Visite aux Studios TOBIS à Epinay (Cinéa, Cinemagazine 1929)


Cette semaine, nous allons nous intéresser à la firme allemande Tobis, qui était la plus grande société allemande de productions de films après la UFA.

A l’aube du Parlant, fût créé Les Films sonores Tobis qui étaient une filiale de la maison mère, à Epinay s/seine.

Cette ville était déjà le lieu de la société des films l’Éclair, fondé par Charles Jourjon en 1907, comprenant un studio et un laboratoire de développement de films.

Mais en 1913, un autre studio, appartenant à Joseph Menchen, s’installa 10 rue du mont. C’est ces studios qui furent loués en 1929 à la société Tobis .

La Tobis va en profiter pour y implanter “le système Tobis – KlangFilm, qui permettait de faire les prises de vues et les prises de son simultanément, avec une caméra très mobile (contrairement aux systèmes américains, qui avaient besoin d’enfermer les caméras dans des chambres insonorisées)”. cf le site Ciné Mémoires Epinay.

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C’est ici que de nombreux films furent tournés, des premiers René Clair, Jacques Feyder, jusqu’aux Tonton Flingueurs et même Moonraker le James Bond ! etc. Les Studios s’appelaient à ce moment les Studios d’Epinay.

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En effet, Eclair racheta les studios à Tobis en 1938 et les conservera jusqu’à la fin des années 2000. Les studios existent toujours et ont été repris par la société TSF.

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Les articles que nous vous proposons sont parus dans Cinéa et Cinémagazine à l’occasion de la création des premiers films parlants français. Ces articles détaillent ainsi comment l’on procédait dans les Studios Tobis, notamment à l’occasion du tournage du film d’Henri Chomette, Le Requin.

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A propos de l’article sur les Studios Tobis paru dans Cinémagazine, signalons qu’il est signé d’un certain Marcel Carné, oui c’est bien le réalisateur ! Article que vous pouviez déjà trouver dans notre livre qui regroupait une partie de ceux qu’il écrivit avant qu’il soit cinéaste. Ce livre est paru en 2016 chez La Tour Verte (toujours disponible à cette adresse, plus de renseignements ici).

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Bonne lecture !

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Visite aux studios Tobis

paru dans Cinéa du 01 Décembre 1929

paru dans Cinéa du 01 Décembre 1929

Dans l’actuelle course au film parlant de langue française à laquelle s’époumonent actuellement nos firmes de production les plus entreprenantes, la première prête aura été la Tobis, filiale française de la grande firme allemande.

Tandis que J. Haïk improvisait un minuscule studio à Asnières, tandis que Gaumont tâtonnait encore, et que les studios de Joinville et de la rue Francoeur hésitaient sur l’appareillage à adopter, la Sté Tobis, dès avril dernier, prenait possession de l’ancien studio Menchen-Èclair, à Epinay, et, en quelques mois en faisait la plus moderne des installations du genre.

L’ancien studio Menchen, créé il y a une vingtaine d’années par l’ingénieur germano-américain Menchen, ne comprenait qu’un seul studio et un magasin à décors. Ce dernier a été désaffecté et transformé en petit, studio servant à réaliser les scènes se déroulant dans de petits décors, ou encore à enregistrer les synchronisations sonores, parlantes et musicales de films muets.

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L’ancien studio, qui demeure le grand studio, mesure 40 mètres sur 22 environ. Il a été rendu insonore de la manière suivante :

Du côté de l’avenue de Gennevilliers on a construit, appuyée au studio, une réserve de matériel électrique avec des doubles parois. L’une d’elles comprend deux rangées de briques pleines avec, entre couches, une forte épaisseur de liège en poudre.

Les murs du studio sont ainsi protégés : une épaisseur de bois, une épaisseur, de matière isolante, et une seconde épaisseur de bois ; En certains endroits, particulièrement délicats, la couche extérieure de bois a été complétée par des plaques de fibro-ciment ou du célotex. La toiture de verre a été supprimée et on a mis à la place de l’éventé, et une couche intérieure en célotex avec entre, un espace suffisant pour faire matelas d’air amortisseur.

