Pour ce nouveau post, nous continuerons à explorer les débuts du cinéma avec les écrits du journaliste et scénariste Pierre Laroche.
Pierre Laroche c’est le scénariste, avant tout, aux côtés de Jacques Prévert du film de Marcel Carné, Les Visiteurs du soir .
La première collaboration entre Laroche et Prévert date de 1939 sur le film de Christian-Jaque, L’Enfer des anges.
On les retrouve ensemble sur plusieurs films durant la guerre dont Lumière d’été, de Jean Grémillon.
Mais Pierre Laroche travaillera également sur les dialogues des films de son épouse, l’une des rares réalisatrices de cette époque : Jacqueline Audry. L’un des derniers films sur lequel il travailla (scénario et dialogues) fut Le Monocle noir de Georges Lautner en 1961.
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Pierre Laroche écrivit également dans le journal satirique Le Merle Blanc, où il sympathisa avec un autre journaliste, qui deviendra l’un des plus grands dialoguiste du cinéma français : Henri Jeanson.
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Voici la notice biographique à propos de Pierre Laroche que l’on retrouve dans Les Cahiers de Radio-Paris :
Pierre LAROCHE, journaliste, romancier et auteur de pièces radiophoniques.
Critique cinématographique du Radio-Journal de France.
Romans : Equation réduite à zéro — Le Borgne.
Pièces radiophoniques (en collaboration avec Pierre Roland) : X. Y. Z. — La Grand’Vergue — Photogénie.*
C’est, en effet, en 1938 que nous retrouvons Pierre Laroche avec cette série de “quatre causeries”, comme il est indiqué sur le programme, qui sont des conférences données dans l’auditorium de la Compagnie française de radiophonie d’avril 1930 à octobre 1939 pour Radio-Paris, 11 rue François 1er, Paris, 75008.
Attention à ne pas confondre avec la radio du même nom, organe de propagande nazi de 1940 à 1944.
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Pierre Laroche donnera ses conférences sous l’intitulé “Du cinéma muet au cinéma parlant” les 19 mai et 2, 9 et 16 juin 1938.
Elle furent retranscrites pour la revue annuelle Les Cahiers de Radio-Paris. Cliquez sur les titres pour y accéder directement :
Naissance du Cinéma,
Georges Méliès,
Le film d’art,
Le comique cinématographique : Rigadin, Max Linder.Puis, à l’automne, le 29 septembre 1938, Pierre Laroche en donnera une autre, Le cinéma étranger d’avant-guerre consacré au cinéma étranger d’avant 1914 (italien, russe, allemand, américain).
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Signalons que Pierre Laroche donnera une autre série d’émissions, Le cinéma européen pendant la guerre, les 6, 13, 20, 27 octobre 1938 dont nous n’avons malheureusement pas retrouvé trace dans Les Cahiers de Radio-Paris des mois qui suivirent.
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Pour finir, signalons que l’on retrouve, en 1938, plusieurs autres conférences signés du futur critique, producteur et cinéaste Roger Leenhardt, que nous retranscriront peut-être si cela vous intéresse, intitulé : L’art de l’écran : Le cinéma, art du rythme ; Photographie et cinématographie ; Petite stylistique cinématographique ; Conquêtes du cinéma.
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Bonne lecture…
DU CINÉMA MUET AU CINÉMA PARLANT par Pierre Laroche
paru dans Les Cahiers de Radio-Paris du 15 septembre 1938
Naissance du cinéma par Pierre Laroche
Le cinéma est né le 28 mars 1895.
Ce jour-là, les frères Louis et Auguste Lumière présentèrent à la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale, à Paris, la « Sortie des Usines Lumière à Lyon Montplaisir », une courte « bande » de 17 mètres qui reste impérissable au même titre (sinon pour les mêmes motifs) que l’œuvre d’un Charlie Chaplin ou d’un Erich von Stroheim. En effet, la « Sortie des Usines Lumière » dont la projection ne durait pas tout à fait deux minutes, est le premier film réalisé dans le monde. C’est, à ce titre, un document inappréciable et je ne puis malheureusement vous affirmer qu’il ait été conservé. Vous savez, mes chers auditeurs, que la pellicule cinématographique est périssable. D’ailleurs, bien peu nombreux sont les hommes qui se soucient de conserver cette trace de notre activité pour les générations à venir !
Et c’est grand dommage pour les curieux de témoignages humains, sans même parler de l’indiscutable qualité artistique des chefs-d’œuvre de l’écran.
L’unique représentation donnée à la Société d’Encouragement, l’avait été sur invitations adressées au monde scientifique. Elle souleva le plus vif intérêt auprès des savants; mais, malgré quelques articles de presse dont la plupart furent d’ailleurs publiés dans des journaux et des revues scientifiques, le grand public n’eut vraiment la révélation du cinématographe (comme l’on disait alors… maintenant nous avons abrégé !) qu’à la fin de la même année 1895.
La première représentation publique et, naturellement, payante (les entrées étaient tarifées 1 franc) eut lieu dans le sous-sol du Grand Café, boulevard des Capucines. Le premier cinéma mondial a donc été une salle des boulevards parisiens. Aujourd’hui, entre la Madeleine et le carrefour Richelieu-Drouot, on peut compter sept grands cinémas d’exclusivités et presque autant de salles d’actualités ; un music-hall fameux, l’Olympia, est un cinéma… et il y a déjà plus de dix ans que le célèbre théâtre du Vaudeville a été acheté par une puissante compagnie américaine.
Je ne pousse pas ici un cri de victoire. Personnellement, je déplore encore la disparition du Vaudeville et, je crois, malgré certaines confusions à mon sens regrettables, que le cinéma et le théâtre sont deux arts essentiellement différents qui ne gagnent rien à se fréquenter. Mais il est inutile de nier l’évidence et la place considérable prise dans nos mœurs par le cinéma, même en évinçant les spectacles rivaux quelque peu délaissés au profit d’un art nouveau et populaire toujours par le prix de ses places et quelquefois par la médiocre qualité de ses films.
Le premier spectacle cinématographique donné au Grand Café se composait de documentaires et de la sorte la plus touchante, puisque les Lumière, après avoir filmé la sortie de. leurs usines s’étaient attachés, tout naturellement, à photographier des scènes familiales où ils figuraient avec leurs femmes et leurs amis.
Les spectateurs assistaient aussi, avec effroi dit-on, à « l’Arrivée du train en gare de La Ciotat » et « Une Baignade en mer » les émerveilla par son réalisme.
Ces séances qui duraient environ 20 minutes et se composaient d’une dizaine de petits films, connurent immédiatement le plus vif succès, donnèrent de bons résultats commerciaux et les salles de cinéma se multiplièrent… déjà !
