L’Olympia, salle de cinéma (Cinémagazine 1930) 1 commentaire


C’est dans le numéro 11 daté de décembre 1930 de la revue Cinémagazine que parait cet article sur la transformation du music-hall l’Olympia à Paris en salle de cinéma.

Nous avons ajouté à la suite un autre article paru quelques mois auparavant concernant les souvenirs de l’Olympia, music-hall, par Gaston Thierry (à lire ci-dessous).

L'Olympia, salle de cinéma (Cinémagazine 1930)

L’Olympia, salle de cinéma (Cinémagazine 1930)

L’EXPLOITATION MODERNE : L’OLYMPIA

On attribue en général l’épanouissement actuel de l’exploitation cinématographique française trop facilement au film parlant exclusivement. Il est pourtant juste de dire et de répéter, pour être plus près de la vérité, que cet essor de notre industrie du film n’est pas seulement le fait de la qualité et de la nouveauté des programmes du moment, mais aussi de la conséquence immédiate de l’effort considérable produit ces dernières années pour le perfectionnement de l’installation des salles, effort couronné par des résultats plus que tangibles.
Ceci dit, je voudrais essayer de décrire aujourd’hui dans ses grandes lignes un théâtre cinématographique type, — le nouvel Olympia, — en même temps que présenter aux lecteurs de Ciné-Magazine les architectes et principaux entrepreneurs qui ont réalisé cette installation modèle.

Mon éminent confrère Gaston Thierry, ayant ici même, en juin dernier, réuni, d’une plume délicate et attendrie, quelques souvenirs du vieil Olympia music-hall, je me bornerai, pour ma part, à voir les choses sous un angle purement technique, pratique et ornemental.
Or donc, M. Jacques Haïk, ayant résolu, — par un beau coup d’audace, — de transformer le fameux music-hall en un théâtre cinématographique up to date, fit appel à un architecte parisien des plus en vue, M. Paul Farge, à qui il confia la haute direction des travaux. Un autre architecte parisien, M. Jean-Paul Mongeaud, également très en vue, fut chargé, en association avec M. Farge, de la construction de la façade. Enfin un troisième architecte, M. Gabriel Morice, fut choisi pour les travaux de gros œuvre.

Jean-Paul Mongeaud (Cinémagazine 1930)

Jean-Paul Mongeaud (Cinémagazine 1930)

Les difficultés d’agencement étaient grandes et nombreuses. La disposition des locaux, de par la place importante occupée dans l’immeuble par l’académie de billard et l’immense taverne du sous-sol, ne se prêtait guère à l’établissement d’un théâtre moderne parfait. Le résultat acquis prouve surabondamment que la grande compétence des architectes de l’Olympia a triomphé de tous les obstacles.
M. Farge est un spécialiste des installations théâtrales ou cinématographiques (Empire, Folies Wagram, CapucinesPlazza, etc.). Basée sur des observations personnelles, sa science de l’acoustique lui permet de résoudre parfaitement cette question si délicate. Architecte plein d’avenir, M. Mongeaud s’est signalé dans notre corporation même par ses travaux au Paramount.
Sa rapidité de « vue » et son à-propos sont renommés dans le bâtiment. Il excelle principalement dans la construction des « bonbonnières » modernes, telles que le nouveau bar des Wikings, aux Champs – Élysées, —en collaboration avec un artiste norvégien, M. Peters, — où il a déployé avec originalité et brio les ressources de son talent et de sa personnalité. Son nom est à retenir, car le temps n’est pas loin où M. Mongeaud, architecte moderne éclairé, se verra confier des travaux d’importance. Il figure dès maintenant parmi les « têtes » de la corporation spécialisée dans l’installation des salles cinématographiques, corporation qui, depuis un an ou deux, a fait un effort rénovateur considérable.
Quant à M. Morice, praticien consciencieux entre tous, il est un des anciens du bâtiment, et sa grande expérience fait autorité.

Paul Farge (Cinémagazine 1930)

Paul Farge (Cinémagazine 1930)

Pour construire une façade frappante digne de l’importance  de l’établissement, M. Mongeaud ne disposait que d’un espace extrêmement restreint. N’oublions pas que des appartements habités se trouvent dans les étages supérieurs, et qu’il fallait en respecter l’aération et le droit à la lumière du jour.
M. Mongeaud comprit donc qu’il ne devait pas perdre un pouce de la surface qui lui était concédée. Il faut reconnaître qu’il a résolu magistralement le problème, car, malgré le manque de liberté d’action, il est parvenu à faire de la façade de l’Olympia la plus éclatante peut-être de toutes celles qui illuminent les boulevards.

Cette façade, d’une hauteur de 12 mètres pour une largeur de 8, forme une baie de 6 mètres de largeur. Elle se compose de deux pylônes latéraux en fer, sur lesquels s’appuient des pilastres, enfermés eux-mêmes dans des caissons. Une grillé ajourée surmonte cette baie. Des jours ont été ménagés pour permettre aux locataires des étages de respirer et d’y voir clair. Juste au-dessus de la baie, se trouve un grand panneau carré de 3 m5o de côté, sur lequel le nom du théâtre cinématographique est indiqué franchement, ainsi que le titre du principal film épingle à l’affiche avec le nom de ses principales vedettes.