Ce studio comportait une armature de toiture légère, car à l’époque où avait été construit le studio Menchen, le lourd appareillage et les passerelles multipliées comme elles le sont actuellement dans les studios modernes, n’étaient pas encore en service.

Actuellement, le travail doit être exécuté très rapidement avec un minimum de personnel pour réduire autant que faire se peut, le prix de revient de la technique. On a donc jugé prudent de remplacer toute l’armature extérieure du studio par des ferrures extrêmement rigides auxquelles sont suspendus des ponts roulants légers qui reçoivent des trains de plafonniers. Ces plafonniers étant montés sur treuil, on peut les faire descendre jusqu’à un mètre du sol si besoin est.

paru dans Cinéa du 01 Décembre 1929

Le petit studio, créé de toutes pièces dans l’ancien magasin à décors, a une superficie de 16 mètres sur 12 et une hauteur sous gril de 5 m. 50 ; on a laissé au-dessus du gril une hauteur suffisante pour qu’un électricien puisse circuler librement.

Dans ce studio, on s’est inspiré de données différentes de celles appliquées dans le grand. Voici les caractéristiques principales de la construction : murs de double épaisseur, avec couche de fibre de bois imputrescible entre les murs, plafonds doubles avec une couche de poussière de liège et du contre-plaqué extérieur. Deux lourdes portes à coulisses avec panneaux de matière insonore isolent le studio des bruits extérieurs. En principe, toutes les portes sont doubles, dans ce studio comme partout ailleurs, où les bruits ne doivent pas être perçus.

Au-dessus du gril en bois, court toute la canalisation électrique. Pour des raisons techniques particulières, extrêmement importantes au point de vue prise de sons, toutes les canalisations électriques ont été enfermées dans des tubes métalliques blindés.

Quarante plafonniers de trois lampes chacun éclairent le studio. Chacune de ces lampes a une puissance de 500 watts. Elles sont placées par rangées de cinq dans le sens de la largeur. Toutes les commandes de ces lampes montées sur treuil sont effectuées du sol à l’aide d’un tableau qui comprend des coupe-circuits principaux et des coupe-circuits individuels. Le long des parois du studio on a disposé quatre tableaux servant à l’éclairer. Les projecteurs peuvent aller jusqu’à une force de 1 0 kw. et 20 kw. Pour simplifier les manœuvres et prolonger la vie des lampes, les projecteurs sont montés avec les résistances installées derrière les tableaux. Les couteaux de mise en marche sont à trois plots. Il est donc facile de ne mettre en plein feu qu’au moment précis où le metteur en scène donne le coup de sifflet de mise en route.

Sur le côté droit court une petite galerie destinée aux projecteurs, ceux-ci roulant sur un treuil installé sur la rampe de protection de ce balcon.

Le plancher a été rendu aussi insonore que possible à l’aide de matériaux spéciaux comprimés sous celui-ci.

paru dans Cinéa du 01 Décembre 1929

Entre le grand et le petit studio sont installées au rez-de-chaussée une salle d’opérateurs et une salle de machines destinées à fournir le courant aux appareils de sonorisation placés à l’étage supérieur.

A la suite, toujours dans l’ancien magasin à décors, on trouve une salle de projection de 14 mètres sur 8, d’une capacité de cent spectateurs. Les parois intérieures sont garnies en matière isolante. La cabine de projection a une largeur de 6 mètres sur 3 et comporte trois appareils de projection sonore A.-E.-G. avec leurs dispositifs Tobis-Klangfilm.

La salle des machines, complètement isolée, est installée à l’étage inférieur, ce qui fait que la cabine n’est pas encombrée de matériel inutile et que les opérateurs peuvent manipuler les appareils en parfaite quiétude. Les mesures de sécurité ont été poussées très loin, les cabines pouvant être instantanément inondées.

Appuyée à la grande salle de projection, on trouve une installation de séchage pour le film.

Séparé de toute cette installation, dans un corps de bâtiment à deux étages, on a, au rez-de-chaussée, des locaux destinés aux services administratifs et techniques, notamment deux salles de montage outillées de la façon la plus moderne. Ces deux salles sont sous la direction de M. Krastch, le plus vieux monteur de sons européen et sans doute un des techniciens les plus expérimentés du moment.