On projetait des films au salon du Café de la Paix, du Petit Journal, au Musée de la Porte Saint-Martin, au passage de l’Opéra, chez Dufayel, etc… Pour augmenter l’impression de réalité, un « bruiteur », caché aux yeux du public à l’aide d’un paravent qui dissimulait également des instruments bien curieux, essayait d’imiter les bruits les plus divers, aussi bien le galop d’une troupe de chevaux emballés que le grondement d’un train en marche.
Le résultat n’était pas toujours très… très probant, mais le public n’était pas encore très… très difficile et ne marchandait pas ses applaudissements au bruiteur.
Quant à l’orchestre, il était réduit à sa portion la plus congrue : un simple piano dont l’animateur, avec un goût personnel, cherchait à adapter la musique aux images projetées sur l’écran. Ce n’était pas toujours très original, mais, je vous le répète, les spectateurs venaient plus pour voir que pour entendre. Chacun y trouvait son compte.
Né avec le documentaire, le cinéma grandissant découvrait bientôt l’un de ses principaux modes d’expression ; les actualités.
« Les funérailles de la Reine Victoria », réalisées pour le compte des frères Lumière par leur agent général Promio, fut l’un des premiers reportages cinématographiques, comme le célèbre « Arroseur arrosé » passe pour le premier film comique, sans que son antériorité soit bien nettement établie.
Avec le succès, les Lumière connurent la concurrence. Léon Gaumont et Charles Pathé débutèrent comme leur précurseur avec des documentaires et des actualités auxquels ils ajoutèrent bientôt des scènes pittoresques : « La partie de canot », « Les Forgerons », « Chez le coiffeur », etc…
Tous ces petits films, dont la dimension était restée la même (de 17 à 18 mètres) étaient réalisés aussi bien en noir qu’en couleurs et se louaient aux exploitants à des prix extrêmement bas : environ 2 francs le mètre pour les films en noir et le double pour les films en couleurs.
Les exploitants étaient les propriétaires ou les locataires des quelques salles nommées ci-dessus et, aussi et surtout, les forains.
A sa première époque, le cinéma était une attraction de foire.
Quelques mots, maintenant, pour expliquer ce qu’était, avant 1900, le cinéma en couleurs. Il peut, en effet, sembler curieux d’entendre dire que, dès ses débuts, le cinéma comportait des films en couleurs, alors qu’en 1938 seulement la technique de la couleur semble à peu près au point.
Il faut bien comprendre que ces films de l’époque héroïque ne devaient rien aux procédés de la technicolor actuellement en usage et qui permettent, jusqu’à un certain point d’ailleurs, de photographier directement et d’obtenir des images reproduisant les couleurs naturelles de la vie.
Il s’agissait, alors, de coloriage. Il existait deux ateliers parisiens spécialisés dirigés par deux femmes : Mme Thuillier et Mlle Chaumont, qui employaient un assez grand nombre de coloristes dont chacun était spécialisé à son tour : L’un se contentait d’appliquer la couleur rouge, l’autre la bleue, etc… Les ateliers américains de dessins animés ne sont pas conçus sur une autre méthode. Un dessinateur anime uniquement le chien Plutô, un autre Donald le fameux canard et ainsi de suite. Encore faut-il ajouter que ces dessinateurs sont devenus des chefs d ‘ateliers, avec, sous leurs ordres, un nombreux personnel.
Mais il est curieux d’observer qu’un grand cinéaste moderne : René Clair, interviewé sur le cinéma en couleurs, n’a pas hésité à déclarer qu’il croyait que le moment était venu de réaliser des films coloriés… au lieu de se borner à la représentation exacte du monde vivant. Ainsi, l’auteur du « Million » en revient-il à la première époque cinématographique de la couleur !
Il est d’ailleurs certain qu’un technicien aussi averti et un poète des images aussi délicieux que René Clair, saurait réaliser, grâce à ce vieux procédé perfectionné à l’aide de la technique moderne, des oeuvres que nous devinons charmantes, créatrices de rêve et de merveilleux. Mais il ne peut s’agir que d’un divertissement d’artiste, d’un plaisir délicat d’esthète. L’avenir du cinéma en couleurs n’est pas là, même si nous devions le regretter.
Parallèlement à l’invention des frères Lumière, se poursuivaient en Amérique les recherches d’Edison qui, en 1895, avait inventé un appareil de projection qu’il avait baptisé « le kinétoscope ».
Dans le même temps, deux autres Américains : Thomas Armat et Jenkins, créaient un autre appareil : le Vitascope, dont la présentation au monde scientifique eut lieu en juillet 1895, donc plusieurs mois après la représentation initiale des frères Lumière à la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale. Il semble donc que c’est bien en France que nous pouvons nous enorgueillir de la primeur de cette découverte qui n’a point encore achevé de nous émerveiller.
Edison constitua une société où entrèrent Armat et Jenkins et cette société se mit en devoir d’exploiter un appareil de projection qui bénéficiait des avantages de ses deux prédécesseurs américains : le kinétoscope et le vitascope.
La première représentation publique eut lieu le 12 avril 1896 au Koster and Bial’s Music-Hall, précédant de quelques semaines l’arrivée sur le Nouveau Continent des films de Louis Lumière dont la première projection eut lieu à New-York, à l’Eden-Musée (une sorte de Musée Grévin).
Bien entendu, Edison souleva contre ses concurrents étrangers une violente campagne qui aboutit à la fermeture du marché américain aux frères Lumière. Débarrassée de ces intrus, leur production, à l’abri de solides barrières douanières, devait, pendant de longues années, rester à la remorque de nos créateurs. Nous y reviendrons plus tard, quand nous étudierons le cinéma américain.
C’est, je crois, Léon Gaumont qui tourna chez nous le premier film essayant de raconter une histoire aux spectateurs.
Ce film s’intitulait Les méfaits d’une tête de veau et il avait, été réalisé en studio devant un décor : une toile peinte qui représentait naïvement une rue de Belleville. Sa vedette féminine était Mme Alice Guy et deux mécaniciens du studio jouaient les jeunes premiers.
L’histoire était évidemment d’une simplicité désarmante, mais Léon Gaumont venait d’inventer le scénario, un nouveau mode d’expression dont, actuellement, Jacques Prévert, Henri Jeanson, Marcel Achard, Charles Spaak, Simon Gantillon, B. Zimmer, J. Natanson et quelques autres écrivains n’ont pas à se plaindre.
Grâce aux « méfaits d’une tête de veau » !
