Cette semaine a été présenté par Gaumont, dans la section Cannes Classics du Festival de Cannes 2019 et en version restaurée, l’un des films les plus importants de Jean Renoir : Toni.
Ce film, sorti à Paris le 22 février 1935, est en effet, le premier film français tourné en extérieur en décors naturels, avec beaucoup d’acteurs non professionnels, ce qui en fait le précurseur du néo-réalisme. Ajoutons que justement Luchino Visconti, qui réalisera en 1943 Ossessione film phare de ce mouvement, était assistant de Renoir sur Toni.
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Comme le montre les articles ci-dessous, le film a été tourné dans les environs de Martigues près de Marseille, autour de l’étang de Berre. Toni est inspiré d’un fait-divers qui eut lieu dans la région. Il met en valeur pour la première fois dans le cinéma français des immigrés méditerranéens, en l’occurrence en provenance d’Italie même si le héros du film est Charles Blavette repéré par Pagnol qui l’a fait jouer dans Jofroi et surtout Angèle, qui sortit à Paris quelques mois auparavant.
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C’est d’ailleurs intéressant de remarquer qu’à l’époque le film auquel Toni est le plus rapproché est Angèle d’autant plus que le film est distribué par Les Films Marcel Pagnol.
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Nous vous proposons donc plusieurs articles parus dans Pour Vous (dont un entretien avec Celia Montalvan l’héroïne du film) auxquels nous ajoutons d’autres articles parus dans les quotidiens Comoedia (avec un article de Jean Renoir à lire ici), Paris-Soir, L’Humanité, Le Petit Parisien et L’Intransigeant.
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Bonne lecture !
QUAND JEAN RENOIR MET EN SCÈNE
AVEC ” TONI “, AUX MARTIGUES
paru dans Pour Vous du 10 janvier 1935
(DE NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL)
Le mistral blanchit les oliviers, décoiffe les pins parasols. L’étang de Berre fait le gros dos et joue « à la mer ». Une sirène déchire l’air léger : une péniche pétrolière rentre au bercail, apportant « l’or noir » de Roumanie. Sans elle le paysage n’aurait pas d’âge, c’est-à-dire qu’on lui donnerait aussi bien cent ou deux cents ans de moins. Les oliviers ont à peine eu le temps de changer depuis la Révolution, les jeunes pins ont remplacé les vieux et sont devenus vieux à leur tour. Le paysage est beau, d’une beauté rude et puissante, que le soleil ne parvient pas à adoucir.
Les habitants sont à la mesure du pays : rudes, durs au travail, mais avec l’accent et le sourire de la Provence.
« Elle » s’appelait Josepha, « lui », Albert, « l’Autre », Toni. Elle était Espagnole, lui, du Nord — Belge, probablement, — l’Autre, un enfant du pays. C’est l’autre qu’elle aimait, bien entendu. Son mari en est mort, par ses soins, parce qu’elle avait l’âme simple et que cela lui semblait la solution la plus logique.
Et les journaux appelèrent ça « le crime des Martigues ».
C’est cette simple histoire qui a tenté Jean Renoir. Il en a fait Toni.
Le cinéma en extérieur, c’est comme les grandes manœuvres du cinéma. On travaille toute la journée, on mange sur le pouce, en cinq minutes, que le soleil vient de se cacher et qu’il y a justement une scène par temps gris. On avale de travers, et le soleil luit de nouveau.
Un film se compose d’un sujet, d’un commanditaire, d’un metteur en scène, d’un opérateur, d’une vedette et d’artistes.
LE COMMANDITAIRE
M. Pierre Gaut a fait la guerre. Il en a ramené de précieux souvenirs qu’il promène dans sa serviette, une serviette qui ne le quitte jamais. Des lettres de Guynemer, de Pinsard, des photos ; Gaut était dans l’aviation… Il en a ramené d’autres souvenirs, des blessures, des exploits dont il ne parle jamais.
C’est Charles Gondouin, qui l’a connu au Racing, qui nous les a contés…
LE METTEUR EN SCENE
Un visage d’enfant sur un corps de géant.
Pourquoi Jean Renoir a-t-il le type russe ? Et est-ce à cela qu’il doit son talent ?
« Un film, ça devrait se faire comme un roman, dit-il. Les personnages d’un écrivain mènent plus ou moins l’intrigue à leur guise. Au cinéma, on les enferme dans un cadre rigide, avec défense d’en sortir. Pourquoi n’accorderait-on pas aux personnages de l’écran la même liberté qu’aux héros de l’écrivain ?
« Pourquoi j’évite de faire des films avec des acteurs ? Parce que, sauf trois exceptions, genre Wallace Beery, Eric von Stroheim ou Charlie Chaplin, l’acteur représente un « truc » ; celui qui possède plusieurs « gammes » est l’exception et il peut parfois faire illusion assez longtemps. Les amateurs, bien employés, ont une sensibilité naturelle inégalable. Et plus les gens sont simples, permettez-moi de dire : frustes, plus ils sont sincères. L’éducation bride ou détruit le naturel de l’expression. Voilà pourquoi je préfère tourner avec les amateurs. »
Ce qu’on regrette de ne pouvoir rendre, c’est le ton, la truculence de Renoir. Au travail, il a une patience incroyable. On l’a vu, en maintes occasions, rater une scène par la faute d’un artiste sans murmurer. Et il a une façon de dire à un acteur qui vient de répéter :
« Très bien. C’est parfait, mon vieux, mais vous ne croyez pas que… »
LA VEDETTE
Elle est venue du Mexique, son pays, où le nom de Celia Montalvan est connu pour mille et une raisons… Que ce soit le Lyrico de Mexico ou le théâtre du plus petit « pueblo », il suffit qu’elle soit à l’affiche pour que la salle soit pleine.