Pour la confection du film on a installé au rez-de-chaussée un atelier de montage négatif et un atelier de tirage comportant plusieurs machines modernes du dernier type, sorti tant par la Tobis que par la maison A. Debrie.

Dans ces ateliers on peut effectuer dans le plus court délai le tirage pour les appareils Tobis et les appareils système Tobis-Klangfilm. On a aussi installé des essuyeuses avant et après tirage. Il faut savoir que le film sonore demande pour la partie son une extrême propreté et il est bon d’éviter les poussières sur la couche argentique qui provoquent des bruits parasites.

A la suite de l’atelier de tirage se trouve la mise sur cadres et un atelier de développement pour le film négatif son, et le tirage du positif final. Les films développés et lavés passent ensuite aux machines à sécher.

Au premier étage se trouve, donnant vue sur les deux studios, une salle de projection destinée à la sonorisation, deux chambres d’écoute et une grande salle de synchronisation où sont installés de multiples appareils système Tobis-Klangfilm destinés à la confection de films sonores sur le film ou de films sonores sur disques.

paru dans Cinéa du 01 Décembre 1929

Le service de prise de sons est dirigé par M. Most, ingénieur, qui est un des vieux pionniers de la partie. Il est aidé par M. Storr et deux assistants français placés sous ses ordres.

Les prises de son, faites sur un appareil Tobis, sont réalisées sur un appareil insonore double, où se trouvent d’un côté le son et de l’autre côté l’image. Un moteur unique actionne les deux pellicules. La lampe d’inscription éclaire une fente en bronze qui est reprise optiquement par un objectif de microscope, et est ensuite projetée sur le film qui défile sur un galet dérouleur. La régularité de la marche de l’appareil est contrôlée à l’aide d’un dispositif qui donne une hauteur de son constante lorsque l’appareil fonctionne régulièrement, et discontinue lorsque pour une cause quelconque la marche n’est pas uniforme.

L’aide écouteur de sons qui met l’appareil en route est également chargé d’écouter à l’aide d’un casque à microphone si tout fonctionne régulièrement dans l’appareil.

Le chef écouteur son avec son assistant s’installent dans la cabine fixe d’écoute de sons, ou dans une cabine mobile installée sur le studio. Dans cette cabine qui a vue sur le plateau de mise en scène se trouve installé l’amplificateur Tobis et son potentiomètre de réglage ainsi que les haut-parleurs de contrôle.

Le metteur en scène, avec le preneur de sons, contrôle, aux répétitions et à la prise de sons, si tout fonctionne normalement.

De la dernière lampe à l’amplificateur partent les fils qui vont à la lampe d’enregistrement placée dans l’appareil de prise de sons.

Le microphone à charbons pour les appareils Tobis, ou à condensateur pour le système Tobis-Klang-film, est installé suivant les besoins artistiques et techniques à la place désignée par le chef preneur de sons.

L’organisation technique est contrôlée par des essais fréquents de sensitométrie qui permettent de déterminer s’il n’y a aucune variation dans le point moyen des lampes d’enregistrement en fonction de la courbe caractéristique des émulsions utilisées.

Les gamma de développement du négatif image et du négatif son sont eux aussi fréquemment contrôlés ainsi que celui du gamma du positif final.

Le laboratoire d’essais permet de faire tous ces contrôles.

Le service de sonorisation de films muets appartient au service production, le docteur Braüer, metteur en scène, est chargé de ce travail délicat.

Les appareils de projection sont reliés aux appareils de prise de sons par un système électrique qui comporte deux moteurs spéciaux qui évitent tout décalage dans le synchronisme.

La Société Tobis est la première installée en France qui ait à sa disposition le matériel et le personnel nécessaire à la création de toutes pièces de films sonores.

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Encart sur les Studios Tobis

paru dans Cinéa du 01 octobre 1929

paru dans Cinéa du 01 octobre 1929

Nous avons annoncé en son temps l’installation de la Sté des « Films Sonores Tobis » dans l’ancien Studio Menchen à Epinay.

