Entretien avec Maurice Tourneur par Robert Florey (Cinea 1922)


Du 4 avril au 1er mai 2018, nous retrouvons la riche actualité de la Fondation Pathé avec le cycle “Le cinéma muet de Maurice Tourneur“. A cette occasion seront projetés les films suivants : Trilby (1915), A Girl’s Folly (1917), Prunella (1918) Précédé par Figures de cire (1913), Victory (1919), Le Dernier des Mohicans (1920), Le Navire des hommes perdus (1929), ainsi que deux des premiers films parlants de Maurice TourneurAccusée, levez-vous ! (1930) et Justin de Marseille (1934).

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Nous attirons votre attention sur la journée de mardi prochain, le 10 avril (entrée libre sur réservation) avec à 19h la conférence de Christine Leteux, auteur de la passionnante biographie Maurice Tourneur – réalisateur sans frontières (La Tour Verte, 2015) qui sera suivie de la projection à 20h de la projection de fragments de films muets américains de Maurice Tourneur, issus de la collection privée de Kevin Brownlow : The Rail Rider, 1916 (12min) + The Pawn of Fate (La Folle chimère), 1916 (40min) + The Closed Road (La 13ème Heure), 1916 (10min) + Fragment du film The Blue Bird (L’Oiseau bleu), 1918 (8min).

Plus de renseignements ici et .

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Bien sûr vous nous voyez venir, nous n’avons pas pu résister à l’envie de vous proposer ce post spécial avec d’une part un entretien étonnant et passionnant de Maurice Tourneur avec le journaliste et futur cinéaste Robert Florey en 1922 (alors qu’il est au Mexique en plein repérage pour son prochain film, lequel ?) puis d’autre part, un article de Louis Delluc sur la carrière de Maurice Tourneur, ces deux articles étant parus dans la revue de Louis Delluc : Cinéa.

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Mis à jour du 23 avril 2018 :

Signalons la publication, à côté de laquelle nous étions passés, d’un autre livre sur Maurice Tourneur par Eric Bonnefille (déjà auteur de livre sur Raymond Bernard et Julien Duvivier) paru chez L’HarmattanMAURICE TOURNEUR Une vie au long cours.

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Bonne lecture !

Ce que Maurice Tourneur a dit à “Cinéa”

paru dans Cinéa du 3 Mars 1922

Cinéa du 3 Mars 1922

Cinéa du 3 Mars 1922

Je ne vous cacherai pas qu’après ma première conversation avec Maurice Tourneur, je n’avais plus aucun espoir d’obtenir du grand metteur en scène une déclaration, si petite fut-elle, concernant son opinion sur les questions cinégraphiques actuelles.

Maurice Tourneur est un sage et un érudit. Il vit en solitaire, avec ses deux grands chiens, dans une propriété immense. On ne le trouve que chez lui ou au studio. L’esprit continuellement préoccupé par ce qu’il pourra faire de nouveau dans son prochain film, il évite le plus possible de parler métier et surtout de lui-même.

Lors de ma première visite il me reçut le plus aimablement du monde dans sa bibliothèque. Le nombre imposant d’auteurs russes qui figurent parmi les ouvrages qui ornent la bibliothèque de Maurice Tourneur me frappa tout d’abord. — « J’adore— me dit-il, — l’œuvre russe, mais voyez vous-même les ouvrages français et étrangers ne manquent pas non plus ! », et d’un geste de la main il me montra quelques centaines de livres où les noms de tous nos classiques et contemporains figuraient.

Nous parlâmes longtemps de la France, de Paris, des auteurs nouveaux, de littérature et un peu de cinéma. Maurice Tourneur resta muet, quant à sa production. Mais il me dit qu’il serait toujours disposé à répondre à toutes les questions que lui poseraient les personnalités cinégraphiques françaises et que ces mêmes personnalités devront toujours compter sur lui quand elles se rendront en Californie — « Toutes mes connaissances et le peu de pouvoir que je peux exercer ici sont à leur entière disposition », me dit encore Maurice Tourneur.

