FILMS D’EPOUVANTE par Jean-Paul Dreyfus (La Revue du Cinéma 1930)


Avant de devenir le réalisateur que l’on connait, Jean-Paul Le Chanois, né Jean-Paul Dreyfus, était venu au cinéma par la critique.

Il avait ainsi écrit plusieurs articles remarqués dans la célèbre revue, La Revue du Cinéma emmené par Jean George Auriol.

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Nous vous proposons cette semaine, pour célébrer à notre manière Halloween, l’article Jean-Paul Dreyfus consacré au cinéma d’épouvante : “Films d’épouvante” publié le 1 mai 1930.

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Jean-Paul Dreyfus y clame son amour des films d’épouvante, qui à l’époque étaient moqués par ces “gens raisonnables qui se vantent bien haut d’être sains et normaux“.

Il se plaint notamment que la plupart des films dit d’épouvante “semblent demander pardon au spectateur d’avoir voulu lui faire croire, ne fut-ce qu’un instant, que le mystère, l’au-delà, les forces mauvaises de l’obscurité et des morts pouvaient exister“.

Seul Nosferatu semble trouver grâce à ses yeux car il “conserve jusqu’au bout son atmosphère de mystère et d’épouvante, sans faire intervenir d’explications humaines et logiques. On ne découvre pas à la fin que le Vampire n’est que le chef d’une bande de contrebandiers ou le directeur de la maison de Borniol qui crée des épidémies pour faire marcher son commerce. Jusqu’à sa mort qui n’est pas une mort comme les autres, mais une disparition, Nosferatu reste le fantôme du début et nous maintient jusqu’à la fin dans l’inexplicable“.

Nous ne pouvons qu’être d’accord avec lui.

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Nous y avons joint sa critique du film EPOUVANTE (Something Always Happens) réalisé par Frank Tuttle.

Remercions au passage Gael NOGUEIRA Dos Santos, qui prépare un mémoire sur l’histoire du cinéma d’horreur durant les années 1920-1930, et qui nous a suggéré et aidé dans la retranscription de cette publication.

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Bonne lecture !

 

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Films d’Epouvante par Jean-Paul Dreyfus

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Mai 1930

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Mai 1930

La vie est fertile en peur de toutes sortes.

Ce début n’est pas la confession d’un poltron. Il n’a pas non plus de prétentions philosophiques. Il ne veut être qu’une de ces multiples constatations désabusées qu’entraîne l’étude quotidienne de la vie chez les vertébrés.
Sur le plan social, nos craintes vont de Dieu à l’Enfer en passant par les voleurs, la fenêtre ouverte, le grand soir, l’amour et la force publique. Mais, passer de ces terreurs communes et banales à l’épouvante, c’est franchir un grand pas devant lequel hésitent les impuissants et les nabots de l’imagination et de la poésie.
L’épouvante n’est pas une de ces peurs sociales et bourgeoises dont il est permis de se moquer. Tout ce qui touche au domaine l’épouvante est au contraire sérieux, sacré, tragique. On ne parle pas avec le sourire de l’Irréel, de la Folie, de l’Illogisme, de l’Au-delà ou du Fantomatique.

J’ai connu bien des garçons qui se droguaient voluptueusement d’épouvante jusqu’à ce que l’angoisse s’emparât de leur corps et de leur esprit.
Écoutez la menace qui rôde. Elle est là. Elle entre dans ma tête. Elle tourne en rond. Elle descend jusqu’à mes talons. Elle remonte dans mes veines jusqu’au cœur. En vain j’essaye de prendre, pour me défendre, mes poings, ils tremblent. Inutiles aussi le coupe-papier, le tisonnier ou le revolver armé pour le suicide éventuel. Quand je verrai ma fenêtre s’ouvrir et une apparition dessiner sa forme imprécise et confuse derrière la transparence des rideaux, je resterai sans un souffle, sans un cri, collé au mur comme une chouette crucifiée. Mais, quand cette attente anxieuse se fait vaine ou trop longue, il faut descendre dans la nuit à la rencontre des vampires, des démons, des fantômes, de toutes les forces mauvaises inconnues et présentes, des âmes errantes et maudites qui vous égorgent lentement de leurs ongles violents avides de sang et vous enfoncent leurs longs doigts visqueux dans les yeux.

