C’est dans le numéro 136 daté du 25 juin 1931 de la revue Pour Vous que l’on trouve cet article sur le tournage de Marius d’Alexandre Korda et Marcel Pagnol.
Nous y ajoutons la critique du film par René Bizet paru en octobre 1931, à lire ci-dessous.
Au studio, quand Marius est roi… Marcel Pagnol, « superviseur », offre à boire
OR, il est très authentiquement arrivé que deux personnages remplis de bonnes intentions, mais dépourvus de « laissez passer», ont réussi à forcer la porte d’un studio de cinéma.
C’était à Joinville, il y a trois semaines, chez Paramount. Et tous ceux qui ont été les témoins de cet extraordinaire exploit ; et tous ceux-là qui savent la somme prodigieuse d’autorité hostile que représente un concierge de studio, en parlent encore sur le ton admiratif qui convient…
Il était deux heures après-midi. La porte de fer s’était entr’ouverte, juste assez pour laisser passer un boy de service… Les deux personnages, qui avaient évidemment prémédité leur coup, surgirent brusquement de l’ombre, bousculèrent le boy et entrèrent.
L’un était immense, taillé en hercule et paraissait devoir protéger l’autre, plus petit, plus mince, plus jeune aussi.
Chose curieuse : ils réussirent à traverser toute la cour d’entrée avant d’être inquiétés par qui que ce fût.
Cependant, le sifflet d’alarme du concierge avait alerté le studio ; et le chef de la police intérieure put intervenir avant que les deux personnages aient réussi à pénétrer le mystère d’aucun bâtiment.
— N’allez pas plus loin. Messieurs, vous êtes pris. Et veuillez me dire qui vous êtes.
Ce fut le grand gaillard qui répondit :
— Mon ami, je suis le nouveau propriétaire de la firme Paramount et Monsieur est mon fils. Pour avoir ignoré ces choses, je vous annonce qu’à partir de tout de suite vous ne faites plus partie de cette maison. Allez immédiatement au vestiaire et rendez votre uniforme…
Eperdu, l’employé tenta son propre sauvetage.
— Hélas ! Monsieur, les nouvelles d’en haut n’arrivent pas jusqu’à moi. Et comment pouvais-je deviner…
Mais le terrible patron se montra implacable, et le pauvre policier, docilement, s’en fut au vestiaire pour y rendre les insignes de son autorité déchue.
Il vécut une demi-heure atroce, cet homme !
Et voilà comment le bon Raimu, flanqué de son auteur Marcel Pagnol, fit son entrée chez Paramount, le jour où pour la première fois il fut sérieusement parlé de la réalisation de Marius…
Cette petite histoire qui pourrait n’avoir que la valeur d’une anecdote a, du coup, classé les personnages de la nouvelle féerie dans l’esprit de la maison.
On en a beaucoup ri chez Mr Kane, le patron ; on en a ri dans les studios ; on en a ri dans les bureaux ; on en a ri chez le concierge lui-même. Et depuis lors, chez Paramount, les Marseillais sont rois. Le matin, quand Marcel Pagnol arrive au studio, flanqué de ses interprètes, il y a deux cents personnes qui l’attendent — les boys et les stars — deux cents personnes qui attendent « la bonne histoire ». Et puis, joyeusement, on se met au travail : je gage que Marius fera un bien bon film…
« Dans deux jours, on donnera le premier tour de manivelle », annonce le tableau de service. Et cela veut dire que tout le monde est prêt.
Pour Marius et César on a trouvé des maquillages rares. Patiemment, Raimu et Fresnay se sont laissé peinturlurer le visage pendant des heures et des heures.
Pour Fannie, on a fabriqué de jolis sabots sculptés et brillants ; des sabots qu’Oranne Demazis accrochera un jour dans sa loge, au-dessus de la glace, parce qu’ils doivent porter bonheur.
Pour Marcel Pagnol, on a fabriqué un titre magnifique : il s’appelle premier superviseur.
Et cela veut dire qu’il possède au studio un bureau grand comme un dancing, des dactylos à visière de celluloïd, des téléphones, des grooms, des classeurs à dos verts…
Cela veut dire qu’il a le droit de parler très fort pour que tout le monde l’entende.
Cela veut dire qu’il a le droit de prendre ses repas à la salle à manger de l’Etat-Major.
Cela veut dire qu’il a le devoir d’offrir des whisky-sodas à tout le monde.
Cela veut dire que Marcel Pagnol est un personnage considérable.
Nous nous en doutions.
Au bar du studio, à l’heure du jour où tout le monde travaille, où personne n’a le droit de boire, j’ai rencontré Pagnol et Oranne Demazis. Secouant le shaker avec le plus classique des styles, Demazis remplace le barman absent.
Pagnol, lui, remplace la clientèle, avec une autorité et une compétence magnifiques.
— C’est l’heure du repos ?
— Jamais de la vie ! On travaille. Nous « répétons » le bar de César. Il y a beaucoup de mise au point à faire. Aidez-nous !
J’ai « aidé » Demazis et Pagnol.