Les motifs qui ornent la façade de l’Olympia ont été exécutés avec des tubes au néon, procédé Claude, par les établissements Paz et Silva, trop réputés pour leurs ensembles, panneaux, enseignes et objets lumineux, pour qu’il soit nécessaire de les présenter à nos lecteurs. Nous avons, d’ailleurs, déjà eu l’occasion de parler de cette firme à propos de l’installation du Palais-Rochechouart (cf Ciné-Magazine, numéro du mois d’août 1930). Établie sur le modèle tracé par M. Mongeaud et réalisée sous les directives de M. Fonsèque, ingénieur des Établissements Paz et Silva, cette façade lumineuse est d’une hardiesse de conception et d’exécution remarquable. Les tiges centrales de la grille, de par leur dessin ondulé, augmentent considérablement la puissance lumineuse de l’ensemble et donnent à sa physionomie générale l’aspect d’un embrasement.

la façade de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

la façade de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Les deux panneaux latéraux, dont les lettres sont disposées verticalement, ont été exécutés également par la maison Paz et Silva au moyen de tubes au néon. La lueur extraordinaire qu’ils jettent permet aux promeneurs de distinguer de fort loin sur les boulevards le nom de l’Olympia, se détachant dans la nuit, de la multitude d’enseignes lumineuses qui jaillissent de toute parts dans cet éblouissant quartier de la Madeleine.

L’exécution de la façade de l’Olympia, dont l’illumination peut se faire en rouge, en bleu et en vert, fait le plus grand honneur aux Établissements Paz et Silva et constitue pour eux une référence de premier ordre. Elle a exigé exactement 400 mètres de tubes au néon, ce qui en fait l’enseigne la plus importante qui ait été posée en Europe avec ces tubes. La grille, en particulier, est une pièce très belle. Elle nécessitait, de la part des exécutants, une précision rigoureuse et une grande habileté dans le travail pour répondre à l’idée de l’architecte-créateur.
Ajoutons que toutes les parties métalliques de la façade sont recouvertes de laque cellulosique argent, très brillante et d’une résistance à toute épreuve aux intempéries. C’est la première fois que ce procédé a été appliqué à un ouvrage de grande surface.

la façade de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

la façade de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Inspirée à la fois de fantaisie et d’un luxe solide et assis, la décoration de l’Olympia est somptueuse. La sobriété, chère à beaucoup d’architectes modernes, n’y est point d’extrême rigueur, et l’imprévu, paraissant dû le plus souvent au simple effet du hasard, y tient une large place. A chaque coin du hall ou des vestibules, aux tournants des escaliers et dans la salle même, l’œil trouve toujours à se récréer en se posant sur des motifs qu’il n’avait point remarqués tout d’abord.
Simplicité ou diversité décoratives ? Le problème testera sans aucun doute éternellement posé, étant donné que l’appréciation personnelle interviendra sans cesse. L’essentiel, pour la décoration d’une salle de spectacles, est d’être durable, c’est-à-dire ne pas lasser à la longue le goût de la clientèle. Il est évidemment impossible de changer, à toute saison, le style décoratif d’un vaisseau du volume de l’Olympia.
Possédant à fond son sujet et s’appuyant sur des principes décoratifs sûrs qui sont le fruit de sa longue expérience en matière d’ornementation de théâtres ou de cinémas, M. Farge a conçu la décoration de l’Olympia suivant les conditions essentielles que doit remplir la présentation idéale d’une salle de spectacles. La mesure, que lui et les décorateurs ont gardée, mettra toujours leur œuvre à l’abri des tendances de la mode.

le hall de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

le hall de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Au triomphe de l’architecte, il convient d’associer le mérite des entrepreneurs,—-choisis par lui, — qui lui ont apporté une aide si précieuse et ont su interpréter intelligemment ses vues et ses idées.
La décoration d’un théâtre cinématographique de l’envergure de l’Olympia ne pouvait être confiée qu’à des maîtres décorateurs. Aussi M. Farge, architecte particulièrement amoureux de perfection, fit-il appel à des artistes réputés, ayant fait maintes fois leurs preuves, MM. Lavignac et Pelegry.
En notre époque où l’Art même est gagné par la série, une tendance porte les entreprises décoratives à limiter leur rôle dans l’exécution pure et simple des plans et directives qui leur sont fournis. MM. Lavignac et Pelegry échappent à la règle.
Décorateurs de la lignée des grands artistes qui ont illustré l’histoire de cette spécialité qu’est la décoration théâtrale, ils ne sont point seulement des exécutants de premier ordre, mais aussi des créateurs féconds, dont la fantaisie et la verve se sont manifestées dans nombre de travaux importants. Il me suffira, pour donner une idée de leur réelle valeur artistique, de rappeler que ce sont eux qui créent, exécutent et mettent au point régulièrement les décors des productions scéniques du Paramount, des revues fastueuses et de réputation universelle du Casino de Paris, ainsi que ceux de la plupart des principaux théâtres et music-halls parisiens.
Tout récemment encore, ils nous ont donné un nouvel échantillon de leur talent en décorant la salle du Colisée, où, notamment, ils ont exécuté une série de peintures murales pleines de fraîcheur, de jeunesse, de légèreté et d’humour. Ce sont eux, également, qui ont réinstallé la salle du Palace suivant une innovation théâtrale qui permet de faire jouer les acteurs dans le public même. Citons encore, au hasard, parmi leur œuvre considérable, la décoration du Paramount, où ils ont tant contribué à réaliser une atmosphère luxueuse et confortable ; du Nouvel Aubert-Palace, du Plazza, des Folies-Wagram (la grande fresque qui domine la scène dans ce théâtre est remarquable de vie et de mouvement), du Nouvel-Embassy des Champs-Élysées, etc.. Actuellement, ils travaillent à la décoration de l’Alhambra, qui doit ouvrir prochainement ses portes.