Certains m’ont raconté leurs rencontres avec l’Au-delà. D’autres ont disparu pour toujours par une nuit sombre et l’eau s’est refermée sans une ride. Reculez spectres qui tendez vos mains décharnées vers moi pour me saisir et m’entraîner dans es abîmes noirs et lointains d’où l’on ne revient plus ! Laissez-moi en paix, ombres de l’obscurité et du mystère cachées dans les forêts, dans les gorges et les cascades des montagnes, aux coudes sinueux des fleuves sur les dunes marcheuses de la mer du Nord et de l’Océan, dans l’encoignure de chaque porte, dans chaque angle sombre pour me guetter, la nuit, et vous repaître de ma chair blanche et sans défense.

Mais allez donc parler de cela à des gens raisonnables qui se vantent bien haut d’être sains et normaux. Ils vous riront au nez, très fort :

« Finis, vous diront-ils, les superstitions, les frayeurs nocturnes, les fantômes. Laissons cela aux grand-mères pour effrayer les chérubins. Au panier ces épouvantails qui font sourire notre intelligence d’hommes mûrs et faits. Nous ne sommes plus des enfants, que diable ! Nous savons que les choses sont muettes et inertes, qu’il n’est pas d’animaux sataniques, que les morts ne reviennent pas, que le vent et le tonnerre se mesurent à l’Office National Météorologique. Nous rions des tables qui tournent. Nous plaignons sincèrement les fous et nous prenons bien soin de les enfermer à double tour. Nous sourirons poliment quand on nous parle d’Edgar Allan Poë ou de Nosferatu le Vampire. Tout cela ne peut plaire qu’à des fous, des malades, des anormaux, des morbides ! »

Le cinéma occupe toutes les formes de nos rêves. Il s’est essayé à satisfaire toutes nos aspirations. Il existe donc un « cinéma d’épouvante ».

Les moralistes bourgeois lui ont collé l’étiquette : « Ne peut être placé devant tous les yeux. » C’est le refrain de l’influence dangereuse sur leurs enfants. C’est l’histoire de la dame qui fit une scène au directeur d’un cinéma qui passait Caligari parce que le somnambule avait fait pleurer sa petite fille.

La France de Descartes n’est bien entendue pas représentée dans le groupe réduit des films d’épouvante.
On ne peut citer chez nous aucun effort de ce côté. Les rires qui accueillent ici l’angoisse et le mystère n’y encouragent guère. Encore des films qui deviennent en France comiques !

Dans la chronique des Films perdus, il y aurait une belle place à faire à des films qui ne visant pas à nous angoisser nous ont cependant causé quelques secondes d’effroi et de surnaturel que nous avons retenues au passage. Je pense au rêve de Harry Langdon dans Papa d’un jour où portes et fenêtres battent, tandis que les rideaux s’envolent et qu’une affreuse tête d’homme collée au carreau grimace et ricane dans la lueur intermittente des éclairs.

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Mai 1930

LE MONDE PERDU. – Dans le ciel, le Ptérodactyle, l’immense chauve-souris des époques primitives, vole à lents coups d’ailes espacés, tristes, en ronds immenses. La terreur du premier campement dans le « Monde perdu », environné de mystères et de menaces inconnues. Je pense aussi à certains passages de la Croisière du Navigator, au rêve du Kid, à Wolf’s clothing, et à beaucoup d’autres films, principalement comiques. D’habiles théoriciens n’ont-ils pas soutenu que les origines de la peur et du rire sont identiques, que l’épouvantes cesse et devient rire là où l’inconnu et l’explicable se révèlent explicables et connus.

Les films dits « d’épouvantes » recherchent au contraire le côté mystérieux et fantomatique de la vie. Ils vont au-devant de l’épouvante. Il la provoquent et l’excitent. Ils jouent avec elle de longues minutes. Ils s’efforcent de la gonfler, de la grossir. En vain, elle s’échappe. Leur but est de nous faire peur, mais la plupart ont gâché leur inspiration. Leur épouvante trop attendue, artificielle et composée est moins forte et moins belle. Quelques-uns seulement de ces films dits « d’épouvante » ont su s’écarter des évocations trop réelles de l’humanité. Les autres ont rattaché leurs mystères à des interventions humaines, à des intrigues policières traitées sur un même canevas classique et romantique avec des trucs grossiers et une utilisation particulière de l’éclairage. Je ne puis pourtant pas renier tout à fait ces films qui autrefois m’ont douloureusement angoissé et j’appelle en moi le souvenir de ces trop courts moments, ne fut-ce qu’une seule scène, ou quelques images.

