A l’occasion de la diffusion le lundi 28 août 2017 sur ARTE du documentaire “La fabrique du film allemand – L’UFA fête ses 100 ans” de Sigrid Faltin, nous avons retrouvé ce texte écrit pour les… 25 ans de la UFA par le critique et historien Pierre Leprohon.
Ce texte est à remettre dans son contexte car il a été publié en France en pleine guerre dans Ciné-Mondial qui était la revue de cinéma financée par l’ambassade d’Allemagne… D’où, sans doute, la complaisance avec laquelle Pierre Leprohon évoque ce qu’est devenue la UFA depuis l’avènement d’Hitler en 1933.
*
Mais avant 1933, la UFA a été la plus grande société de production allemande de cinéma dans les années vingt.
C’est grâce à elle que le cinéma allemand connaîtra ses grandes heures du Muet, jugez-en par cette liste même si nous ne pouvons tous les citer :
Tout d’abord Ernst Lubitsch qui y fit ses premières films dont l’histoire retiendra surtout Madame DuBarry (1919) et Anna Boleyn (1920), Fritz Lang réalisa pour la UFA : Docteur Mabuse (1922), Les Nibelungen (1924), Metropolis (1927), quant à Murnau il y réalisa tous ses grands muets à commencer par Nosferatu en 1922, puis Le Dernier des hommes (1924) et Faust (1926). Mais n’oublions pas Variety (1925) d’E. A Dupont et Asphalt (1929) de Joe May.
Et pour finir, citons, au début du parlant : Josef von Sternberg pour L’Ange bleu (1930).
*
Bref, il nous as paru intéressant de ressortir ce texte pour les historiens parmi vous et plus généralement ceux qui s’intéressent à l’histoire du cinéma.
*
Bonne lecture et bonne rentrée !
UFA – 25 ans d’efforts : de “Caligari” à “La Ville dorée”
paru dans Ciné-Mondial du 5 Mars 1943
Le cinéma n’a pas encore cinquante ans d’existence. Et pourtant, une grande firme allemande fête déjà ses « noces d’argent ». Depuis vingt-cinq années, la U. F. A. mène le bon combat en faveur du film de qualité. C’est dire que l’histoire de cette maison n’est pas loin d’embrasser l’histoire du cinéma. Ces vingt-cinq années, en effet, sont celles qui marquent vraiment l’essor définitif du septième art.
Il n’y avait guère eu place auparavant que pour les balbutiements du début, les premiers essais. Ce fut pendant la guerre de 1914-1918 que l’art nouveau prit conscience de ses possibilités et produisit ce que l’on devait appeler plus tard ses classiques. Or, c’est à ce moment là précisément que se fondait à Berlin, en 1917, l’importante firme qui célèbre aujourd’hui son jubilé.
Dès l’année suivante, le programme de la U.F.A. comportait la réalisation de soixante et onze grands films et de vingt-quatre documentaires. Bientôt, parmi les premiers, des oeuvres de valeur attiraient l’attention sur la nouvelle firme. Aujourd’hui encore, leurs titres symbolisent toute une époque, une époque passionnante par ses recherches, ses audaces, et même ses erreurs. Madame Bovary, et surtout les Niebelungen, la Vengeance de KrimhIlde, d’après les vieilles légendes germaniques, Faust, avec Emil Jannings, révélèrent peu à peu un art national qui plaçait le cinéma allemand à l’une des meilleures places.
Bientôt après, le Cabinet du Docteur Caligari, présenté avec éclat à Paris, inscrivait, dans l’histoire du cinéma une date qui ne devait pas s’oublier. En même temps qu’il influait puissamment sur les productions étrangères, Caligari et les films de cette époque révélaient au monde les grands acteurs allemands : Emil Jannings, Werner Krauss, Lil Dagover, etc…
Le Docteur Mabuse, Métropolis, témoignages poignants du désarroi de l’époque, affirmaient néanmoins la vitalité de la U. F. A. qui ne cessait d’étendre ses moyens. Et, cependant, la concurrence américaine jouait alors dans le monde entier.
Bientôt, l’avènement du parlant allait bouleverser toute l’industrie, tout l’art cinématographiques. Cette fois encore, se lançant hardiment dans la bataille, la U. F. A. faisait sonoriser ses studios, étudiait avec ses ingénieurs les problèmes techniques du son et, la première en Europe, elle produisait des films parlants.
