Dans la suite de notre série d’article consacré aux Frères Lumière en cette année 2015 commémorative, et alors que nous fêtons aujourd’hui le 120° anniversaire de la première séance payante du Cinématographe, nous avons trouvé celui-ci dans le n°81 daté du 5 juin 1930 paru dans la revue Pour Vous.
Il s’agit d’une interview de Louis Lumière à l’occasion de l’inauguration de la fameuse Rue du Premier-Film à Lyon, où se trouve maintenant l’Institut Lumière.
Une visite à Louis Lumière, inventeur du cinéma
Lyon, 1er juin (de notre correspondant particulier.) !
Ce matin, MM. Herriot, maire de Lyon, et Gheusi, recteur de l’Académie, ont inauguré à Monplaisir la rue du Premier-Film et le groupe scolaire qui portera le nom de Lumière. C’est en effet dans ce quartier de Monplaisir que les frères Louis et Auguste Lumière réalisèrent, en 1894, leurs premières pellicules cinématographiques. — G
Cette courte nouvelle parue dans l’Intransigeant de lundi consacre et remet sous les yeux du public, un peu trop oublieux de nos gloires vivantes, un événement d’une importance capitale.
Reprenant et coordonnant les expériences d’Étienne Marey, d’Émile Reynaud et de Demeny, Louis et Auguste Lumière (quel admirable nom pour les inventeurs d’un art qui utilise toutes les féeries de la lumière !) firent breveter, en 1895, le premier appareil de projection cinématographique et tournèrent le premier film qui ait paru devant les yeux des hommes : La sortie des Usines Lumière à Lyon-Monplaisir.
C’est là un événement qui merite mieux qu’une plaque commémorative et quelques discours officiels ? Il me paraît souhaitable que tous les cinémas fassent figurer, dans leurs programmes de la semaine prochaine, une actualité sur cette cérémonie. Je ne prétends pas qu’elle sera, intrinsèquement d’une très haute valeur, mais tous ceux qui vivent du cinéma et tous ceux qui lui ont confié si souvent leurs loisirs doivent payer ce léger tribut d’attention et d’admiration aux Lumière, sans lesquels le monde ne serait point ce qu’il est.
Songez aux milliers, aux dizaines de milliers d’écrans qui s’illuminent en ce moment même, aux foules qui, de leurs millions d’yeux béants, boivent les aventures dont s’animent leurs toiles, aux studios éclatants d’infatigables soleils qui ne connaissent que le zénith, aux petites photographies d’acteurs qui peuplent les chambres des dactylos, à la place d’un Charlie Chaplin dans le cœur des hommes ; rappelez-vous que tout cela n’existerait pas sans les frères Lumière, ou pas encore, ou pas ainsi ; maintenant, pesez leur victoire mesurez leur conquête. Ce sont eux qui prennent par la main pour vous conduire au cinéma de votre quartier, eux qui ont arrangé ce rendez-vous entre une étoile qui vit de l’autre côté de l’Atlantique et votre propre solitude, eux qui projettent à travers le monde les innombrables images d’un unique sourire, d’un seul baiser, d’un beau jeu d’ombre et de lumière qui ne s’est produit qu’une fois.
Ce n’est point une petite chose que d’avoir donné à un siècle, peut-être même à une ère nouvelle de civilisation, le langage qu’ils attendaient. Si le cinéma n’avait pas existé, nous ne serions pas ce que nous sommes.
Les frères Lumière ont exercé sur chacun de nous une secrète et profonde influence. Ils ont lancé dans notre vie des forces dont nous ignorons les résultantes. Si l’on y réfléchit bien, on est vite obligé d’admettre que les plus grands conquérants ont pétri le monde d’une poigne moins décisive. Avec qui les ranger, si ce n’est avec un Gutenberg ou un Colomb ? Il faut presque en arriver aux fondateurs de religions pour découvrir des hommes qui modifièrent plus profondément le destin de l’humanité.
Que pensent-ils du cinéma, eux qui l’ont créé, de son état actuel, de ses espoirs et de son avenir ? Je le leur ai demandé.
— Il est encore dans les langes, m’a répondu Louis Lumière. On vient d’inventer le parlant. On en tire déjà de merveilleux effets. Tout cela n’est pas au point, mais progresse d’heure en heure. Peut-être qu’un jeune homme inconnu vient de découvrir dans un laboratoire de fortune la véritable solution pour le cinéma en relief ou en couleur. Je ne suis pas de ceux qui déplorent sans cesse que le cinéma ait conquis sa voix. Mon frère et moi avons toujours pensé que notre cinéma n’était pas à bout de merveilles. Ah ! jeune homme, je vous envie. Vous verrez des choses que nous ne soupçonnons même pas. Il faut avoir confiance. »
En sortant de chez M. Louis Lumière, je suis allé demander quelques souvenirs à un vieux garçon de café qui assista à la fameuse séance du 28 décembre 1895, où L’Arrivée d’un Train en gare de la Ciotat, La Mer par gros temps et L’Arroseur arrosé firent leurs débuts dans le monde. Ce brave homme — M. Joseph Pessard — travaillait alors au Grand Café dont les sous-sols abritèrent la mémorable séance.
— J’étais tout occupé à servir des grogs, car il y avait beaucoup de rhumes, cet hiver-là. Entre deux tournées, je descendais voir ce qui se passait en bas et je regardais sans être vu. J’ai pensé que c’étaient des amusettes, des tours, de passe-passe. Comment vouliez-vous que je devine ? Un gros monsieur, en remontant du sous-sol dit tout haut : « On nous a dérangé pour peu de chose. Cette petite trouvaille n’aura pas de lendemain ». Oh ! je me rappelle très bien. J’avais mal aux dents, ce jour-là ! ».
Des « tours de passe-passe » du garçon de café à la « Rue du Premier Film » : tout le chemin parcouru.
Louis Delaprée
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Louis Delaprée fait référence à cet encart paru dans le quotidien l’Intransigeant dans le n°18487 daté du 2 juin 1930.
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
Sur le site de l’Institut Lumière nous trouvons plusieurs pages consacrées aux frères Lumière et à leurs inventions :
La page consacrée à la première séance publique payante (avec quelques vidéos des frères Lumière),
celle consacrée aux frères Lumière et leurs inventions,
celle sur le Hangar du Premier-Film (dernier vestige des usines Lumière, classé Monument Historique).