Un matin vers les sept heures, Maurice Tourneur vint me chercher.
« Venez-vous pour quelques jours au Mexique, — me dit-il, — je vais chercher des bons coins pour ma prochaine bande ! ». J’acquiesçai avec enthousiasme à cette proposition charmante, et quelques minutes après
l’Old Timerl’auto favorite du maître nous emmenait rapidement vers le Mexique.

Je m’en voudrais de ne pas vous déclarer que cette longue randonnée ne fut pas exempte pour nous d’aventures assez compliquées, mais lorsque je revins la semaine suivante, après que nous nous fûmes la nuit égarés dans le désert mexicain à quelques dizaines de milles de tout être humain, après que nous eûmes franchi non sans encombre les rangs des partisans en pleine révolution et ceux des soldats guerroyant, car la révolution avait éclaté d’une façon terrible durant notre séjour au Mexique et elle dure encore à l’heure actuelle, enfin après multiples incidents, je tenais mon papier. Quelques notes sténographiques hâtivement jetées durant nos haltes, me permettent enfin de vous donner les opinions précises de Maurice Tourneur qui est actuellement considéré comme l’un des plus grands metteurs en scène des États-Unis.

Nous avions franchi 35 milles depuis Tijuana et le Old Timer se trouvait en assez mauvaise posture devant un débris de pont chancelant. La nuit était encore profonde et l’on entendait au loin le cri rauque des coyotes chassant les petits animaux du désert. Par intervalles, le crissement particulier des écailles du serpent à sonnettes résonnait, très proche. Décidant pour franchir la rivière d’attendre le jour nous étendîmes une couverture à terre, Maurice Tourneur alluma une mince cigarette, nous bûmes un gobelet de whisky (c’était au Mexique) et le maître parla… Sans doute « l’obscure clarté qui tombait des étoiles… » l’influença-t-elle car il commença à me donner une opinion très catégorique sur sa façon de penser vis-à-vis des grands « stars » :

Cinéa du 3 Mars 1922

Cinéa du 3 Mars 1922

« Mon maître et ami Antoine avait l’habitude de dire que « les étoiles étaient la mort des pièces ». Ce qui s’applique au théâtre convient au cinéma, aussitôt qu’une star obtient quelque succès elle exerce son influence sur la production. On la consulte pour le choix du scénario, elle refuse la présence autour d’elle d’autres actrices qui pourraient lui porter ombrage.
« Olga Petrova, pour n’en citer qu’une, avait dans son contrat une clause curieuse. Elle n’acceptait de présenter à l’œil cyclopéen du caméra que le côté
droit de son visage. Seul son profil droit devait paraître à l’écran, car elle était persuadée, à tort d’ailleurs, que l’autre côté ne la montrait pas aussi à son avantage !

« On doit également soumettre à l’approbation de la star, le metteur en scène, elle a le contrôle du montage de la bande et elle a le droit de faire couper les scènes qui ne lui conviendraient pas. Les éclairages sont réglés pour elle sans qu’aucune attention soit donnée au décor ou aux autres interprètes. Comment serait-il possible dans ces conditions d’obtenir un résultat quelconque ? Une star ne trouverait une bande vraiment bonne que si cette bande comportait exclusivement des closeup de sa figure. En vérité, il n’y a pas de star dans la vie réelle, l’être le plus inconnu peut à un moment donné sortir de la masse et accomplir sans même s’en douter un acte admirable, après lequel il retombe pour toujours dans l’oubli.

« Quand je vois une star annoncée dans une bande, je prévois fatalement ce qui va arriver. Si c’est William Farnum, il y aura une terrible bataille dans la dernière partie du film et le troisième rôle sera châtié comme il le mérite. Si c’est Wallie Reid je sais qu’il gagnera la course d’automobiles et que son père Théodore Roberts, qui est d’ailleurs un excellent acteur, fera des grimaces derrière son dos pour tâcher d’obtenir des effets comiques. Pourquoi resterai-je assis sur mon siège à voir le spectacle quand je sais à chaque scène, vingt minutes à l’avance ce qui va se passer ?… »

Maurice Tourneur se leva pour tourner les phares de l’automobile qui, par leur lumière trop puissante hypnotisaient une pauvre chouette centenaire perchée sur un arbuste. Cependant les étoiles, comme froissées de ce que venait de me dire le maître à leur sujet, disparaissaient une à une… Au loin les premières lueurs de l’aube.

