Auguste Baron, le père du cinéma parlant (Pour Vous 1931)


Il y a 80 ans aujourd’hui, c’était au tour d’un pionnier du cinéma parlant de nous quitter dans la misère, comme beaucoup d’autres (l’on songe à Georges Méliès et Emile Cohl disparus la même année) : Auguste Baron.

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Nous vous proposons donc d’abord l’article paru dans Pour Vous : “Une visite au “père”  français du parlant” par Jean Portail en 1931 à une époque où Baron, oublié, venait d’être redécouvert.

Puis, nous vous proposons plusieurs articles nécrologiques paru dans Paris Soir et Le Figaro. à la suite de la mort d’Auguste Baron le 31 mai 1938.

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Finalement, pour mieux vous aider à cerner qui était Auguste Baron, nous vous proposons l’article “Auguste Baron, le 3 avril 1896, inventait le « graphonoscope »” paru dans  Le Petit Journal en 1938, suivi de “Auguste Baron, précurseur du film parlant” paru dans Le Figaro en 1937, et pour finir “L’inventeur du cinéma parlé, M, Auguste Baron, aveugle et âgé de 78 ans, a-t-il trouvé le cinéma en relief ?” paru en 1933 dans l’Intransigeant.

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Pour clore cet hommage, nous aimerions signaler que Auguste Baron fût également honoré dans un article de Cinémagazine, datant de juin 1933 : “Le Cinéma parlant est né avec ce siècle” et dont nous aimerions citer le dernier paragraphe :

« Bien sûr, nous ne prétendons pas que Baron ait créé de toutes pièces le cinéma parlant de nos jours. D’autres sont venus après lui qui, s’inspirant de ses travaux et s’aidant des découvertes incessantes du progrès, ont peu à peu créé cet enregistrement du son sur film dont la perfection technique tient aujourd’hui du prodige.

Mais n’est-il pas écrit quelque part qu’il est nécessaire de dissocier pour inventer ? C’est pourquoi il était juste de fouiller le passé afin de rendre hommage à l’innovateur, au précurseur véritable du cinéma parlant que demeure Auguste Baron, et de lui apporter publiquement l’assurance de notre souvenir ému et de notre admiration reconnaissante. »

Celui qui a écrit ces lignes était… Marcel Carné.

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Bonne lecture !

 

Une visite au “père”  français du parlant

paru dans Pour Vous du 14 avril 1931

Pour Vous du 14 avril 1931

Pour Vous du 14 avril 1931

On ne dispute plus à M. Auguste Baron la paternité du premier film parlant. Son brevet, qui date du 3 avril 1896, est antérieur de plus d’un lustre à tout autre.
Mais la science n’enrichit pas toujours son homme. Du moins, si M. Auguste Baron a gagné beaucoup d’argent, sa façon poétique de comprendre la vie ne lui a-t-elle pas permis d’amasser, pour le moment de la retraite, ces 
fonds sans lesquels il n’est pas de véritable indépendance.

M. Auguste Baron est pensionnaire de l’Institution Gaglignani, à Neuilly-sur-seine.
C’est là que j’ai été le voir un de ces derniers jours de printemps qui faisaient de la belle demeure à pelouses et à larges allées de gravier, une manière de gai château. Après un escalier… puis un couloir… et un autre couloir cirés à éblouir, et ailés, ça et là, d’une blanche cornette de religieuse de Saint-Vincent-de-Paul, j’arrive au petit appartement que le savant occupe avec sa femme. Il est seul. Mme Baron est prise au dehors, quotidiennement, jusqu’au soir, par ses leçons de piano.

L’inventeur — qui a juste, ce jour-là, soixante-seize ans — est aux trois-quarts aveugle : un œil complètement éteint, l’autre si affaibli qu’il ne distingue pas si un nouveau venu, chez lui, est homme ou femme. Mais l’esprit a gardé toute sa vive souplesse.

Ah ! ah ! vous venez pour le parlant… Mon Dieu oui ! J’en suis le père. Ce fut à la suite d’un pari. Un de mes amis, le professeur Marey, de l’Institut, m’avait mis au défi. Je m’occupais déjà de cinéma. « Il y a une chose à laquelle vous n’arriverez jamais, me dit M. Marey, c’est à synchroniser l’image et le son… ». J’affirmai que si, et je poussai mes recherches dans cette voie. Il me fallut tout inventer : la perforeuse servant au repérage, une caméra — comme on dit maintenant — une caméra spéciale, un phonographe tout aussi spécial — et il me fallut aller chercher en Angleterre, à la maison Blair, des pellicules d’une longueur suffisante… Enfin, après un labeur de sept ans, en 1899, je fis, au professeur Marey et à quelques autres personnalités, la présentation du premier film parlant avec synchronisme parfait de l’image et du son.

