Quelle destinée tragique que celle de Mireille Balin, l’une des grandes actrices des années trente et La Femme Fatale française par excellence.
Nous lui avions déjà consacré un article au début de ce site il y a presque deux ans (à lire ici):
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Née en 1909 (et non en 1911 comme on peut le lire parfois), Mireille Balin sera mannequin haute couture avant d’être engagée par Pabst pour un premier rôle dans son Don Quichotte en 1932.
Mais c’est surtout grâce à ses rôles dans Pépé le Moko, de Julien Duvivier en 1936 et l’année suivante dans Gueule d’amour, de Jean Grémillon qu’elle atteint l’apogée de sa carrière.
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La série de quatre articles que nous reproduisons est parue dans la revue de cinéma collaborationniste Ciné-Mondial à la fin de l’année 1941, signé par l’écrivain et scénariste français (auprès de Robert Florey notamment), Jean-Charles Reynaud.
Nous avons ajouté un texte passionnant que Mireille Balin a écrit où elle fait le point sur sa vie de “star”, paru en septembre 1941.
A cette période elle se sépare de Tino Rossi (ils s’étaient rencontrés sur le tournage de Naples au baiser de feu, d’Augusto Genina en 1937).
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Avec le recul on ne peut s’empêcher de voir avec effroi l’ironie du titre de cette série d’articles : “La Vie Merveilleuse de Mireille Balin“.
En effet, peu de temps après la parution de ces articles, Mireille Balin va rencontrer un officier de la Wehrmacht, Birl Desbok, avec qui elle se fiancera en novembre 1942.
A la libération, en septembre 1944, elle sera arrêtée avec son amant (qui ne sera jamais retrouvé) puis battue, violée par des résistants avant d’être jetée en prison dont elle sortira en janvier 1945.
Elle finira ses jours dans la misère, vaincue par la maladie le 9 novembre 1968.
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Pour plus de détails sur sa carrière, nous vous conseillons le site de Philippe Doro sur Mireille Balin, ainsi que le livre de Daniel Arsand (Mireille Balin ou la beauté foudroyée, Lyon, La Manufacture, 1989).
La Vie Merveilleuse de Mireille Balin
paru dans Ciné-Mondial du 14 novembre 1941
I – UNE MIREILLE DE PROVENCE
C’était pendant la grande guerre, vers 1915. Une auto roulait sur l’incomparable route qui s’accroche dans la lumière au flanc de la montagne et domine la paix azurée de la mer entre Nice et Menton pour poursuivre son trajet édénique jusqu’à la Riviera italienne. Dans la voiture, une jeune Florentine mariée à un Français, s’abandonnait à la jouissance de contempler ensemble les cimes surplombantes et la bleue Méditerranée caressée de vibrations d’or, lorsque, soudain, aux approches de Monte-Carlo, la plus brutale réalité brisa son rêve couleur de ciel. Un accident se produisit.
Cet accident qui eût pu faire perdre la vie à la promeneuse, eut pour conséquence de la donner à un autre être. Blessée sans gravité, mais fort ébranlée par la commotion, elle fut transportée dans une clinique de la cité du jeu où elle arriva juste à temps pour mettre au monde un bébé du sexe féminin dont elle était enceinte depuis mois.
Est-ce parce qu’il vit ainsi le jour dans la région de soleil qui est comprise entre la Provence de Mistral et l’Italie maternelle et qui créait une sorte de lien affectif entre la terre du grand poète et le pays de la maman ? Toujours est-il que cette dernière choisit pour son bébé le nom de Mireille.
Ce nouveau-né devait commencer à être connu des amateurs de cinéma quelque dix-neuf ans plus tard sous le nom de Mireille Balin.
Une telle naissance, à la fois prématurée et violente, valut à Mireille une prime jeunesse et une adolescence pleines de fragilité. Ses parents l’entourèrent de soins, la choyèrent en leur demeure parisienne. Toutefois, ses études ne furent point négligées pour cela, puisque, jusqu’à 17 ans, elle suivit les cours d’une pension de l’avenue Vicor-Hugo.
Mais un coeur de mère peut être capable de la sollicitude la plus affectueuse tout en redoutant pour sa fille les tentations qui risquent d’être l’effet d’une bourse bien garnie. Ainsi en jugea la maman de Mireille, lorsque celle-ci fut libérée des travaux scolaires. Elle estimait que son enfant avait tout ce qu’il lui fallait à la maison et elle « les lâchait avec un élastique » selon le propre aveu de l’intéressée qui, restée fort simple malgré sa notoriété actuelle, ne se croit point tenue de ne pas user, à l’occasion, du langage familier.
A dix-sept ans, Mireille était déjà une fort belle fille. Grande, élancée, la démarche souple, la taille fine sous des épaules larges qui l’ont fait comparer à un personnage des fresques de l’ancienne Egypte, l’allure distinguée, ayant hérité de sa mère un joli visage évocateur des modèles de la Renaissance italienne, elle ne craignait pas, pour se faire de l’argent de poche, de céder aux sollicitations des photographes et elle posa pour les cartes postales et les pages publicitaires. Nombre de vedettes eurent des débuts semblables. Chez nous, il est permis de citer, entre autres, Dolly Davis et Jeanne Helbling et je suis persuadé qu’on pourrait reconnaître maintes effigies de stars américaines fameuses illustrant les « Merry Christmas » et les « Many Kisses » des « post-cards » d’outreAtlantique. Entre le métier de modèle pour photographes et celui de mannequin, il n’y a point un grand pas à faire. Ce n’est pas nécessairement un faux pas, bien que ce genre de travail soit volontiers décrié. Mireille n’en eu cure, dont la poche devait devenir plus exigeante pour l’argent, la mère aussi sourde aux requêtes et qui, d’autre part, possédait, dès cette époque, une nature peu sensible au « qu’en dirat-on ».