Depuis plusieurs semaines, cette installation est terminée ; aussi les services de Production de la Tobis n’ont-ils pas chômé. Voici, en effet, la liste des premiers films sonores et parlants réalisés à Epinay :

Les chansons d’Yvette Guilbert, les chansons de Matelot d’Albert Préjean, Bluff, une farce parlée et chantée réalisée par G. Lacombe, les prises de vues parlantes et l’adaptation musicale synchronisée du Collier de la Reine, les tangos Argentins de l’orchestre Pizzaro, les airs populaires cubains de l’orchestre Cox, les choeurs de la célèbre troupe Russe « Le Coq d’Or », les chansons populaires de l’orchestre de Balalaïkas de G. Tchernoyaroff, les vieilles chansons montmartroises, Rose-Paris, plusieurs sketches dansés et chantés par Jack Forester et ses partenaires, les danses des « Soeurs Boyer », etc., etc..

— En ce moment, Henri Chomette occupe les Studios Tobis. Ayant terminé les prises de vues muettes de son film Le Requin, il en réalise à présent les scènes parlantes avec Gina Manès, Albert Préjean, Daniel Mendaille et R. Klein-Rogge. Ce qui n’empêche pas la réalisation du programme de films de court métrage qui a été confié au Dr P.P. Brauer, ni les nombreuses adaptations musicales synchronisées.

— De son côté, René Clair travaille au découpage de son prochain film, qui sera naturellement un film parlant.

— Les films sonores Tobis présenteront prochainement à Paris, La Mélodie du Monde, film sonore et parlant de Walter Ruttmann.

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Le procédé allemand Triergon-Tobis

paru dans Ciné du 15 Juillet 1929

paru dans Ciné du 15 Juillet 1929

La société Tobis entreprend la réalisation de films sonores en français, films de court métrage pour le moment, en attendant, sans doute, la mise en oeuvre de films plus importants.

Sous la direction artistique de notre compatriote Henri Chomette, les spécialistes de la Tobis enregistrent au studio Menchen, à Epinay, équipé pour les nouveaux besoins, une comédie parlée et chantée : Manque de mémoire. La vedette de ce film est Yvette Guilbert. Les autres interprètes sont Simone Vaudry et Albert Préjean, dont nous avons publié une photo dans notre dernier numéro. Les assistants sont Bernard Brunius et Denise Piazza, l’opérateur Maté et « l’enregistreur sonore » W. Most.

paru dans Ciné du 15 Juillet 1929

Henri Chomette et son opérateur R. Maté tournent un extérieur du Manque de Mémoire, leur premier film sonore de court métrage dont la vedette sera Yvette Guilbert.

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Empruntons à notre excellent confrère Ciné-Miroir, la description du procédé Triergon, inventé par MM. Vogt, Engel et Masolle, qui sera utilisé au studio Menchen pour l’enregistrement de la musique ou de la voix. La pellicule employée aura la même largeur que la pellicule ordinaire ; seulement, les images constituant le film visuel n’auront que 21 millimètres de large au lieu de 24 millimètres ; cette portion non utilisée est réservée à l’enregistrement sonore. Il faut deux négatifs pour obtenir l’enregistrement des vues et des sons ; mais c’est sur une même pellicule que les vues et l’impression sonore sont ensuite réunies pour servir aux séances de cinéma.

Le procédé « Triergon » nécessite l’emploi de trois mécanisme reliés entre eux par un courant électrique ; un microphone, un amplificateur et un double appareil enregistreur de sons et d’images. La plaque du microphone vibre au moindre bruit ; ces vibrations sont transmises à l’amplificateur à trois lampes par le courant électrique. Pour faciliter son transport, les piles, dont est doté l’amplificateur, sont des piles sèches.

Les vibrations du microphone, changées en des variations d’intensité électrique et augmentées par l’amplificateur, sont transmises à une lampe à néon contenue dans le double appareil de prises de vues et d’enregistrement de sons.
Ces variations d’intensité électrique font changer sans cesse la luminosité de la lampe à néon, qui éclaire un film négatif ordinaire se déplaçant sans saccades devant elle ; la lumière produite passe à travers une fente très mince et impressionne la pellicule.