— Pourquoi n’avoir pas industrialisé votre découverte ?
A cette époque, on ne connaissait pas le disque. J’employais le rouleau de cire qui ne permettait pas les duplicata… A chaque fois que j’eusse vendu le même film, il m’eût fallu faire revenir les acteurs…

— Tout de même… un nabab commanditaire n’eût-il pu vous fournir les moyens de poursuivre vos recherches jusqu’au point où il vous serait devenu possible d’en tirer un profit commercial ?
J’ai trouvé ce nabab, me dit M. Baron. M. X… me proposa de monter pour moi une usine en Angleterre. II devait m’envoyer un ingénieur — un ingénieur anglais de tout repos — auquel j’exposerais sans restrictions mes résultats. Vous comprenez : il s’agissait de dévoiler tous mes secrets. Mais il était juste d’offrir à M. X… toutes certitudes scientifiques. Donc, un jour, on vint me prévenir, dans les ateliers de mon usine d’Asnières, qu’un monsieur, envoyé par M. X…, m’attendait au salon. Je pensai à l’ingénieur anglais. Quelle stupéfaction de reconnaître — en mon visiteur — un de mes concurrents ! Par chance, je l’avais vu, à une réunion. «Mais… mais… m’écriai-je… vous êtes M. Z…? » Il bredouilla une explication. Sur ces entrefaites arriva M. X… — mon nabab ! — qui crut que j’avais donné dans le piège. Je les mis tous deux à la porte. Je l’avais échappé belle !

Pour Vous du 14 avril 1931

Pour Vous du 14 avril 1931

— Il paraît que l’on vous doit une quantité d’autres inventions?
Quelques-unes, en effet, répond avec un sourire mon interlocuteur.

Et, ses mains d’aveugle ayant atteint des feuilles dactylographiées, il les pousse vers moi.
Tenez ! voici une petite liste !

Et je parcours cet alignement de brevets ! Ce magazine suffirait juste à l’énumération ! Appareils pour les techniciens… appareils d’usage courant comme la machine à trancher, peser et marquer automatiquement le poids et le prix de chaque produit découpé en tranches variables suivant l’épaisseur demandée… Auguste Baron a quasi tout inventé ! Rien que pendant la période de guerre, il a pris soixantequatre brevets… et les dieux du carnage seuls savent combien nous sommes redevables à son lance-projectile pour obus, par exemple…

Mon regard tombe sur la boutonnière du vieux savant aveugle. Il a la rosette de l’Instruction publique. Il n’a pas la légion d’honneur !
Je suis proposé depuis 1900, me dit-il doucement. 

 Jean Portail

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Auguste BARON avait inventé en 1897 le cinéma parlant
IL VIENT DE MOURIR AVEUGLE ET PAUVRE

paru dans Paris-Soir du 05 juin 1938

Paris-Soir du 05 juin 1938

Paris-Soir du 05 juin 1938

Ruiné par ses inventions, il vivait retiré à Neuilly et pour lui permettre de continuer ses recherches, sa femme donna longtemps des leçons de piano.

Auguste Baron, l’inventeur du cinéma parlant, vient de mourir. Le savant a rendu le dernier soupir dans la très modeste chambre de l’Institut Galignani, à Neuilly, où il vivait depuis dix ans, d’une demi-charité. Il venait d’entrer dans sa 83e année, et sa compagne, presque aussi âgée que lui, sa fille, l’entourèrent de soins affectueux jusqu’à sa dernière minute. Mais si dure avait été la vie de l’inventeur, si affreuses ses dernières déconvenues, que les efforts des deux femmes eurent peine à adoucir l’amertume de ses derniers jours.

Le graphophonoscope

C’est le 3 avril 1896 qu’Auguste Baron prenait un premier brevet concernant une prise de vue et une prise de son simultanées. Il avait créé les appareils de toutes pièces. Il gardait précieusement le secret de ses cylindres de cire vierge, où il inscrivait les sons et qui se déroulaient en même temps que le film.
Il espérait industrialiser sa découverte qui, dès les premières présentations, eut un succès considérable. Il avait nommé son invention : le graphophonoscope. Le professeur Marey, de l’Institut, fut le premier à s’émerveiller lorsqu’Auguste Baron lui présenta « Le Songe d’Athalie » où brillait l’acteur Lagrange.

Les recherches avaient coûté 200.000 francs d’avant guerre. Mais les résultats, par un de ces tours de passe-passe fréquents dans la vie des inventeurs, furent, pour Auguste Baron, désastreux. Si l’industrie s’empara de son invention, lui ne toucha jamais un franc de bénéfice.