En 1919, était projeté à Paris The White Heather l’un des films hollywoodiens de Maurice Tourneur.

(In La Cinématographie Française du 27 septembre 1919)

Nous nous remîmes en route et franchîmes non sans encombre le moignon de pont… C’était maintenant devant nous un inextricable chaos de rochers et de montagnes à l’aspect fantastique… Le disque rouge du soleil se montrait lentement à l’horizon. Les roues du « Old Timer » s’enfonçaient dans le sable déjà chaud de ce qui fut autrefois une route. Mis en verve par ce réveil curieux de la nature mexicaine, Maurice Tourneur recommença à me parler. Quand il est de bonne humeur, c’est un conteur extraordinaire.

« Le personnage essentiel du cinéma, est le cameraman (opérateur de prise de vues). C’est l’ami, le conseiller, le frère; l’homme qui vous suit partout dans la pluie, la neige, le feu, qui partage vos fatigues, vos peines, vos espoirs, vos plaisirs et vos désappointements. Il n’a pas d’heure fixe au travail, il est toujours prêt à partir au milieu de la nuit pour surprendre un effet et donner au public qui ne connaîtra jamais son nom, une seconde de joie ou d’admiration. Le cameraman est un poète qui se double d’un amoureux de la nature. Et il aime son métier. Dieu sait combien !

« Un de mes cameramen est mort, noyé sous mes yeux, sans que je puisse rien faire pour le secourir, victime de son dévouement, dans son travail. Je ne l’ai jamais oublié, et il n’est pas de jour que je ne pense à lui. Je vous parais peut-être ridiculement sentimental, mais ceux qui ont vécu notre vie enfiévrée et vagabonde comprendront combien on peut s’attacher à un être humain qui vous accompagne comme votre ombre dans les milieux si variés et parfois terribles où notre métier de nomade nous appelle. »

Les milles s’additionnaient, nous roulâmes encore longtemps. Maurice Tourneur notait ou photographiait les endroits les plus sauvages où il reviendrait bientôt exécuter sa nouvelle bande. A midi nous arrivâmes au sommet d’une petite montagne d’où l’aspect était grandiose. Un repas froid fût le bienvenu arrosé comme il l’était d’une bouteille d’un vieux vin français dénichée la veille dans un « saloon » de Tijuana. Comme je demandais à Maurice Tourneur quelle était sa production préférée, il me répondit :

« Un film qui est terminé ne m’intéresse plus, et je ne porte attention et intérêt qu’au film à venir, c’est pour cela, cher ami, que nous sommes actuellement si loin dans cette contrée déserte… »

Le dernier verre de vin que j’absorbai me facilita l’acceptation de cette réponse, pourtant si curieuse venant d’un homme auquel nous devons tant de chefs d’œuvre dont la plupart sont encore malheureusement inconnus en France. Nous filions maintenant vers Ensenada. A brûle-pourpoint, je demandais à mon compagnon :

« Considérez-vous le cinéma comme un Art ? »
La réponse fut catégorique.
« Non, c’est un moyen différent d’exprimer la pensée humaine d’une
 façon hiéroglyphique, avec des images au lieu de mots, et avec une brutalité qu’aucun autre mode d’expression ne possède. Certains flashes sont aussi violents qu’un coup de poing entre les deux yeux. Ça n’est pas plus un Art que la presse à imprimer ou l’alphabet, ou encore la palette de l’artiste peintre, c’est un instrument au moyen duquel on peut obtenir des résultats artistiques ou infâmes. C’est un « business » extrêmement assidu et poignant dans lequel des fortunes sont faites ou englouties chaque jour. C’est un jeu passionnant avec ses éléments d’incertitude et d’espoir qui transportent d’un extrême à l’autre, les êtres sensitifs que nous devons être dans ce métier.