Elle est belle, sensible, intelligente, racée,vibrante comme une lame d’épée, elle a dans les veines un peu du feu qui couve dans le sein du Popocatepelt. Un caractère : elle vit à 3.500 tours à la minute. Elle est vedette de music-hall. Renoir lui a révélé qu’elle avait aussi un tempérament de tragédienne.
TONI
Il dirigeait une usine de boîtes de conserves. Marcel Pagnol et Jean Renoir en ont fait un acteur. Il se promène dans le drame avec la belle simplicité, la sensibilité d’un ouvrier, mais d’un ouvrier de Marseille, où l’on est plus simple, plus sensible qu’ailleurs.
Charles Blavette est de Marseille.
LA TROUPE
Il y a Delmont. Un acteur, mais un acteur qui a su conserver une belle fraîcheur d’expression.
Puis Helia, au regard noir, et Michel Kovatchevitch, qui rêve de théâtres d’avant-garde et pense que « c’est bien beau la Comédie Française » ; Andreix, gai transfuge du music-hall, un peu Don Juan pour tournées Baret, et le géant Dalban, qui regrette les revues de Rip.
Il y a l’assistant. Celui-là on vous le donne en mille… Georges d’Arnoux ! Ayant couru en automobile et fait les quatre cents coups au Fouquet’s, d’Arnoux a décidé qu’il y avait autre chose, dans la vie, que les bars, et il fait maintenant un assistant comme on n’en voit pas souvent. Et Marguerite ? Script-girl ? Oui, bien sûr, mais beaucoup mieux que cela aussi.
Et l’opérateur, Claude Renoir ? Il fait ses débuts « en premier ». Vous verrez qu’il y a en France des opérateurs qui valent les meilleurs spécialistes américains ou russes.
Il y a le photographe, Roger Corbeau, qui promène dans la vie une âme d’artiste et des tourments psychologiques.
Tout cela fait une magnifique équipe.
Toni sera le film de Renoir, bien sûr, mais ce sera aussi le film d’une équipe. Et cela donne de l’espoir…
J. P.
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Critique de “Toni” par Lucien Wahl
paru dans Pour Vous du 28 février 1935
Toni
(Film parlant français)
Mr Jean Renoir a sûrement dirigé Toni avec sincérité et peut-être même avec foi, et ses collaborateurs ont dû s’occuper de leur travail comme d’un plaisir plutôt que d’une tâche. Il en résulte un ouvrage toujours intéressant, doté de quelques scènes ralentissantes dans sa partie préparatoire, puis développé dans une atmosphère de vérité douloureuse.
On nous dit que le sujet, issu d’un fait divers, sera celui d’un roman de M. Jacques Levert. Le livre pourra mériter beaucoup d’estime ; il semble que l’histoire de Toni inspirerait plutôt une nouvelle. Mais parlons cinéma.
Et, du cinéma, il y en a dans le film de M. Jean Renoir.
Dans une région du Midi de la France, un étranger à la commune, mais sans doute Provençal lui-même, Toni, vit avec Marie et ne l’aime plus. Il est épris d’une Espagnole, Josepha, nièce d’un petit propriétaire, et fort aimable à son égard. Marie ne l’ignore pas. Et voici que Josepha se laisse prendre par Albert, contremaître de casseurs de pierres, qui est, lui, une sorte de casseur d’assiettes, brutal et fanfaron. Un enfant va naître et Josepha va épouser Albert, qui guigne l’argent de l’oncle Sébastien. Leur noce se fait en même temps que celle de Toni et de Marie.
Gaby, un jeune homme qui habite chez Albert, ne s’entend pas avec lui. Parent de Josepha, il hérite une part des biens de Sébastien, qui est mort, mais Albert s’empare de tout. Josepha, malheureuse, écoute les conseils de Gaby qui décide de partir avec elle pour l’Amérique du Sud. Elle va, la nuit, couper le cordon auquel est attaché un petit sac contenant de l’argent qui n’appartient qu’en partie à Albert. (Ce cordon entoure le cou du mari endormi). Albert se réveille, frappe terriblement Josepha, qui le tue d’une balle de revolver.
Depuis quelque temps, Toni vit dans une cabane, sur la colline. Marie, qu’il a fait beaucoup souffrir et qui a essayé de se noyer, ne veut plus vivre avec lui. Apprenant le meurtre, il veut sauver Josepha, et là se place la scène la plus frappante du drame.
Josepha a l’habitude de laver le linge. Le corps d’Albert, entouré de draps et de paquets, est placé par Toni sur la voiture à bras de Josepha. Tous deux la traînent. Ils rencontrent des amis qui chantent et que Toni prie de les laisser seuls — les deux amoureux. Entre des arbres, l’homme pose le cadavre, dans la main duquel il met un revolver, Josepha partie. Il est surpris par un garde forestier à qui il se déclare le meurtrier et qu’il pousse ensuite sur un talus alors qu’il se sauve. On cerne Toni. Josepha s’est fait arrêter en avouant son crime, mais un idiot, chargé par les gendarmes de tirer en l’air quand il verrait Toni, le vise et le blesse mortellement. Le malheureux entend son ami Fernand lui dire que Josepha est sauvée. Ce Fernand a menti par humanité et, pendant tout le film, il a joué un rôle d’ami dévoué.