La photographie aérienne automatique

Cependant, la passion de la science l’emportait à tel point que le savant continua ses recherches. Il avait rencontré une admirable compagne, qui l’aidait de toutes ses forces, s’associant même à ses travaux. Il trouva diverses applications mécaniques et optiques, pendant la guerre, il risqua maintes fois sa vie pour mettre au point le « multirama » un appareil photographique qui, placé à bord d’un avion, prend les reliefs d’un terrain par une suite de clichés. Il inventa le graphorama, ou appareil photographique automatique aérien qui peut reproduire sans changer de pellicule jusqu’à 100 kilomètres de terrain. Enfin, un appareil de son invention, placé au centre de la Concorde put prendre sur une seule photo une vue circulaire de la place.

Auguste Baron avait travaillé de tout son cœur, dépensant sa patience et ses forces. Lorsque la guerre fut terminée, il demanda, bien timidement, si l’on ne pourrait pas rémunérer ses services. « Vous avez eu l’honneur de servir le pays », lui fut-il répondu.

Et Auguste Baron n’insista pas, il se retira sous sa tente, pauvre, les yeux usés par les lumières expérimentales. Il n’avait même pas pu obtenir, alors qu’il grimpait dans les « zincs » de la guerre pour mettre au point ses appareils, que sa femme et ses enfants fussent assurés de l’avenir en cas d’accident.

Paris-Soir du 05 juin 1938

Paris-Soir du 05 juin 1938

Aveugle !

En 1920, le malheureux savant est las de lutter. Le labeur incessant, la lumière primitive des studios affaiblissent sa vue. Et puis son moral est atteint : tout un drame encore difficile à évoquer se noue autour de ses inventions, que l’on copie, que l’on exploite. Il a enfanté, d’autres réalisent sans aucun profit pour lui. Il réclame, proteste, mais il est ruiné ; il lui faudrait entamer des procès, mais il n’a pas d’argent.

A la fin de l’année, Auguste Baron commence à ne plus voir ; bientôt il est complètement aveugle.

Finis les travaux, les recherches ; l’usine, le laboratoire doivent fermer leurs portes. L’argent des inventions qui servait à payer les études d’une autre idée ne rentre plus.

C’est la gêne qui devient vite voisine de la misère. Il faut abandonner la vie indépendante, la maison de retraite pour vieux savants de Neuilly, œuvre philanthropique, lui ouvre grandes ses portes. L’Académie des Sciences accorde à Auguste Baron la pension la plus forte : 1.800 francs par an. Il a vécu dans ce coin paisible de Neuilly jusqu’au 1er juin 1938. Sa femme donna longtemps des leçons de piano pour apporter quelques douceurs à l’homme qui terminait sa vie dans les ténèbres.

Gloire tardive

Documents en main, il y a 7 ans, persuadé de servir une cause juste, j’ai déclenché, aidé de M. Maurice d’Occagne et de Jean-José Frappa, une campagne de presse pour rendre à Baron la place qui lui revenait dans la création du cinéma parlant.

Hommages tardifs, M. Mario Roustan, alors ministre de l’Instruction publique, fit décerner la Légion d’honneur au vieux savant de 77 ans. Des fêtes furent organisées et le roi des Belges lui accorda la croix de Léopold. La figure aux yeux vides de l’inventeur rayonnait d’un beau sourire retrouvé.

On ouvrit une souscription en son honneur. On recueillit 10.500 francs…

Et M et Mme Baron durent demeurer à l’Institut Galignani de Neuilly.

Ce regain d’actualité avait donné un coup de fouet au courage du vieil inventeur ; la reconnaissance un peu tardive du monde avait provoqué un vif réveil de son esprit. Il voulut inventer à nouveau, bien qu’il fût aveugle. Sa fille, Mme Gaudin, sous sa dictée, traça des plans, clarifia les explications de son père ; Baron tenta de créer un appareil pour prendre directement les films en relief qu’il projetait sans le secours d’aucune lunette intermédiaire.

Mourir pour la science

Les pauvres billets de mille recueillis devaient servir, comme me disait Mme Baron : « pour assurer notre dernière demeure ». La passion de l’inventeur reprit le dessus ; l’argent, de la souscription fut englouti pour prendre à nouveau des brevets pour construire l’appareil qui devait être le couronnement de sa vie. Hélas, il ne voyait plus, les détails lui échappaient ; il ne trouva pas le technicien qui aurait pu remplacer sa vue. Il s’énerva, les idées sombres envahirent à nouveau son cerveau et le calvaire du savant incompris reprit.

Il est mort sans avoir pu mettre la main définitive à cette invention à laquelle il donna ses dernières forces. Il est mort de la science, comme il a vécu pour elle.