II serait fastidieux de citer ici tous ceux qui restent présents au souvenir. Comment ne pas rappeler pourtant L’Ange bleu, où Jannings trouva l’un de ses plus grands rôles. Au bout du monde, de Gustav Ucicky, Le chemin du Paradis, triomphe de l’opérette filmée ?…
Déjà, comprenant que la question des langues créait un élément nouveau, la U. F. A. adoptait une politique de large collaboration avec le cinéma français. Elle appelait dans ses studios de Neubabelsberg d’excellents réalisateurs et acteurs français pour y tourner des versions françaises de ses films. Et c’est ainsi que nous vîmes Un mauvais garçon, avec Danielle Darrieux et Henry Garat, Gueule d’amour, avec Mireille Balin et Jean Gabin, L’étrange M. Victor, avec Raimu et Pierre Blanchar, deux oeuvres où s’affirmaient la maîtrise de Grémillon. Marcel L’Herbier, à son tour, prenait le chemin de Berlin pour y mettre en scène Adrienne Lecouvreur. Plus de cinquante films français étaient ainsi réalisés en quelques années, stimulant et soutenant notre production nationale.
Les studios de Neubabelsberg, sans cesse améliorés et agrandis, étaient déjà les plus vastes d’Europe, les plus perfectionnés. Poursuivant, parallèlement à cet effort, la production de films documentaires et scientifiques de haute valeur, la U. F. A. avait ses laboratoires d’expériences, son zoo.
La guerre, loin de briser son élan, lui permit quelques réalisations d’une ampleur exceptionnelle, et nous avons pu juger depuis l’armistice des qualités des cinéastes et des acteurs actuels de la
U. F. A. : Georg Jacoby, Rolf Hansen, Gunther Rittau, Tourjansky, d’une part ; Zarah Leander, Marika Rokk, Brigitte Horney, Ilse Werner, Willy Fritsch, etc…
Représentée dans le monde entier par ses grands films, ses documentaires, ses actualités éditées en vingt-neuf langues, la U. F. A., dont les films sont distribués par l’A. C. E., est un magnifique exemple de la continuité d’un effort et des résultats qu’il permet d’atteindre.
Et voici que pour fêter ses vingt-cinq ans d’existence la U. F. A. s’est attaquée à un autre grand problème technique, celui de la couleur. La ville dorée nous montre comment elle l’a résolu.
C’est la première fois qu’une oeuvre de cette importance est réalisée en couleurs avec un résultat aussi brillant. Veit Harlan, l’un des plus grands cinéastes allemands, ne pouvait entreprendre ce film qu’avec la certitude d’en faire une œuvre de qualité. Il s’est donc servi de la couleur pour ajouter un nouvel élément à ceux que lui offraient déjà le scénario, les interprètes et le cadre magnifique où se déroule l’action.
La ville dorée, en effet, oppose aux charmes simples, à la fraîcheur agreste de la campagne, les séductions de la ville et l’éclat qu’elle revêt aux yeux d’une petite paysanne qui rêve trop. De nombreux extérieurs apportent ainsi au film de Veit Harlan une lumière, un élargissement que la couleur rend désormais plus sensibles encore.
Quant à l’interprétation, elle est dominée par le rôle d’Anna dévolu à Christina Soderbaum dont on n’a pas oublié la belle création dans Cœur immortel. Il fallait bien des qualités pour tenir ce rôle : qualités sportives, car nous y voyons Christina Soderbaum courir avec succès une épreuve d’équitation à la kermesse ; qualités de rusticité et d’élégance qui montrent tour à tout l’héroïne en fille des champs et en citadine, qualités dramatiques exigeant les mêmes subtilités dans le jeu. La vedette de La ville dorée a triomphé de tous ces obstacles. Elle est digne de ce beau film par lequel la U. F. A. va fêter son vingt-cinquième anniversaire.
Il convenait de rappeler à cette occasion l’importance que cette grande société tient depuis un quart de siècle dans l‘évolution du cinéma. C’est par de tels efforts, soutenus sans défaillance, que le septième art étend sans cesse son domaine.
Pierre Leprohon
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
L’article d’Arte : L’UFA, géant du cinéma allemand, fête ses 100 ans
La page pour voir en replay le documentaire La fabrique du film allemand – L’UFA fête ses 100 ans (en ligne seulement jusqu’au 4 septembre 2017).
L’article du Monde sur le documentaire.
L’article de Libération sur la UFA.
Extrait de Madame Dubarry de Lubitsch (1919).