Pierre Laroche
Georges Méliès par Pierre Laroche
Nous avons constaté ensemble que les précurseurs du cinéma, invention française, furent tout d’abord les frères Lumière, puis Léon Gaumont et Charles Pathé.
Les premiers étaient des créateurs et les seconds surent comprendre et commercialiser le cinéma dès son début. Mais à ces noms, il convient d’ajouter celui de Georges Méliès qui, lui aussi, avait saisi l’importance de la technique nouvelle, et sut, partant de la photographie animée, jeter les bases d’un art original. Si les Lumière créèrent les appareils, Georges Méliès créa, de toutes pièces et de ses mains d’artisan, le 7e art. Il vient de disparaître, à peu près dans le dénuement, et c’est avec une profonde émotion que je dédie ce cycle de causeries à sa mémoire.
Georges Méliès, qui avait été peintre, industriel, directeur d’un satirique intitulé La Griffe et même ébéniste, dirigeait, en 1895, depuis plusieurs années, un théâtre de prestidigitation : le théâtre Robert-Houdin, sis 16, passage de l’Opéra.
Dès la présentation des films Lumière, il se précipita chez Auguste Lumière pour lui acheter son invention. Mais il se heurta immédiatement à un refus… et un refus motivé par des raisons inattendues : Auguste Lumière ne croyait pas à l’avenir commercial du cinéma. Il y voyait surtout un élément de curiosité scientifique sans aucun prolongement.
C’est ainsi que les intelligences les plus lumineuses peuvent se tromper du tout au tout.
Heureusement pour les spectateurs actuels du cinéma, Georges Méliès ne se découragea pas et puisque, malgré son désir, il ne pouvait travailler avec les Lumière, il commença par projeter les films américains d’Edison dans une salle du boulevard des Italiens et, son entreprise ayant rencontré le succès le plus immédiat, il poursuivit ses efforts et devint producteur pour son propre compte.
Il fut influencé dans son nouveau métier par son expérience de prestidigitateur. Le cinéma, avec ses ressources immenses, dont Georges Méliès, le premier, avait pressenti les possibilités, offrait au propriétaire du théâtre Robert Houdin le moyen de développer ses spectacles en y ajoutant le fantastique cinématographique. Ce fantastique dont Pierre Mac Orlan devait écrire en 1926 : « qu’il se mêle souvent à l’aventure et permet, à défaut d’explication, des hypothèses ingénieuses et des créations graphiques particulièrement séduisantes ».
Georges Méliès, dès ses débuts de producteur, réalisa, dans son atelier de Montreuil, son premier Voyage dans la Lune, bientôt suivi de L’escamotage d’une dame au théâtre Robert Houdin, où il unissait pour la première fois les ressources du prestidigitateur à celles toutes nouvelles du cinéaste.
Ses deux films ayant été très appréciés, il réalisa encore L’Auberge ensorcelée, Le Manoir du Diable, Le Cabinet de Méphistophélès, Orchestre, puis, au début de 1897, le chanteur Paulus, alors en pleine vogue, vint demander à Georges Méliès de le filmer tandis qu’il chantait son répertoire. Seulement, à cette époque, tout était photographié en plein air et Paulus, pour des raisons qui nous échappent d’ailleurs, refusa de chanter en plein vent.
Georges Méliès, qui n’en était pas à un subterfuge près, peignit un décor, éclaira violemment ce décor devant lequel vint se placer le chanteur et, pour la première fois, tourna un film en studio.
Ce petit film, dont la projection était soutenue par un phonographe à rouleau sur lequel Paulus avait enregistré la chanson qu’il mimait à peu près au même instant sur l’écran, eut un vif succès.
Et les immenses studios photographiques d’Hollywood, comme les studios européens, les studios français de Joinville ou d’Epinay existent actuellement pour cette seule raison : un jour lointain de 1897, un chanteur de café-concert refusa de chanter en plein air et obligea Georges Méliès à le satisfaire.
Dès 1898, Georges Méliès connut le grand succès avec une série de dix films où il racontait l’affaire Dreyfus. Ces films de vingt mètres portaient des titres propres à frapper l’imagination populaire : La dictée du bordereau, L’Ile du Diable, La Dégradation, etc…
Ils avaient été réalisés avec des moyens de fortune dans le studio de Montreuil. Il est vraisemblable que l’acteur chargé du rôle du colonel Dreyfus, dès les prises de vues terminées, s’activait à diverses besognes matérielles, peignait les décors en compagnie de Méliès ou délimitait le champ de l’appareil à l’aide de ficelles tendues au sol.
Ces films s’apparentaient de très près à l’imagerie naïve du Supplément illustré du Petit Journal. Or, à l’époque, ces livraisons portaient chaque semaine à leurs lecteurs une vue très particulière des grands événements historiques et aussi, sinon surtout, des faits divers criminels, du bel assassinat décoratif et de la catastrophe provoquée ou non.
Le cinéma ne pouvait manquer de s’engager dans cette voie que les films de gangsters qui nous vinrent d’Amérique semblent avoir suivie jusqu’à son dernier carrefour.
A la fin du siècle qui précéda le nôtre, les gangsters s’appelaient encore des « apaches » et les mitraillettes n’avaient pas détrôné le « surin ».
C’est Charles Pathé qui, avec Zecca, exploita le premier cette veine commerciale, avec L’histoire d’un crime, qui se terminait par une exécution capitale suivant les meilleures traditions mélodramatiques. Ajoutons que le spectacle de la guillotine fut interdit et qu’ainsi se manifesta pour la première fois la « Censure » dont, depuis cette époque, on eut l’occasion de reparler.
Dans le genre « grands événements historiques », on reconstituait au studio L’Assassinat de la famille royale de Serbie, celui du Président Mac Kinley, La catastrophe de la Martinique, et Georges Méliès usait des truquages qu’il inventait chaque jour pour perfectionner la véracité apparente de ses films.
A ce sujet, l’on raconte que Méliès eut la révélation des possibilités infinies du truquage cinématographique par accident : Un jour qu’il tournait la circulation des voitures place de l’Opéra, son appareil de prises de vues eut une panne et pendant qu’il le réparait, des images inattendues vinrent s’inscrire, par l’objectif resté ouvert, sur la pellicule photographique.
Au développement, Méliès s’aperçut qu’un fiacre s’était métamorphosé en corbillard… un corbillard précurseur dont René Clair devait se servir à nouveau dans une fantaisie d’après-guerre intitulée Entr’acte.
C’est peut-être cette aventure où le hasard tenait une si grande place qui nous valut les grandes réalisations féeriques de Méliès qui, abandonnant les films de court métrage, se lança dans les superproductions qui atteignaient jusqu’à 400 mètres.