le grand vestibule de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

le grand vestibule de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

A l’Olympia, le cadre de la scène, les décorations murales et des plafonds ont été exécutés par eux.
Ils ont choisi avec le plus grand soin les matériaux à employer et les ont traités avec une habileté professionnelle consommée. Je mentionnerai plus particulièrement le plafond du vestibule d’entrée, les décorations du hall, du second vestibule avec sa demi-coupole, le grand plafond et les peintures murales de la salle proprement dite.
Le cadre de scène mérite d’être signalé spécialement, car il forme une pièce décorative unique en France et peut-être au monde. Imaginé par M. Farge, il était d’une réalisation difficile et extrêmement délicate, je dirai même audacieuse. L’étroite collaboration de M. Farge avec MM. Lavignac et Pelegry a triomphé de la difficulté. Tour de force architectural, ce cadre de scène est à lui seul une attraction pour le théâtre cinématographique. Il est lumineux à colorations changeantes et, de plus, dans sa structure même, laisse le passage des ondes sonores de l’orgue. Il fait pour ainsi dire partie du programme et constitue pour le public un sujet de curiosité et d’émerveillement.

un escalier de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

un escalier de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Lors de notre étude consacrée à l’installation du Palais-Rochechouart, nous avons signalé les résultats probants obtenus dans une salle cinématographique par l’emploi d’une peinture plastique appelée le marble L. Cote, dont les avantages, au double point de vue acoustique et effet décoratif, sont surprenants. C’est donc avec plaisir que nous avons constaté à l’Olympia l’utilisation du marble L. Cote dans une très large mesure. Peu connu il y a encore un an, ce produit, sous l’active impulsion de son représentant à Paris, M. Garner, s’est taillé très vite une solide réputation auprès des architectes et entrepreneurs ayant le souci de l’acoustique et de l’ornementation des salles cinématographiques qu’ils édifient. Le nouveau Gaumont et le Roxy nous donneront encore une preuve de l’excellence de ses qualités. Sa renommée grandissante s’étend maintenant à toute la France, à l’Algérie, au Maroc et à l’étranger même, particulièrement en Angleterre.

Mais revenons à l’installation de l’Olympia et citons tout d’abord le très beau plafond de la salle, exécuté avec le marble L. Cote. Le chatoiement de l’ensemble et le jeu des rayons lumineux dans les aspérités harmonieusement dessinées de la peinture flattent l’œil au même degré qu’une belle étoffe de soie. Dans les décorations murales de la salle, du hall et du vestibule, le marble L. Cote a été employé avec un rare bonheur en arrangements ou en panneaux de style soit dorés, soit argentés, soit encore or et vert.
Le marble L. Cote est foncièrement moderne, mais son caractère de nouveauté, — on confond trop souvent modernisme et excentricité, — ne choque pas le goût et reste dans le bon ton. Comme son prix de revient est peu élevé, on comprend que sa vogue ait gagné la décoration des magasins, des boutiques, des façades, des devantures et des appartements.

On s’accorde à reconnaître que l’acoustique de l’Olympia est bonne, malgré les difficultés qu’a rencontrées M. Farge, notamment dans les proportions de la salle (forme et volume). Le marble L. Cote n’est pas étranger à cette qualité acoustique devenue de première importance, car il est, de par sa consistance même, un grand absorbant de vibrations sonores. Pour lutter contre la résonance, son application sur les plafonds et les murs de grande surface est, répétons-le, d’une efficacité indéniable.

Si belle et si bien exécutée soit-elle, la décoration d’une salle ne serait que froide et sans relief si l’éclairage, en adoucissant contours et couleurs et en scintillant dans le grain de la « matière » employée pour les motifs et surfaces décoratifs, ne venait lui apporter sa note d’intimité et de charme.
A l’Olympia, l’éclairage, fort bien compris, a été réalisé par les anciens Établissements Guinier, sous la direction de M. Tartanson. Cette maison, grande spécialiste des choses de l’électricité, artistiques et pratiques, est une des plus anciennes de cette branche d’industrie.

vue générale de la salle de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

vue générale de la salle de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

L’éclairage de la salle proprement dite de l’Olympia est indirect, c’est-à-dire qu’aucune ampoule électrique n’est visible. Tontes les lampes sont dissimulées soit dans des coupoles, soit dans des corniches. L’avantage de ce système d’éclairage se conçoit aisément. Une ampoule électrique, en raison de sa forme et de son éclat brutal, n’est qu’un piètre agrément décoratif. L’éclairage indirect intervient pour cacher son manque d’esthétique et pour atténuer sa vigueur lumineuse excessive. L’art de l’électricien réside alors non seulement dans le goût purement ornemental, mais aussi dans le calcul précis de la diminution de puissance lumineuse, diminution qui ne doit pas empiéter sur la visibilité.