Pierre Fontaine

*

Auguste Baron, précurseur du film parlant, est mort

paru dans Le Figaro du 4 juin 1938

paru dans Le Figaro du 4 juin 1938

paru dans Le Figaro du 4 juin 1938

Après Emile Cohl, inventeur du dessin animé, après Georges Meliès, fondateur de l’industrie et du spectacle cinématographiques, voici que disparaît Auguste Baron précurseur incontesté du cinéma parlant.

C’est à Neuilly, dans une maison de retraite gérée par l’Assistance publique, où sa vaillante compagne, âgée elle-même de soixante-quinze ans, venait le voir chaque jour, que s’est éteint le grand savant. Il s’y trouvait hospitalisé depuis 1935, après avoir été terrassé par une congestion cérébrale qui l’avait rendu aveugle et paralysé. Il avait conservé toute sa lucidité, mais seul son esprit continuait à vivre.

Fils d’un professeur de phrenologie, Auguste Baron s’est attaché, il y a plus de quarante ans, peu de temps après l’invention du cinéma, à l’étude d’un appareil dit « graphonoscope », qui n’est autre que l’ancêtre du cinéma parlant actuel.

Mais le septième art n’est pas le seul domaine qui lui soit redevable de son perfectionnement technique. La marine, l’aviation, l’armée en général, furent dotées par Auguste Baron de maints et précieux appareils photographiques ou autres.

Comme tous les savants, il eut à lutter pour mener à bien son œuvre. Comme d’autres, il fut pillé et comme d’autres aussi, il vit ses inventions profiter à ceux qui les industrialisaient, tandis qu’il demeurait l’humble et infatigable chercheur.

Auguste Baron meurt à quatre-vingt-deux ans, léguant à sa veuve, dont le dévouement ne s’est jamais relâché, des parchemins qui attestent qu’il fut l’un des piliers du magistral édifice cinématographique, un nom qui restera peut-être ignoré des millions de spectateurs de l’écran, et, dans un écrin, une croix de la Légion d’honneur.

Julien-J. London

paru dans Le Figaro du 4 juin 1938

paru dans Le Figaro du 4 juin 1938

Auguste Baron, le 3 avril 1896, inventait le « graphonoscope ». LE CINEMA PARLANT

paru dans Le Petit Journal du 21 juin 1938

paru dans Le Petit Journal du 21 juin 1938

paru dans Le Petit Journal du 21 juin 1938

Dans ce bureau encombré de plans et photos d’appareils radiologiques, l’ingénieur Camille Baron me tend quatre feuillets dactylographiques qui portent comme titre :

« TRAVAUX DE L’INGENIEUR AUGUSTE BARON, CHEVALIER DE LA LEGION D’HONNEUR, CHEVALIER DE L’ORDRE DE LEOPOLD 1er. »

Une centaine d’inventions des plus diverses, les unes brevetées, les autres brevetées et exposées au Conservatoire des Arts et Métiers, figurent sur ces quatre petites feuilles de papier léger qui relatent l’aventure, l’effort et la puissance imaginative d’un grand savant qui a sacrifié son bien-être et sa vie à la science.

C’est Auguste Baron, l’inventeur du cinéma parlant…

— Mon père est mort il y a quelques jours, à l’Institut Galiniani, à Neuilly, une maison de retraite pour vieillards, où l’avaient fait entrer M. Louis Lumière et la Société Amis de la Science. Après soixante années de lutte, il est mort là, 84 ans, aveugle, pauvre, tragiquement blessé par l’incompréhension et la mauvaise volonté des hommes.

Chasseur d’Afrique et cinéaste !

A la fin du siècle dernier, l’idée du cinéma était « dans l’air », Mon père, élève aux Arts et Métiers d’Angers, n’ayant pu continuer ses études pour des raisons de famille, s’engage à 19 ans, en 1872, dans les chasseurs d’Afrique, pour cinq ans. Son service terminé, il vient à Paris, s’adonne à la musique et, pour gagner sa vie, devint dessinateur-graveur. C’est l’époque où la photogravure fait son apparition ; il s’en occupe. C’est l’époque où Etienne-Jules Marey, professeur au Collège de France, obtient un grand succès avec son étude sur le Mouvement et ses images mouvantes, obtenues grâce à une « boite munie de fentes ». C’est le « fusil » photographique avec lequel Marey photographie les bonds des biches.

» Mon père connait les travaux de Marey et après une longue conversation avec un ami, Auguste Baron se demande tout à coup : Pourquoi ne travaillerais-je pas cette question des images mouvantes ? »
» Ainsi, par un enchaînement logique, l’ancien élève des Arts et Métiers d’Angers, l’ancien chasseur d’Afrique se lance à corps perdu dans le cinéma.
» Mais il ignore si d’autres se sont attaqués aux mêmes recherches, et, les premiers, les frères Lumière déposent le brevet français du cinéma muet. Déjà, on projette de courtes bandes dans la cave du Grand Café, sur les Boulevards.

