Bernard Natan, un producteur français (Pour Vous 1930) 2 commentaires


C’est après avoir vu l’excellent documentaire de David Cairns et Paul Duane, diffusé par Arte le 16 août 2016, que nous avons décidé de consacrer un post à Bernard Natan (Natan Tannenzaft), le patron visionnaire de Pathé au début des années 30.  En effet, il nous a paru important de relayer cette réhabilitation (tardive) de Bernard Natan qui fut calomnié, emprisonné puis finalement déporté à Auschwitz-Birkenau où il mourut en octobre 1942.  C’est que l’ancien projectionniste de Ménilmontant, d’origine juive et né en Roumanie, s’était fait beaucoup d’ennemis dans la France antisémite de ces années là en devenant le plus important producteur du cinéma français au début des années 30.

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Je vous invite pour en savoir plus à lire les différents liens que vous trouverez ci-dessous car ce n’est pas le but de La Belle Equipe de vous faire un exposé exhaustif sur toute cette sombre affaire.

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En son hommage, voici quelques articles que nous avons trouvé dans les revues Pour Vous et Cinémagazine entre 1927 et 1934. De plus, nous avons ajouté quelques articles clairement diffamatoires paru à la fin des années 30 et début 40 qui nous semble représentatifs de ce qu’a pu subir Bernard Natan (et sa famille).

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Bonne lecture.

 

 

Point de vue d’un producteur français : M.Natan

paru dans Pour Vous du 21 août 1930

(Cet article s’inscrit dans une série intitulée : ” Enquête sur l’état actuel du cinéma “. ndlr)

La vaste enquête que nous avons entreprise, auprès des plus hautes personnalités de l’industrie et de l’art cinématographiques, enquête dont nous voudrions que les conclusions apportent quelques éclaircissements à la situation actuelle, nous a conduit cette semaine vers le plus important groupement français de production. M. Natan qui préside aux destinées de la maison Pathé-Natan nous a fait quelques intéressantes déclarations sur l’état actuel de la production cinématographique en France.

Je crois, nous a-t-il dit tout d’abord, qu’il faut remonter aux origines d’un mouvement pour l’étudier valablement. En ce qui concerne le cinéma, nous n’aurons pas à reculer très loin, car, on doit bien le dire, la découverte du film sonore et parlant a tout ramené à zéro. Tout ce qui était établi a été renversé. Les formules basées sur une expérience d’une vingtaine d’années ont été annulées. Les plus puissantes organisations édifiées avec quelle patience et quels efforts de tous les instants se sont effondrées tout à coup, sans force. A la technique nouvelle, il fallait des conceptions, des moyens, tout un matériel nouveaux.

« Il y a un an et demi, donc, tout s’arrêta, et le cinéma français traversa la plus grande crise qu’il ait jamais connue. Les capitaux devinrent plus rares, les producteurs plus timorés, les exploitants craintifs et inquiets. Tout le monde attendit.
« Mais la solution de cette crise allait-elle venir toute seule ?

« C’est alors que je résolus de partir avec une petite expédition, étudier le problème sur les lieux mêmes de ses origines, en Amérique. Au retour de ce voyage d’études, notre conviction était faite : « Le film muet était mort. » A ceux qui n’ont alors pas voulu nous croire, nous avons montré notre conviction en donnant l’exemple.
« Rebâtie selon les formules nouvelles, notre maison se lança dans la production parlante et sonore, exclusivement.

— Pensez-vous, ai-je demandé à M. Natan, que la crise de la production soit complètement enrayée et que toutes les salles équipées soient à même de composer leurs programmes avec « du français » ?
En ce qui nous concerne, il n’y a pas de crise de production. Nous avons actuellement douze films parlants complètement terminés, et nous en aurons vingt-quatre à la fin de l’année.