« Mais ce qui me paraît le plus intéressant à noter maintenant c’est que le cinéma est l’instrument le plus puissant pour réunir les Nations et les classes parce qu’il nous démontre d’une façon plus rapide et plus forte que les êtres humains se ressemblent tous, que les mêmes spectacles les font rire ou pleurer, que la couleur de leur peau ou la forme de leur crâne, ou leur langage ou leur position sociale n’empêchent pas que leurs cœurs ne battent d’une façon semblable et ne soient sensibles aux mêmes émotions. Les journaux publient maintenant des colonnes entières réservées au désarmement et à des reproductions de discours des conférences en faveur de la Paix Universelle. Que peut-il résulter de ces louables efforts ? Probablement un ou deux discours tout à fait remarquables, mais d’un effet absolument illusoire. Par le cinéma beaucoup plus que par les efforts des diplomates les hommes réaliseront leurs besoins; leurs aspirations, leurs joies seront les mêmes et ils cesseront de se considérer comme des étrangers. »

Un violent coup de volant avait failli précipiter à ce moment le « Old Timer » et son contenu dans un ravin profond… Maurice Tourneur, simplement, avait tenu à épargner la vie d’un pauvre lapin sauvage qui, bloqué dans l’étroit sentier allait infailliblement se faire écraser.
Nous passâmes Ensenada, village modeste qui ressemble sous beaucoup d’aspects à ceux que nous sommes habitués à voir dans les films de W. S. Hart. Je me hasardai encore une fois à poser une question à Maurice Tourneur, je lâchai mon paquet : « Que pensez-vous de la production américaine ? »

Cinéa du 3 Mars 1922

Cinéa du 3 Mars 1922

Après avoir réfléchi quelques instants mon compagnon me répondit :
— « Il m’est extrêmement difficile de vous parler ainsi, au milieu de nos petits soucis de voyage, d’un sujet aussi grand et aussi étendu. Je pourrais parler de la production américaine pendant plusieurs journées sans avoir épuisé le sujet ; et nous voyons ici si peu de bandes étrangères qu’il m’est impossible d’établir des points de comparaison ; enfin voici sous toute réserve mon opinion et notez bien que je ne suis pas sûr du tout d’avoir raison.

« Le cinéma, est, je vous l’ai déjà dit un art brutal, qui ne souffre pas beaucoup de nuances. Le metteur-en-scène a sur sa palette, du noir et du blanc, pas de teintes intermédiaires : il doit peindre à larges touches, avec de larges brosses, comme un peintre de décors. Il ne doit pas se payer de mots, il ne doit pas faire de littérature, il ne doit pas, enfin, s’arrêter aux bagatelles de la porte. Il doit se tracer une ligne directe, la suivre et accumuler ses effets, et conserver jusqu’à la fin sa vitesse et sa force initiales. Je me rends parfaitement compte que cette définition paraît s’appliquer davantage à un train express qu’à une œuvre d’Art mais, j’ai voulu considérer seulement la partie technique et matérielle de la question.

« Or, il m’est arrivé de voyager à travers le monde et je n’ai jamais pu m’empêcher de remarquer le violent contraste éprouvé en embarquant sur un bateau anglais ou américain après avoir débarqué d’un bateau français. Les ordres courts, semblables à des aboiements, le sérieux des officiers, leur courtoisie brève, l’impression « business» de l’ensemble, due non seulement aux mœurs différentes mais aussi à un langage nouveau. Ils disent en un mot ce que nous exprimons en une phrase. Certaines de leurs expressions sont intraduisibles parce que, exprimées en mots français, elles se diluent et perdent toute leur force. En d’autres termes ils disent vite ce qu’ils veulent dire et vont droit au but.

« N’est-il pas possible de croire que cette qualité qui se remarque dans leur langue est la même qui, appliquée au cinéma leur a donné cette supériorité qui n’est peut-être que momentanée et que des races latines, habituées par leur passé, leur éducation artistique, leurs conventions ataviques ne semblent pas pouvoir obtenir ? Les qualités françaises reconnues et appréciées dans le monde entier et que je ne veux pas vous énumérer parce que vous les connaissez aussi bien que moi doivent s’adapter aux exigences de l’œil froid et impassible du caméra.