La lumière et le son

» Cependant, Edison vient d’inventer son phonographe à rouleau. Après une nouvelle conversation et discussion avec un ami, Auguste Baron pense aussitôt à la jonction : lumière et son. Il commence ses recherches, et bientôt, le 3 avril 1896 exactement, il prend le premier brevet sur le GRAPHONOSCOPE, synchronisme entre le son et le mouvement.
» Auguste Baron réalise cette invention à l’aide de la cellule photoélectrique déjà découverte ;
» En 1898 enfinBaron prend le brevet définitif, allemand et américain, qui protège son importante découverte.

— Et le cinéma parlant n’est apparu que trente ans après ?
Parce que les brevets allemand et américain couvraient le graphonoscope pendant 20 ans, au bout desquels, d’ailleurs, mon père a fait renouveler les brevets pour dix ans. Mais il était trop pauvre pour les renouveler une seconde fois, et à la date exacte de l’expiration des brevets, le cinéma parlant fait son entrée dans le monde »

» NéanmoinsAuguste Baron, poursuit ses travaux sur le cinéma jusqu’en 1900. Dans les années 1904 -1905, il installe même un cinéma dans une des salles du Petit Journal. En 1905, il équipe encore un camion sonore (brevet anglais) « pour ciné et publicité » à la campagne. La voiture effectue des tournées, puis disparaît…  Raison :  finances ! Elles, toujours elles, qui harcèlent cet homme de laboratoire qu’était Auguste Baron.

homme de laboratoire 

— Quelle fut la réaction de votre père, lors de l’avènement du film parlant ?

Il était à moitié aveugle, les yeux brûlés par les lampes à arc et les lampes radio-electriques. Il  avança sa main devant ses yeux mourants comme pour les protéger : « Ça y est, dit-il, ils ont utilisé mes travaux. »  Et il n’en parla plus jamais.

— votre père n’était soutenu par personne ?

— Au temps de ses recherches, les instituts, les laboratoires officiels étaient encore en majeure partie, à créer, et les chercheurs n’avaient le loisir que de travailler à leurs frais.

» Un premier commanditaire, un petit héritage et la dot de ma mère permettent à Auguste Baron d’inventer le graphonoscope. Un deuxième commanditaire subvient aux frais des brevets. C’est tout. “Pour moi, une chose inventée est finie” avait coutume de dire Baron.

» Néanmoins, désireux d’assurer l’avenir de sa compagne et de ses deux enfants, le savant se laissait à nouveau entraîner dans des échafaudages commerciaux qui tous, tour à tour, s’écroulèrent.

— Le graphonoscope est son invention la plus importante ?

Servir le pays

Oui, écoeuré par le cinéma, mon père se tourna vers l’aviation. C’est l’époque des frères Wright. Baron réalise toute une série de perfectionnements et d’inventions dans ce domaine : aero-cinema, planeur, appareil indiquant automatiquement le sens de direction de l’avion (1910), etc.

» Puis, c’est la guerre. Baron se dévoue corps et âme à la France.

» Sexagénaire, il n’hésite pas à grimper dans les avions pour mettre au point sa nouvelle invention, le “multirama”, un appareil photographique, qui, placé à bord d’un avion, prend les reliefs d’un terrain, par une suite de clichés, sans déformationPuis, le “graphorama”,  encore un appareil photographique, mais automatique, qui permettait de photographier des bandes de terrain d’une longueur approchant les 100 kilomètres. Plus besoin de photographe à bord. Le pilote déclenchait l’appareil et se contentait de voler en direction.

» A la même époque, Auguste Baron trouve un système permettant de photographier selon un angle de 360 degrés, c’est-à-dire réalisant la prise de vue circulaire. Un tel appareil, placé sur la colonne Vendôme, photographierait toute la place, en une seule opération.

» N’ayant pas d’argent, ces inventions n’entrèrent jamais dans le commerce. Après la guerre, Auguste Baron s’adressa aux pouvoirs publics, demandant une aide pour les services rendus.

« Vous ayez eu l’honneur de servir le pays », lui fut-il répondu. Et Baron avait perfectionné les armes automatiques, trouvé la mitrailleuse à canons multiples, un appareil de visée pour avions, etc., etc.

paru dans Le Petit Journal du 21 juin 1938

paru dans Le Petit Journal du 21 juin 1938

Mais Auguste Baron a trop lutté. Il a donné trop de ses forces aux autres. En 1922, sa vue commence à décroître. Ses yeux sont brûlés par les lampes violentes du laboratoire. L’inventeur prend peur. Il craint pour son travail, pour sa famille. Il est las. Il a perdu sa belle confiance dans l’humanité.