Son interprète, M. Delmont, anime un personnage qui est comme un frère de celui qu’il représente, avec autant de naturel, dans Angèle…
Aucune espèce d’ostentation n’entache le jeu des acteurs de Toni : Mmes Celia Montalvan, une Josepha spontanée, J. Helia une Marie vibrante ; MM. Blavette, Andrex, Dalban, Kovatchevitch. Et les personnages du drame ne sont point seuls à nous intéresser.
La nature où ils évoluent, les anonymes qui les côtoient participent à un ensemble où il y a du document. Toni a été tourné aux Martigues.
Lucien Wahl
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La Parole est aux spectateurs = Toni
paru dans Pour Vous du 3 octobre 1935
Un film qui n’a pas fait de bruit, auquel le public et la presse ont presque boudé et qui, pourtant, valait mieux que ça. D’abord le sujet, calqué, paraît-il, sur un fait divers, sortait des sentiers battus. Un sujet simple, « où les passions étaient étalées toutes nues et qui vous prenait par les entrailles ». (Les grands mots que voilà, allez-vous penser ! Ils ne sont pas de moi, mais s’appliquent bien au sujet de Toni.) Et surtout ce film était presque exclusivement tourné en extérieurs, et c’était du ci-né-ma !
Il ne faut pas l’oublier. Jean Renoir est un artiste. Ce film laisse en nous des visions inoubliables : la course affolée de Toni sur le pont du chemin de fer, la scène entre Toni et sa femme (Jenny Hélia) dans le bois, où celle-ci le supplie de rester avec elle, l’arrivée des étrangers au début du film, et d’autres encore. En un mot, un film pas ordinaire.
Quelles belles vues de la Provence ! (Une Provence inconnue au cinéma.) Le soleil implacable pèse sur tout le film. Mmes Hélia et Montalvan, admirables et émouvantes, Blavette et Andrex, naturels à l’extrême, mais combien vrais et humains !
En un mot, un film nettement au-dessus de la production courante. Un seul défaut : le film est trop long.
SIMON-SIMONE
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De Pancho Villa à Renoir avec Celia Montalvan
paru dans Pour Vous du 23 Mai 1935
A travers la porte, un crépitement de castagnette parvient jusqu’à nos oreilles. Au septième étage d’une maison moderne de la Porte Champerret, nous attendons sur une terrasse, au milieu d’un jardin improvisé, la belle Mexicaine Celia Montalvan, l’héroïne de Toni.
« Buenos dias, senor. »
Chandail rayé bleu et blanc, pantalon de marin de jersey bleu foncé, voilà Celia Montalvan. Nous attendions une fille de la pampa au large sombrero, au costume chamarré : c’est un gars de la marine qui nous accueille, s’empare de nous, nous installe dans un fauteuil, fait servir deux pernods et nous fait les honneurs de son jardin.
« Ça c’est un lilium, ici des zinnias — une fleur de mon pays. Là des reines-marguerites, et ça ce seront des dahlias. Et puis voici deux rosiers qui seront couverts de fleurs d’ici à quelques semaines. »
C’est elle qui attaque :
« Vous venez sans doute pour que je vous dise que je suis championne de tir au Mexique, que je dresse les chevaux sauvages, que j’attrape les taureaux au lasso, que j’ai voulu faire dévorer le général Obregon par un tigre, enfin que je passe dans la vie comme une espèce de tornade ? C’est bien ça, n’est-ce pas ?
— Pas tout à fait « senorita ». Non, j’ai désiré faire la connaissance de « Josefa ». Car vous êtes tombée dans le cinéma français sans crier gare, sans qu’on ait le temps de vous présenter. »
Pour toute réponse, Celia Montalvan apporte trois copieux registres : ses coupures de presse.
« Vous n’avez pas peur des voyages ? » nous dit-elle en riant — et le rire de « La Montalvan », comme on l’appelle en Amérique latine, est une chose qu’on n’oublie pas facilement.
Les vingt-huit Etats du Mexique, Cuba, l’Argentine, l’Uruguay, la France, l’Angleterre, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, l’Egypte, le Texas, New-York, Los Angeles, Hollywood, voilà ce que contiennent les albums de Celia Montalvan. Ils chantent également, en titres hauts « comme ça », sa gloire de vedette de music-hall et d’étoile de films espagnols tournés à Hollywood.
« Des aventures ? En treize ans de théâtre, c’est-à-dire de voyages dans les pays restés les plus neufs du monde, j’en ai connu de toutes sortes : de gaies, de tristes, de périlleuses.
« Voyons, voulez-vous que je vous raconte comment j’ai combattu un « toro » en la « plaza » de Monterrey ? Comment j’ai chanté dans une cage du « Zoo » de Los Angeles, en compagnie de cinq lions ? Ma rencontre avec Pancho Villa ? Oui ? Oh ! c’est simple. Cela se passait en 1925. Il était neuf heures du soir. Des coups de feu, des balles font sauter les vitres, les voyageurs se sont jetés à plat ventre, le train s’arrête.
« — Que se passe-t-il ?