— Pourquoi, et je reprends là l’argument de Will Hays contre les méthodes françaises, laisser dormir ainsi des capitaux et ne pas commencer l’exploitation d’un film, donc son amortissement, dès qu’il est achevé ?
C’est très simple ! Nous n’avions pas encore assez de salles pour commencer cette exploitation. Maintenant, notre circuit est organisé, et la liaison entre nos départements de « production » et d’ « exploitation » est faite. Dès la rentrée, nous présenterons et livrerons au public tous nos films terminés et nous ne laisserons plus désormais, comme le dit M. Hays, notre sang ne plus circuler dans nos veines… Nous avons bien été forcés de l’y laisser quelque temps, puisque tous les petits vaisseaux d’irrigation n’existaient pas encore et que le cœur envoyait tout de même du sang rouge dans les artères…
« Non seulement, poursuivit M. Natan, il n’y a pas en France, de crise de production, mais le film parlant a apporté au contraire un renouveau d’activité à notre industrie cinématographique nationale.

— Cela ne va-t-il pas se traduire surtout par une baisse assez sensible de qualité ?
Je ne le crois pas. Car le temps est passé où il suffisait d’afficher un film sonore ou parlant pour voir les recettes atteindre les records. La curiosité du début est maintenant passée : le public ne demande plus du film parlant, mais du « bon » film parlant. On peut dire que nous sommes revenus en fait, à une exploitation normale.
« Il y a deux ans, le public n’allait pas voir un mauvais film muet.
« Il y a dix mois ou un an, il allait voir un mauvais film parlant.
« Aujourd’hui, il ne va plus voir ni l’un ni l’autre. Les choses ont repris leur équilibre.

En ce qui concerne notre maison, nous achevons en ce moment cinq grands films : Maison de Dames, Le Roi des Resquilleurs, Une belle garce, Lévy et Cie, L’Arlésienne.
Nous entreprendrons bientôt la réalisation de La petite Lise, que tournera Jean Gremillon avec Alcover ; des Croix de Bois que tournera Raymond Bernard ; du Rêve, que… retournera (en parlant cette fois) Jacques de Baroncelli avec Simone Genevois ; et enfin de La Symphonie des Ténèbres, que mettra en scène Alexandre Volkoff avec Gaby Morlay, Charles Boyer et peut-être Pierre Blanchar.
« Vous le voyez, avec tous les metteurs en scène et tous les artistes que nous avons en gagés (nos contrats sont signés pour deux ans et non plus au film, comme autrefois), nous n’avons, dans nos projets actuels, que quatre films en perspective. Faute de scénarios au point. Ce que l’on fait dans le parlant étant beaucoup plus définitif que ce que l’on faisait dans le muet, la préparation est plus longue, plus minutieuse qu’autrefois. Et nous allons chercher de plus en plus des sujets originaux et travaillés par notre bureau de scénarios.
C’est parce que notre cru n’était pas suffisamment fécond que nous avons dû puiser jusqu’à présent dans la littérature. Mais nous sommes de plus en plus décidés à faire appel à notre bureau de scénarios qui fait l’objet de toute notre attention. C’est de là que doivent sortir les idées nouvelles d’une invention nouvelle.

« Enfin une autre branche de la production nous intéresse aussi tout particulièrement : l’actualité. Nos actualités sonores et parlantes sont maintenant vendues dans tous les pays du monde et aussi aux Etats-Unis (car, en cinéma, lorsque l’on dit « tous les pays du monde », l’Amérique, naturellement, n’y est jamais !)…

« En résumé, conclut M. Natan, il n’y a plus en France, de crise de production. Nous avons maintenant les salles, le matériel : je crois que nous avons le droit d’être optimiste en attendant peut-être les nouvelles crises qu’apporteront la couleur et le relief… car nous travaillons, dès maintenant, à ces deux nouveautés. Et j’oublie même la télévision qui est presque rendue pratique !… « Le cinéma au cœur innombrable » nous entraînera loin ! La semaine prochaine une autre branche de l’activité cinématographique nous occupera et nous aidera, avec des éléments nouveaux, à faire le point.