LES TROIS LUMIERES. – Une route sablonneuse entre des pins. Le vent courbe les arbres et fait voler le sable en tourbillons. Dans la côte se traîne une vieille diligence fatiguée. Et voici qu’en haut apparaît celui que nous devinions derrière cette poussière, derrière ce vent. Il est très grand, très maigre. Ses traits sont creusés et douloureux et ses vêtements flottent au vent. Il agite les bras lentement et la voiture s’arrête devant lui. Une vieille femme assise à l’intérieur prend peur descend précipitamment et se signe par trois fois pendant que la voiture s’éloigne cahotante dans la poussière.

LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI.
– Jusqu’à à quand vivrai-je ?
– Jusqu’à l’aube !
Le somnambule glisse le long des murs, le bras droit allongé au dessus de sa tête. La jeune fille dort. Une fenêtre ouverte sur la nuit et le mystère, masquée de rideaux de tulle croisés en bandeaux. La menace approche pourtant malgré la blancheur des rideaux et du lit, silencieusement. César apparaît devant la fenêtre. Il entre avec un coup de vent qui agite les rideaux. Il s’approche du lit. Son ombre gigantesque et armée menace la jeune fille blanche qui dort. Et soudain, brutalement, il la prend aux jarrets et aux épaules à travers ses draps et l’emporte dans la nuit malgré ses cris et les dentelles du couvre-pied qu’il entraîne.

LA CHARRETTE FANTOME. – Les scènes qui closent la bataille au cimetière, au moment où minuit sonne, où la charrette s’avance dans une clarté verte.

L’ETUDIANT DE PRAGUE. – Les trois rencontres de Baldwin avec son image, telle que le diable la lui prit dans la glace, son image qui chaque fois passe inexpressive et disparaît dans une atmosphère irréelle et inquiétant.

LES MAINS D’Orlac. – L’être mystérieux sourit diaboliquement : des deux gantelets articulés qui lui servent de mains, il montre sur son son cou la cicatrice du couperet.

FAUST. – L’invocation du docteur Faust à Satan dans un champ solitaire et maudit. Les visions d’Apocalypse, les démons, toutes les forces mauvaises du mal accourent à son appel dans la lueur aveuglante des éclairs.

LA NUIT MYSTÉRIEUSE. – La maison abandonnée par les vivants, les grands salons déserts aux housses fantômes, le crime mystérieux deviné et redouté derrière tout cela, et la poursuite à travers la tempête, et l’orage dans le jardin à l’abandon illuminé par les éclairs et bouleversé par la chute des arbres.
Les films de Léni sont tous copiés fidèlement sur le film de D.W. Griffith : une maison isolée et inhabitée où des crimes et des disparitions surprenantes s’accomplissent, où rôdent des fantômes et des fous échappés, où la terreur paralyse les hommes, fait hurler les femmes et inquiète le spectateur jusqu’à l’arrivée triomphante de la police américaine qui punit le criminel, remet tout en ordre et permet le baiser final. Le spectateur rassuré peut faire claquer son fauteuil et affronter l’obscurité irréelle de la rue.

LE PERROQUET CHINOIS. – Des ombres transportent un cadavre au long d’un couloir. Une main pend, heurte les murs et les portes, réveille les occupants des chambres qui restent assis sur leurs lits, en proie à l’épouvante.

LA VOLONTE DU MORT. – La promenade du fantôme, la nuit, dans les corridors déserts du château où flottent des draperies, à une allure lente et chancelante, glissement doux au long des parquets. Le fantôme subitement s’agite dans le cadre d’un tableau, glisse le long du mur et tombe tout droit au milieu des héritiers épouvantés. Ce n’est que le portrait du mort, mais les héritiers ont compris que le hasard n’existe pas.
Hors d’un panneau qui s’ouvre brusquement dans le mur, une apparition raidie, convulsée, surgit et s’abat lentement, trop lentement pour obéir aux lois de la pesanteur.
Et l’arrivée des policemen à motocyclette dont les phares trouent la nuit et le mystère.

Dans LE DERNIER AVERTISSEMENT, dans FIGURES DE CIRES, rien.