« — Los revolucionarios ! Pancho Villa ! »
« Au nom prestigieux et redouté, les voyageurs ont frémi. Quelques instants après, nous étions sur le ballast, sans un sou, sans un bijou, sans une valise. Pancho Villa faisait la guerre. Mais le héros mexicain apprend que dans le train voyage une compagnie » théâtrale ».
« — Tu vas nous offrir le théâtre », me dit-il de sa voix rude.
« En quelques instants « los dorados » — les partisans — de Pancho Villa eurent improvisé une scène en pleine campagne. Pour décors, pour lumière, le ciel étoilé du Mexique et la rouge lueur des feux de campement. Jamais les girls n’avaient dansé avec un tel entrain. Quant à moi, je chantai La Cucaracha et La Adelita, les chansons préférées de Pancho. Mon cœur ne battait pas plus vite que d’habitude. Pancho Villa ne faisait pas la guerre aux femmes, il les épousait plutôt. Et j’étais bien jeune à ce moment-là. Le chef révolutionnaire fut si content du spectacle qu’il fit redistribuer argent, bijoux et bagages aux voyageurs et que le train repartit au petit matin, salué d’une dernière salve, mais dirigée vers le ciel, celle-là.
« Amusant, n’est-ce pas ? Que voulez-vous encore ? Du tragique ? Comment à coups de revolver j’ai mis en déroute au Texas un Américain spécialiste du « hold up » ? Autre chose ? Que j’ai chanté pour le prince de Galles à Saint-Jean-de-Luz ?
Bah ! Assez de souvenirs pour aujourd’hui. »
— Et l’avenir?
— L’avenir n’appartient à personne. Mais je voudrais bien tourner encore en France et surtout avec Jean Renoir. Parce que — et j’ai vu assez de films français pour m’en rendre compte — Jean Renoir est un des grands hommes de votre cinéma, et puis aussi parce que j’aime votre pays et Paris, surtout en ces premiers jours de mai, où le printemps se décide à sourire… »
J. P
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Les prises de vues de « Toni » sont terminées.
paru dans Comoedia du 08 janvier 1935
Jean Renoir vient de terminer les prises de vues de Toni qu’il a tournées entièrement aux Martigues.
Le film comporte de très nombreuse scènes d’extérieur qui ont été ainsi réalisées dans le cadre même où s’est déroulé, voici quelques années, le drame qui inspira à Jean Renoir le sujet de sa nouvelle production.
La réalité est, bien souvent, plus romanesque que les sujets nés de l’imagination d’un écrivain : un simple fait-divers, tel que celui retracé par Toni, ne serait en soi que banal si le moteur en scène n’avait su en dégager la, psychologie complexe et en recréer les péripéties. Jean Renoir a ainsi reconstitué l’atmosphère exacte d’un drame de passion et d’intérêts, et en fait revivre les protagonistes avec une vigueur et un relief saisissants.
Toni comporte la distribution suivante : Célia Montalban (Josépha), Blavette (Toni), Delmont (Fernand), Dalban (Albert), Michel Kovatchevitch (Sébastien), Jenny Hélia (Marie), Andrex (Gaby).
Jean Renoir procède actuellement au tirage et au montage de son film dans les ateliers que Marcel Pagnol a établis à Marseille, et dans lequel s’effectuèrent, ces derniers mois, tous les travaux techniques d’Angèle.
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A Martigues, « Toni » évoquera le peuple et le travail de l’Etang de Berre
paru dans Comoedia du 17 janvier 1935
Si Marius et Fanny ont porté à l’écran certains aspects pittoresques de Marseille, si Angèle a révélé au grand public les paysages des Alpes provençales, Toni va maintenant évoquer une région méditerranéenne peu connue, celle de Martigues et de l’étang de Berre.
Toni débute par la vision du pont de Caronte, magnifique ouvrage métallique de 850 mètres de long qui traverse l’étang et surplombe toute la région : un train qui arrive à toute allure amène des travailleurs étrangers, dont Toni, le héros du film. Puis ce sont des vues de la petite ville maritime où descendent les voyageurs : de la route où passent Toni et ses compagnons à la sortie de la gare, l’on aperçoit un grand bateau passant, sur l’étang, entre les piles dit pont tournant.
Le scénario, écrit par Jean Renoir et Carl Einstein, s’inspire d’un drame qui s’est déroulé, voici quatre ans, dans cette population de Martigues, composée en partie d’immigrés italiens et espagnols. C’est donc une histoire vécue, d’un romanesque tragique, qui va surgir à l’écran dans sa farouche grandeur et son ardeur passionnée.
Mais il y a aussi des Corses qui sont venus travailler sur le continent et ont apporté avec eux leur répertoire de ces admirables chansons corses si émouvantes dans leur simplicité.
Et cela nous vaudra d’entendre des mélodies prenantes et nostalgiques qu’interprètent, avec un simple accompagnement de guitare, de vrais chanteurs corses, venus en droite ligne de « l’Ile de Beauté », dont le metteur en scène, avec son habituel souci d’exactitude et de réalisme, s’est assuré le concours.
Tous les paysages, qui servent de cadre réel au film, constitueraient, à eux seuls, le plus magnifique documentaire régional de ce coin de terre ensoleillée qui a si souvent inspiré les peintres, épris de lumière, de couleur et de pittoresque.
Que nous voilà loin des productions tournées en studio parmi des décors factices de bois, de plâtre et de toile.