La lumière, à l’Olympia, est fort douce, et, lorsque la salle passe brusquement des ténèbres à la clarté, la transition se fait sans violence, ce qui est vivement apprécié des spectateurs, dont les yeux sont sensibles. Cet éclairage diffus favorise, de plus, la beauté des spectatrices en respectant leur teint, en harmonisant davantage encore la grâce de leurs traits et en faisant ressortir leurs toilettes. C’est là une considération de prix, si l’on veut bien admettre que les jolies femmes prennent une part importante à la beauté décorative d’une salle de spectacles.

Le jeu d’orgues, par lequel l’éclairage de l’Olympia est réglé, permet, soit par l’emploi isolé du rouge, de l’ambre et du vert, soit par mariages entre elles de ces trois couleurs, une infinité de colorations lumineuses en même temps que des « dégradés » ou « fondus » d’une grande délicatesse de nuances et d’un effet charmant.
Dans un théâtre cinématographique, l’éclairage ne se borne pas toujours à un rôle ornemental « passif », si l’on peut dire.
Il peut aussi prendre un rôle « actif » en faisant partie des attractions du programme. Ne contribue-t-il pas, à l’Olympia, par la féerie des illuminations (couleurs initiales au nombre de quatre : rouge, jaune, bleue et verte) du cadre de scène, à faire de celui-ci une attraction véritable ? L’ingéniosité, jointe à un sens artistique réel, dont ont fait preuve les maîtres électriciens des anciens Établissements Guinier pour la disposition de l’éclairage de ce cadre de scène mérite d’être signalée.

vue générale de la salle de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

vue générale de la salle de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

L’éclairage de la scène, pour les numéros, les sketches et les attractions, se fait à l’aide de trois tableaux de jeu d’orgues et de nombreux projecteurs (six à la coupole, six au balcon et six ou huit
sur la scène). Les projecteurs du balcon sont à commande automatique des écrans de couleur.
L’entreprise générale électrique de l’Olympia n’a pas demandé moins de six mille lampes.
Le hall, le vestibule et les escaliers sont baignés d’une clarté blanche, extraordinairement éclatante, provenant d’une série de lustres d’un modèle nouveau. Si, pris de curiosité, le visiteur examine attentivement ces lustres et cherche dans leur construction même le secret de cet éclat resplendissant, il découvre qu’ils sont incrustés de petits miroirs, dans lesquels les rayons lumineux se réfléchissent à l’infini, atteignant ainsi une puissance étonnante.
L’idée première de cette nouveauté dans l’art de l’éclairage est due à M. Farge.

Celui-ci a trouvé, dans le maître verrier, mosaïste et céramiste français bien connu, A. Labouret,un collaborateur précieux pour la réalisation de sa pensée.
Tout en restant dans la tradition des artisans du Moyen Age, — n’a-t-il pas été chargé de restaurer les vitraux anciens de la cathédrale d’Amiens et de nombreux autres monuments classés ? — M. Labouret, cerveau chercheur, profondément épris de son art, est sans cesse en quête d’innovations. Qu’il soit appelé à décorer une piscine (Le Lido), une véranda, une baie vitrée, un hall, un salon de jeu, une bibliothèque, une salle de bains, ou à installer des fontaines lumineuses (Hôtel Prince de Galles), M. Labouret cherche constamment, sans s’écarter du style, de nouvelles applications des différents matériaux qu’il traite avec une habileté rare. Les travaux qu’il a exécutés au Paramount, grands lustres du hall et salon de thé, — en disent long sur son savoir-faire. Le salon de thé en particulier, où, reprenant un procédé des anciens Persans, il a employé le revêtement de miroirs, est une petite merveille de goût, que, malheureusement, — et on ne sait trop pourquoi, — on ne montre pas assez souvent.

A l’Olympia, M. Labouret a également exécuté, dans le vestibule d’entrée, les mosaïques du sol et le plafond décoratif en grosses dalles de verre gravé, légèrement coloré et rehaussé de petits miroirs. L’arrangement de ce plafond prolonge à l’intérieur le dispositif ornemental de la façade. M. Labouret a collaboré, de plus, à l’installation des lavabos. Partout il a mis une touche de sa personnalité et fait montre de son à-propos artistique.

une loge de l'Olympia avec les fauteuils Gallay (Cinémagazine 1930)

une loge de l’Olympia avec les fauteuils Gallay (Cinémagazine 1930)