Elle fut donc mannequin et elle a conservé de cette période de sa vie un souvenir plein d’entrain et de gaieté. Elle raconte qu’elle s’amusait fort avec ses compagnes lorsque, de retour dans leur « cabine », elles s’appliquaient à singer avec de grands rires les mines et les attitudes des clientes devant lesquelles elles venaient de défiler.
Quelques années plus tard, alors qu’elle s’apprêtait à aller tourner « Terre de feu » en Italie, sous la direction de Marcel L’herbier, et qu’elle s’était rendue chez un couturier fameux afin d’y essayer les robes qu’elle porterait dans ce film, Mireille Balin provoqua l’admiration d’une journaliste présente par l’aisance, la grâce et l’élégance avec lesquelles elle évoluait sous les toilettes.
Mireille, avec sa modestie coutumière, commença par protester contre de tels éloges, puis finit par admettre que cela pouvait s’expliquer par son ancien métier. Et ce lui fut aussitôt prétexte à une évocation simple et charmante du temps qu’elle était mannequin. Et, comme les jeunes filles étaient venues défiler devant elle pour lui soumettre d’autres modèles de robes, elle déclara, lorsqu’elles se furent retirées :
— Maintenant que je suis cliente, je souffre de ne pouvoir les accompagner et de rire avec elles en me singeant moi-même.
II – UNE JEUNE FILLE QUI NE VEUT PAS FAIRE DE CINEMA
Nous avons déjà fait allusion à la simplicité et à la modestie de Mireille Balin. Il nous faut encore les invoquer — et nous ne sommes pas prêts de nous taire à cet égard—pour souligner à quel point elle semblait accorder peu d’importance à sa beauté au moment de sa dix-septième et de sa dix-huitième année. « Beauté de carte postale et de mannequin tout au plus !” jugeait-elle sans doute d’une pensée fuyante. Et on aurait été fondé à dire d’elle, comme dans la chanson :
Mireille ne sait pas encore
Le doux charme de sa beauté.
C’est une fleur qui vient d’éclore
Dans un sourire de Fête.
(A suivre)
Les photographies de cette série d’articles sont créditées Archives donc D.R.
La Vie Merveilleuse de Mireille Balin
paru dans Ciné-Mondial du 21 novembre 1941
RESUME. — Tout d’abord modèle pour photographe, Mireille Balin est devenue mannequin pour se faire de l’argent de poche et passe ainsi ses premières années de jeunesse.
Malgré les compliments flatteurs dont elle est souvent l’objet, elle ne semble pas croire à sa beauté…
Car elle était authentique, évidente, charmante, cette beauté.
— Pourquoi n’essayez-vous pas de faire du cinéma ? lui demandait-on souvent.
Cela la faisait éclater de rire et elle répliquait :
— Parce que je n’ai aucune chance de réussir… Il y a tant de femmes plus jolies que moi !… Et tant aussi que travaille ce démon du jour et qui envahissent les studios !… Tout le monde veut faire du cinéma : la fille de votre concierge, la blanchisseuse du coin, l’arpète, la petite main, la vendeuse, la dactylo, les femmes de théâtre et de music-hall… Il n’y a pas de place pour moi et je ne me soucie pas d’aller faire la queue pendant des heures et des jours pour obtenir ou, même, ne pas obtenir quelques cachets de figuration… Et puis, à vrai dire, le cinéma ne m’attire pas même comme spectatrice…
L’extraordinaire, le surprenant, le presque incroyable, c’est qu’elle exprimait là, strictement, sa pensée. A une époque où le cinéma fait flamber tant de convoitises féminines en raison de ce qu’il paraît représenter à la fois toutes les satisfactions des ambitions de la femme : la gloire, l’argent, le luxe, la possibilité d’éclipser ses rivales ou ses semblables, un moyen de séduction centuplé, un auxiliaire de la coquetterie non pareil, une sorte de miroir universel la reflétant de façon innombrable et en mille lieux en même temps. A une époque où, de fait, il n’est guère de grande dame ou de boniche que n’ait au moins traversée la tentation de l’écran ou qui n’ait emporté dans son sommeil l’image d’un jeune premier de studio, le petit mannequin Mireille ne se souciait pas plus du septième art que de son premier défilé devant les clientes.
Sans doute, même moins encore.
Elle ne lisait pas les revues spécialisées, riches en potins, en indiscrétions et en premiers plans suggestifs. Elle ne savait ni les goûts ni les aventures de quiconque des jeunes premiers.
Les photographies ne régnaient point sur sa chambre. Elle allait jusqu’à préférer nettement au cinéma, comme spectacle, le théâtre et le music-hall.
Elle constituait véritablement un cas…
Mais le cinéma doit être comme notre ombre et comme la femme à propos desquelles le proverbe arabe dit que, si nous les poursuivons, elles nous fuient, et que, si nous les fuyons, elles nous poursuivent. Mireille ne fuyait pas positivement le cinéma, mais il lui était assez indifférent pour que ce fût lui qui fît les premiers pas.
