Cela fait un moment que nous n’avions pas eu l’occasion d’évoquer l’une de ces salles de cinéma d’antan. Nous vous conseillons de vous rendre dans la catégorie “Salles de cinéma” pour lire nos précédents posts à ce sujet.
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Cette fois-ci nous allons nous intéresser à l’une de ces salles de quartiers comme il y en avait des dizaines à Paris à cette époque. Cela était généralement la porte d’entrée pour de nombreux passionné(e)s de cinéma qui ont découvert là de quoi nourrir leurs rêves étoilés.
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C’est le critique Lucien Wahl qui nous emmène à l’Eden Gobelins, au 57 avenue des Gobelins (75013), salle de 500 places, nous apprend-il, qui deviendra plus tard le Kursaal, le Translux-Gobelins puis le Paramount-Gobelins avant de disparaitre en 1985.
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Salle populaire, il nous décrit le public familial d’une séance, un dimanche d’après-midi où l’on diffuse 3 films muets : Deux Serveuses à la page, La Peur de Mourir (The Opening Night) de Edward H. Griffith (1927) avec Claire Windsor et John Bowers et pour finir La Galante Méprise (Quality Street) de Sydney Franklin (1927) avec Marion Davies et Conrad Nagel.
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Toute une époque savoureuse que nous n’avons pas connu.
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Bonne lecture !
Un après-midi à l’Eden des Gobelins par Lucien Wahl
paru dans Pour Vous du 19 Décembre 1929
Il est de magnifiques salles de cinéma, à Paris, et de moins belles, et de très modestes.
Pour connaître l’effet des films sur des publics différents, plusieurs de mes confrères et moi ne nous faisons pas faute d’entrer là et ailleurs, mais pour une autre raison aussi, et la meilleure, pour le spectacle même de l’écran.
Or, l’autre dimanche après-midi, je m’en suis allé à l’Eden des Gobelins. Une petite salle, bien modeste, car vous pouvez lire dans les annuaires quelle contient cinq cents places et emploie deux musiciens.
Elle ne cherche point à nous éblouir.
Le patron est au contrôle ; la patronne, à la caisse. Je les connais, je les reconnais, ils suivent attentivement les présentations de films, ils ne se fient pas aux racontars, ils ne demandent pas : « Comment est-ce ? Est-ce que ça plaira ? » Ils voient avant de choisir.
La foule défile, assez vite. Bientôt la salle s’emplit. Un peu plus d’hommes que de femmes et plus de casquettes que de chapeaux. Les enfants ne manquent pas. Un garçon de huit ans a amené son petit frère. Derrière eux, six uniformes : petits télégraphistes.
Films muets, certes, mais qui font quelquefois hausser la voix.
Le premier. Deux serveuses à la page, fait éclater les rires (la salle est sonorisée). Certes, on voit poursuites et tartes à la crème et même deux jeunes femmes se salissent mutuellement les joues en se donnant des coups de… foie graisseux, mais quelle gaieté sympathique quand les deux héroïnes ayant tiré de toutes leurs forces une porte qu’elles ne parviennent pas à ouvrir, un petit griffon se dresse sur ses pattes de derrière et bien tranquillement, bien doucement, pousse cette porte qui cède tout de suite !
Une maman, derrière moi, ne cessera guère, pendant toute la représentation, d’embrasser son petit dernier, tandis que l’aînée commentera les images pour celui-ci qui souvent s’attirera cette réponse : « Je t’expliquerai tout à l’heure, tu verras ! ».
Et voici La Peur de mourir, un drame curieux, qui vient d’Amérique et qui, par plus d’un point, rappelle Quand la chair succombe.
C’est mieux et moins bien tout à la fois, avec un départ original et un naufrage terrible. On sauve les femmes les premières… et le héros de l’aventure se vêt d’une robe pour être ramené à terre. Pendant la catastrophe, un canot se renverse, c’est affreux, mais il y a chute, et, quand il y a chute, il y a rire, toujours ; une partie du public, donc — c’est nerveux — se tord. Les vagues brillent, et la grande (qui a quatre ans) dit, derrière moi, au petit : « Tu vois les poissons ? »
L’acteur, moins acteur que Jannings, et personnel quand même, qui joue le principal rôle, n’est pas nommé. Pourquoi ? J’aimerais à lui rendre justice.
Entracte. Sortie. Le directeur et la directrice donnent les cartons. Puis la comédie commence bientôt, historiette gentille, anglaise et faite en Amérique, pleine de procédés, et que maints spectateurs raillent de temps à autre.
La Galante Aventure (sic!) est digne d’être accompagnée de menuets, de pavanes et de gavottes.
Les deux musiciens, consciencieusement, ont choisi dans ces vieux airs.
Quand vient l’armée anglaise avec les nouvelles recrues qui se sont engagées pour combattre Napoléon, on entend un cri argotique et plein d’énergie, comme s’il préparait celui qu’on attribue à Cambrone, et, lorsque Marion Davies pleure, quelqu’un dit bien haut : « All’chiale ! ».
Au défilé, la musique joue un air guilleret et trois cents pieds ou quatre cents ou davantage frappent le parquet, mais le gardien de la paix est monté au balcon et aussitôt qu’il a interdit le bruit, on fait silence jusqu’au moment où les chapeaux des personnages femmes inspirent à un titi ces mots expressifs : « Y sont marrants, leurs galurins ! ».
Mais ces réflexions et interjections sont soudaines, sincères. Personne ne parle pour être remarqué et, en général, on est bien sage, même les enfants, même le bébé de quelques mois que j’ai vu dans les bras de sa mère, le seul de son âge, heureusement, et qui a dû dormir dans cet Eden… des Gobelins.
Lucien Wahl
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
La page consacrée à l’Eden-Gobelins et ses différentes transformations sur le site Salles-Cinema.com.
Le site officiel sur Claire Windsor.
Extrait de La Galante Méprise (1927).
Au cours des années 50, bien qu’évidemment parlantes depuis longtemps, les salles de quartiers, tout au moins à Toulouse avaient gardées un public très réactif. On y applaudissait ou bien sifflait comme au Théâtre du Capitole où on apostrophait les chanteurs souvent même en patois !
Pour revenir au temps du muet, n’oublions pas que le 25 décembre prochain jour de Noël sera le quarantième anniversaire de la disparition de Charles Chaplin (;-))
Vous avez raison de signaler qu’effectivement on pouvait encore trouver ce genre de réactions de la part du public il n’y a pas si longtemps! Et bien sûr je ne raterai pas cet anniversaire de la mort de Chaplin…