« Vous ne pouvez pas tresser des guirlandes, vous ne pouvez pas jongler avec les mots, la magie du verbe n’a pas de prise sur lui, il est insensible au Panache, il vous observe froidement et reproduit sans merci toutes vos faiblesses et vos travers. Le peuple américain n’a pas de passé, il n’a pas de traditions, c’est un peuple neuf, qui, il y a moins de deux siècles, combattait les Indiens dans les plaines. Il exprime ses pensées d’une façon directe, en d’autres termes, il parlait et agissait le langage du cinéma avant que celui-ci fut inventé. »

Maurice Tourneur s’est tu. N’a-t-il pas raison de penser que le langage anglais a influé sur le cinéma américain ? Mais alors d’où provient la dissemblance entre le film anglais et le film américain ? Du peuple ? De la race plus nouvelle et de certaines différences dans le langage. Maurice Tourneur doit avoir raison.

En 1919, était projeté à Paris The Man of the Hour le premier film hollywoodien de Maurice Tourneur, datant de 1914.

(In La Cinématographie Française du 6 décembre 1919)

Maintenant les grands canyons imposants se suivent, encore quelques clichés dont le vérascope reproduira toute la grandeur et tout le relief. Nous revenons sur nos pas pour ne pas passer encore une nuit à la belle étoile.

« Je crois, cher ami — dis-je à Maurice Tourneur que le langage n’est pas la seule cause de la supériorité du cinéma américain, le matériel par exemple… Ce diable d’homme ne me laisse pas achever ma phrase, il parle, et je me garde bien de l’interrompre.

« En effet, les américains sont admirablement bien équipés, mais ça ne veut rien dire. Au contraire, j’ai cru pouvoir remarquer que les studios les mieux outillés produisaient les bandes les plus ordinaires. Je crois que mon opinion à ce sujet pourrait intéresser les metteurs en scène français qui travaillent, je le sais, dans des studios qui n’ont rien de moderne, avec des éclairages très imparfaits. Ils auraient tort de se décourager parce que j’ai vu de vrais créateurs doués de volonté et d’imagination, faire des bandes remarquables dans des étables.

« Vous connaissez l’admirable D. W. Griffith. Il travaille dans des studios où je ne voudrais pas que l’on gardât mes chiens ! Pour être intéressante, une bande doit refléter la personnalité d’un individu, ses qualités et ses défauts ; être l’écho des luttes qu’il a subies, en un mot, une bande doit avoir une âme. C’est ce que vous ne pouvez pas obtenir dans ces studios où tout marche à la machine, où la responsabilité de l’œuvre est répartie entre tant d’individus, où, le résultat final est l’œuvre d’une collectivité.

« Je ne suis pas assez renseigné sur la production française, et les français sont très mal renseignés sur la production américaine, aussi m’est-il impossible de vous citer des exemples. Je me contenterai d’émettre cette proposition, que l’œuvre d’Art doit être le produit d’un seul cerveau, et que les conditions extérieures n’ont rien à voir avec le résultat. Au contraire, si la lutte a été grande elle a donné à l’artiste la faculté de s’exprimer plus violemment. Paris a vu récemment The Kid qui a été tourné dans un studio absolument quelconque (que vous avez du reste visité) sans l’éclairage, sans opérateur de renom et qui est néanmoins une des bandes les plus remarquables que je connaisse. »

Après une nuit mauvaise dans une hacienda médiocre nous nous aperçumes le lendemain que la révolution avait éclaté. Je passe sous silence les petits incidents qui en résultèrent, mais je me trouvai beaucoup plus rassuré, lorsque deux jours après, nous nous retrouvâmes à Culver-CityMaurice Tourneur a son studio dans les immenses et superbes établissements de Thomas H. Ince.