Un jour, à Paris, elle rencontra, au cours d’un dîner, le metteur en scène Jean de Limur, et ce dernier, frappé par le visage et par la silhouette de la jeune fille, ne se borna pas à lui suggérer l’idée de la carrière cinématographique, mais l’assura qu’il s’occuperait d’elle.
Puis les jours passèrent et, l’époque des vacances venue, Mireille partit pour Cannes, ayant peut-être déjà oublié sa conversation avec de Limur.
C’est qu’elle ignorait à quel point elle avait intéressé le cinéaste. Celui-ci en parla à Pabst qui préparait son Don Quichotte.
Si bien que Mireille, alors qu’elle s’y attendait le moins, reçut à Cannes un télégramme la priant de se rendre à Nice. Là, Pabst ratifia le jugement de Limur de la façon la plus absolue, puisque, sur la simple vue de la jeune fille, sans la soumettre au moindre bout d’essai, il lui fit établir, séance tenante, un contrat d’engagement.
On a beau n’être pas attirée par le cinéma, on ne fait pas facilement grise mine à un contrat qui vous tombe ainsi du ciel, surtout lorsque ce contrat, par la vertu d’un producteur munifique, représente tant d’argent, que ce n’est plus seulement de l’argent de poche, ou, alors, de l’argent de poche pour des jours et des jours.
Et puis, il n’était pas question de faire interminablement la queue, comme les pauvres filles qu’elle avait coutume d’évoquer, pour obtenir ou, même, ne pas obtenir des cachets de figuration. Elle, on lui avait demandé de venir et elle n’avait eu qu’à se présenter pour être agréée. Par surcroît, il ne s’agissait pas de figuration, mais d’un rôle, d’un vrai rôle, celui de la tendre Maria, nièce de Don Quichotte qu’incarnerait Chaliapine.
Débuter au côté du grand Chaliapine et sous la direction de Pabst ! Quelle circonstance merveilleuse !
Mireille éclatait non pas d’orgueil — ce n’était pas dans sa nature — mais de joie et de reconnaissance envers le sort dont elle réalisait enfin le prodigieux bienfait à son endroit.
C’était en 1934. Elle avait dix-neuf ans (née en 1909, elle avait en fait 24 ans. NDLR).
Pour l’époque, cela constituait, en effet, des débuts remarquables. On n’avait pas encore inventé les vedettes improvisées, les étoiles de 16 ou 17 ans et, à l’encontre de Corinne Luchaire, d’Annie Vernay, de Gaby Sylvia et de plusieurs autres, avec lesquelles je ne cherche point, d’ailleurs, à établir ici de comparaison, Mireille Balin eut à passer par la patiente école de la préparation et du métier dont ne sauraient se dispenser les dons naturels les plus certains.
Elle comprit qu’il lui fallait aussitôt travailler, apprendre les rudiments de la carrière nouvelle qui s’ouvrait à elle, se perfectionner, se préparer consciencieusement au grand rôle qui lui pourrait échoir un jour. On ne devient jamais facilement une artiste complète, qu’on soit fille de gens du « bâtiment », d’intellectuels, jeune fille du monde ou mannequin.
Mireille prit donc des leçons de diction, de chant, d’équitation. Elle se soumit de façon totale à l’enseignement de son premier metteur en scène dont elle avait la chance insigne que ce fût un homme de valeur et de l’envergure de Pabst. Elle y gagna d’y tenir fort honorablement sa petite place auprès de l’incomparable Chaliapine, de se détacher autant qu’il était nécessaire de l’ombre dense qu’il projetait autour de lui, et elle eut la modestie et l’intelligence d’attribuer à son metteur en scène, par des déclarations répétées, le mérite de ses naissantes qualités.
Fût-ce récompense de sa volonté de travail et de son effacement de débutante, mais le sort continua de lui être favorable. Cela n’est pas si fréquent au cinéma, où, contre toute logique, on voit des carrières s’arrêter définitivement après des coups d’essai remarqués, voire brillants et, même, des acteurs rester de longs mois sans engagement au lendemain d’un succès considérable.
Mireille Balin eut la nouvelle et double chance qu’on lui offrît un rôle dans un second film.
Ainsi l’heureuse impulsion donnée par Pabst ne risquait pas d’être combattue par un engagement entaché de médiocrité. Sans aucun doute, la jeune artiste ne tira que bénéfices de ce second film, mais peut-être cette influence se serait-elle mieux exercée encore si l’on eût confié à Mireille l’interprétation d’un personnage qui lui convînt.
Le film était une adaptation de la pièce fameuse d’Edouard Bourdet, Le Sexe faible, et Mireille y devait personnifier une petite créature pleurnicheuse, qui, selon elle, n’était pas comparable avec sa nature et heurtait ses possibilités. Probablement, avait-elle raison car le metteur en scène s’ingéniait à soutenir son jeu d’exhortations multiples.
— Rentre davantage la tête dans les épaules, lui disait-il… Personne ne croira que tu as du chagrin sans ça… Allons, encore, toujours… Là, maintenant, tu peux sangloter, ça va…
— J’ai l’impression, déclarait l’artiste, que je ne suis pas une femme pour jouer des choses comme ça… D’abord, physiquement, je suis trop grande et je n’évoque pas la petite fille malheureuse… Ensuite, je suis gaie et je me sens un tempérament de fantaisie…
Quoi qu’il en soit, malgré les efforts de son metteur en scène, et le non-conformisme de son interprète, je ne cache point que Le Sexe faible ait valu à Mireille Balin une presse mauvaise.