Je les ai aidés à boire. Mais comme je ne suffisais pas à cette écrasante besogne, d’autres bénévoles sont venus :
Alice Cocéa, Saint-Granier, Thomy Bourdelle, Fernand Gravey, Pierre Etchepare, Camilla Horn ; d’autres…
Tout Paramount a bu au bar de César.
Et ce soir-là, après trois heures de répétition appliquée, il y avait dans la maison un de ces petits airs de félicité joyeuse qui font naître dans les cœurs : l’espoir.
Ainsi va la vie au studio Paramount depuis que Marius est roi.
Jean Masson.
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Un grand film français : Marius de Marcel Pagnol
paru dans le n°152 daté du 15 octobre 1931 de Pour Vous
Si vous le voulez bien, ne nous livrons pas au jeu des comparaisons, ne parlons pas de Marius, pièce de théâtre. Voici un film français qui est bien de chez nous et qui a remporté un grand, un très grand succès. Et tout le justifie, tant il est vrai que lorsqu’un film a des qualités humaines, il doit toucher tous les publics.
Ne demandons pas au Marius de l’écran d’être ce poème du départ et de l’attirance des lointains qu’il eût pu chanter, si ses auteurs, MM. Pagnol et Korda, avaient évoqué davantage et en images plus persuasives la vie du port de Marseille. A la vérité, ce n’est pas le combat dont Fanny est la victime, entre l’amour et les voyages, qui fait l’excellence de cette production. Marius est attiré par la mer et rêve des îles, soit, mais ce n’est pas tant la « porte de l’Orient » qui s’ouvre pour nous que la porte des intérieurs marseillais. Et nous ne le regrettons pas, car Marius devient une sorte d’épopée populaire qui nous touche infiniment.
Enfin voilà une œuvre qui nous arrache aux petites histoires dont le cinéma se repaît si complaisamment : adultères souriantes, jeunes filles enlevées, baisers de la fin… Nous sentons là l’âme d’une population. II traîne du début à la fin comme une mélodie de vieille chanson du peuple, et tout s’anime à cette musique.
Sans doute les acteurs, choisis avec un soin particulier, sont-ils pour beaucoup dans cette réussite, et je ne crois pas qu’on puisse égaler Raimu dans le rôle de César, patron du café de la Marine, vif, éloquent, tapageur dans les instants gaspillés de son existence, et si sobre de gestes et de mots dans les grandes minutes ; on ne peut surpasser Fresnay, chaleureux lui aussi et si vivant, dans l’émotion de ses débats intérieurs, Orane Demazis, vraie et juste, ni tous ces étonnants artistes Charpin, Alida Rouff qui sont, de la tête aux pieds, les personnages imaginés par l’auteur.
Mais si ce sont ces interprètes qui donnent — c’est le cas de le dire — l’accent au film et son mouvement, c’est l’image qui lui donne sa poésie simple et ses vertus de sincérité. L’atmosphère est créée avec un rare bonheur par des vues d’intérieur précisément étudiées, par ces coins du vieux port, de ses rues, de ses maisons balafrées, de ses types si divers et si nettement marqués. La poésie populaire jaillit du dialogue qui, mieux qu’au théâtre, s’associe au décor et en est comme l’expression colorée et variée.
Elle jaillit aussi de ces mouvements du corps, de ces gestes des mains qui font, des Marseillais, des mimes de grande race. Car on justifierait même Marius au cinéma muet par cet instinct du mimodrame que les fils de la Canebière ont en eux. Et c’est cette prolixité gesticulante qui fait que, même dans les dialogues qui se prolongent, on n’a jamais l’impression de rester sur place.
Suivez, par exemple, la fameuse partie de cartes qui réunit César, Pannisse, Escartefigue et le Lyonnais : elle est toute en gestes, en clins d’œil, c’est une magnifique pantomime.
De même les scènes entre Marius et son père, Fanny et sa mère, comme elles sont animées par le jeu turbulent et pourtant mesuré des acteurs !
Tout Marseille, non pas celui des grands départs ni des plaisirs sombres, mais le Marseille de la vie quotidienne, le Marseille de soleil, de bonne humeur, de joies savoureuses et de peines qui se perdent souvent dans le bruit des mots est là, dans une suite de tableaux d’intimité où l’accent irrésistible met sa verve et sa musique.
Et en voyant le public amusé ou ému à chaque moment, qui passe de la gaieté à l’émotion sans transition comme les Marseillais eux-mêmes, on se prenait à penser que si un auteur pouvait faire pour Paris ce que Pagnol a fait pour sa ville natale, nous aurions vraiment un très beau film… Jusqu’à présent on ne nous l’a pas montré. Et c’est la première fois peut-être qu’on ne songe pas à se demander si « c’est du cinéma » ou si cela reste du théâtre.
C’est un beau film et un bon film, voilà tout.
C’est toute une ville qui s’exprime, c’est la race même qui parle et qui vit. Œuvre populaire, certes, et au meilleur sens du mot, celui qui veut dire qu’on est devant des hommes et qu’on les écoute comme des frères.
René Bizet.
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Pour en savoir plus :
le site officiel de Marcel Pagnol
le site officiel d’Orane Demazis
La bande annonce de la version restaurée de Marius (1931).
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La scène entre Marius et César, “Je T’aime bien”.