Toni, une production des Films d’Aujourd’hui, est réalisé par Jean Renoir, d’après un scénario de Jean Renoir et Carl Einstein, sous la direction de Gaut, et sera distribué par les Films Marcel Pagnol.
Les principaux interprètes sont : Célia Montalvan, Delmont, Blavette, Dalban, Andrex, Kovatchevitch, Jenny Hélia.
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Fiction et Réalité, “Toni” a été conçu d’après un drame authentique
paru dans Comoedia du 09 février 1935
C’est un fait divers dramatique, qui s’est réellement déroulé, voici quatre ans, dans la région de Martigues. Il a inspiré à Jean Renoir et Carl Einstein le scénario de Toni que Jean Renoir vient de mettre en scène et de réaliser à Martigues même.
Les vrais acteurs du drame étaient de ces immigrés italiens et espagnols venue chercher du travail en Provence au moment de la construction du grand tunnel reliant Marseille à l’étang de Berre.
Entre ces « transplantés », d’origines diverses, naquirent des amitiés, mais se créèrent aussi des rivalités et des haines issues de l’intérêt ou de la passion. C’est là qu’il faut chercher l’origine du drame de Toni.
Au cours d’une querelle une femme tua son mari et, pour dissimuler le meurtre, tenta de faire disparaître le corps avec l’aide d’un jeune ouvrier qui la courtisait depuis longtemps.
Celui-ci, surpris par les gendarmes au moment où il abandonnait le cadavre dans la forêt, prit la fuite ; une chasse à l’homme s’organisa et le malheureux fut abattu d’un coup de fusil par un de ses poursuivants.
Alors, la meurtrière avoua son crime. L’affaire fut jugée par la Cour d’Assises des Bouches-du-Rhône.
Le film réalisé par Jean Renoir sur ces données dramatiques dégage la psychologie des acteurs du drame et met en lumière les mobiles comme les circonstances du meurtre. L’amour éprouvé par Toni pour Josepha, la meurtrière, est si violent qu’il accepte de se compromettre afin de lui éviter le châtiment ; loin d’être un criminel, il n’est en somme qu’une victime.
Toni dépeint avec un pittoresque réaliste ces « âmes étrangères » en qui la passion prime tous les autres sentiments. L’action est situé dans son vrai cadre, dans le merveilleux décor naturel que constituent l’étang de Berre et la campagne provençale.
Par les magnifiques paysages qu’il évoquent, ce film émouvant et vrai est, en même temps, qu’une oeuvre émouvante et forte, un hymne à la belle terre de Provence.
Toni — Production des Films d’Aujourd’hui — sera distribué par les Films Marcel Pagnol et a pour principaux interprètes : Célia Montalvan, E. Delmont, Dalban, Blavette, Andrex, Kovatchevitch, Jenny Hélia. C’est Pierre Gaut qui assure la direction de cette production.
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AVANT-PREMIERE
“Mardi, Marcel Pagnol présentera Toni” par Jean Renoir
paru dans Comoedia du 18 février 1935
Je suis heureux de présenter mon film « Toni » parce que je l’ai réalisé en toute indépendance et, que pour une fois je peux revendiquer la responsabilité de mon travail.
Je dois cette bonne fortune à l’amitié de Marcel Pagnol.
Le sujet du film est tiré d’un fait divers qui s’est réellement passé dans un coin du Midi de la France resté suffisamment sauvage pour me permettre une photographie dramatique. Cette région est habitée principalement par des immigrants d’origine latine, mi-ouvriers mi-paysans. Chez ces déracinés îles passions sont vives et les hommes qui me servirent de modèles pour « Toni » m’ont semblé traîner derrière eux cette atmosphère lourde, signe du destin fatal des héros de tragédie, voire de chanson populaire.
En ce qui concerne l’interprétation, j’ai pu me permettre de renoncer à l’emploi de grands noms commerciaux. Nul plus que moi n’admire le talent de nos grandes vedettes. Mais, leurs films doivent être conçus strictement pour la mise en valeur de leur personnalité, sous peine de ne pas répondre aux aspirations de leur public. Je préfère collaborer avec des acteurs intelligents et sensibles, mais n’ayant pas encore une très longue carrière dans le cinéma.
Ils peuvent éviter la répétition de ces quelques effets éprouvés que des artistes trop sensés sont enclins à replacer automatiquement à chaque fois que l’occasion se présente. Ils peuvent sans risque pour leur carrière être plus spontanés, moins artificiels, plus près de [illisible].
Avec de tels acteurs, il convient de remplacer la routine par une création constante, de ne pas les soumettre à un décor rigoureux où chaque geste, chaque angle, chaque temps est prévu d’avance.
Je crois que ça n’est pas à l’acteur qui doit être à la disposition de la technique, mais la technique qui doit se plier au jeu de l’acteur.
En échange de cette liberté matérielle, cette méthode exige de l’interprète une absolue disponibilité à l’esprit du scénario, et une rigoureuse discipline morale. Outre leur talent, c’est [illisible]
que m’ont apporté les interprètes de “Toni“.
Je ne vous parle pas de l’équipe technique. A mon avis, elle ne doit pas seulement se composer de camarades, mais mieux de complices.
Ces complices et moi vous présenteront ce travail, fruit de nos peines et de nos joies.