L’année suivante, il est terrassé par une attaque d’apoplexie. Madame Baron, à peine moins âgée que lui, subvient alors aux frais du ménage. L’admirable et dévoué compagne du savant donnera des leçons de piano jusqu’en 1935. C’est elle qui fait vire la famille.

Auguste Baron est maintenant à moitié aveugle et ne voit plus que la différence entre le jour et la nuit. Il souffre moralement, atrocement. Plus jamais il ne prononce les mots de “recherche, invention”.

« Je ne vois plus »

En 1929, il entre à la maison de retraite : pour services rendus à la science. Enfin, on veut bien le reconnaitre !
L’Inventeur du cinéma parlant est maintenant âgé de 77 ans. Des amis font une campagne de presse en sa faveur, et ce n’est qu’en 1931 que ce grand Français est décoré de la Légion d’honneur et de l’Ordre de Léopold 1er. Bruxelles le fête comme il n’a jamais été fêté en France. Cette distinction éclaire sa vieillesse…

Auguste Baron a retrouvé son beau courage. Encore une fois, il se met au travail, reprend une idée qui lui est chère : le cinéma en relief, visible à l’œil nu, sans ces accessoires dont on munit les spectateurs du relief, les lunettes.

Il raconte ses idées à son fils et à sa fille, Mme Gaudin. Mme Gaudin dessine inlassablement, sous la direction de son père. Mais lui, le grand aveugle, ne peut plus voir les plans qui s’élaborent, ne peut plus rectifier une erreur de tracé.

Désespéré, il abandonne. « Je ne vois plus », dit-il, pour exprimer sa douleur. Le projet reste à l’état embryonnaire.

Quelques mois plus tard, Auguste Baron, l’Inventeur du cinéma parlant, l’homme dont une grande partie des œuvres est exposée au Conservatoire des Arts et Métiers, le constructeur d’une centaine d’appareils inédits, est mort du sacrifice qu’il avait fait à la science, à son idéal.

Mon père est mort comme Forest, me dit l’Ingénieur Camille Baron, son fils. Comme Forest, l’inventeur du moteur à explosion, il est mort dans le plus complet dénouement. »

Hugues Nonn


Auguste Baron, précurseur du film parlant

paru dans Le Figaro du 26 novembre 1937

paru dans Le Figaro du 26 novembre 1937

paru dans Le Figaro du 26 novembre 1937

Brevet 255.317 (3 avril 1896)

Auguste Baron et Bruneau : ” Système d’appareil servant, à enregistrer et à reproduire, simultanément les scènes animées et les sons. »

Brevet 276.628 (4 avril 1898)

Auguste Baron : « Système d’appareil perfectionné pour enregistrer et reproduire simultanément les scènes animées et les sons qui les accompagnent. »

Brevet 294.384 (16 novembre 1899)

Auguste Baron « Système d’appareil pour projections panoramiques circulaires animées en couleurs et parlantes, dit “cinématorama parlant”.


Neuilly, boulevard Bineau. La Maison de retraite Galignani, administrée par l’Assistance publique, dernier refuge d’artistes, de poètes, d’inventeurs et d’un grand savant Auguste Baron, le plus méconnu, le plus oublié peut-être de tous les pionniers du cinéma.

Complètement aveugle, à demi-sourd, impotent, Baron a 82 ans. Mais est-il aveu plus pénible que celui d’une épouse admirable : « Mon mari est mort en 1935, d’une congestion cérébrale. »

Quoi de plus émouvant, sinon ces yeux qui vivent encore, qui vous fixent irrésistiblement, implacablement, et qui ne voient plus. L’histoire du cinéma devient l’histoire de la détresse humaine.

Cohl dans un asile, Méliès à Orly, Méliès, gravement malade depuis quelques jours et contre lequel on veut commettre un geste inqualifiable, en réduisant à cinq cents francs une mensualité avec laquelle trois êtres doivent vivre et se nourrir, tant de misère, tant d’ingratitude ne suffisaient pas, voici maintenant Auguste Baron.


Fils d’un professeur de phrénologie au Muséum, dont les disciples furent Chevreul et CharcotAuguste Baron vit ses études interrompues par la guerre de 1870 et obtint de son père qui lui révéla la photographie l’autorisation de s’engager au premier régiment de chasseurs d’Afrique. Et déjà l’adversité, il ne revient que pour voir mourir son père et trouver les collections, la bibliothèque, les travaux de celui-ci dispersés.