Les deux films qu’elle eut à jouer par la suite durent la satisfaire, elle qui avait assuré se sentir un tempérament de fantaisiste… car, de la fantaisie, ils ne se firent point faute de lui en réclamer, surtout le second.
Le premier s’intitulait : Vive la classe, et, si ce titre sous-entend assez de gaieté débridée, on conviendra que celui du deuxième — à savoir On a trouvé une femme nue, — n’est pas sans suggérer un comique de note pétillante et capiteuse. A vrai dire, si On a trouvé une femme nue comportait de la fantaisie et de la fantaisie grossie jusqu’aux situations vaudevillesques, Mireille s’efforça d’y conserver une mesure de qualité, et la presse se plut à noter que « dans les scènes de pur vaudeville, elle mettait son personnage sur le plan humain à cause de sa simplicité et de son naturel”.
— Vous comprenez, expliqua l’artiste, j’avais pour partenaire Saturnin Fabre et, comme ce grand comique, si personnel, a pour caractéristique d’appuyer sur l’effet, d’une manière irrésistible d’ailleurs, il fallait bien que, par une sorte de contrepoids, je joue « rentré » et le plus naturellement possible.
Mais dans On a trouvé une femme nue, la fantaisie drolatique ne se borna pas au film lui-même : elle s’étendit jusqu’aux coulisses. La femme nue, c’était Mireille Balin, et il était indispensable qu’elle le fût authentiquement. Ainsi l’exigeait le scénario qui ne permettait ni truquage, ni compromis. C’était à prendre ou à laisser.
— Ma foi, je prends ! s’était écriée, avec son esprit sainement sportif, Mireille, qui ne voulait pas négliger les atouts dans une carrière brillamment commencée et qui pouvait s’autoriser à incarner les filles sans voile avec l’absence de vergogne qui est l’apanage de la vénusté consciente, sinon orgueilleuse.
On devine déjà ce qui se produisit. Les collaborateurs masculins de la production, informés, comme par hasard, des jours où leur camarade devait interpréter ses scènes de nudité, inventèrent tous les prétextes pour se trouver, ces jours-là, au studio, même lorsque rien ne les y réclamait. Ce fut un débordement de témoignages d’intérêt à la cause artistique du film. Ce fut un envahissement du plateau que parvint seule à endiguer l’autorité vigilante du metteur en scène, Léo Joannon, qui dut, impitoyablement, chasser les curieux de ce temple d’un art qui risquait de ne plus demeurer très catholique.
Mireille Balin fut la première à en rire et ne se plaignit que du froid qu’elle eut à endurer en tant que déesse dévêtue.
Après On a trouvé une femme nue, elle s’accorda la détente d’une croisière au Portugal, en Espagne et au Maroc. Déjà, avant le film, elle avait visité l’Egypte et les îles de la Méditerranée, cédant ainsi à l’invite de l’un des luxes qu’elle goûte le plus au monde, les voyages, et que le cinéma, jadis absent de ses soucis, lui permettait aujourd’hui, où il avait fait de l’ancien petit mannequin une étoile grandissant chaque jour dans son ciel.
Le film qu’elle interpréta ensuite fut Si j’étais le patron, aux côtés de deux grands artistes : Fernand Gravey et Max Dearly.
Elle eut à s’y montrer sous un jour nouveau. Après avoir tour à tour joué un rôle d’œuvre classique, celui d’une petite fille du peuple, ayant pour frère un contremaître d’usine, et tombant amoureuse d’un inventeur plein d’avenir.
Cette diversité dans son travail assouplit son talent en formation, en enrichit les moyens. Elle fut charmante et vraie dans cette incarnation nouvelle et ne pâlit jamais auprès de ses partenaires fameux. Mais, naturellement, lorsqu’on lui parla de sa création, avec sa modestie habituelle, elle ne sut qu’invoquer leur influence bienfaisante et profonde et, toujours équitable et reconnaissante envers celui qui avait dirigé son jeu, ne manqua pas de faire l’éloge de son metteur en scène, Richard Pottier.
— On ne dira jamais assez, déclara-t-elle, les qualités de Richard Pottier… Avec lui, travailler est un enchantement et toutes ses indications sont précieuses.
Marie des Angoisses, représenta encore, pour Mireille Balin, une nouveauté d’interprétation.
C’était l’adaptation à l’écran du roman célèbre de Marcel Prévost, et ceux qui ne l’ont pas lu sont amplement éclairés, par le titre, de la sorte d’héroïne qui l’inspire et que l’artiste eut à composer.
Il s’agit, évidemment, de la vie tragique d’une femme, et Mireille Balin, qui avait assuré, à propos du Sexe faible, qu’elle ne possédait point un tempérament propre à traduire les rôles de douleur, avait précisément à incarner là un personnage voué profondément à la souffrance.
Mireille Balin s’ignorait. Il y a, d’ailleurs, toujours des sources de souffrance plus ou moins cachées dans un cœur féminin, et c’est au metteur en scène de tenir la baguette de sourcier lorsqu’il s’agit d’en découvrir le point et d’en provoquer le jaillissement.
Ainsi, Mireille, avec cette production dernière, avait une fois de plus élargi ses possibilités artistiques, fortifié son talent en gestation.