Jean Renoir
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UNE AVANT-CRITIQUE : Toni, un film de Jean Renoir par Jean-Pierre Liausu
paru dans Comoedia de 20 février 1935
Je dois donner l’impression d’un homme bien désagréable et d’un rabâcheur. J’ai protesté ici vingt fois depuis le début de l’année contre les copies dites de travail que certains producteurs présentent à la presse avant la copie définitive que verra le public. Récemment ce furent Itto et La Marche Nuptiale, d’autres films moins importants.
J’adresse le même reproche, j’élève la même protestation pour Toni. Les Films Marcel Pagnol auraient pu attendre et nous montrer le film et non « une copie ». Et quelle copie ! Rayée, incomplète, mal tirée, etc. Autant faire assister les critiques dramatiques à une répétition à l’italienne. Autant donner aux lecteurs d’un journal d’une feuille où l’on aurait placé titres et « plomb » au hasard.
Or, le montage, c’est tout le rythme et c’est la moitié du mouvement d’une œuvre.
Plus patient que Marcel Pagnol ou que ses conseillers techniques, je me ferai un plaisir de revoir « Toni » dans sa version pour le bon publie jugeant insuffisante celle pour les cochons-de-critiques.
Mais il est plusieurs choses sur lesquelles je tiens à féliciter l’équipe Marcel Pagnol.
La troupe est remarquable et elle ne comporte pas une vedette.
Si Celia Montalvan est connue en Espagne, son nom, ici est inconnu. Tous ces partenaires ont été choisis parce, qu’ils avaient le physique et la voix de leurs rôles et ils sont tous parfaits, excepté celui qui joue Albert avec une étonnante continuité dans l’art de dire faux. Je ne lui reproche pas d’être antipathique, c’est son rôle.
On sait quelle part Marcel Pagnol assigne au dialogue dans ses films. Ici l’image n’en souffre point. Une fois le cadre établi, le film n’est plus l’esclave de son décor et il évolue en plein air. Et c’est par dizaines que l’on y peut compter les belles prises de vues.
Le sujet est simple, très humain, sans littérature.
Toni vit avec Maria à Martigues. Son copain Fernand, qui aimait Maria et a renoncé à elle, a su rester l’ami du couple. Mais un espagnol, accompagné de sa nièce, Josepha et de son neveu, est installé dans la plaine. Toni aime Josepha. Il veut l’épouser et le vieux verrait cette union avec joie.
Albert, chef de chantier de la carrière où travaille Toni, désire Josepha. Celle-ci, quasiment adolescente, est très coquette et son entrevue avec Albert finit dans un fossé. Toni qui vient de demander la main de Josepha les surprend. Il épousera Maria et Josepha épousera Albert. Double erreur !
Le vieil Espagnol regrettera Toni, Josepha aussi. Deux ans passent.
Josepha a un enfant et son ménage avec Albert va de plus en plus mal. Albert est une brute ; à la mort du vieux, il n’a plus qu’une idée, étant héritier de la moitié de la ferme avec le neveu, profiter du travail des autres et faire la noce en ville.
En mourant, le vieux a demandé à Toni d’être le parrain, de l’enfant, de s’occuper de lui. Toni a juré. Ce serment n’arrange pas les choses dans le ménage Toni-Maria. Les disputes y sont la monnaie courante. Lassée, malheureuse, Maria veut mettre fin à ses jours. Elle se jette dans l’étang de Martigues. Des mariniers la sauvent, mais Maria ferme sa porte à Toni.
Libéré, Toni n’a qu’une idée : partir avec Josepha et son enfant. Il s’installe dans la forêt avec les charbonniers. Il attend son heure. Maria est dans son lit, Fernand la soigne. Dans la ferme, Josepha et son cousin complotent contre leur tyran, Albert. Le cousin « a eu » Josepha. Ils volent Albert pour s’enfuir. Albert déjoue leur plan. Alors Josepha tue Albert.
Quand Toni connaît la vérité, il veut reprendre Josepha. Un brin « dos-vert », le cousin s’est échappé avec l’argent. Désemparée, Josepha écoute les conseils de Toni. D’abord, il faudra porter le cadavre dans un fossé puis ils quitteront le pays.
Surpris par un gendarme, Toni avoue, il s’accuse du crime. Le gendarme l’arrête. Toni réussit à s’échapper. Il court chez Fernand, prend un peu d’argent et un revolver et donne rendez-vous à Josepha à la Joliette. Fatalité ! A la minute même où Maria dit toute la vérité aux gendarmes, un paysan lancé à la poursuite de Toni le tua. Il meurt dans les bras de Fernand en parlant de Josepha.
Tourné dans les environs de Martigues, ce drame sobre, tiré d’un véritable fait-divers, rend le son même de la vérité. C’est un beau drame.
J’irai revoir le film avec le public et vous parlerai des acteurs et du rythme. Je ne peux porter aucun jugement sur l’art de Jean Renoir d’après ce que j’ai vu.
Jean-Pierre Liausu
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« Toni » au Ciné Opéra par Pierre Wolff
paru dans Paris-soir du 2 mars 1935
Il nous faut féliciter M. Jean Renoir qui a eu l’audace de mettre au premier plan des artistes qui ne sont pas encore des étoiles. Il jouait gros jeu.
Son film avant sa sortie n’était déjà plus un film commercial. Tant mieux.
Toni mérite de réussir. Il mérite de réussir parce que Jean Renoir suit les traces de Marcel Pagnol et comme je partage les idées de l’auteur de Topaze, je suis naturellement ravi du succès de Toni. J’ai retrouvé dans Toni toutes les belles qualités d’Angèle. Les images sont magnifiques. mais peut-être ici en a-t-on abusé. Par instants, on piétine. Si trop de mots d’esprit peuvent nuire à une œuvre dramatique, trop d’images — quelles que soient leurs qualités — peuvent diminuer la valeur d’un film.