L’appareil enregistreur double a l’apparence d’une petite caisse, dont les parois sont composées d’une matière insonore.
Il comprend d’un côté le mécanisme enregistreur de sons, dont on vient de parler, et, de l’autre, un appareil de prise de vues ordinaire mu par un moteur électrique, afin d’éviter le bruit produit par l’opérateur tournant la manivelle d’entraînement.

paru dans Cinéa du 1 juillet 1929

Albert Préjean et Simone Vaudry dans une scène charmante du Manque de Mémoire, le film sonore qu’Henri Chomette tourne actuellement pour la Société Tobis, et dont la vedette sera Yvette Guilbert

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“Le film parlant français – Une visite aux studios de la Tobis” par Marcel Carné

paru dans Cinémagazine du 8 Novembre 1929

paru dans Cinémagazine du 8 Novembre 1929

Répondant aux nombreuses demandes de certains journalistes désireux de savoir où en était la réalisation des films parlants dans notre pays, la Tobis avait convié, samedi dernier, la presse parisienne à une visite de ses ateliers et de ses studios.

L’autocar a quitté Paris et, pendant que les conversations vont leur train, les paysages industriels de la banlieue nord défilent. Sur les trottoirs un ouvrier nous dévisage parfois sans bienveillance, peut-être nous prend-il pour de richissimes touristes anglais ; peu après, c’est le tour d’une midinette, et, au passage, j’ai cru comprendre qu’elle cherchait la mariée…

Enfin nous arrivons, après que l’autocar s’est engagé dans une petite rue provinciale calme et tranquille. À la grille du parc du studio un écriteau recommande le silence : gageons qu’un tel conseil est superflu en ce lieu paisible, tout au moins les autres jours, car aujourd’hui… Les feuilles mortes crissent sous les pieds lorsque nous descendons du véhicule. Pose inévitable devant le photographe, déclic et déjà l’aimable et érudit technicien A. P. Richard prend possession de nos personnes et nous entraîne vers la cabine de projection.

Dois-je entrer dans des détails techniques ? J’ai peur que certains des lecteurs de cette revue, férus de T. S. F. et de mécanique, me trouvent novice en la matière et… les autres fastidieux ! Enfin, essayons tout de même de concilier les deux méthodes.

Après avoir admiré une salle de projection d’une importance inusitée dans nos studios et une cabine modèle, voici que nous est expliqué le maniement des trois appareils de projection passant indifféremment, outre les films muets, tous les films parlants à enregistrement sonore sur disques ou sur pellicule. Derrière chaque appareil est placé un amplificateur de puissance du son servant à régler l’intensité de celui-ci.

La salle des machines, complètement isolée, est installée à l’étage inférieur, ce qui fait que la cabine n’est pas encombrée de matériel inutile et que les opérateurs peuvent manipuler les appareils en parfaite quiétude. Les mesures de sécurité ont été poussées très loin, les cabines peuvent être instantanément inondées en cas d’incendie.

Appuyée à la grande salle de projection, est une installation de séchage pour le film et, dans un corps de bâtiment à deux étages, deux salles de montage, de tirage et de développement outillées de la façon la plus moderne.

paru dans Cinémagazine du 8 Novembre 1929

Sortant du bâtiment, nous apercevons deux toboggans en ciment permettant de sauver le matériel très rapidement en cas d’incendie. Tous les locaux, du reste, ont été installés électriquement sous tubes d’acier, ce qui élimine les dangers de court-circuit.

Avant de visiter les studios, remarquons encore : un atelier de mécanique de précision, un magasin de réserve électrique, un local pour la batterie d’accumulateurs.

Nous arrivons à un petit studio nouvellement construit sur l’emplacement d’un ancien magasin à décors. Pour les amateurs de statistiques disons qu’il mesure 18 mètres sur 12, les murs sont en double épaisseur avec couche de fibre de bois imputrescible entre les murs ; plafonds doubles avec une couche de poussière de liège et du contreplaqué extérieur. Deux lourdes portes à coulisses avec panneaux de matière insonore isolent les studios des bruits extérieurs.