Nous retrouvons, dans la salle de l’Olympia, les fauteuils Gallay, les plus employés, sans aucun doute, dans toute la corporation cinématographique. La majorité des grandes salles de luxe en sont munies, et il n’est pas nécessaire, je crois, de les présenter davantage. D’ailleurs, dans notre étude sur le Palais-Rochechouart, nous avons dit tout le bien que nous pensons de la beauté des lignes et du confort des fauteuils de la grande firme parisienne.
Tous ceux qui ont assisté à une représentation à, l’Olympia ou au Palais-Rochechouart ont gardé un excellent souvenir des quelques heures passées sur un fauteuil moelleux, doux au toucher, dont le gabarit, prévu spécialement par les ingénieurs des établissements R. Gallay, leur a permis toute liberté de mouvements.
L’ensemble de ces conditions n’est pas étranger au plaisir qu’ils ont pris à leur soirée.
On ne saurait trop attirer l’attention des directeurs de salle sur l’importance des fauteuils. Ils doivent penser que, dans la centaine de films que chacun d’eux passe dans une année, il s’en trouve d’inférieurs, et qu’il leur faut alors, à eux exploitants, offrir une compensation de confort à leur clientèle. Il faut songer aussi que beaucoup d’amis du cinéma sont des gens fatigués de leur journée de travail, manuel ou intellectuel, cherchant dans le film une distraction commode et fréquentant une salle non seulement attirés qu’ils sont par le programme, mais aussi par la perspective de pouvoir se délasser l’esprit et le corps.

Les Etablissements R. Gallay ont choisi pour les fauteuils de l’Olympia un somptueux velours vert sombre sur vert clair, d’un goût très sûr. Les fauteuils, pris d’ensemble, présentent une infinité de jolies bigarrures, ce qui contribue à la « personnalité » de la salle. Le tout s’harmonise parfaitement avec la décoration générale, ce qui, dans d’autres établissements, ne se produit pas toujours. Combien de fois en effet, il nous a été donné de déplorer la vivacité hurlante ou la fadeur évidente du coloris des fauteuils, par comparaison avec ce qui les entourait
Les strapontins de l’Olympia offrent les mêmes avantages de commodité et de confort que les fauteuils ordinaires. Je ne voudrais pas oublier de décerner à leur sujet une bonne note aux constructeurs pour le silencieux du mécanisme.
Les fauteuils de la salle proprement dite ne sont point les seuls spécimens de fabrication que la firme Gallay nous fait admirer à l’Olympia. Les fauteuils, les tabourets, les poufs du salon d’attente et du vestibule témoignent, eux aussi, par leur gabarit impeccable, leur moelleux ou leur beauté décorative, que la réputation de cette firme n’est nullement surfaite.

le fumoir de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

le fumoir de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

C’est des deux mains que nous applaudissons à l’idée qu’eut la direction de l’Olympia de doter cet établissement d’un orgue Cavaillé-Coll, car il nous est particulièrement agréable de constater que, de plus en plus, l’exploitation cinématographique française a recours à cet instrument merveilleux pour corser les programmes et ajouter une note de grand art à l’atmosphère générale des théâtres cinématographiques.

Les origines de la fameuse manufacture d’orgues Cavaillé-Coll remontent — record peu banal — à près de trois cents ans. L’effort qu’elle a produit sur une si longue échelle, de génération en génération, lui a permis d’atteindre, dans le domaine de la construction des orgues, une perfection jamais égalée. La concurrence étrangère, malgré son activité, n’a jamais pu rivaliser de qualité ni amoindrir le prestige de cette maison, essentiellement française, héritière des riches traditions laissées par les Cavaillé-Coll, dont le nom n’a fait que grandir en gloire à travers les siècles.

C’est, en effet, dans la première moitié du XVIIe siècle qu’un religieux de l’ordre des Frères prêcheurs, à Toulouse, Joseph Cavaillé, ayant reçu de son père les premiers éléments de la construction des orgues, se distingua dans cet art, ainsi que son frère Jean-Pierre Cavaillé. Celui-ci épousa Marie-Françoise Coll et eut un fils, Dominique Cavaillé-Coll, avec lequel il construisit le grand orgue de l’église de Montréal, considéré comme le plus bel ouvrage du XVIIIe siècle. Dominique augmenta encore la réputation laissée par son père et son oncle, et bientôt la renommée des Cavaillé-Coll s’étendit à toute l’Espagne. Enfin, apparut le génial Aristide Cavaillé-Coll (1811-1898), cité toujours comme le plus grand et le plus savant facteur d’orgues du XIXe siècle. Ses nombreuses découvertes, appliquées àla facture des orgues, firent faire à celle-ci un énorme pas en avant. Il ne construisit, durant sa vie, pas moins de 610 instruments, répandus à travers le monde entier. Après sa mort, son élève Charles Mutin sut conserver les traditions du maître et cédait, en 1924, la maison à une société en commandite par actions.

l'ensemble de la tuyauterie de l'orgue de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

l’ensemble de la tuyauterie de l’orgue de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Actuellement, la maison Cavaillé-Coll est en voie de transformation. Prenant chaque jour plus d’importance, elle doit apporter des modifications profondes à la gestion de ses affaires. Les bases sur lesquelles elle établit sa nouvelle organisation lui permettront d’étendre considérablement son champ d’action. C’est ainsi qu’elle envisage prochainement la création d’une école d’organistes virtuoses destinés à faire valoir les ressources harmoniques infinies des 1.340 instruments Cavaillé-Coll disséminés sur le globe.
Avec les grandes orgues monumentales et incomparables en sonorité de Notre-Dame de Paris, de Saint-Sulpice et du Trocadéro, la gloire des « organiers » Cavaillé-Coll a atteint son apogée. Cette année, ils obtinrent un triomphal succès avec l’orgue de la salle Pleyel, et tout récemment, à l’Exposition internationale de Liège, un grand prix leur était décerné.

