Nous avons découvert l’oeuvre de Francis Carco sur le tard. Si vous êtes, comme nous, passionné-e par les films du Réalisme Poétique, quel choc ! réserve la lecture de ses premiers romans, Jésus-la-Caille, Les Innocents, L’Equipe, etc.
Celui qui fut surnommé “le romancier des apaches », du nom de ces voyous célèbres au début du siècle dernier, a décrit comme personne le milieu des quartiers mal famés, des mauvais garçons, des filles de joie à Paris principalement Montmartre, Pigalle et Belleville.
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C’est par hasard que nous sommes tombé sur cet entretien paru dans Comoedia en 1931 donc dans les premières années du Cinéma Parlant en France.
Francis Carco évoque son amour du cinéma et son projet de porter à l’écran son premier scénario Paris-Beguin qui sera réalisé par Augusto Genina avec Jean Gabin et Jane Marnac.
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Nous avons rajouté plusieurs encarts paru dans Comoedia dont un article (à lire ici) sur le tournage du film avec Jean Gabin…
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Au total, Francis Carco a collaboré à 6 films dont il faut surtout retenir les deux premiers, même s’ils n’égalent en rien la puissance de ses romans :
1930 : Paris la nuit de Henri Diamant-Berger d’après son scénario original.
1931 : Paris Béguin de Augusto Genina d’après son scénario original.
1938 : Prisons de femmes de Roger Richebé adapté du livre du même nom, dans lequel il apparaît.
1947 : L’Homme traqué de Robert Bibal adapté du livre du même nom.
1955 : M’sieur la Caille de André Pergament adapté du roman Jésus-la-Caille.
1958 : Prisons de femmes de Maurice Cloche.
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Il faut vraiment regretter que Carco n’ait pas connu au cinéma le même succès que pour ses romans ni qu’il n’ait pu avoir la même chance que Mac Orlan ou Simenon, c’est-à-dire de voir des grands réalisateurs adapter son oeuvre. En effet, son univers très cinématographique aurait mérité d’être mis en valeur à l’égal du Quai des Brumes ou de La Nuit du Carrefour par exemple. Mais il est vrai que ses histoires sulfureuses dans les quartiers mal famés de Paname ont dû faire fuir les producteurs…
Il nous reste fort heureusement ses livres…
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Bonne lecture !
DU ROMAN AU FILM
Francis Carco, conquis par le Cinéma, rêve-t-il de devenir une vedette de l’Ecran ?
paru dans Comoedia du 18 juin 1931
Le romancier de “L’Homme traqué” nous livre ses confidences, ses opinions et deux bien curieux documents.
Sur la table de travail, des notes éparses. C’est la naissance d’un roman, Le Fanfaron.
— Vous aimez le titre, hein ! Francis Carco s’est levé.
Œil malicieux, sourire qui jette la bouche de travers, comme un coup de poing, mèche rebelle qui pend sur la tempe gauche.
— Et le sujet ! Ah ! quel sujet !
Et le romancier de L’ Homme traqué, de La Rue, de Bob et Bobette s’amusent, me raconte le sujet du livre dont il rêve.
Mais, brusquement, il s’interrompt. Il ramasse ses notes, les rassemble, les range dans un dossier.
— Non. Tout ça, c’est pour plus tard. Dans le calme de Barbizon, je m’y remettrai. Pour l’instant, je suis perplexe. Ce qui me fascine, c’est le cinéma. Quelle nouveauté pour moi, quel prestige, quelle force ! Je voudrais donner plusieurs films… Si vous saviez comme c’est passionnant !
« On achève de tourner actuellement, chez Osso, un film de moi, Paris-Béguins. Cette vie de studio me ravit. Quel effort, et, en même temps, quelle grâce ! Jane Marnac est merveilleuse d’intelligence et de souplesse. Et tous les autres.
« Ce premier film m’ouvre bien des horizons. Je veux continuer. »
Carco se promène de long en large dans son cabinet de travail, caresse du regard une toile de Vlaminck ou de Derain, tourne un livre entre ses doigts, modèle dans l’air des formes imprécises et vivantes.
— En octobre, je partirai pour Berlin. J’ai deux ou trois scénarios que je veux montrer en Allemagne. Parce que, en France, on vit dans la terreur de la censure et de ce qu’on appelle le spectacle de famille.
— Alors, naturellement, vous faites un peu peur !.
— J’ai parlé à plusieurs personnes de projets que j’avais. On m’a répondu : « Vous n’y pensez pas ! Ce n’est pas possible! Il n’y a que les Allemands pour oser tourner ça ! ».
« Ce que je voudrais, pourtant, c’est que le cinéma fût, pour moi, comme le prolongement de mes livres. Ne croyez-vous pas qu’on puisse me faire crédit ? J’aurais pu avec les suiets qui sont les miens, passer la mesure, dans mes romans. L’ai-je fait ? »
Un petit silence, et Francis Carco reprend :
— Ce que j’ai appris tout de même, car on débute toujours quand on entre dans un art nouveau, c’est que la seule manière, pour un auteur, de réaliser un scénario original, c’est de collaborer étroitement avec le metteur en scène.