Elle était en mesure, maintenant, d’affronter les rôles de grande classe. On sut heureusement le comprendre et on lui en fournit les moyens.
Dans Pépé le Moko, pour la première fois Mireille Balin donna l’impression de ressources insoupçonnées, de disposer d’une nature authentiquement douée pour l’écran. Elle joua comme une artiste de qualité véritable et qui se réalise enfin.
Il reste entendu que c’était là l’aboutissement de son travail antérieur, le fruit des indications de ses metteurs en scène précédents, mais il n’en est pas moins vrai qu’une main malhabile eût risqué d’abîmer ce fruit en le détachant, et qu’un homme, singulièrement averti, était indispensable pour ne point y inscrire des marques détériorantes et pour ne point y laisser s’en égarer la substance.
Avec Pépé le Moko, dans le rôle de Gaby, elle a inauguré la série des femmes entretenues de grand luxe, quelque peu aventurières et ayant conservé, au profond d’elles-mêmes, le coeur tendre de leurs humbles débuts, qu’elle a campées depuis avec un égal bonheur, mettant sur l’écran l’agrément de son élégante et jolie silhouette ainsi que le charme de son fin visage où une certaine originalité des traits compose comme une légère énigme.
Gueule d’Amour, le film que Mireille Balin interpréta ensuite, doit son nom à ce que le héros de l’histoire est un soldat qui fait tourner la tête de toutes les femmes de sa garnison.
Mais voici que survient une Parisienne, jolie femme et aventurière, qui n’échappe pas à la loi conquérante instituée par le soldat don Juan. Pas pour longtemps, d’ailleurs. La Parisienne n’a pas accoutumé de s’attacher durablement à un homme, et c’est elle qui finit par être la meneuse du jeu amoureux. Casanova se transforme en Roméo et souffre, tandis que sa belle se gausse de lui et le jeu s’achemine progressivement vers le drame final.
On a deviné que la jolie femme aventurière était interprétée par Mireille Balin. N’était-elle pas toute désignée pour ce rôle, après Pépé le Moko ? Elle y connut semblablement un succès vif et justifié, et elle se plut à en composer le caractère tout féminin, c’est-à-dire complexe, inattendu et souvent contradictoire.
Elle s’est exprimée ainsi à son sujet :
— Je n’admets pas les personnages tout d’une pièce. La meilleure des femmes peut avoir ses instants de faiblesse, et la pire dissimuler des vertus réelles. Rien n’a pu me faire plus de plaisir après Gueule d’Amour, que de recevoir des lettres de spectateurs me disant en conclusion : « Au fond, cette aventurière était plutôt victime de son destin que foncièrement pervertie.”
Auprès d’un journaliste qui l’interrogeait un jour, Mireille Balin ne s’est pas cachée d’être sentimentale.
(A suivre.)
La Vie Merveilleuse de Mireille Balin
paru dans Ciné-Mondial du 28 novembre 1941
Après avoir été modèle pour photographe, puis mannequin, Mireille Balin a débuté au cinéma en tournant un petit rôle dans Don Quichotte, sous la direction de Pabst.
Conquise par le cinéma, elle va bientôt de succès en succès. Pépé le Moko, puis Gueule d’amour consacrent définitivement son talent…
Alors, pensera-t-on, au cours des occupations qui furent siennes et qui, par leur nature, placent de nombreux hommes sur le chemin des femmes, puisque ce furent la couture et le cinéma, sans compter le métier de modèle pour photographe, elle ne manqua sans doute pas de devenir amoureuse. Que ne nous en avez-vous encore parlé ? La vie sentimentale des artistes intéresse toujours leurs spectateurs fidèles.
Il est probable, en effet, que notre héroïne ne resta pas insensible à quelques hommages masculins durant les années qui la conduisirent de l’atelier du photographe et de la « cabine » du mannequin à la loge de la vedette. Il y a peu de femmes qui échappent complètement, par bonheur pour les hommes, à la grande loi universelle. Mais, à vrai dire, jusqu’au point de sa vie où nous sommes parvenus, elle n’avait pas encore connu l’amour profond, celui qui marque de façon indélébile une existence humaine.
Elle prit contact avec lui au lendemain de Gueulc d’Amour, et il se présenta à elle sous l’apparence prestigieuse de Tino Rossi, à Nice, où elle s’était rendue afin d’y tourner, avec lui pour partenaire, Naples au baiser de feu, sous la direction d’Augusto Genina.
Oh ! ce ne fut, certes, pas ce prestige de Tino, sa célébrité de chanteur de romances d’amour et ses innombrables succès féminins qui attirèrent la jolie vedette ! Elle est trop simple, on le sait, trop peu subjuguée par tout ce qui ressortit à la gloire, pour être sensible à cette sorte de mérites.
Ce ne fut même pas le coup de foudre.
Au contraire, Mireille la modeste, s’il faut en croire la chronique, s’amusa, tout d’abord, à se montrer un peu dans la vie le personnage de ses derniers rôles, se para de ses bijoux les plus éclatants, de ses toilettes les mieux venues, sortit tapageusement dans des autos somptueuses et en compagnie de chiens de prix, hanta les lieux chics de manière ostentatoire, comme pour opposer ironiquement un luxe éblouissant aux mille éclats des triomphes de Tino Rossi.