Roger Régent

 

LES PERSONNALITÉS DU CINÉMA : AVEC M. NATAN

paru dans Cinémagazine du 23 décembre 1927

J’ai relevé dernièrement une amusante conversation, au cours de laquelle, un de nos producteurs dit à M. Natan : « Evidemment, mon cher, vous êtes l’un de ceux qui, actuellement, font les plus grands et les plus méritoires efforts pour le film français. Votre Jeanne d’Arc, de Frappa, est certainement le plus gros morceau, mis en chantier cette année dans notre pays ; mais, avez-vous l’expérience que nous possédons, nous, les « vieux » eu cinéma ?»
Et, comme tous les regards se tournaient vers lui, tranquille, M. Natan répondit :
« Vous avez peut-être raison, cher monsieur. Il est toujours flatteur de passer pour un « jeune », et puisque chacun le croit, laissons croire.
« En effet, mes débuts dans la production ne remontent guère qu’à vingt années en arrière. Ils datent seulement de 1907, époque à laquelle, avec Le Gourville, je réalisais Le Pôle Nord, L’Adjudant Grinchepie, Pierrot Gendarme, et une trentaine d’autres films qui eurent leur petit succès. » 1907 !… temps héroïques du cinéma ; époque à laquelle les films les plus longs étaient réalisés en une journée !…

Tous ceux qui entouraient M. Natan ce soir-là, semblaient stupéfaits à l’énoncé de telles références, qui le classaient de loin, comme leur « aîné » dans ce métier qu’il aime et qu’il connaît si bien.
M. Natan est un modeste, qui travaille sans mot dire, et préfère l’action au bavardage. Du Pôle Nord à La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc, en passant par La Châtelaine du Liban, La Femme Nue, Education de Prince. Palaces, Rue de la Paix, Mon Cœur au ralenti, La Madone des Sleepings, et tant d’autres films qu’il a fait réaliser au cours de ces dernières années, il a parachevé son expérience, et connaît à fond les difficultés auxquelles se heurtent les cinégraphistes, comme les moyens de les surmonter.

En suivant la ligne de conduite qu’il s’est tracée, M. Natan en est arrivé aujourd’hui à La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc qui est le plus gros effort tenté actuellement pour un film français.
Et certes, il est bien permis de dire que La Merveilleuse Vie de Jeanne d’Arc est une production entièrement française. Le scénario est de Jean-José Frappa, le romancier bien connu, qui donna dernièrement à Cinémagazine un article sur la Gaieté de Jeanne d’Arc ; la mise en scène est de Marco de Gastyne, à qui nous devons déjà La Châtelaine du Liban ; et, après avoir choisi Simone Genevois, à la suite d’un concours qui réunit des milliers de concurrentes, M. Natan a tenu à faire compléter la distribution uniquement avec des artistes français : Philippe Hériat, Gaston ModotMailly, Mendaille, Viguier, etc.

M. Natan n’hésite pas à risquer des millions pour nous doter d’une production véritablement nationale, digne de représenter le Cinéma français sur le marché mondial. Que certains ignorent encore cette lutte opiniâtre, cette persévérance dans l’effort, et cette confiance dans l’avenir, ce n’est qu’une preuve de sa trop grande modestie.
Il nous permettra bien, cependant, de lui rendre aujourd’hui un juste nommage, en le rappelant au souvenir des lecteurs.

René Ginet

 

Le point de vue des producteurs : Mr Natan

paru dans Pour Vous du 9 août 1934

(Ce texte de Bernard Natan est mis en parallèle avec celui de Carl  Laemmle, le patron d’Universal. ndlr)

M. Bernard Natan, qui vient de rentrer des Etats-Unis, a fait à la presse quelques déclarations dont nous extrayons les passages ci-dessous. (…)

Dans beaucoup de domaines, dans celui du cinéma en particulier, les Américains voient grand. Telle société de production a réparti sur une surface immense une trentaine de studios. On doit, le plus souvent, pour aller d’un service à l’autre, prendre une auto. Aussi, que de parcs et de garages pour ces mille véhicules ! Ceux des stars occupent, les meilleurs emplacements et gagnent des rangs au fur et à mesure que leurs propriétaires encaissent plus de dollars.