Il ne faut pas confondre les grandes orgues construites spécialement pour les églises avec les orgues de concert et celles pour cinémas, dites « Unit Organ ».
Il y a là autant de fabrications différentes.
L’orgue de l’Olympia est à transmission électropneumatique type « Unit Organ ». Il se compose de onze jeux (trompette, quinte, saxophone, voix humaine, violoncelle, voix céleste, etc.) comportant au total 824 tuyaux, de 2 percussions (cloches et xylophones) et de 24 accessoires les plus divers (tambour de basque, castagnettes, cymbales, sifflet à vapeur, locomotive, pluie, vent, mer, sirène de bateau, etc.). Les jeux et percussions se répartissent sur deux claviers expressifs de 61 notes chacun et sur une pédale expressive de 32 notes. Les claviers et la pédale comportent chacun deux boîtes disposées de chaque côté du cadre de scène et dans lesquelles sont enfermés les jeux.
L’orgue comprend 102 registres, dont les touches sont en ivoire massif. Pour que l’organiste puisse repérer instantanément les familles de jeux, les touches sont soit de teinte rouge, soit de nuance ambrée, soit d’ivoire non teinté.
La console est en chêne de premier choix, laqué blanc-ivoire. Elle ne comprend aucun organe pneumatique. Un câble de 425 conducteurs part de cette console. Les sommiers sur lesquels sont posés les pieds des tuyaux sont au nombre de 71 et construits en acajou verni. Chaque tuyau a sa commande électro-pneumatique.
Le matériel sonore se compose des tuyaux établis soit en pin d’Orégon verni, soit en zinc verni, soit en spotted (50 p. 100 étain, 50 p. 100 plomb).
La charpente qui supporte l’ensemble de l’orgue est en bois d’Orégon choisi spécialement. Enfin, les contacts électriques sont au nombre de 11.468, et il existe 80 interrupteurs de jeux portant chacun 61 contacts. Le fonctionnement électro-pneumatique de tous ces appareils rend leur action instantanée et absolument silencieuse.

La console de l'orgue Cavaillé-Coll de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

La console de l’orgue Cavaillé-Coll de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Le grand orgue Cavaillé-Coll de l’Olympia joint à l’ampleur des sonorités des finesses d’une délicatesse extrême, sans que cette délicatesse nuise à leur puissance. Les attaques sont d’une netteté parfaite. La richesse des timbres, la profusion et l’immense variété des combinaisons, le moelleux de l’harmonisation, la merveilleuse vigueur des ensembles, l’ingéniosité de l’appareillage électrique permettant les plus grandes subtilités de combinaisons par le simple effleurement des boutons, font de cet instrument un véritable chef-d’oeuvre de construction d’orgue.

Nous ne saurions trop encourager les exploitants à suivre le mouvement dicté par les grandes salles de luxe, en enrichissant leur établissement d’un grand orgue. Non seulement leur théâtre y gagnera en attrait, — l’orgue s’adapte maintenant parfaitement à la musique de fantaisie et de jazz, — mais aussi y verront-ils également un moyen d’économie.
Un exploitant moyen ne m’a-t-il pas confié, un jour, qu’il avait pu, en moins de deux ans, amortir le prix d’achat de son orgue grâce aux économies sur les frais généraux que cet instrument lui avait permis de réaliser.
En Angleterre, et surtout aux Etats-Unis, où l’orgue est fort en honneur dans les théâtres cinématographiques, le même cas a été observé bien souvent.

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L’installation sonore du nouveau théâtre cinématographique a été équipée et mise au point par la Western Electric C°. La cabine de projection — qui malheureusement est de dimensions un peu réduites, — est munie de quatre appareils de projection. Ne reculant devant aucun sacrifice pour que l’atmosphère, dans tout l’établissement, soit agréable au public et pour assurer à sa clientèle le maximum de bien-être et de confort, M. Jacques Haïk fit appel à la puissante firme Carrier Engeneering C°.

Dans un article publié ici, il y a quelques mois, au sujet de l’installation du Paramount, nous laissions penser que les travaux de cette entreprise n’étaient accessibles, en France, qu’à quelques organisations, exceptionnellement privilégiées quant aux moyens financiers. Par la suite, nous nous sommes aperçu que notre jugement était empreint de quelque exagération. Le système Carrier se trouve, en effet, à la portée de nombreux établissements.
L’exemple du Paramount et de l’Olympia a été suivi à Paris par l’Aubert-Palace et le Studio des Miracles.