Robert Florey

Trilby de Maurice Tourneur (1915) distribué en France par la Gaumont

(in. Hebdo Film du 03 novembre 1917)

filmographie de Maurice Tourneur

Liste des films tournés en France et en Amérique par Maurice Tourneur.

Né en France en 1878.
Etudes au Lycée Condorcet.
elève de Rodin et de Puvis de Chavannes.

Théâtre à Paris (Renaissance, Réjane, etc.).
Tournées avec Réjane en Angleterre, au Portugal, en Italie, en Espagne, en Algérie et en Amérique du Sud.

Cinéma.
En France — Éclair.
La Série Rouletabille, Le parfum de la dame en noir, Le dernier pardon, Sœurette (d’après le roman de Gyp).
En 1914 part en Amérique, diriger les productions de l’Eclair, mais la Guerre coupe court à ses projets..
Il est engagé par W. Brady

World.
Mother, avec Emma Dunn.
The Man ofThe Hour, avec Robert Warwick.
The Wishing Ring, avec Vivian Martin.
The Pitavec Wilton Lackaye, Gail Kane, Milton Sills.
Alias Jimmy Valentine, avec Robert Warwick.
Trilby, avec Clara Kimball Young et Wilton Lackaye.
The Cub, avec Johnny Hines, Marlha Hedman.
The Ivory Snuff Box, avec Holbrook Blinn.
The Butterfly on the Wheel, avec Holbrook Blinn et Vivian Martin.
The Pawns of Fate, avec George Beban et Doris Kenyon.

The Hand of Peril, avec House Peters.
The Closed Road, avec House Peters.
The Velvet Paw, avec House Peters.
The Rail Rider, avec House Peters.
A Girl’s Folly, avec Robert Warwick et Doris Kenyon.

State Rights.
The Whip (La Casaque Verte), mélodrame célèbre du Théâtre de Drury Lane, à Londres, avec Aima Haulon, June Elwidge, Irving Cummings. Alfred Hemming, Mac Alista.

Artcraft.
The Pride of the Clan (Fille d’Ecosse), avec Mary Pickford et Mattew Moore.
The Poor Little
Rich Girl (Une pauvre petite riche), avec Mary Pickford.
The Undying Flame, avec Olga Pétrova.
Emile, avec Olga Pétrova.
The Law of the Land, avec Olga Pétrova.
Barbory Sheep (La Délaissée), tiré d’une nouvelle de Robert Hichens par Charles Maigne, avec Elsie Ferguson, Pedro de Cordoba, Macy Harlam, A. Shannon.
The Rise of Jenny Cushing (Les Etapes du Bonheur), tiré d’une nouvelle de Mary S. Watts par Charles Maigne, avec Elsie Ferguson, Elliott Dexter, Fania Marinoff, F. Goldsmith.
The Rose
of the World (Les Yeux Morts), tiré de l’œuvre d’Agnès et Egerton Castle par Charles Maigne, avec Elsie Ferguson, Wyndbam Standing, Percy Marmout.
The Blue Bird (L’Oiseau Bleu), scénario de Charles Maigne, d’après l’œuvre de Maurice Maeterlinck.

Prunella, scénario de Charles Maigne, d’après l’œuvre de Granville Barker et Laurence Hausman avec Marguerite Clark, Jules Raucourt, Harry Léoni, I. Berwin, M. Harris, N. Cecil.
A Doll’s house (Maison de Poupée), tiré du drame d’Henrik Ibsen, avec Elsie Ferguson, H. E. Herbert, Ethel Grey Terry, A. F. Shannon.

Paramount.
Sporting Life (Lady Love), adapté d’un mélodrame de Drury Lane, avec Ralph Graves, W. Richmond, Chas. Eldridge, Constance Binney Faire Binney.

State Rights.
Woman (L’Eternelle Tentatrice, Les Fées de la Mer), avec Ethel Hallor, Flora Revalles, Diana Allen, Faire Binney, Henry West, Paul Clerget, E. Fernandez, W. Richmond.

Paramount.
My Lady’s Gartner (All star cast)..
The White Heather (La Bruyère Blanche), avec Mabel Ballin, Ben Alexander, Spottiswood Aitken.