Le cinéma d’Amérique voit grand, j’y insiste. Il produit beaucoup trop de films, encore que les salles, multipliées dans cet immense pays, en consomment beaucoup. Deux longs films par séance, diurne ou nocturne. Deux changements de programme par semaine, tout au moins, dans certains théâtres. Pourquoi cette surproduction ? Concurrence oblige.

Mon voyage d’études, d’esquisses, si vous voulez, a eu du moins ce résultat : la création à New-York, par mes soins, dans la Maison de France, d’un bureau du film français.
Question de propagande, non point réservée aux films sortis de la maison que je représente, mais étendue à toute œuvre de qualité née chez nous. Quant à un échange, l’échange commercial habituel, le troc des films entre nos producteurs et les producteurs d’outre-Atlantique, il n’y faut plus songer. Les caractères des deux peuples s’opposent. S’il y a marché, ce sera toujours marché d’exception.

Mais ne croyez pas, et je tiens à l’affirmer, après avoir examiné pas mal d’échantillons du savoir-faire américain, ne croyez pas à l’infériorité cinématographique de notre pays. Notre rayon d’expansion devra se borner aux pays latins.

On me permettra de borner à ces brèves remarques la somme de faits que j’ai pu observer dans mes vacances passées en Amérique.
Je dois y retourner et la revoir au travail : celui du studio, celui des salles, celui de l’industrie cinématographique en général. Alors, j’aurai le droit de critiquer, de comparer, d’admirer aussi. D’ores et déjà, je pourrais affirmer que, sur beaucoup de points, la France de Louis Lumière ne sera point inférieure au pays de Thomas Edison.

Bernard Natan

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Voici quelques exemples d’articles parus dans la presse de l’époque à propos du procès Bernard Natan.

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Le Journal du 27 décembre 1938

 

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Le Journal du 06 mai 1939

 

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Le Petit Parisien du 3 juin 1939 relate la condamnation de Bernard Natan à 4 ans de prison pour escroquerie.

 

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Le Petit Parisien change de directeur et devient à partir du 11 février 1941 un journal de propagande nazie. Rien d’étonnant à ce que les articles concernant le nouveau procès de Bernard Natan deviennent clairement diffamatoires. Ainsi celui du 30 mai 1941 qui fait référence à ces soit-disant films pornographiques qu’aurait produit Bernard Natan.

 

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Le Matin sera l’un des plus virulents quotidien français contre Bernard Natan, comme vous le verrez dans les articles ci-dessous. Il fut interdit pour collaboration en 1945.

Dans celui du 30 mai 1941, qui n’est pas signé bien sur, on peut y lire ces lignes : “S’envolant d’un ghetto roumain où ses ailes d’escroc n’auraient pu se déployer, Bernard Natan avait débuté à Paris, alors terre promise de tous les juifs en mal de bonnes petites affaires, dans les films pornographiques. Auteur, producer et même acteur de scènes ignobles, il pensa que d’aussi beaux débuts le prédestinaient à devenir le roi du cinéma français. Il faillit réussir !“.

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Même le fameux quotidien Comoedia n’est pas à l’abri d’articles litigieux tel celui-ci dans lequel le journaliste écrit d’un ton ironique à propos de Bernard Natan : “Ce serait drôle par moment, il n’y risque pas sa tête, l’enjeu n’est que de cinq années théoriques.” Malheureusement il mourra moins de deux ans plus tard à Auschwitz…

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LE DERNIER FILM DE BERNARD NATAN

paru dans Comoedia du 21 juin 1941

Comoedia du 21 juin 1941

Comoedia du 21 juin 1941

Quel merveilleux document d’histoire que la vie judiciaire ! Le chercheur y trouve à son gré les plus criants tableaux des mœurs des temps. Au cours monotones ou mouvementé des audiences, sur le papier filigrané, s’inscrivent au fil des heures les images vivantes du passé.

C’est un peu d’histoire et c’est de l’histoire qui s’écrit ces jours-ci à la onzième chambre correctionnelle. Un juif étranger, transformé en citoyen français de France, comparaît pour répondre d’un « abus de confiance ».