L’inventeur se révèle avec les années.
Il installe un laboratoire dans son pavillon de Courbevoie, étudie les propriétés, récemment découvertes, du sélénium, met au point le procédé photographique au collodion, est chargé de l’installation électrique au Casino de Paris, des premiers kinetoscopes d’Edison. Alors naît dans son esprit l’idée d’un appareil qu’il baptise graphonoscope, capable de projeter devant toute une salle, sur un écran visible de chacun des spectateurs, des scènes animées accompagnées de sons, paroles, bruits, etc., avec entre eux un synchronisme absolu, de façon à obtenir une représentation fidèle de la vie. Il voit le professeur Marey, de l’Institut, initiateur de la photographie du mouvement, qui ne lui cache pas les difficultés à vaincre. Qu’importe Baron tient le pari.

C’est ainsi, nous dit-il, que j’installai, à Asnières, une usine spécialement équipée où, pendant sept ans, je travaillai à la réussite du problème du synchronisme. Je me procurai, en Angleterre, auprès de la maison Blairles bandes pelliculaires négatives d’une longueur de 100 ou 200 mètres que la France ne fabriquait pas encore. Entre temps, comme la lumière électrique n’existait pas en banlieue, je perfectionnai, pour mes propres besoins, l’éclairage à l’acétylène. Je prends mon premier brevet en 1896, le perfectionne deux ans plus tard et, après avoir vu échouer les conversations engagées avec Dufayel pour l’exploitation commerciale de mes procédés à la veille de l’Exposition, je présente le résultat de mes efforts devant Marey et de nombreuses personnalités scientifiques.

Le programme comprenait plusieurs films : Mme Baron commentant le film parlant cent pour cent, Lagrange, des Théâtres Parisiens, dans Le Songe d’Athalie, film parlant 100 pour cent ; Guillier, piston-solo de Lamoureux, dans un air varié, film sonore musical ; Mlle Duval, danseuse étoile de la Gaîté-Lyrique, dans une de ses variations ; Mlle Robin et M. Férouelle, de l’Opéra ;  Ouvrard père, enfin, en pantalon rouge. Chaque audition durait dix minutes environ.

Lorsque je voulus rendre mon invention exploitable, je me heurtai à des difficultés insurmontables pour l’époque. En effet, mon phono ne pouvait employer que des rouleaux de cire vierge de 30 cm de diamètre et d’une longueur double, dont il était impossible de tirer des duplicata, ce qui forçait à recommencer entièrement film et inscription. Dès lors, je renonçai pour me consacrer à la direction d’une usine de films muets.

— Quel était exactement votre procédé ?

« Il se composait de deux parties bien distinctes : un cinématographe enregistreur et reproducteur du mouvement, et un phonographe enregistreur et reproducteur des sons réunis par un moteur à courant continu de mon invention qui les rendait solidaires et synchrones.

Il y a de cela près de quarante ans !
Le génie inventif de Baron devait continuer à faire merveille. Tour à tour naissent, en 1910, l’anémo-boussole, appareil de direction à bord des avions, en 1911, le « graphorama », pour la photographie automatique aérienne à bande pelliculaire de longueur indéterminée, en 1912, le « multirama », qui rendit de précieux services pendant la guerre. En 1917, il invente le « revolver de poitrine ». Celui-ci est volé dans des conditions restées jusqu’ici mystérieuses, en dépit des recherches. Qu’il nous suffise de dire que l’on devait en trouver plusieurs modèles sur des cadavres allemands au Chemin des Dames.

En 1930, aveugle, se consacrant néanmoins à l’étude du cinéma en relief, Baron entre à la Maison Galignani. Il reçoit, l’année suivante, la croix de la Légion d’honneur. Cette croix fut plus  qu’une récompense elle marque la date à laquelle Auguste Baron, précurseur du film parlant, disparut du nombre des vivants.

André Robert

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Une révolution au cinéma ?

L’inventeur du cinéma parlé, M, Auguste Baron, aveugle et âgé de 78 ans, a-t-il trouvé le cinéma en relief ?

paru dans l’Intransigeant du 12 octobre 1933

paru dans l'Intransigeant du 12 octobre 1933

paru dans l’Intransigeant du 12 octobre 1933

Telle est la nouvelle qui va, parait-il, tout comme la venue du cinéma parlant, bouleverser l’industrie cinématographique. Cette recherche, sur laquelle se penchent depuis bien longtemps des savants sans y trouver de solution pratique, est désormais brevetée au nom du vieil inventeur, aveugle et âgé de 78 ans. Tout comme le cinéma muet de Lumière, tout comme le cinéma parlant de Baron, c’est une nouvelle invention française qui pourrait donner un autre aspect à l’industrie du film ; on en verra une réalisation prochaine.

Cette trouvaille, qui couronnera, la carrière du vieil inventeur, est presque une réalisation dramatique. Songez un peu ; un inventeur aveugle a pu réaliser, malgré sa terrible infirmité, un chef d’œuvre de précision… justement relatif à la vue !