BLACK WATERS, un récent talkie, où pour la première fois le sonore est utilisé comme adjuvant de l’épouvante.
A minuit, sur les quais déserts d’un port un long gémissement se fait entendre. Dans le brouillard, une apparition imprécise se dessine. Dans l’épouvante du moment un homme murmure comme pour lui-même : « Oh ! The ghost ! »

Engagé jusqu’à la taille dans un hublot, un homme se sent invinciblement tiré en arrière par quelque chose qu’il ne peut voir. Il hurle. Sa face se convulse. Il disparaît peu à peu. Ses gémissements et ses supplications cessent net.

THE TERROR. – La figure inquiétante du domestique, quand, montrant le crapaud, il prononce « C’est Jerry. Il vient souvent nous visiter depuis que le cuisinier est mort. »

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Mai 1930

NOSFERATU LE VAMPIRE. – « Hâte-toi, le soleil se couche ! » L’arrivée au soir au Pays des Fantômes.
Les fantômes viennent à la rencontre de l’homme. Tout ce qui existe d’inquiétant, d’irréel, les vallons creux, les vapeurs, l’ombre des arbres, tout ce que l’on craint confusément au crépuscule, les sentiers à peine frayés, l’obscurité, les loups, les voyageurs pétrifiés, les oiseaux de nuit et la voiture corbillard qui va plus vite que le vent sur une route noire encadrée d’arbres blancs. (Mort aux malins qui y ont vu un négatif.)
Le jour, l’homme erre inquiet dans le château solitaire et vide. Descendu dans un caveau, pris d’une intuition qui ne le trompe pas, il soulève la couvercle d’un sarcophage et découvre Nosferatu, étendu, les mains repliées sur les genoux, les yeux grands ouverts. L’homme tombe à la renverse. Rien n’arrive pourtant. En se traînant, sans pouvoir quitter des yeux le vampire qui pendant le jour dort, il remonte l’escalier, lentement.
Sur le bateau. Un à un les hommes d’équipage meurent d’un mal mystérieux. Le second du navire pris d’une intuition, lui aussi, défonce rageusement à coups de hache les caisses contenues dans la cale. Mais Nosferatu se dresse mécaniquement, les mains tendues en avant, les oreilles écartées, les yeux sanglants. Il se dresse de toute sa hauteur, menaçant l’homme qui, la hache à la main n’ose pas frapper, s’enfuit sur le pont et se jette à la met en arrière. Et maintenant, le vaisseau abandonné, ses voiles gonflées par vent de mort bondit par-dessus les vagues.
Nosferatu a pris possession de sa demeure délabrée et déserte. Chaque soir, il guette de sa fenêtre la femme qui habite en face de lui, jusqu’au jour où à la limite de la résistance elle fera signe au fantôme qui viendra inexorable vers elle. Un coq a chanté et le soleil l’a surpris auprès de la femme : il ouvre les bras comme pour vivre encore, se tord sur lui-même, un peu de fumée qui se dissipe aussitôt.

Seul Nosferatu, fidèle à son inspiration fantomatique et irréelle, conserve jusqu’au bout son atmosphère de mystère et d’épouvante, sans faire intervenir d’explications humaines et logiques. On ne découvre pas à la fin que le Vampire n’est que le chef d’une bande de contrebandiers ou le directeur de la maison de Borniol qui crée des épidémies pour faire marcher son commerce. Jusqu’à sa mort qui n’est pas une mort comme les autres, mais une disparition, Nosferatu reste le fantôme du début et nous maintient jusqu’à la fin dans l’inexplicable.

Que la porte de tous ceux qui ont osé rire devant Nosferatu s’ouvre d’un seul coup, malgré loquets et serrures, qu’ils voient l’ombre fantastique du Vampire s’avancer sur eux, les doigts tendus vers leur gorge !

Tous les autres films dits « d’épouvante » que j’ai cités ont connu la défaillance. Ils sont partis bourrés de bonnes intentions, mais ont toujours tourné court plus ou moins vite. Ils semblent demander pardon au spectateur d’avoir voulu lui faire croire, ne fut-ce qu’un instant, que le mystère, l’au-delà, les forces mauvaises de l’obscurité et des morts pouvaient exister. Ils s’excusent d’avoir osé faire de l’épouvante et cherchent platement à se réconcilier avec le public.