Le sujet ? Un fait divers. Mais n’est-ce pas avec le sujet le plus banal qu’on touche parfois les sommets.
Toni aime Josepha. Mais Josepha en épousera un autre qu’elle tuera parce qu’elle est à bout. Toni s’accuse et se fait tuer, lui aussi. Josepha paiera sa dette.
Il y a dans le film de Jean Renoir un souffle auquel nous ne sommes guère habitués. Est-ce du théâtre ? Est-ce du cinéma ? Cela m’importe peu. Toni est une œuvre forte et belle et Jean Renoir est un artiste. Par le temps qui court…
Tous nos éloges à cette troupe qui a si bien donné : Celia Montalvan, Hélia, Delmont, Blavette, Bozzi.
J’ajoute, enfin, que les personnages de Jean Renoir ne sont pas en baudruche ; ils ont une âme, un cœur et un cerveau.
Cela nous change des films à vingt sous le mètre.
Pierre Wolff
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Critique de “Toni”
paru dans L’Humanité du 22 février 1935
Nous n’avons encore vu qu’une mauvaise copie de cet excellent film. Aussi aurons-nous à y revenir mais nous tenons cependant à noter dès aujourd’hui que Toni, produit par Marcel Pagnol, mais réalisé par un autre, par Jean Renoir, l’auteur de Nana, la Fille de l’eau, La Chienne, Madame Bovary est le meilleur film présenté par la firme de Pagnol, dont les théories sur le cinéma firent quelque bruit l’an dernier. Cependant, visiblement, Toni a coûté beaucoup moins d’argent qu’Angèle par exemple, auquel il est bien supérieur.
Jean Renoir, un jeune qui est aussi un vieux du cinéma, nous a toujours donné des ouvrages, qui ne pouvaient nous laisser indifférents.
Aujourd’hui, alors que tant de metteurs en scène de sa génération ont définitivement, après quelques luttes infructueuses, consacré leur temps à la culture du navet, Jean Renoir est toujours sur la brèche.
C’est un vieux du cinéma qui continue la lutte pour le cinéma. Et au fond, la lutte pour le cinéma indépendant, pour le cinéma propre, n’est pas tellement loin de celle que nous menons pour un cinéma social.
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Critique de “Toni”
paru dans L’Humanité du 1 mars 1935
Voilà du cinéma, du vrai cinéma.
Jean Renoir, l’auteur de plusieurs films très appréciés, dont La chienne, vient de nous donner avec Toni une belle œuvre, et chacun sait combien rares sont les fois où l’on peut employer ce qualificatif pour une production française.
Beau film tant par sa réalisation technique que par son interprétation. Toni, c’est une histoire simple, mais vécue.
Un matin, aux Martigues près de l’étang de Berre où de grands travaux sont en cours, un groupe d’ouvriers immigrés descendent du train. Parmi eux, Toni, qui prend pension chez la jeune Marie, dont il devient l’amant.
Tout près, dans une ferme de la colline, vit avec son oncle Sébastien et son cousin Gabi, une jeune Espagnole, Josepha. Son cousin est son amant. Toni l’aime et veut l’épouser mais c’est Albert, chef de chantier à la carrière qui se marie avec elle. Toni, de son côté, épouse Marie.
Aucun des ménages n’est heureux. Toni aime toujours plus Josepha, qu’Albert, son mari, délaisse. L’oncle Sébastien meurt. Marie lassée de l’indifférence de Toni se jette dans un étang où elle est sauvée de justesse. Josepha, battue par Albert, décide avec son amant — son cousin — de partir en prenant l’argent de son mari qui la surprenant la frappe à nouveau, elle l’abat à coups de revolver.
Pour sauver Josepha, Toni, qui chassé par Marie vit dans une hutte sur la colline, organise une mise en scène pour faire croire au suicide. Pris par un garde il s’accuse du meurtre. Josepha, apprenant cela, se dénonce. Mais pendant ce temps Toni qui a réussi à échapper du garde court vers la gare pour s’enfuir. Il est abattu à coups de fusil par un zélé chasseur, qui veut faire son policier.
Et pendant que Toni expire sur la voie, un train arrive aux Martigues, amenant de nouveaux émigrants.
Tel est le scénario de Toni, scénario, rappelons-le, tiré de scènes vécues. C’est déjà là un sérieux avantage sur bien des films, il n’est pas le seul.
Les images de Toni furent presque toutes prises en plein air, dans cette campagne du Midi illuminée par le soleil, sur ces collines qui bordent les étangs de Berre, aussi ce sont de magnifiques extérieurs que nous voyons se dérouler devant nos yeux.
Enfin, dans ce film pas de vedettes, pas de noms connus, mais des interprètes qui jouent, simplement, naturellement, comme dans la vie. C’est le mieux que l’on puisse dire. C’est aussi la confirmation qu’il n’est pas besoin de 30 ou 40 vedettes pour faire un bon film.
Le rôle de Marie est tenu par Jenny Helia, celui de Josepha par Celia Montalvan, Toni par Blavette. Nous retrouvons dans Fernand, ami de Tony, Delmont que l’on vit déjà dans Angèle. Citons encore Bozzi, excellent guitariste.