Il commença par les beaux contes qui charmèrent notre enfance : Cendrillon, Le Petit Chaperon rouge, Barbe-bleue. Comme l’art est un éternel recommencement, Jean Painlevé et le sculpteur René Bertrand, qui viennent de créer un nouveau mode d’expression cinématographique : la photographie des statuettes plastiques, ont choisi comme sujet de leur premier ‘film un conte de Perrault : Barbe-bleue.
Mais le Barbe-bleue de Jean Painlevé et René Bertrand bénéficie des derniers perfectionnements de la technique moderne. C’est un opéra-bouffe, parlant, chantant et réalisé en couleurs. Les féeries de Méliès se contentaient d’utiliser, avec une grande habileté d’ailleurs, tous les trucs, les subterfuges et les mille inventions cocasses et charmantes de l’ancien directeur du théâtre Robert-Houdin.
Bientôt le domaine des contes enfantins ne suffit plus, à l’activité débordante de Méliès et il aborda l’anticipation scientifique.
De cette époque datent Le Voyage dans la lune, Le raid Paris-Monte-Carlo, Le Voyage à travers l’Impossible, 20.000 lieues sous les mers, Les 400 coups du Diable, etc…
Bien plus tard, un grand metteur en scène étranger- : l’allemand Fritz Lang, après avoir tourné La Mort de Siegfried, réalisera Métropolis… suivant le même cycle que Georges Méliès.
Georges Méliès qui a ouvert toutes les voies… et vient de mourir pauvre.
Pierre Laroche
Le Film d’art par Pierre Laroche
PENDANT que Georges Méliès se spécialisait dans la féerie et les anticipations, Pathé, encouragé par le succès de son Histoire d’un Crime dont je vous ai parlé jeudi dernier… Pathé songeait à exploiter cette veine assez peu honorable du film « réaliste ».
Dès 1902, il réalisait Les Dessous de Paris, une bande dont la longueur atteignait cent cinquante mètres et dont voici le scénario tel que le reproduisent Maurice Bardèche et Robert Brasilach dans leur Histoire du Cinéma.
« Cette scène illustre magistralement la vie inconnue des bas-fonds de la capitale : elle montre à l’œuvre les redoutables apaches, terreur des habitants de Paris. En huit tableaux d’un réalisme saisissant, nous avons un aperçu complet des dessous de Paris et de leurs sinistres habitués.
« Deux heures du matin. — Les audacieux bandits profitent de la nuit obscure, soulèvent la lourde plaque d’une bouche d’égout et disparaissent sous terre. (Reproduction d’un grand égout collecteur.) La bande chemine jusqu’à la cave d’une maison de banque et enfonce un pan de mur marqué d’avance. Ils font irruption dans la cave. On voit le plancher céder sous les coups répétés des voleurs et, un à, un, ils apparaissent. Le coffre-fort leur est une proie facile. Ils descendent le coffre dans la rue et l’emmènent.
« Au petit jour sur les fortifications. — Les fortifications, ce rendez-vous de tous les dangereux écumeurs du pavé parisien, sont le lieu choisi par les bandits pour le partage du butin.
« Le coffre éventré gît sur l’herbe ; les sacs d’or qu’il contient passent de main en main ; des femmes sans aveu, tristes chevalières des bandits, assistent à l’opération. Mais, prévenus, les agents surgissent et par une manœuvre habile dont on suit les moindres détails cernent la bande. Après une lutte opiniâtre, les bandits sont capturés et l’un des plus redoutables engage avec le chef des policiers un combat en règle.
« Cette scène très mouvementée plaira par son réalisme vécu.
Il est du plus haut intérêt de suivre dans ses péripéties un des coups de main tentés journellement par ces audacieux bandits qui font la terreur des commerçants parisiens et le désespoir des policiers. »
A peu près dans le même temps, Charles Pathé présentait le premier film psychologique : L’Ecole du malheur, qui était tout imprégné de l’esprit le plus résolument feuilletonesque. Nous sommes, ne l’oublions pas, à l’époque où Henry Bataille triomphe sur toutes les scènes parisiennes et la production cinématographique offre à son public une image déformée et encore amoindrie des succès de l’auteur à la mode. Les scenarii, s’ils ne s’inspirent pas directement des œuvres d’Henry Bataille, en conservent l’esprit et l’esthétique. On tourne L’Age du cœur, Un Roman d’amour,
La Désespérée.
Et Charles Pathé sortait déjà la première version cinématographique de Quo Vadis qui fut un échec retentissant, mais ouvrit la voie à une série de films religieux suivant un exemple venu d’Amérique ou La Passion tournée à Oberammergau par un représentant des frères Lumière avait connu un succès triomphal auprès du public puritain.
On tourna donc chez nous plusieurs films sur la Passion et la vie de Jésus…, films qui offraient le spectacle un peu étonnant du plus bas esprit de lucre exploitant le domaine de la piété. Les autorités religieuses finirent par s’en inquiéter et, en 1913, le pape Pie X blâma la représentation des scènes empruntées aux évangiles.
Il n’empêche que l’année suivante, en 1914, on réalisait encore une Passion dans les studios Pathé !…
Je passerai rapidement, pour des raisons faciles à comprendre, sur une forme d’expression cinématographique qui connut un assez
grand succès à l’époque. Il s’agit de petits films qui s’intitulaient par exemple, Le coucher de la mariée, La belle mondaine dans son bain, Déshabillés féminins…, etc…
Aux côtés de ces manifestations assez méprisables, un chercheur, Emile Cohl, invente le dessin animé.
Emile Cohl qui, dès 1907, présentait le premier dessin animé sur pellicule : Fantasmagorie, vient de mourir et il est mort pauvre tout comme Georges Méliès, quelques mois avant la triomphale apparition sur les écrans parisiens du chef-d’œuvre de Walt Disney, Blanche neige et les sept nains.
Et l’on peut dire que le grand artiste américain n’a fait que suivre, avec l’appui des progrès techniques, le chemin frayé trente ans plus tôt par Emile Cohl réalisant seul, à force de patience et de fantaisie, une étonnante parodie de Chantecler.
Mais Walt Disney ne connaîtra pas le triste destin de l’inventeur français. Ce qui est fort heureux pour lui, mais ne risque point de nous rendre plus indulgents pour la négligence de ceux qui ont laissé dans le dénuement, Méliès et Cohl, précurseurs géniaux d’une des industries les plus prospères du monde.
En Amérique, le cinéma vient immédiatement après l’industrie de l’acier.