Mais elle se lassa petit à petit de ce jeu qui avait pour effet de détourner d’elle le chanteur corse. Au studio de la Nicéa-Films, à Saint-Laurent-du-Var, où l’on réalisait les intérieurs du film et qui créait chaque jour entre eux un rapprochement professionnel nécessaire, elle découvrit que Tino était, par nature, aussi simple qu’elle et l’était demeuré, comme elle, au milieu du succès. Elle comprit que son affectation de débauche luxueuse l’avait diminuée aux yeux de son partenaire et, comme il finit par sentir lui-même le véritable tempérament de Mireille, leur commune simplicité établit le premier lien de leur proche grand amour.
Ce lien se resserra vite, en effet, s’enrichit d’autres, de tous les autres qui font d’une naissante tendresse un sentiment qui enchante l’existence et, lorsque le couple partit pour Naples afin d’y tourner les extérieurs de Naples au baiser de feu, il portait en lui la certitude d’interpréter avec vérité les rôles brûlants d’amour qui lui étaient dévolus.
On connaît le roman d’Auguste Bailly dont la production cinématographique s’est inspirée. On sait l’ardente histoire du beau chanteur Mario que la malfaisante Lolita ravit quelque temps à sa fiancée Assunta et qui revient, plein de ferveur, à cette dernière, implorant un pardon qui s’épanouit déjà sur les lèvres heureuses d’Assunta restée, malgré tout, attachée de toute son âme à celui qu’elle aime.
Mario était, évidemment, interprété par Tino et Lolita par Viviane Romance. Quant à la tendre et douce Assunta, c’était Mireille Balin.
Comme l’amour, ce rôle d’amoureuse délaissée, puis récompensée de sa constance était à peu près nouveau pour elle et, ne l’eût-il pas été, qu’elle l’eût marqué tout de même d’une résonance nouvelle. Elle n’eut qu’à demeurer elle-même pour le bien jouer ou, plus exactement, pour le vivre avec plénitude. Devant toutes les situations de l’amour, le cœur d’une femme qui aime a d’exactes presciences et possède, pour ressentir, des intuitions infaillibles.
Tarentelle, Cœur Ingrat, O Sole Mio, Rien qu’un chant d’amour, Santa Lucia, Mia Piccolina, Ecoutez les Mandolines, Rien n’est plus beau qu’un chant d’amour… Ce sont là les titres des chansons que Tino fit entendre dans le film…
O Mireille, quelles ondes précieuses durent naître dans votre âme lorsque s’élevait la voix aimée dans la vibrante lumière d’or de la Naples des amants et des barcarolles, sous le ciel de Naples au baiser de feu !…
La production achevée, le couple rentra à Paris, et Tino Rossi, qui était marié, divorça. Puis les deux amoureux s’installèrent à l’hôtel George-V en attendant d’aller réfugier leur bonheur dans un petit appartement de quatre pièces d’un vieil immeuble du boulevard Suchet.
Un journaliste interviewa alors Mireille Balin et lui demanda :
— Quelle chose vous réjouit le plus : la gloire, l’argent, les réalisations artistiques ?
Mireille posa sur son interlocuteur un lourd regard, chargé d’âme, et, sans hésitation, répondit d’un timbre profond :
— Rien ne vaut l’amour !
Le journaliste pria ensuite la charmante artiste de parler d’amour aux lecteurs de son journal et elle satisfit à son désir en lui adressant un long article dont il nous paraît intéressant d’extraire les considérations suivantes :
Quelle fortune, un homme qui vous aime vraiment, sans complications, pour vous-même, avec tout son cœur !
Il n’est pas nouveau de dire que la femme pense davantage à l’amour que l’homme.
L’une des plus belles réalités que la vie puisse offrir, c’est l’amour, l’amour sans illusions.
N’en concluez pas que j’aime les hommes continuellement empressés, genre « descente de lit »…
Je préfère les hommes fiers, ombrageux, un peu secrets. Rien ne me tente, comme de me heurter à un caractère et de n’être pas sûre d’arriver à le dominer.
La nouvelle ayant couru du prochain mariage du couple, les journalistes l’assaillirent et le pressèrent de questions.
— Non, non ! démentez ! s’écrièrent Mireille et Tino… Il n’y a entre nous ni fiançailles ni promesse de mariage…
Peut-être, en effet, l’annonce de leurs intentions matrimoniales n’était-elle pas fondée. Ce qui n’était point douteux, en tout cas, parce que manifeste, c’est que leur union avait acquis plus de force encore.
Depuis, Mireille Balin a tourné de nombreux films et elle a retrouvé un succès de la même qualité que celui qu’elle se valait lors des dernières productions où elle parut. II convient même d’ajouter que son talent rend, aujourd’hui, un son de définitif, et semble susceptible d’enrichissements nouveaux. Parmi ces films, citons, par ordre chronologique :
La Vénus de l’Or, Terre de feu, Duels, Cinq jours d’angoisse.
(A suivre.)
La Vie Merveilleuse de Mireille Balin
paru dans Ciné-Mondial du 5 décembre 1941
RESUME
Après avoir été modèle pour photographe, puis mannequin, Mireille Balin a débuté, au studio, dans Don Quichotte, de Pabst.
Conquise par le cinéma, elle va bientôt de succès en succès. Pépé le Moko, Gueule d’Amour consacrent définitivement son talent. C’est, enfin, Naples au baiser de feu, qui lui apporte un beau rôle et un grand amour, celui de Tino Rossi….