Les travaux de l’Olympia ont été exécutés sous la direction de M. Modiano, ingénieur de la Carrier Engeneering C°, qui n’a pas été, lui non plus, sans rencontrer de sérieuses difficultés. L’installation de la machinerie et des conduites d’air, exigeant un emplacement qui, sans être considérable, n’en occupe pas moins un certain volume, M. Modiano dut tirer parti de l’ancienne et défectueuse disposition des locaux.
Rappelons brièvement les caractéristiques essentielles du système fameux dont les résultats extraordinaires ne sont pas seulement le fait de l’application judicieuse de principes de physique savamment étudiés, mais aussi et surtout la conséquence de la longue expérience et de la grande pratique acquises par les ingénieurs de l’entreprise, au cours des innombrables installations qu’ils ont effectuées à travers le monde, non dans les salles de spectacles exclusivement, mais aussi dans les usines, palaces, hôtels, magasins, etc.

On sait que, pour « conditionner » l’air, il s’agit de le refroidir en été, le réchauffer en hiver et, en toutes saisons, le purifier et le faire circuler constamment. Cet air, saisi haut dans l’atmosphère par une cheminée, passe dans un caisson, où un lavage par eau en pluie l’assainit et l’amène au degré hygrométrique voulu par saturation. Il arrive ensuite à l’appareil appelé laveur, où l’été il est refroidi au contact d’eau froide, elle-même abaissée à une température très basse dans l’évaporateur d’une machine frigorifique centrifuge fonctionnant au dieline comme réfrigérant. En hiver, le chauffage de l’air est assuré par les deux chaudières à vapeur. Remplissant les conditions désirées de pureté, de température et de teneur en vapeur d’eau, l’air est chassé vers le sommet de la salle par un grand ventilateur pour être dispensé aux spectateurs par des bouches baptisées électeurs et situées juste au-dessus de la cabine de projection. On peut, d’ailleurs, apercevoir nettement ces orifices sur la vue générale de la salle prise de la scène. Projeté horizontalement à grande vitesse, l’air descend lentement en se mélangeant avec l’air qui s’y trouve déjà, atteint la zone du public, puis, vicié, s’évacue par des bouches ménagées sous les fauteuils même du balcon et du parterre.

Le système Carrier est si bien compris qu’il n’occasionne pour ainsi dire pas les moindres sensations de courant d’air, ce qui s’explique par la constance du degré hygrométrique et l’uniformité de température des différentes couches introduites. De plus, pour le spectateur venant de l’extérieur aux jours de canicule, aucun danger de refroidissement n’est à craindre, en raison de l’équilibre résultant du contrôle précis de l’humidité de l’air ambiant.
Le fonctionnement du système Carrier à l’Olympia est surveillé en permanence par l’excellent ingénieur M. Boëtte, qui a à sa disposition un appareil lui permettant de se rendre compte des caractéristiques de l’air en dix points différents de la salle.

Le cadre de scène de l'Olympia (Cinémagazine 1930)

Le cadre de scène de l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Je ne voudrais pas terminer cette étude de l’Olympia sans rendre hommage à l’habileté et à l’intelligence dont fait preuve constamment, pour la présentation des films, son directeur M. Lynd et son chef de la propagande M. Georges Arnull, ancien directeur de l’Impérial-Pathé. Cette partie de l’exploitation est très importante et mérite d’être étudiée spécialement. Nous aurons, d’ailleurs, bientôt l’occasion de revenir sur cette question. Rappelons simplement le beau succès qu’a obtenu l’Olympia avec la présentation du Vagabond Roi. Les films Haï-Tang, Les Deux Mondes, Atlantis, etc., donnèrent lieu à de belles présentations, qui méritent d’être rappelées.
N’oublions pas non plus de mentionner l’impeccable tenue générale de l’établissement et la parfaite courtoisie du personnel, stylé et en livrée superbe (pourboire formellement prohibé).

En résumé, le nouvel Olympia, grand théâtre cinématographique parisien, ne fait pas seulement honneur à ceux qui l’ont installé et à ceux qui l’administrent, il rehausse aussi le prestige de l’industrie cinématographique française tout entière

Paul Audinet

L’Olympia, hier et aujourd’hui

paru dans le numéro 06 daté de juin 1930 de Cinémagazine.

l'Olympia, music-hall (Cinémagazine 1930)

l’Olympia, music-hall (Cinémagazine 1930)

La récente ouverture de la salle fameuse du boulevard des Capucines, fort heureusement transformée en théâtre cinématographique par M. Jacques Haïk, nous fournit l’occasion d’évoquer quelques souvenirs du Paris de jadis, de ce Paris qui, chaque jour, se transforme, prend un aspect nouveau. Évolution normale, tribut payé au progrès, qui ne laissent pas de regrets lorsqu’il s’agit, dans l’aménagement de notre capitale, de ressusciter aussi complètes, aussi parfaites que celle de l’Olympia.

Voilà Paris doté d’une salle magnifique, qui ne laisse rien à désirer sous le rapport du confort et de la richesse artistique.

Sur l’emplacement de l’Olympia se dressaient jadis les Montagnes russes, établissement exploité par MM. Oller et Zidler. Il y avait, outre un « scène-railway », bien modeste en comparaison de ceux qui existent de nos jours, de nombreuses attractions : tirs, loteries, danses du ventre, etc., qui amenèrent, pendant un certain temps, un nombreux public.
Je me souviens que le bon papa Oller bourrait mes poches de carnets de tickets pour les montagnes russes et que mes dix ans s’en donnaient à cœur joie : pendant des heures je roulais, plongeais dans le vide, remontait, épuisant jusqu’à la nausée les délices du wagonnet ivre !
Cette « kermesse », cependant, ne tarda pas à disparaître. Un beau music-hall s’éleva à la place des Montagnes russes et fut doté de ce nom prestigieux : l’Olympia.