Auguste Baron, inconnu du public, fut révélé pour la première fois par l’Intransigeant il n’est pas inutile d’en rappeler les circonstances pour comprendre comment l’invention du film en relief fut réalisée.

Au hasard d’une enquête, j’appris l’existence de l’inventeur, ruiné par ses inventions, âgé, recueilli par la maison Galignani pour les.vieux savants pauvres à Neuilly. Il me fit voir ses brevets, son fameux parchemin américain datant de 1896 ; il n’y avait pas de doute, j’étais, en face du précurseur du cinéma parlant. Ce n’était pas un « inventeur » comme il en existe beaucoup ; plus de 40 brevets à son actif dans tous les domaines scientifiques et industriels dont la photographie automatique panoramique, terrestre et aérienne et la cinématographie parlante et sonore n’avaient pas enrichi leur « père », un inventeur n’étant pas nécessairement, un commerçant.

L’article de l’Intransigeant vint comme une bombe. Les reporters et les photographes de tous pays accoururent à Neuilly ; une tardive Légion d’Honneur lui fut remise par Jean José Frappa.
Auguste Baron, fêté, invité, conduit son admirable épouse à cheveux blancs, reprit goût au cinéma pour -lequel il s’était ruiné sans aucun profit.

En décembre dernier, invité à Bruxelles par le Comité de la Presse cinématographique belge, beaucoup de gens vinrent l’entretenir des choses de la cinématographie. L’un d’entre eux lui expliqua que l’on pourrait photographier en relief grâce à l’emploi de deux clichés pris à une certaine distance, loin de l’autre ; chaque spectateur devait, pour obtenir le relief, regarder l’écran avec des lunettes à verres colorés. C’était peut-être le dixième inventeur qui venait l’entretenir d’un appareil basé sur la théorie du stéréoscope.

Devant ce dispositif peu pratique et non commercial, donc non viable, Auguste Baron songea au relief en partant, d’une base différent. Certes, il n’était pas le premier qui s’attaquait au problème ; jusqu’à ce jour, le principe admis était le double cliché pris sous des angles différents et l’utilisation par les spectateurs de lunettes, Le dispositif trouvé par l’inventeur est loin de toutes ces théories et s’appelle « helio-glyptographe » ou plus simplement « Glyptographe » ;  Il n’emploie qu’un seul cliché et réussit à obtenir, pour la projection cinématographique ou pour la photographie ordinaire, des épreuves donnant d’une façon scientifique la sensation du relief des personnes et des objets, sans exagération suivant la stricte réalité, par un procédé inconnu à ce jour.

Ce dispositif, breveté depuis peu de temps — 7 septembre 1933 — aurait un autre avantage ; en plus du relief donné par lui, il ne nécessiterait que relativement peu de changement aux appareils de prise de vues cinématographiques de n’importe quel constructeur et aucune modification aux machines à tirer, à développer, à la prise de son, etc.

Cette invention renouvellera l’art photographique et enlèvera aux photographies actuelles l’aspect de planitude qu’elles avaient jusqu’à présent.

Le côté dramatique de l’invention réside en la cécité de l’inventeur. Lorsque l’idée germa en son cerveau, il se souvint du résultat photographique obtenu par son appareil « Graphorama” breveté en 1912, et dans lequel il se servait d’un dispositif alors non employé. Son cerveau construisit la machine ; pour la réaliser, sa fille, ancienne élève des Arts Décoratifs mais n’ayant jamais fait de dessin industriel, lui vint en aide.
Travail de patience, mais grâce à une vive compréhension de “l’aide » et de Mme Baron qui rédigea le mémoire en six semaines, tout était au point et breveté.

Les ingénieurs consultés furent émerveillés de cette conception de machine nouvelle et pratique. Le cinéma et la photographie “plats » auraient vécu grâce au génie d’un Français qui, après le cinéma parlant, donnait le jour, en France, à la solution d’un problème depuis longtemps cherché.

Sans en montrer aucune vanité, on peut dire qu l’Intransigeant, en tirant de l’oubli l’inventeur, a sa petite part dans le retour à l’activité cinématographique d’Auguste Baron, chercheur infatigable, auteur de nombreuses inventions dont plusieurs sont exposées aux Arts et Métiers, aveugle et âgé de 78 ans.

Pierre Fontaine

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paru dans Le Petit Journal du 15 octobre 1933

paru dans Le Petit Journal du 15 octobre 1933

 

 

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Sauf Pour Vous : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

 

Pour en savoir plus :

Sur le blog Plateau hassard, la page concernant Gaumont, le cinéma parlant et Auguste Baron.

Sur le site de la revue 1895 : “Le centenaire d’une rencontre : Auguste Baron et la synchronisation du son et de l’image animée

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