Pour La Vénus de l’Or, Terre de Feu, tournés en Italie avec Marcel L’Herbier, et Duels, qui est peut-être bien l’ancien titre de Coups de feu, réalisé par René Barberis et où Mireille Balin eut pour partenaire Raymond Rouleau, je ne dirai rien, ne les ayant pas vus personnellement. J’ai, pour la même raison, gardé plus haut le silence à propos du Roman d’un Spahi et de Colomba et je tiens à le déclarer ici pour qu’on n’accuse pas cette biographie d’être incomplète.
Pour Cinq jours d’angoisse, qui fut brûlé dans l’incendie du laboratoire de Saint-Cloud, j’indiquerai qu’il s’agissait d’une histoire d’amour se déroulant pendant les jours d’angoisse de septembre 1938 et que les principaux interprètes en étaient, avec Mireille Balin, Jean Galland et Ginette Leclerc.
J’ajouterai, pour être un historiographe complet, que, pendant la guerre, Mireille Balin a tourné en Italie, avec Tino Rossi, un film dont le titre, Fiesta (Ce film n’existe ni dans la filmographie de Mireille Balin ni dans celle de Tino Rossi !. NDLR), semblait proclamer le climat de leur bel amour et qu’elle vient d’achever, sous la direction de Léon Mathot, Fromont jeune et Risler aîné, où les fervents de sa beauté si spécifiquement photogénique et de son talent toujours en progrès, l’ont retrouvée avec joie.
Aujourd’hui, la belle actrice est vraiment devenue la vedette à la mode, réclamée par le public, convoitée par les producteurs. Mireille Balin, nous l’avons dit et répété, est demeurée toute simplicité. Pour ce motif, elle a horreur de se désigner à l’attention et reste plus volontiers chez elle qu’elle ne cède aux invitations de la vie extérieure.
Au fond, elle a même foncièrement un tempérament de femme d’intérieur, étant déjà retenue par le seul goût du « home ».
Mais aussi quels soins et quelle tendresse ne réserve-t-elle pas à ce dernier !
Ici, des sièges larges et profonds, des tentures aux tonalités gaies, douces et chaudes à la fois, de précieux vases de Chine. Là, des bibelots originaux tels que, par exemple un briquet-mappemonde, et une étonnante et riche collection d’éléphants, venus de tous les pays.
« Je les aime, a-t-elle déclaré, parce qu’ils me donnent une impression de sécurité », traduisant là le sentiment qu’elle se plaît à rechercher dans son appartement.
Et, dans ce cadre établi par elle, elle prend plaisir à disposer des fleurs dans des vases, à caresser ses chiens qu’elle affectionne, à faire un peu de musique et principalement à lire Balzac, Verlaine, Sully-Prudhomme, tous les auteurs de l’époque romantique, et aussi, avec une véritable passion — et elle a bien raison de ne s’en point cacher — l’adorable et, en effet, si attachant Dumas père.
Ou, alors, lorsqu’elle renonce à sa vie sédentaire, elle ne se contente plus de la petite compensation sportive et habituelle du cheval et de la natation. Elle part pour de longs et intéressants voyages. C’est ainsi qu’elle a visité, outre l’Amérique, la Palestine, la Syrie, la Turquie, l’île de Rhodes…
… Heureuse Mireille Balin qui, par la puissance de l’argent, pouvez faire parfois quitter à l’amour son doux nid quotidien pour ouvrir de vastes espaces à son déploiement et offrir des ciels nouveaux à sa joie !
Mais l’argent, comme la gloire, nous n’ignorons pas que vous seriez capable de vous en passer sans en éprouver la douleur, car vous avez déclaré, un jour, que « vous étiez sûre de porter en vous des goûts assez sages pour ne jamais souffrir”. Tandis que, l’amour, nous savons bien que, si vous veniez à le perdre, vous en auriez de la peine, beaucoup de peine.
Et c’est pourquoi, en plus de l’admiration que vous méritent votre talent et votre beauté, vous êtes sympathique à tant de cœurs de femmes qui se reconnaissent en vous et à tant de cœurs d’hommes à qui vous rendez la notion d’un grand sentiment pour eux disparu…
Jean-Charles Reynaud
Quelques mois auparavant était paru dans Ciné-Mondial ce beau texte écrit par Mireille Balin.
Dans les jardins secrets d’une étoile par Mireille Balin
paru dans Ciné-Mondial du 12 septembre 1941
Mes bijoux, mes fourrures, mes robes, mon auto, ce sont des « signes extérieurs » de fortune… Rien de tout cela ne donne la vraie richesse, celle que l’on porte en soi.
Le courage, l’espoir, le goût de la vie, voilà ce qui compte.
Hier je n’avais rien, aujourd’hui je possède, demain je puis tout perdre ; mais le soleil est là, et la mer, et le ciel, et je reste une femme qui peut jouir comme les autres de ce qui existe pour chacun…
On m’a souvent demandé si je n’avais pas souffert de travailler trop tôt. Mais, à dix-sept ans, la vie m’obligeait à cela. Mes parents pouvaient très peu de chose pour moi, il fallait que je me débrouille. Plutôt que de chercher à connaître le désarroi d’une jeune fille gâtée par la chance, il vaudrait mieux comprendre celui de ces gosses qui travaillent, sans que la carrière choisie leur permette d’autre récompense que l’espoir de gagner régulièrement leur pain.