Lorsque nous sommes entrés on sonorisait une scène musicale du Requin, dont nous allons voir Henri Chomette diriger une scène dramatique dans le grand studio (40 mètres sur 22).

paru dans Cinémagazine du 8 Novembre 1929

Dans ce studio, on s’est inspiré de données différentes de celles appliquées dans le petit. Les murs sont ainsi protégés : une épaisseur de bois, une épaisseur de matière isolante et une seconde épaisseur de bois. La toiture de verre a été supprimée et on a mis à la place de l’éverite pour faire matelas d’air amortisseur.

Nous surprenons Henri Chomette dans le décor de la cour d’assises de Rouen au milieu d’un tribunal austère, écoutant le président qui de sa voix glaciale interroge : « Que savez-vous sur l’affaire du cargo Le Requin. » Et cette voix, dans ce studio silencieux (quel changement !) prend une ampleur singulière. J’avoue que si je n’avais pas la conscience tranquille, je me sentirais mal à l’aise.

La caméra tourne toujours inlassablement, enfermée dans une cabine dépourvue de résonance ; les micros enregistrent sans arrêt et, seul de toute l’assistance, Chomette a le sourire.

Notre dernière étape est pour un immense magasin à décors, nouvellement construit et au bout duquel se trouve un atelier de peinture et de staffage.

Enfin, nous voici revenus à notre, point de départ : la salle de projection où nous allons pouvoir juger des résultats obtenus. Ce sont, tout d’abord, des dessins animés d’une drôlerie irrésistible, puis une chanson d’Yvette Guilbert. Nous entendons et voyons ensuite Préjean dans une vieille chanson de marin qu’il interprète avec un entrain étonnant.

Enfin, des essais d’artistes pour La Fin du Monde, d’Abel Gance ; le grand réalisateur dit, lui-même, quelques vers. Deux bobines de La Mélodie du Monde, de Walter Ruttmann, clôturent cette très agréable séance.

Mais si nous avons été heureux d’entendre de réelles nouveautés, point n’était besoin de nous en montrer tant, car, dès le premier film, nous avons eu l’impression très nette que les essais étaient des plus concluants. La voix est reproduite avec une fidélité rarement atteinte jusqu’ici. Il n’est pas jusqu’aux bruits accompagnant le film de Ruttmann qui ne bénéficient d’un enregistrement parfait.

paru dans Cinémagazine du 8 Novembre 1929

Aussi, la lumière revenue, les félicitations de circuler. Il y a là MM. Franck Clifford, directeur de la. production ; A.P. Richard, directeur technique ; Loureau, directeur commercial, sans oublier Gina Manès, Préjean, Klein-Rogge, Mendaille, qui veulent bien signer quelques photos pour Cinémagazine ; que sais-je encore…

Le docteur Haenkel, directeur général de la Tobis, prend la parole et, dans un discours d’une bonne grâce charmante, déclare qu’il cherche simplement à mettre au service des producteurs français un procédé sonore aussi parfait que ceux qui nous viennent d’Amérique et avec lequel nous pouvons espérer des films français parlants et sonores propres à satisfaire les publics les plus difficiles.

L’installation formidable de la Tobis et le groupement d’une élite de techniciens éprouvés représentent un effort extraordinaire dont nous sommes heureux de féliciter ici le Dr Haenkel et ses actifs collaborateurs, en les remerciant de nous avoir permis de nous rendre compte, dans les plus petits détails, des immenses possibilités qui s’offrent au film français.

Marcel Carné

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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

sauf Cinémagazine : Ciné-Ressources / La Cinémathèque française

Pour en savoir plus :

Le site Ciné Mémoire Epinay.

100 ans d’industrie cinématographique à Epinay-sur-Seine. Studios Tobis” sur le site DocPlayer.

L’article “Epinay, mémoire vivante du cinéma français” sur le site de La Croix.

Le début de Sous Les Toits de Paris de René Clair, tourné aux Studios Tobis (1930).

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Extrait de de Sous Les Toits de Paris de René Clair avec Albert Préjean et Gaston Modot.

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