Toni, que certains comparent à Angèle, est sans aucun doute supérieur.
Jean Renoir a réussi une production qui connaîtra le succès.
F. G.
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De l’air, du soleil, du cinéma aussi, tel apparaît Toni
paru dans Le Petit Parisien du 22 février 1935
M. Jean Renoir est un artiste doublé d’un homme de goût. II y a quelles années il osa nous donner une Nana qui fut éreinté à l’époque, mais recelait le véritable esprit de Zola. L’an dernier. il s’attaqua à Madame Bovary dont la version publique souffrait de trop importantes coupures, mais gardait cependant la marque du modèle. Aujourd’hui, M. Jean Renoir nous apporte Toni.
Allant le voir, oublier les contingences de la scène ou de l’écran, ne pensez à rien, laisser-vous mener au gré de l’action. Vous ne serez pas déçus.
Or M. Jean Renoir — et voilà son mérite — n’a en aucune manière, voulu faire du spectacle et il se rattache ainsi à l’école de M. Marcel Pagnol, souvenez-vous d’Angèle.
Le sujet ? Simple, tout simple : un fait divers banal qu’un grand quotidien relaterait en trois lignes. Mais Madame Bovary, n’était-ce pas déjà un fait-divers ?
(résumé de l’histoire)
On nous a dit que cette histoire était vraie. Avec un accent douloureux et sa simplicité humaine, M. Jean Renoir en a rendu l’atroce fatalité par des images liées les unes aux autres dans un mouvement peut-être un peu lent — il y a des longueurs au milieu du film — mais qui accentuent le dramatique. Puis tout est tourné en extérieurs, et quels extérieurs !
M. Jean Renoir s’est peu soucié d’une vedette. Il a choisi des acteurs qui d’abord puissent s’identifier aux rôles. Citons-les, bien que vous ne les connaissez pas : Mmes Celia Montalvan, Jenny Hélia, MM E. Delmont, Blavette, Dalban, Andrex et le joueur de guitare Bozzi.
Tous ont de précieuses qualités, simples, émouvantes, qui font d’une interprétation qui pourrait être quelconque une interpretation précieuse. M. Jean Renoir, en se refusant à suivre les chemins que d’autres frayèrent, prouva avec Toni comme M. Marcel Pagnol le démontra avec Angèle, que le cinéma n’est pas seulement aux mains des adaptateurs de belles petites choses en de beaux petits décors, mais qu’il peut, en ses scénarios, aller vers la vérité presque brutalement.
Ainsi retrouve-t-il sa force et, peut-être. M. Jean Renoir, comme M. Marcel Pagnol, ont-ils ouvert au cinéma français son chemin de Damas.
Jean Marguet
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CINE-OPERA et CINE-BONAPARTE.
— Toni, film parlant français par René Lehmann
paru dans L’Intransigeant du 25 février 1935
Le générique annonce « M. Marcel Pagnol présente un film de Jean Renoir, Toni ». C’est bien, en effet, un film de l’école Marcel Pagnol. Cadre provençal, histoire réaliste et contemporaine, auteurs nouveaux ou confirmés, en partie provençaux. Je m’empresse d’ajouter que M. Jean Renoir doit être félicité pour avoir donné une âme si frémissante et si âpre à un drame tiré d’un fait-divers, donc de la vie. Certaines parties du récit qui traînent en longueur, certaines gaucheries d’une interprétation qui ne réussit pas toujours à demeurer naturelle, accusent simplement l’absence du maître d’école, je veux dire de Marcel Pagnol.
Toni est un ouvrier qui travaille dans un chantier, sur la route bordée d’oliviers et de buissons, écrasée de soleil, dans la région de l’étang de Berre. Là vit une population laborieuse où se mêlent toutes les nationalités. Comme dit l’un des ouvriers « ma patrie, c’est là où j’ai à bouffer ». Mais le film ne contient pas d’autres allusions politiques et sociales. Il nous présente des rivalités amoureuses terminées par un double drame.
(résumé de l’histoire)
Toni vaut par la sincérité du récit, la description des êtres simples et violents qui sont aux prises avec leurs instincts et leur cœur. De nobles et curieux paysages provinciaux forment un cadre de choix à cette aventure qui abonde en traits d’observation remarquables et possède une couleur vive, un peu fruste, jamais indifférente.
Mmes Celia Montalvan, beau visage souriant et passionné et Jenny Hélia, naturelle, un peu sèche, incarnent les principaux personnages féminins. MM. Delmont, saisissant de vérité en compagnon loyal et effacé ; Blavette, Toni simple et vivant, Andrex, Dalban et Kovatchevitch sont des ouvriers très « nature ». J’entends par là que leur composition n’a rien de théâtral ni de conventionnel et reste constamment humaine, à part les quelques défauts que j’ai signalés plus haut.
René Lehmann
Source :
Tout articles : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
sauf Pour Vous : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Pour en savoir plus :
La page spéciale consacrée à Toni sur le blog Mon Cinéma à Moi.
La critique de Toni sur le site A-Voir A-Lire.
La notice biographique sur Charles Blavette sur le site de l’Encinémathèque.
La bande annonce anglaise de Toni de Jean Renoir.
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En 1957, Jean RENOIR fait rejouer une scène de “Toni” à Andrex et Charles Blavette.
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Jean Douchet présente Toni de Jean Renoir à l’Institut Lumière le 06 Avril 2002.
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