En 1930, sans argent — sans crédit — il a acheté pour la coquette somme de cinquante millions ce qui restait de la société Charles Pathé, il espère payer avec les actions mêmes qu’il achète, pendant la transaction les actions perdent quatre cinquièmes de leur valeur, c’est la catastrophe : non. Le nom de Pathé a du crédit. Des banquiers s’intéressent à l’affaire, c’est Conti et Gancel, puis le Crédit du Nord, puis Bauer et Marchal.
Tout cela ne suffit pas : on augmente le capital, puis on le réduit, on crée une pléiade de sociétés fictives. Caron, juriste distingué, met toutes ses connaissances procédurières en œuvre pour présenter sous un jour légal ces escroqueries.
Fournier, modeste placeur de cinéma, séduit Henri de Vernoux de Bonneuil et ses capitaux : il devient « l’empereur de la distribution ». On paye des commissions de plusieurs millions à Antonio Castro, gentilhomme péruvien, qui disparaît.
Parti de cinquante millions le passif atteindra presque le milliard.

Dans son box, affalé devant un dossier plus encombrant que celui de l’avocat qui assure sa défense, l’inculpé guette l’argument, intervient, discute, interroge. Tantôt cynique et méprisant, tantôt ironique et pontifiant, tantôt volubile et sûr de lui, il défend pied à pied le terrain glissant où l’entraînèrent ses boueuses entreprises et sa frénétique ambition.

Lors du procès de Sébagi, il y a deux ans, sept avocats, dont un sénateur et trois députés, et non des moindres, assuraient sa défense ; aujourd’hui un seul l’assiste. Il plaidera, dit-on, mais depuis le début des débats c’est surtout pendant les suspensions d’audience qu’il apparaît : il a, dit-on, demandé à son client de préparer lui-même son dossier. Natan en fut indigné !

L’enjeu : cinq années d’emprisonnement théorique !

Ce serait drôle par moment, il n’y risque pas sa tête, l’enjeu n’est que de cinq années théoriques. Il n’aura pas à accomplir sa peine, Il a été condamné à cinq ans dans le procès de la Sébagi, les  faits sont connexes, la confusion sera de droit.

Mais au fond du débat gît comme une bête tapie l’affreuse vision d’un régime qui s’effrite et se décompose avec le douloureux souvenir des épreuves que cette fin de monde nous a réservés. L’atmosphère de la salle est alourdie, le prétoire n’est qu’un infime compartiment d’une scène tournante où se joue un épisode burlesque de la grande tragédie. Ce n’est pas un procès bien parisien où les élégantes viennent chercher quelques sensations rares, où les curieux viennent prendre un air d’audience, où les clochards viennent gratuitement jouir, à l’abri, d’un siège confortable et d’un spectacle inédit.

La salle respire un air vicié.

La voix du président Varlot parait lointaine comme un espoir dans la tourmente, le public attend de cette voix son apaisement, sa récompense, sa pauvre vengeance. Il sent que de ce monde frelaté de juifs tripoteurs, de politiciens tarés, d’intermédiaires interlopes, d’adorateurs du veau d’or, toute sa misère lui est venue. A travers ce Natan, faux grand homme sous un faux nom, il entrevoit tous ceux qui depuis des années, sous de faux noms avec de faux visages, se sont fait ses détrousseurs et ses bourreaux. Il évoque, ce public, l’immonde défilé des escroqueries, d’instinct il attend du juge la sentence qui l’apaisera.

Le prix de l’escroquerie n’a pas augmenté en même temps que celui du beurre

« Ce qu’on peut faire pour cinq ans de prison seulement », disait à côté de moi un vieux brave homme de Français moyen. « Le prix de l’escroquerie n’a pas augmenté en même temps que celui du beurre. »
C’est peut-être parce que seul parmi tant d’autres choses l’escroquerie reste si bon marché que nous ne nous sentons pas à l’aise dans le monde nouveau qui veut naître.