Nous en arrivons, chez nous, à la période des « Films d’Art », dont on peut discuter l’apport… artistique précisément, mais dont il serait vain de nier l’importance… Dès 1910, Louis Delluc, disparu lui aussi prématurément écrivait :
« S’être aperçu avant n’importe qui en France que le cinéma était ou serait un art, c’est un fier titre de gloire. Les premiers essais de bandes artistiques furent naturellement inspirés de l’histoire.
Des académiciens accouchèrent de scenarii. On se souvient de L’assassinat du duc de Guise écrit par M. Henri Lavedan. C’est M. Le Bargy qui mettait en scène et tournait. Son partenaire était M. Duflos. Il y eut des séances d’art à la salle Charras pour la présentation de ces tentatives sensationnelles (17 novembre 1908). N’y eut-il pas aussi un Retour d’Ulysse imaginé par Jules Lemaître ?
Les journaux illustrés du temps reproduisirent complaisamment des photos ou croquis de ces journées de travail, où des sociétaires de la Comédie-Française avaient consenti à jouer au cinéma. Mme Bartet et Paul Mounet, Ulysse et Pénélope, en étaient les vedettes.
« Je n’insiste pas sur le mérite qu’il y avait à ces recherches d’art. Elles n’eurent pas le succès qu’il fallait. Elles n’eurent surtout pas les concours voulus. Pour continuer ce mouvement et parachever de telles ébauches. Il était besoin de l’intelligence de tous.
Or, la majorité des collaborateurs d’alors ne donnaient pas leur cœur ou leur esprit. Les acteurs surtout s’accordèrent à ne rien comprendre au cinéma. Leur sottise devint du mépris. Ils sont pour beaucoup responsables des années perdues. Quelques-uns d’entre eux pouvaient voir et agir. Encore eût-il fallu les y aider. Mais rebutés par ce travail ingrat des premiers films, ils y renoncèrent. »
Pourtant, vers 1911, Les Films d’Art produisent : Camille Desmoulins, avec Mme Lara et M. Dehelly… Madame Sans-Gêne, avec Réjane… Louis XI, avec Paul Mounet.
Puis vinrent :
La Robe rouge, avec Mme Delvair et M. Huguenet… Blanchette… La Grande Marnière… La Dame aux Camélias, avec Sarah Bernhardt… Théodora… Serge Panine… Papillon dit Lyonnais le Juste… Le Maître de Forges… Les Trois Mousquetaires… Miquette, avec Eve Lavallière… Les Flambeaux… L’instinct, mis en scène par Pouctal et interprété par Raphaël Duflos et sa femme Huguette… Werther, avec André Brûlé… La Tosca… Le Lys rouge, d’après Anatole France, etc…
Commercialement, le Film d’Art ne fut pas une bonne affaire. Il fit faillite. Il fut racheté par Charles Dulac qui prit comme directeur Louis Nalpas qui patronna les débuts comme metteur en scène d’Abel Gance.
Jusqu’alors celui-ci cherchait sa voie. Il avait été successivement et avec des fortunes diverses : poète, auteur dramatique, comédien, régisseur et scénariste.
Il est amusant de rappeler aujourd’hui où un bon scénario est payé une cinquantaine de mille francs et quelquefois bien davantage, que le prix normal de l’époque ne dépassait guère cent francs… cinq louis comme on disait alors.
Le premier film de Gance fut Un Drame au Château d’Acre, tourné en une semaine pour la modique somme de cinq mille francs.
Le second, La Folie du Docteur Tube, qui était une sorte de Caligari avant la lettre ne fut jamais présenté au public. Les producteurs furent effrayés par l’audace du jeune metteur en scène qui avait usé avec abondance des flous et des images déformantes. Et Delluc, auquel il faut toujours revenir quand on étudie le cinéma d’avant-guerre, était bon prophète en déclarant à propos d’Abel Gance : « Nous verrons quelque jour des films monstrueux de lui. Je ne déteste pas les monstres. Ce seront d’ailleurs des monstres de transition. Car j’ai toujours la conviction que le cinéma français peut attendre beaucoup d’Abel Gance. »
Ce ne sont pas les spectateurs de la Xe Symphonie, de La Roue, de Napoléon, de J’accuse, du Voleur de Femmes qui s’inscriront en faux contre cette affirmation du grand cinéaste disparu.
Mais pour en revenir au Film d’Art dont nous avons suffisamment souligné l’importance historique et où la découverte d’Abel Gance reste exceptionnelle, il faut porter à son débit l’effroyable influence exercée par les acteurs et principalement par ceux de la Comédie-Française qui figèrent pendant plusieurs années un art vivant, un art de mouvement, l’enfermèrent entre cour et jardin, l’ornèrent de tous leurs tics, de toutes leurs traditions scéniques. Les comédiens d’alors ne comprenaient rien au cinéma et ne pouvaient se résigner à en accepter le silence.
Mounet-Sully tournant Œdipe récitait entièrement son rôle devant les décors de toile peinte et la plupart de ses camarades suivaient son funeste exemple. Encore devons-nous nous féliciter que le cinéma parlant ne soit pas inventé à l’époque car nous aurions assisté à des premières théâtrales photographiées sans imagination.
Il n’empêche que venait de se créer un redoutable malentendu dont nous souffrons encore : la confusion de deux arts totalement
différents : théâtre et cinéma.
Ainsi le Film d’Art grâce auquel le cinéma fit un progrès sensible lui apporta aussi une maladie dont il n’est pas guéri trente ans plus tard. Et ceci compense presque entièrement cela.
Pierre Laroche
Le comique cinématographique RIGADIN – MAX LINDER par Pierre Laroche
Dans ma causerie de jeudi dernier, mes chers auditeurs, je vous ai parlé du « Film d’Art » et de son influence sur le cinéma français d’avant-guerre. Aujourd’hui, si vous le voulez bien, nous examinerons ensemble le comique cinématographique de la même époque.
Retenons tout d’abord que c’est encore Georges Méliès qui, le premier, avait songé à faire rire les spectateurs des salles obscures grâce à ses truquages empruntés tantôt aux ressources de son ancien métier de prestidigitateur, tantôt aux plus authentiques richesses d’un art naissant. Mais il se détourna rapidement de la veine comique pour aborder le domaine de la féerie et de l’anticipation.
Dans une remarquable conférence faite au Vieux-Colombier, vers 1926, André Beucler a défini ainsi les éléments du comique cinématographique :
« Il semble que le cinéma nous ait permis de mieux comprendre le comique. Tout est, tout peut être risible ou drôle, hilarant, ridicule ; tout peut être comique : un chauffeur de taxi, un maître d’hôtel, un conférencier. A un moment donné, il faut une toute petite chose, un rien ; un événement insignifiant, un contact presque insensible — que le déclenchement soit extérieur ou intérieur — pour passer de la durée tranquille au rire spontané. Ce rien, le cinéma nous a permis d’en avoir plus nettement l’idée.