LES TROIS LUMIERES font intervenir une « Mort » bienveillante attristée et mécontente de son métier.
Victime de sa date le film sacrifie l’angoisse du début à des effets décoratifs.

LE CABINET DU DOCTEUR CALIGARI. – Là, on prend bien soin de nous expliquer qu’il s’agit d’une histoire de fous. Comme ça, on comprend ! Le public prévenu n’a plus qu’à rire. Il sait qu’on ne veut pas se moquer de lui, que ce n’est pas vrai.

LA CHARRETTE FANTOME n’est qu’un rêve. (Comme ça tout s’explique, voyez-vous), mais un rêve à tendances humanitaires, sociales et anti-alcooliques. On ne peut que s’émerveiller que ce ne soit pas un navet.

L’ETUDIANT DE PRAGUE, malgré son étrange et attachante histoire n’est qu’un bon film. Son cadre, son Diable et ses amours y sont par trop romantiques. Relisez William Wilson !

LES MAINS D’ORLAC, un mélodrame qui, loin de nous satisfaire, sent à plein nez le Grand-Guignol et le Feuilleton.

FAUST, un sujet trop connu et trop philosophique pour nous émouvoir. La morale n’a rien à faire avec l’épouvante.

Quant à la NUIT MYSTÉRIEUSE et aux films de Leni, ils sont toujours restés à mi-chemin entre le policier et le fantastique. C’est pourquoi ces films, malgré leurs qualités, l’angoisse et la poésie qu’ils dégagent, ne peuvent me satisfaire. Tel est aussi le cas de Black Waters, de Terror, de l’Oiseau de nuit, d’Epouvante. Tous ces films se sont imités et copiés.

Leur inspiration commune remonte à La Nuit mystérieuse de D.W. Griffith. On est arrivé à fabriquer avec des souvenirs et un pot à colle un quelque chose qu’on a baptisé du nom d’épouvante. Voulez-vous la recette ? Prenez une maison isolée, une tempête avec pluie et éclairs, une fenêtre qui s’ouvre brutalement en faisant voler les rideaux, des toiles d’araignées, des lampes qui s’éteignent, des ombres menaçantes, des pas sur l’escalier, une disparation ou un crime mystérieux, un cadavre, un passage secret, une menace de fantôme, des éclairages inquiétants.

Tels sont les trucs grossiers avec lesquels on nous « possède ». Nous avons assez de cette mise en scène qui vise à tout rendre mystérieux, choses et gens, dans la seule fin de nous dérouter, au moyen d’éclairages obscurs et anormaux et du culte du délabré. Nous dénonçons ce truquage de fête foraine auquel nous nous sommes si souvent laissés prendre, quand on a misé sur lui seul pour nous faire peur. Il ne suffit pas pour nous angoisser d’une technique particulière autour d’un scénario où l’on a voulu faire entrer de force de l’épouvante. Que les metteurs en scène ne nous prennent pas pour plus bêtes que nous ne sommes réellement. Leur épouvante enfle des joues de pantins ! Tous ces films d’épouvante américains de série se rattachent en réalité aux films policiers. Ils ne sont que des mystères policiers traités selon une technique particulière et c’est dans le caractère américain qu’on trouvera les raisons d’un tel compromis.

Le peuple américain qui a produit Edgar Poë sans s’en douter ne semble pas devoir mieux comprendre l’épouvante que ne le fait le peuple français. Il est nécessaire d’intercaler dans le mystère de grosses scènes comiques dont des vieilles dames ou des domestiques nègres feront les frais. Il faut une intrigue amoureuse qui finisse bien, un assassin palpable, humain, qu’on arrête à la fin pour que les honnêtes gens rassurés puissent s’en aller dormir sur leurs deux oreilles. Il faut des policemen rapides et forts, il faut prouver que les maisons de fous sont bien tenues, que les contrebandiers sont punis, on un mot que les heureux citoyens des United States of America sont parfaitement défendus contre dangers et mystères de toutes sortes, par une police débrouillarde, active et bien organisée.

Parfois, malgré la stupidité d’un tel scénario commercial et imposé, le metteur en scène s’il sent « épouvante » est capable de tirer quelques passages mystérieux et angoissants. J’ai cité ceux qui m’avaient le plus particulièrement touché.