Qu’adviendra-t-il de ce procès qui n’a de sensationnel que les chiffres sur lesquels il roule : la sentence qui le terminera importe moins que le fétide relent de boue qui s’en dégage. Ce n’est pas seulement un indésirable issu d’un ghetto balkanique qu’elle soufflettera, mais tout un régime de compromissions où les fripons n’étaient pas toujours plus vils que les dupes.

Bernard Natan Tanenzapf, roi du cinéma français d’hier, qui rêvait d’être roi du cinéma américain, fait aujourd’hui figure de martyr. Demain sans doute il ira quelque part en France où ailleurs vivre sa vie d’aventurier, mais en France on n’oubliera pas le temps où son nom s’étalait sans pudeur sous l’égide du coq gaulois.

Roger Lafarge

 

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Le Matin publie le 22 juin 1941 un nouvel article à charge dont le titre se suffit à lui-même.

 

lematin-05-07-41-natan

Le Matin du 5 juillet 1941 (sans commentaire).

 

lepetitparisien-30-03-42-natan

Le Petit Parisien évoque le 30 mars 1942 ce décret honteux publié par l’Etat Français qui déchoie de sa nationalité Bernard Natan. Comment ne pas penser que certains en 2016 ont voulu à nouveau déchoir de leur nationalité des citoyens français (ce qui ne s’était jamais vu depuis cette période sombre sous Vichy)…

 

lematin-17-07-43-natan

Alors que Bernard Natan est déjà mort à Auschwitz entre l’automne 42 et 1943, Le Matin publie le 17 juillet 1943 un nouvel article calomnieux, évoquant “l’escroc juif” et le fait qu’il aurait été “figurant dans un film obscène”.

lematin-02-08-43-natan

Finalement, Le Matin publie le 02 août 1943 cet encart actant la fin de la faillite de Pathé-Cinéma mais ne pouvant s’empêcher d’insister sur son chef, le juif Nathaniel Tanenzaft (sic).

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Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse (Pour Vous)

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française (Cinémagazine)

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France (les autres revues)

 

Pour en savoir plus :

Le blog de David Cairns l’un des réalisateurs irlandais du documentaire.

L’article qu’il a écrit sur cette honteuse et déplorable affaire où Natan fut accusé d’être un pornographe.

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La bande-annonce du documentaire Natan.

Le documentaire Natan est disponible à l’achat sur le site de Lobster.

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Une interview (en anglais) de David Cairns à propos de Natan.

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L’article (en anglais) de Variety sur le documentaire Natan paru en 2013.

L’article (en anglais) “In need of rehabilitation: Bernard Natan, the Holocaust victim who saved France’s film industry” paru dans The Guardian en 2015.

Un article très complet sur le blog de Véronique Chemla à propos de Bernard Natan.

L’article paru dans Les Echos en mai 2015 : “Bernard Natan, la réhabilitation d’une légende oubliée du cinéma français“.

Une longue et complète biographie de Bernard Natan sur le site des Indépendants du 1er siècle (ainsi que la filmographie impressionnante du producteur Natan).

L’article “Charles Pathé et son bouc émissaire : Bernard Natan” par André Rossel-Kirschen pour la revue 1895 en 2008.


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2 commentaires sur “Bernard Natan, un producteur français (Pour Vous 1930)

  • Cinémaniac

    Bonjour,
    Merci pour cet excellent article, concernant un des plus incontournables producteurs/distributeurs du cinéma français de l’époque !
    Pour compléter votre article, je suis tombé dernièrement sur une interview de Bernard Natan, publiée en décembre 1932, dans la revue “Cinéma : la première revue de grand luxe du cinéma français” (1927-1933), dont vous faites rarement référence dans vos pages, et consultable sur Ciné-ressources (malheureusement, les liens ne marchent pas dans votre section commentaires)

    Cordialement.

    • Philippe M. Auteur de l’article

      Merci pour votre information. Cela m’avait échappé. Si certain-e-s sont intéressés, voici le lien de Ciné-ressources. Je vais sûrement du coup proposer un article de cette revue. Il faut que je creuse un peu dès que j’ai un moment.