Il y a certainement un comique cinématographique, mais il emprunte le même chemin que l’autre pour venir à nous et il est obtenu, par chance, selon les mêmes lois, quand certaines conditions sont parfaitement observées. Et il est plus vrai de dire qu’il y a surtout une forme cinématographique du comique. La puissance du cinéma vient de ce qu’il s’adresse à tous. C’est l’art populaire par excellence. Pour être populaire, il faut faire rire. Or, le comique, c’est ce qu’il y a de plus immédiatement visible. C’est pourquoi, il y a vingt ans, à la naissance du cinéma, on s’est contenté, dans l’espoir de nous frapper, de nous présenter de grosses blagues dont on était sûr de l’effet. On se souvient de l’aventure du potiron qui se mettait à dévaler les rues comme un bolide en renversant les habitants de toutes conditions, après quoi il revenait à son point de départ. Rien
n’était plus élémentaire, mais il y a là des degrés comme dans tout. »
Après le potiron facétieux, vint le règne des acteurs qui ne l’étaient pas moins. D’obscurs « Onésime », des « Rigobert » pleins de bonne volonté s’essayèrent à déclencher le rire. Ils y réussissaient à l’aide de vieux vaudevilles militaires et en exploitant des clowneries et pantalonnades dont les effets avaient été éprouvés par l’usage.
Mais le premier comique « sérieux », si l’on peut dire, fut Léonce Perret, qui créa la série fameuse des « Léonce ». Venu d’Allemagne où il avait tourné pour Gaumont un certain nombre de films dramatiques, il était revenu à Paris en 1908 et continuait à y produire des bandes en quantité considérable, quand il imagina de lancer un personnage comique : le gros Léonce… lui-même.
Ce fut un grand succès qui lui valut de nombreux imitateurs : Boireau, Gribouille, Zigoteau, Calino, Bout-de-Zan « l’enfant prodige », Boucot et même le regretté Dranem.
Mais ce fut un acteur des Variétés qui devait éclipser la gloire du bon Léonce : Prince, le célèbre Rigadin qui, pendant 10 ans, de 1910 à 1920, devait tourner une moyenne de 45 à 50 films par an… et tous avec le même triomphal succès.
C’est Georges Monca, son metteur en scène, qui l’avait baptisé Rigadin… et Rigadin fut le premier des amoureux transis que l’écran devait rendre célèbres, cette grande lignée des timides, des ahuris, des maladroits, des tendres balourds, des sentimentaux victimes de la coquetterie féminine et de la rudesse des autres hommes, ces amoureux comiques qui comptent maintenant dans leurs rangs : Max Linder, Fatty, Buster Keaton, Harry Langdon, Harold Lloyd et le génial Charlie Chaplin.
Prince fut certainement le plus médiocre acteur du lot. J’irai même jusqu’à dire le seul dont la personnalité nous paraisse très inférieure au rôle qu’elle tint dans le développement du comique cinématographique, non seulement dans notre pays, mais dans le monde. Son comique outrancier et à peu près totalement dépourvu de finesse plaisait partout et ses films étaient projetés sur tous les écrans. Rigadin se nommait Whiffles dans les pays de langue anglaise, Tartufini en Italie, Moritz en Allemagne, etc…
Parallèlement à la brillante carrière de Prince, un autre acteur de théâtre : Marcel Levesque, se fit une place dans les studios où il devint plus tard le « Cocantin » de Judex. Il devait beaucoup à un énorme nez qui offrait un curieux contraste avec le minuscule appendice nasal de Rigadin.
Bien qu’il n’y paraisse guère dans les films qu’il a tournés à cette époque, Levesque était un acteur plus fin et mieux doué que son rival. D’ailleurs, si « Cocantin » a disparu, nous avons. revu récemment Marcel Levesque dans le film de Jean Renoir : Le Crime de M. Lange, et les auditeurs de Radio-Paris savent qu’il fait partie de la troupe de théâtre radiophonique dirigée par Georges Colin.
Mais, par ordre des valeurs, la première des vedettes comiques de l’écran fut certainement Max Linder, qui appartenait, lui aussi, à la célèbre troupe du théâtre des Variétés. Dès 1905, Max était engagé chez Pathé et tournait La première sortie d’un collégien.
Je ne puis songer à vous rappeler tous les titres des innombrables films tournés par ce comique élégant, généralement vêtu d’un habit noir, coiffé d’un chapeau de forme, ganté de clair et armé d’une canne dont il se servait un peu comme devait le faire, plus tard, Charlot, de sa fameuse badine ; je ne puis vous donner la liste de tous ses succès, mais il me suffira de citer : Le Mariage de Max, Max décoré, Max pédicure, Les vacances de Max, Max et le Quinquina, pour faire revivre dans la mémoire de certains de mes auditeurs le souvenir du pauvre Max Linder, disparu tragiquement… et que Charlie Chaplin appelait son professeur.
Et ce compliment, le plus beau de tous puisqu’il vient du grand Charlot, était mérité. Le premier, Max Linder avait compris la nécessité de la sobriété des gestes devant les appareils de prise de vue. Mais à cet hommage de Chaplin, il faut joindre celui de Louis Delluc, écrivant dès 1919 : « Max Linder est le grand homme du cinéma français » et il précisait ainsi les qualités de l’acteur :
« C’est lui et même lui seul qui a approché, avant les autres, la simplicité nécessaire au ciné. Dans l’exécution de ses films, il a prouvé une intelligence étonnante que le présent justifie. Le mouvement des scènes, la schématisation des effets et des idées et surtout la forme de ses scénarios la plupart sont d’une drôlerie certaine et parfois d’un vif esprit — ont annoncé depuis beaucoup d’années un type exact de comédie-bouffe cinématographique qui semble encore d’avant-garde puisqu’on n’a même pas su l’imiter et encore moins le perfectionner. Max Linder est allé jusqu’à mettre au point ses acteurs. C’est phénoménal. Si, dans dix ans, on étudie ses premiers films, on sera stupéfait de tout ce qu’ils promettaient.
Il n’a manqué, dans les hardiesses de cet essai, que la recherche du décor et du meuble. Et aussi une idée juste des robes pour cinéma, qu’il faut éviter de choisir trop conformes à la mode du moment. Mais ce sont là détails qu’emporte le reste.