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Mai 1930

Et voilà qu’aucun de tous ces films, si j’en excepte Nosferatu le Vampire, ne m’a satisfait complètement.
Peut-être même Nosferatu est-il trop compliqué pour moi.
Tout cela n’a jamais été de la véritable épouvante. L’épouvante véritable s’écarte bien davantage de l’odieux plan du réel, de l’humain ou du psychologique.
Ce que je demande, c’est la peur, la véritable peur, réflexe intime et angoissant, incompréhensible qui n’a pas et ne peut supporter d’explications ou de sous-titres.
Or, pas un metteur en scène qui osera réaliser un véritable film d’épouvante, si même il ose le concevoir, car son épouvante à lui, c’est le public !
Ce ne sont pas là les vrais films d’épouvante, ceux qui je souhaite tout bas sans oser les formuler, tout haut, car ils me feraient peur, mais dont j’écris parfois les scénarios, en cachette de moi-même.

*

Dans un pays inconnu et sauvage, un village sur lequel plane un vol de corbeaux. Des maisons délabrés dont les toits s’effondrent. Une église décrépite dont le coq et la croix sont tombés depuis longtemps, sans qu’on sache quand cela s’est passé. Autour, un cimetière, un immense cimetière, sans pierres tombales, au sol bossué par les innombrables corps qui font semblant d’y reposer. La population est vieille et lugubre.
Les gens vous regardent d’un air désespéré et farouche. Si vous leur parlez, ils détournent la tête et passent leur chemin. Si vous les arrêtez par le bas ou par le coin de leur manteau qui flotte au vent (il y a toujours du vent là-bas), vous ne poursuivez pas parce que l’étoffe se déchire ou parce que leur contact vous fait reculer. Les animaux vont seuls à l’abreuvoir. Les chiens n’avoient pas. Les oiseaux ont déserté le pays.
Seul dans le ciel tournoie un lourd vol de corbeaux. Un silence, un silence effrayant qu’interrompent seules la lente désagrégation des murs et la chute des ardoises sur le pavé.
Affolé, hagard, un homme fuit droit devant lui (c’est peut-être moi), hors du regard de ces hommes fantômes, sans voir au passage l’immense cimetière dont les tombes s’agitent. Droit devant lui, il court sur la route toute droite qui se perd à l’horizon dans un vallon noir. Derrière lui, la poussière vole en tourbillons et les arbres se couchent. Rien sur la route solitaire que son ombre qui fuit. Pas d’autre bruit que celui de ses souliers épouvantés et de sa respiration. Et soudain, là-bas, un poteau. L’homme se hâte vers ce poteau indicateur qui peut-être lui apprendra où il se trouve.
Et voici qu’il arrive au pied de l’écriteau et qu’il lit d’une voix mourante : ROUTE SUR LAQUELLE IL NE PASSE PERSONNE. Et l’homme s’abat foudroyé au pied du poteau.

Dans le ciel, un corbeau l’a aperçu et descend sur lui en ronds immenses.

JEAN-PAUL DREYFUS

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Critique de EPOUVANTE (Something Always Happens) réalisé par Frank Tuttle (Paramount).

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Février 1930

paru dans La Revue du Cinéma du 1er Février 1930

L’écran s’allume sur une tête de mort surmontée du titre : Épouvante et déjà je soupire d’aise au fond de mon fauteuil. J’attends l’épouvante. Je suis venu pour elle, amoureux de cette angoisse artificielle et douloureuse.

Épouvante de l’isolement, des corridors vides dont les rideaux flottent, des courants d’air qui éteignent les lampes de la présence devinée au coude du couloir ou sentie derrière soi si intensément que l’on n’ose plus se retourner, du silence que n’interrompt pas la danse macabre, mais un bruit plus effrayant qu’on n’objective pas, tandis que le cœur bat en rafales et que l’on souhaite de toutes ses forces la place de l’Opéra à Midi… L’envie de ne plus bouger, de se cacher sous des couvertures, de s’enfuir, d’être beaucoup, de voir arriver la Police, de se heurter à un danger humain contre lequel on pourrait se défende avec des coups rusés et mauvais…