« Pourquoi tant d’écrivains se plaignent-ils que le film les ait trahis ? Ce sont eux, les coupables ! On ne s’improvise pas scénariste, quand on est romancier. C’est un art différent. Pour Paris-Béguin, j’ai écrit tout mon scénario avec, auprès de moi, Augusto Genina, qui est un artiste. La collaboration tue la rivalité. Et, au fond, chacun son métier, n’est-ce pas ?
Maintenant, l’auteur de Rue Pigalle et de Printemps d’Espagne me parle d’un autre scénario qu’il achève :
— J’y tiens beaucoup, à celui-là. Titre: La dernière nuit.
— De Don Juan ?
— Pas tout à fait ! L’action se passe dans un port. Ce que je voudrais rendre, c’est cette atmosphère de poésie, ce quelque chose d’assez grand et d’assez déchirant, tout ce côté « petits bistros », avec des perroquets dans les cages. Et quelque chose, surtout, de très simple…
« Car je ne crois pas aux histoires compliquées ni à la nécessité de dépenser une fortune pour réaliser un bon film.
« Le grand film américain, avec ses déploiements de richesses, est toujours basé sur une donnée puérile, et son mouvement est trop rapide.
« Le cinéma allemand. au contraire, a le bénéfice de la lenteur, qui, quelquefois, peut devenir un danger pour lui…
« Ah ! le cinéma ! »
Un sourire énigmatique tire la lèvre de plus en plus. Dans les mains du romancier, il y a deux vignettes étranges, que je subtilise pour la joie des lecteurs de Comœdia :
— Hein ? ça ne me va pas mal, le travesti? Dites, après ça, que je ne suis pas photogénique !
— Songeriez-vous donc à tourner vous-même ?
— Eh! Eh ! Ces deux photos ont été prises à Barbizon. Ici. je suis avec André Rouveyre. Là, j’ai tout du gaucho ! On rigolait. Mais, après tout, vedette, pourquoi pas ?
Un court silence, et cette confidence :
— Seulement, n’est-ce pas, si je veux jouer les jeunes premiers, les petits apaches sympathiques, il faut que je me fasse un tout petit peu maigrir. un tout petit peu. Parce que les pères nobles, moi, zut !
Pierre Lagarde
Comoedia du 10 mars 1931
On tourne « Paris-Béguin » du boulevard de la Chapelle à la rue Francœur. Et cela donne lieu à d’amusants incidents.
paru dans Comoedia du 13 mai 1931
Rassemblement au coin du boulevard de la Chapelle et de la pittoresque rue de la Charbonnière, la seule voie parisienne qui ait gardé son allure de « quartier réservé ». Jean Gabin n’a pas l’air rassurant et Rachel Berendt ne semble pas rassurée. Augusto Genina est enchanté, ravi, Francis Carco exulte de joie. Le « milieu” que nous révélera le grand film Paris-Béguin, qu’on tourne pour les Films Osso, ne sera pas, comme dit Trignolles, conseiller argotique et chef de la figuration, un « milieu à la-mie de- pain”.
On avait besoin de deux « radeuses » et Trignolles alla chercher deux vraies régulières du boulevard.
— 25 francs pour tourner.
— Chouette ! dit l’une, j’vais être artisse.
Mais l’autre refuse…
— Tu as tort, on te verra dans le film, lui affirme Pierre Danis, l’assistant de Genina.
— Eh ! dis, intervient Trignolles, regarde ses chicottes (dents) ; tu vois bien qu’elle a la gueule en or, ça se paye !
On doubla le cachet, et la jeune femme qui avait les dents en or alla rejoindre sa compagne devant les caméras et les micros.
Aux prises de vues de Paris-Béguin, qui nous emmènent cette fois devant le dépôt, Jean Gabin apparaît sans cravate, le chapeau enfoncé sur les oreilles. Jean Max, balafré, se promène de long en large. Les paniers à salade sortent — car il est une heure du matin — pour aller faire la tournée des commissariats. Deux agents s’approchent de Gabin et le menacent de l’arrêter ; M. Auguste
Genina doit intervenir et expliquer aux braves gardiens de l’ordre qu’ils font erreur, qu’il s’agit d’un acteur en train de tourner un rôle.
Hier, au studio de la rue Francœur.
Nous sommes devant la sortie des artistes du music-hall où joue la grande vedette Jane Diamand — et Jane Diamand c’est Jane Marnac. Devant ses yeux, son amant (Jean Gabin) est blessé d’un coup de revolver. Ah! le magnifique élan de passion et de pitié qu’a la grande artiste! Elle se précipite, fait transporter le blessé dans son auto.
— Stop ! s’écrie Genina. Merci, madame Marnac, nous ne recommençons pas, c’est très bien.
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Fernandel dans Paris-Béguin (Comoedia du 05 juillet 1931)
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Paris-Béguin sort au Gaumont-Palace. (Comoedia du 09 octobre 1931)
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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
L’article “Francis Carco, « peintre » de la bohème” sur le blog La Pierre et le sel.
Sur les pas des écrivains : Francis Carco.
L’exposition Francis Carco au Musée du Montparnasse en 2012.
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Jane Marnac chante le thème du film Paris Béguin (1931).
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Marie Dubas chante Le Doux Caboulot, poème de Francis Carco mis en musique par Jacques Larmanjat.
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