« Max Linder a poussé beaucoup plus loin encore, pour son interprétation, l’esprit de nouveauté qu’il a affirmé dans l’ensemble de ses films. Doué pour la fantaisie, on l’acclamait déjà quand il reprenait en tournées théâtrales les rôles de Max Dearly. Au cinéma, il s’est révélé à lui-même. La popularité qu’il a gagnée montre ce que devait être la justice, car la science, l’art, la jeunesse, l’incroyable et l’inattendu ont une part égale dans sa folie comique. Voilà un vrai comique. Et un humoriste. »
C’est vraiment Max Linder qui fut l’initiateur de Charlie Chaplin et peut-être que sans l’exemple puisé dans les films de notre compatriote, la silhouette célèbre de Charlot n’eût jamais fait son apparition sur les écrans.
Dans une Idylle aux Champs, l’inspiration vient directement d’une courte bande de Max intitulée L’Idylle à la ferme, et tous les films (une quarantaine) tournés par Chaplin en 1912 pour Keystone portent l’empreinte des petits films français de Max Linder.
Mais Charlot apportera au cinéma comique un tribut qui ne doit rien qu’à son propre génie : le sens de la tendresse, de l’humilité et de la bonté.
Pierre Laroche
Le cinéma étranger d’avant guerre par Pierre Laroche
paru dans Les Cahiers de Radio-Paris de novembre-décembre 1938
La première phrase de notre série de causeries Du cinéma muet au cinéma parlant : « Le cinéma est né le 28 mars 1895 », a eu le don d’émouvoir M, Demeny, neveu et héritier de Georges Demeny, l’inventeur du chronophotographe dont le brevet fut déposé le 3 mars 1892.
Précisons donc bien volontiers que dans le cycle de ces causeries, le cinéma n’était pas considéré du point de vue scientifique.
Dans ce cas, nous n’aurions pas manqué de faire état des travaux des précurseurs que furent Georges Demeny, Emile Reynaud et Marey ; la date du 28 mars 1895, comme nous le signalions, restant la date de la présentation de la « Sortie des Usines Lumière à Lyon-Monplaisir ».
Nous avons déjà examiné ensemble le développement de l’art cinématographique en France, depuis sa naissance jusqu’à la veille de la guerre de 1914. Aujourd’hui, nous vous parlerons de ce qui se passait à l’étranger pendant le même temps.
A l’époque, si le cinéma français régnait en souverain maître, il connaissait, en Europe, un rival dangereux : le cinéma italien.
Celui-ci exerça d’ailleurs sur le nouvel art, une influence comparable à celle du « Film d’art » français. Je vous rappelle que la plupart des acteurs du « Film d’art » considéraient le cinéma comme une sorte de divertissement sans grande importance, ne le prenaient guère au sérieux et apportaient devant les appareils de prise de vue toutes les traditions apprises au cours de leur longue carrière théâtrale, figeant ainsi un art de mouvement.
Les mêmes défauts aggravés d’emphase mélodramatique, de gesticulations encore plus véhémentes, apparaissent dans les productions italiennes d’avant-guerre. On se tordait beaucoup les bras, on se jetait à genoux facilement, on s’arrachait les cheveux sans hésiter, on échangeait des regards pâmés et des baisers passionnés et convulsifs sur les plateaux de la Cines, de l’Ambrosio, de la Pasquali et de l’Itala, les quatre grandes firmes qui furent à la base du cinéma au delà des Alpes.
Si, en France, nos acteurs appartenaient à la Comédie-Française, les acteurs italiens semblaient venir tous des grandes scènes lyriques : des sortes de ténors et de cantatrices… muets bien entendu… et cherchant à remplacer l’ut de poitrine par des gestes immodérés dont l’éloquence involontairement comique n’était pas à dédaigner.
Le succès faisant école, il se créa une compagnie italienne qui s’intitula le « Film d’arte », elle aussi… et naturellement, elle choisit Pathé comme distributeur pour notre pays. Et, comme nous avions Sarah Bernhardt et Mounet-Sully, nos voisins engagèrent La Duse et Ermete Novelli. Il est inutile de vous nommer tous les films historiques qui furent tournés à l’époque, depuis Othello jusqu’au premier Quo Vadis qui étonna l’Amérique deux ans avant la guerre en lui révélant la grande mise en scène. Aujourd’hui, des extraits de ces « bandes » projetés en première partie dans un spectacle d’avant-garde, déchaînent le rire. Citons cependant de nombreux films inspirés de l’Histoire Romaine et de l’Histoire Sainte, plusieurs vies de Jésus, une Phèdre qui ne devait que peu de choses à Jean Racine, quelques Derniers Jours de Pompéi et même un curieux pastiche de la Salammbô de Flaubert intitulé Prêtresse de Tanit.
Les Italiens étaient les maîtres incontestés du film à grand spectacle. Nos Assassinat du Duc de Guise faisaient piètre figure aux côtés du film Artistique Gloria intitulé Néron et Agrippine, au cours duquel on avait accumulé des clous sensationnels, orgies, chrétiens dans le cirque, un Colisée flambant neuf… et qui se terminait par l’incendie de Rome.
Mais le chef-d’oeuvre des chefs-d’œuvre devait être Cabiria qui, commencé en 1912, ne fut terminé qu’en 1914 dans les studios de
l’Italia-Film, sur un scénario original de Gabriele d’Annunzio,… Jean Galtier-Boissière, traitant du cinéma italien dans un numéro spécial du Crapouillot daté de mars 1923, écrivait :
« Les rares films italiens dont j’aie le souvenir comportaient invariablement un hercule forain dont le talent cinégraphique consistait à soulever des poids, à enfoncer d’un coup d’épaule des portes bardées de fer et arrêter des locomotives à la force du poignet. »
Cet hercule forain, l’avez-vous reconnu ?… C’était Maciste, le héros de Cabiria. Evidemment, dans ce film carthaginois, il n’arrêtait pas encore les locomotives. Il n’en est venu là que par la suite, mais, cet exploit mis à part, il accomplissait tous les autres.
Cabiria ne fut présenté en France qu’en 1915, au Théâtre du Vaudeville, qu’il remplit pendant près d’une année de spectateurs enthousiastes, émerveillés à la vue des palais, des trirèmes se livrant un furieux combat naval, de tout ce qui nous semble n’avoir été que le témoignage d’un parfait mauvais goût. Aussi souscrivons-nous entièrement à l’avis exprimé par Georges Charensol dans son « Panorama du Cinéma » :
« Le cinéma italien, en dépit de son apparente virtuosité, a toujours produit des œuvres théâtrales d’une parfaite médiocrité technique et d’une esthétique se rapprochant sensiblement de celle de la carte postale en couleurs. Le ridicule des films italiens a grande mise en scène apparaît même aux yeux les moins avertis. »
Et Charensol cite Quo Vadis, Christus, Cabiria et Théodora avant de déclarer fort justement : « Il n’est d’ailleurs que de considérer le jeu de ces illustres vedettes qui se nomment Lydia Borelli, Francesca Bertini, Pina Menichelli, Luciano Albertini, pour ne pas douter que l’absence de sens du cinéma soit une des caractéristiques de l’Italien. »
Nous vous avons dit qu’en France, le premier film fut inspiré d’un scénario, le premier film essayant de raconter une histoire fut : Les méfaits d’une tête de veau, réalisé par Léon Gaumont.
