pas le Voyage au bout de la nuit, de L.-F. Céline, opposé aux Loups, de Guy Mazeline ? On voit que ces compétitions entre prix ne marquent pas de signification.
Simone Dubreuilh
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse (Pour Vous)
Pour en savoir plus :
Marcel Carné présente Jenny avec Armand Panigel en 1970.
Plusieurs captures de l’édition DVD paru chez Gaumont en 2011.
Plusieurs captures de la scène du canal de l’Ourcq dans Jenny.
L’article de Maurice Bessy paru dans Cinémonde le 17 septembre 1936.