Je n’ai pas retrouvé dans Épouvante, ces angoisses bienheureuses. Jamais je n’ai été mêlé au drame, jamais je ne me suis reculé au fond de mon siège pour fuir, jamais je n’ai pétri au hasard de ma peur les bras de mon fauteuil ou de mes voisines. On a pourtant accumulé dans ce film tous les procédés dont s’étaient servi les aînés pour faire peur ! Mais on ne commande pas un film d’épouvante à un metteur en scène qui n’a jamais eu peur que des lois morales, sociales ou policières ! On ne fait pas un film d’épouvante avec un trucage de fête foraine, pas plus qu’avec une fastidieuse d’Edgard Pöe, Griffith, Murnau, Paul Léni, ont placé ce genre tellement haut qu’ils nous ont rendu difficiles. On ne nous effraye plus maintenant avec le moulin hanté de Luna Park.

Le scénario trop réel se prête mal à un film d’angoisse : une jeune américaine (Esther Ralston) amoureuse de son fiancé mais surtout du romanesque, passe l’été au château de ses futurs beaux-parents et s’ennuie.
Au lieu d’embrasser son fiancé elle fait des sous-titres et ose souhaiter l’imprévu : la porte s’ouvre à deux battants sur un groupe de policemen. Effet agréable que détruisent des sous-titres explicatifs. Les policemen sont sur la piste d’un bandit chinois qui en veut à un saphir ; orgueil du futur beau-père. L’intrépide Américaine s’écrie : « Eh bien, qu’il y vienne ! » Elle dit, et aperçoit par la fenêtre une inquiétante figure asiatique. Second effet, déjà moins saisissant. Nous avons le temps de reconnaître celui qui jouait le détective dans Le Perroquet Chinois. Le jeune homme et sa fiancé décident d’aller porter le saphir à Londres, en auto, pour le mettre en sûreté. Bien entendu l’auto s’égare. Tempête. Une maison isolée où disparaissent sans laisser de traces chauffeur et fiancé qui vont aux renseignements. La jeune fille va s’y réfugier à son tour.

Nous retrouvons alors la vieille demeure hantée, aux meubles garnis de housses fantômes, où les portes se referment seules, où fleurissent les toiles d’araignées. Nous retrouvons le cadavre qui tombe du placard, les portes qui refusent de s’ouvrir et tout à coup s’ouvrent, la tenture qui frissonne, la main qui va étrangler, le chat noir aux yeux de braise, les bruits de pas étouffés qui descendent l’escalier, rappelle en beaucoup moins hallucinant celle de Metropolis dans les catacombes.

Mais… ce n’était qu’une farce montée par le fiancé et deux complices, farce qui tourne au drame avec l’arrivée du Chinois et de sa bande : coups de poignards, coups de revolvers, coups de matraques. Les jeunes gens sont contraints de livrer le saphir que l’Americaine avait caché dans la pochette de sa jarretière. Mais une porte s’ouvre, des canons de carabine brillent. Police. God save the King. La jeune fille se déclare guérie du Romanesque et des Aventures.
Oui, mais nous pas !

Où est Nosferatu, sa voiture fantôme, la manière brutale, mécanique, inhumaine qu’il avait de se lever de son cercueil que le Second du navire l’avait ouvert d’un coups de hache ? Où est l’angoisse hallucinante de la Nuit mystérieuse ou de la Volonté du mort ? Qu’allons nous devenir maintenant que Nosferatu est brûlé, que Griffith n’a plus rien à dire, que Paul Léni est entré pour de bon dans le fantomatique et l’au-delà ?

Qui reste-t-il ? Personne. Où sont nos effrois, nos angoisses, nos sueurs froides ? Dans nos souvenirs !

JEAN-PAUL DREYFUS

 

Source : <em>Collection personnelle Philippe Morisson</em></a>

Pour en savoir plus : 

La page sur Jean-Paul Le Chanois sur le site Le Maitron.

La page sur Jean-Paul Le Chanois sur le site Musée de la Resistance en ligne.

La page sur Jean-Paul Le Chanois sur le site Ciné-Archives qui contient de nombreuses archives vidéos de films documentaires comme GRÈVES D’OCCUPATIONS (1936), LA VIE EST A NOUS(1936), TEMPS DES CERISES (1937).

La Nuit mystérieuse (One Exciting Night) de D. W. Griffith (1911).

 

Extrait des Trois Lumière (Der müde Tod) de Fritz Lang (1921)

 

Un extrait de Nosferatu de Murnau (1921)

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