La vie est une chose si terrible que j’estime nécessaire d’éduquer les enfants en vue de la combattre. Il ne faut pas les élever dans l’illusion, ni dans de trop grands principes de confiance. L’être humain n’est ni bon ni franc, et rien n’est plus atroce que cette constatation lorsqu’on arrive au devant, le coeur et l’âme ouverts à l’espoir.
Je ne suis pas pour les ménagements, pour l’apprentissage progressif… Il faut, pour avoir un caractère, se plonger dans le bain d’un seul coup et essayer de remonter à la surface sans le secours de personne… D’ailleurs, qui viendrait à votre secours ?
Chacun lutte si âprement pour faire sa place au soleil, que le seul système valable est encore d’en faire autant.
Mais alors, comment, avec cet axiome, ne pas devenir un être sec et dépourvu de sensibilité ? allez-vous me demander ?
En se créant une sorte de jardin secret, en limitant aux affaires cette dureté d’âme, en préservant sauvagement ses élans, sa sincérité, tout ce qu’on garde de frais, de jeune, de réel, en tenant à distance ceux qui retireraient à l’amitié sa valeur confiante et franche.
Je sais que l’on me reproche cet éloignement dans lequel je me maintiens et de ne répondre que par un sourire vague aux questions que l’on me pose. Alors, on dit : « Elle est sotte ! »
Comme si je devais faire cadeau à tout le monde de ce que je protège si précieusement !
J’ai commencé dans la vie par être mannequin.
Je défilais toute la journée devant les visiteuses. Je ne mangeais pas assez, mais j’étais très gaie…
Je n’enviais pas les femmes devant lesquelles je paradais.
Au contraire, avec mes camarades, nous nous moquions tellement des travers et des manies de nos clientes, nous les passions au crible avec si peu d’indulgence que maintenant, je n’assiste jamais à une présentation de collection !… Je sais trop bien ce que diraient de moi les mannequins, en se poussant du coude et en étouffant de rire, une fois revenues dans leur salon !…
Puis j’ai posé pour des photographes, j’ai été vendeuse, j’ai chômé, et de ce temps, il me reste les mêmes envies de dépenses folles, les mêmes rages d’économie de bouts de chandelles…
Enfin, la chance est venue, et avec elle, la griserie du succès.
J’ai profité de tout ce qui m’était offert, avec une exagération dont je ne m’apercevais pas alors.
J’étais couverte de bijoux. Chacun de mes gestes allumait des reflets, dispensait de précieux éclats.
Mes oreilles, mon cou, ma robe, mes mains, mes bras scintillaient. Tout ce que j’avais était de grande valeur. Depuis les cigarettes rangées dans un étui d’or enrichi de pierreries, jusqu’à mon briquet, en passant par la boîte à poudre et le rouge à lèvres…
Je ressemblais à une vitrine de bijoutier. C’était atroce.
Et puis, je me suis rendu compte combien tout cela manquait de vérité.
Sortir dans les boîtes de nuit ne m’amusait plus.
Mes nouveaux amis m’y exhibaient à cause de mes belles robes, de mes fourrures, de mon nom qui devenait connu.
J’ai commencé de souffrir par la jalousie, la méchanceté, la mesquinerie des gens.
J’avais là tête vide et le cœur gros.
A l’âge au d’autres achèvent leurs études, se préparent à lutter gonflées de forces, j’avais, moi, toutes les fatigues et toutes les rancœurs.
Jetée dans le milieu le plus artificiel qui soit, en contact permanent avec la comédie, pouvais-je résister ?
Il y a celles qui sombrent, grisées, perdues, frénétiques. Elles empoignent la vie comme une course à l’abîme.
Elles n’ont plus aucun contrôle sur elles-mêmes.
Elles ont des éclats de rire qui ressemblent à des sanglots, des exigences auxquelles on obéit, amusé par ces caprices d’enfant gâtée, sans se rendre compte du déséquilibre profond qui s’accentue, se creuse, prend forme.
Pour rien au monde, je ne voulais leur ressembler…
Etre une vedette de cinéma, c’est bien. Etre une femme normale, c’est mieux.
Je me suis ressaisie à temps.
Voilà pourquoi, aujourd’hui, je puis vous parler objectivement d’une Mireille Balin qui n’existe plus, et de l’autre, la vraie, celle qui court pieds nus dans le sable, en levant les bras vers le soleil…
Mireille Balin.
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
Le site sur Mireille Balin.
L’article de Françoise Giroud, Une Femme Fatale, paru dans L’Express du 18 novembre 1968.
La biographie de Mireille Balin sur le site de l’Encinémathèque.
L’hommage à Mireille Balin sur le blog Mon Cinéma à moi.
Un beau diaporama avec de nombreux documents sur Mireille Balin.
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La bande-annonce de Pépé le Moko de Julien Duvivier.
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La bande-annonce de Gueule d’amour (version restaurée) de Jean Gremillon.
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Extrait de Macao l’enfer du jeu de Jean Delannoy avec Erich von Stroheim.
Fomidable article sur Mireille, si triste 🙁 🙁 🙁
Mireille à jamais dans mon coeur ! J’ai été la saluer au cimetière de Saint Ouen il y a quelques jours <3
Merci madame pour votre commentaire et votre pensée pour Mireille Balin, ça lui aurait fait plaisir.
Bonjour,
J’ai écris une chanson en hommage à Mireille Balin.
J’ai aussi écrit un album qui raconte sa vie, que je dois enregistrer prochainement.
https://www.youtube.com/watch?v=bXVIerxH2-A
Cordialement.