Paul Franck (Cinémagazne 1930)

Paul Franck (Cinémagazne 1930)

Il n’y a que les très vieux Parisiens pour se souvenir des ballets, des opérettes, des spectacles variés qui, à cette époque, se succédèrent sur la scène de cet établissement. En ce qui me concerne, je sais que, vers 1908, alors que j’étais, aux côtés de Rougier-Dorcières, le très jeune secrétaire général de l’Olympia, MM. de Cottens et Marinelli, directeurs, avaient monté une opérette qui fut le dernier triomphe du grand baron :
Quand une poule est de mon goût, 
Je suis, bigre de bigre,
Un tigre…
Un tigre…
rugissait-il, au grand émoi de la jolie Marion Winchester, à qui était dévolue la vedette féminine.
Souvenirs.

Vint la guerre. En 1916, l’Olympia était fermé, et un homme, un jour, s’arrêta devant ses portes closes : « Dommage, se disait-il, qu’on ne puisse utiliser cette belle salle pour donner un peu de distraction au peuple. Il en a besoin. » Et Paul Franck allait s’éloigner lorsque quelqu’un le heurta. C’était Beretta, qui venait précisément de signer le bail qui le rendait locataire du music-hall.
Tiens, Franck ! content de vous voir. Me voilà à la tête de l’Olympia. Venez donc déjeuner, nous bavarderons.

Paul Franck et Cléo de Mérode à l'Olympia (Cinémagazine 1930)

Paul Franck et Cléo de Mérode à l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Le résultat de ce déjeuner fut que l’Olympia ne devint pas, en 1916, un cinéma, comme l’avait d’abord envisagé Beretta. Ce dernier, séduit par la proposition hardie de Paul Franck : Donner un spectacle artistique pour un prix populaire » lui confia la direction de l’Olympia. On sait ce que fut, pendant quatorze ans, la magnifique réussite de Paul Franck, qui, grand artiste lui-même, se mit inlassablement à la recherche des talents nouveaux, des spectacles inédits.
C’est sous sa direction que l’Olympia consacra tour à tour des noms maintenant célèbres et que je cite pêle-mêle : Raquel Meller, Fortugé, Yvonne Georges, Isabelleta Ruiz, Perchicot, Germaine Lix, Doumel, Franconnay, Poulot, Ouvrard fils, Frehel, Jane Marceau, Lily May, le chansonnier Dorin, Tré-Ki, Bertove (qui débuta sous le nom de Michel-Maurice Levy), Roget, Alibert, les Athéna (magnifique numéro de force composé par des monteurs de Joinville), Maria Valente, Robert Quinault et Iris Row, Zoïa et Rachel, Marie Dubas, Dora Stœwa, Lucienne Boyer, Spadaro, Lyse Gauty, Mme Severin-Mars, l’Argentina, le trio Gomez, Colette dans La Romanichelle, Marguerite Deval…  J’en oublie, certes, mais ne peux m’empêcher de rappeler encore la Loïe Fuller et Cléo de Mérode.

Colette et Paul Franck à l'Olympia (Cinémagazine 1930)

Colette et Paul Franck à l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Dans son calme appartement proche de la bruyante avenue de la Grande-Armée, Paul Frank égrène pour moi les souvenirs. Ses doigts fins remuent des monceaux de photographies jaunes.
Son visage romantique se penche sur les silhouettes reconnues au passage, et je décèle la tristesse dans sa voix :
Si vous saviez, me dit-il, combien sont émouvantes parfois les heures vécues parmi ce monde si vivant du music-hall ! Tenez, un jour, on me fait passer une carte : « Comte Michel Tolstoï ». Je fais introduire le visiteur. Il m’expose qu’avec quelques compagnons russes, exilés comme lui, il a composé un chœur et qu’il souhaiterait débuter sur la scène de l’Olympia… car il faut manger.
Bien, lui dis-je, venez donner une audition. Mais quelle est donc votre parenté avec le grand écrivain ?
Je suis son fils, me répondit-il. Et, parmi les « chanteurs » du comte Michel, il y avait Poutiloff, un nom assez connu en Russie, et même ailleurs !… Le chœur eut un vif succès. Maintenant, « ils » sont en Amérique et, au cours de leurs déplacements, m’envoient de touchants souvenirs, des cartes avec ces mots : « Maintenant, nous pouvons manger et même bien manger. Nous n’oublions pas que c’est grâce à vous. »
Paul Franck s’est tu. Par terre, sur le tapis, le monceau des photographies : Raquel Meller, l’Argentina, les jambes nues de Colette « la Bohémienne »…
(A suivre.)

Gaston Thierry

Raquel Meller à l'Olympia (Cinémagazine 1930)

Raquel Meller à l’Olympia (Cinémagazine 1930)

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française


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