En Amérique, ce fut The Great train Robbery, un film d’aventures durant un quart d’heure et qui était également le premier film de cow-boys et de gangsters. Il était interprété par Broncho Belly, un mauvais garçon, chevalier du lasso et qui eut, dans ce film, l’honneur relatif de jouer du revolver sur l’écran pour la première fois. Depuis, les revolvers ont été remplacés par des mitraillettes. Si nos souvenirs sont exacts, dans un roman-ciné français, un redoutable bandit avait même installé un véritable canon dans son cabinet de travail. L’engin dissimulé derrière une cloison, se déplaçait sur rail et venait automatiquement se braquer devant la fenêtre. C’était une jolie trouvaille faisant honneur à l’imagination du romancier. Par contre, le décorateur s’était avéré incapable de nous faire prendre son engin de carton pour un véritable canon… et chaque apparition de l’ustensile déchaînait des tempêtes de rires dans les salles.
Mais revenons à Broncho Billy dont les sinistres exploits ouvrirent la voie à toute une série de films du même genre où la morale était quelque peu maltraitée. Ce fut une longue série de vols à mains armée, d’attaques de rapides, d’agressions, de pillages qui commencèrent dès 1909 à susciter les protestations des ligues et des diverses associations pour la protection de l’enfance et de la morale publique.
A cette même époque, on tournait aussi dans les studios américains des films d’art plus ou moins historiques qui, par leur stupidité et leur méconnaissance des règles essentielles de la cinégraphie, n’avaient rien à envier aux productions européennes.
Griffith réalisait une Vie de Moïse, puis Judith de Béthulie, Adolf Zukor achetait au Français Mercanton les droits de reproduction de la Reine Elisabeth, le film de Sarah Bernhardt, puis, pour le compte de la Famous Players Company, réalisait la première version du Prisonnier de Zenda, d’après le roman de cape et d’épée d’Anthony Hope.
Une nouvelle firme, fondée par Jesse L. Lasky, se lançait avec un seul film adapté d’une pièce célèbre The Squaw Man, mais, dès 1913, commença le véritable essor du cinéma américain avec le ciné-roman (dont le premier fut Les aventures de Catherine) et, surtout, avec les Keystone Comédies.
Le metteur en scène de chez Keystone était Mac Sennett, l’un des grands noms du cinéma mondial, car c’est lui qui découvrit Fatty, Gloria Swanson et Charlie Chaplin… et aussi la farce, la farce burlesque avec ses pantins qui nous devinrent vite familiers : policemen énormes, débonnaires ou méchants, vieilles filles, grosses dames, jolies baigneuses en maillot de bain (Mabel Norman fut l’une d’elles). Tout ce monde échangeait joyeusement, avec un entrain furieux, les fameuses tartes à la crème… dont il ne faut pas médire, car c’est grâce à elles, peut-être, que nous est né un premier rythme cinématographique.
En 1912, Charlot tourne quarante films pour la Keystone, puis, l’année suivante, passe à l’Essanay où il commencera à perfectionner son personnage et à le compléter.
Si nous devions établir un classement de la production cinématographique d’avant-guerre, il s’établirait ainsi : tout d’abord la France, puis l’Italie précédant l’Amérique. Ensuite viendraient le Danemark, la Russie, l’Allemagne et la Suède.
De ces derniers pays, c’est le Danemark qui eut la part prépondérante, grâce surtout à une grande actrice, sans doute la première grande actrice de cinéma : Asta Nielsen qui montrait, par la sobriété expressive de ses attitudes ce que serait plus tard le jeu cinématographique essentiellement différent de l’esthétique théâtrale.
Elle débuta en 1910 dans un film d’Urban Gad intitulé l’Abîme et tourna pendant plusieurs années, sous la direction du même metteur en scène, toute une série de comédies dramatiques dont les sujets souvent inspirés de pièces et de romans en vogue, traitaient des thèmes assez proches de ceux qui inspiraient Henry Bataille dans notre pays. Rappelons qu’Asta Nielsen fit ensuite toute sa carrière dans les studios allemands et que nous l’avons vue pour la dernière fois dans un film de Pabst : La rue sans joie.
Mais, avant la guerre, le cinéma allemand était entièrement soumis à l’influence danoise.
Le cinéma russe était, lui aussi, tributaire de l’art dramatique, mais le théâtre russe de Stanislavsky ou de Meyerhold, par ses recherches picturales, son dédain de la vedette au profit des ensembles, l’importance donnée à l’atmosphère, l’influence des ballets russes, offrait aux premiers cinéastes des ressources plus étendues que partout ailleurs. C’est sans doute pourquoi les Russes firent preuve, à l’époque, d’une certaine compréhension des nécessités de l’art nouveau.
Tourjanski, qui, plus tard, après avoir émigré en France, y réalisera des films de bonne qualité avec comme principale vedette son compatriote Mosjoukine, présente Les Karamazov, d’après Dostoïevski ; et Ladislas Starevitch, que nous retrouverons également, après la tourmente, dans notre pays, donne son premier film de marionnettes : La Cigale et la Fourmi.
Le cinéma suédois doit tout à Maurice Stiller et Victor Sjostrom, deux acteurs de théâtre. Avant eux, Charles Magnusson avait guidé les premiers pas du cinéma nordique sur les traces du cinéma français, mais c’est Stiller, metteur en scène et Sjostrom (qui fut d’abord le principal interprète de Maurice Stiller) qui eurent le mérite de donner à la production suédoise un caractère national en s’inspirant du folklore Scandinave.
Cet effort, encombré à ses débuts par des réminiscences littéraires ou scéniques, permettra cependant au cinéma suédois, entre les années 1920 et 1928, de nous donner une série de chefs-d’œuvre qui marquèrent toute la grande époque du cinéma muet.
Mais nous sommes à la veille de la guerre qui va emporter le cinéma européen dans sa bourrasque et permettre à l’Amérique de prendre toutes les places laissées libres par ses rivaux.
Pierre LAROCHE
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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
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