Robertson-Cole.
The Broken Butterfly, avec Pauline Stark et Lewis Cody.

Paramount.
The Life Line (All star cast)
Victory, scénario de Stephen Fox, d’après l’œuvre de Joseph Conrad, avec Seena Owen, Jack Holt, Lon Chaney, Wallace Beery, Bull Montana.
Treasure Island, d’après l’œuvre de Robert Louis Stevenson, avec Shirley Mason et Tom Merry.

State Rights.
The County Fair (all star cast).

Métro.
The great Redeemer, avec House Peters et Marjorie Daw.

Paramount.
The White Circle, d’après « The Pavillon on The Links », de Robert Louis Stevenson, avec Janice Wilson, Jack Gilbert, Spottiswoode Aitken et Wesley Barry.
Deep Watersd’après « Caleb West, Master Diver », de Hopkinson Smith, avec Broerken Christians, Barbara Bedford, J. Gilbert, Florence Deshon.
The Bait, scénario de Sidney Toler, avec Hope Hampton, Harry Woodward, Joe Singleton, J. Mac Donald.

Associated Producers.
The Last of the Mohicans, d’après l’œuvre de Fenimore Cooper, avec Wallace Beery, Sydney Deene, Barbara Bedford, Lillian Hall.
The Foolish Matrons (réalisé en collaboration avec Clarence Brown), tiré de la nouvelle de Donn Byrne par Wyndham Gittens, avec Hobart Bosworth, Doris May, Frankie Lee, Mildred Manning.
Lorna Doone, légende écossaise, avec Frank Keenan, John Bowers, Madge Bellamy.

Le 23 mai 1922, à Paris, a été présenté, par la ParamountLe Cercle Blanc au Marivaux, un film de Tourneur datant de 1920. (in Comedia du 22 mai 1922)

Quelques mois plus tard, c’est au tour de Louis Delluc, le directeur de Cinéa, de consacrer un article à la carrière, déjà riche, de Maurice Tourneur.

LES CINÉASTES : MAURICE TOURNEUR par Louis Delluc

paru dans Cinéa du 08 septembre 1922

paru dans Cinéa du 08 septembre 1922

paru dans Cinéa du 08 septembre 1922

Il y a si longtemps qu’il a quitté la France que nos confrères ne le traitent plus de metteur en scène français et ne pensent à lui que pour lui reprocher d’avoir quitté la France ; c’est un joli paradoxe. Français, il l’est et le restera, et cinéaste aussi dans l’industrie artistique du cinéma où il y a peu d’apprentis, guère d’ouvriers et beaucoup trop de maîtres.

Maurice Tourneur qui fut laborieusement et obstinément apprenti puis ouvrier, tiendrait bien le rôle du contremaître. Chef d’atelier, vedette d’usine, instruit de toutes les minuties, de toutes les complexités d’un métier qui n’est pas un jeu et où il faut beaucoup de science pour se jouer ; cette science manuelle et patiente il l’a acquise lentement, à grand effort, et je crois qu’il la possède bien maintenant. Il peut désormais commander à d’autres ouvriers moins souples, moins personnels ou moins instruits que lui.

Son expérience reste soumise au sens des nuances. Cette qualité seule fait qu’un Français, lorsqu’il est intéressant ; est plus intéressant au travail qu’un homme d’une autre race. Il a appris à se servir d’un outil mais il aura toujours, outre la stricte manière de s’en servir, une manière à lui. Maurice Tourneur lié a la cinégraphie américaine, en a compris et assimilé les suggestions, les perfections, les ressources. Installé dans la plus étonnante machine de la production d’images, il a usé le mieux du monde de tous ses raffinements de mécanique et d’organisation.

La technique du cinéma n’a plus guère de secrets pour lui. Mais lui sait avoir des secrets pour elle. Artisan sincère et pensif, il façonne pour lui-même cette espèce d’atmosphère qui donne à l’œuvre matériellement réalisée une forme, un style, un caractère supérieurs à la fabrication si parfaite serait-elle.

La même chaise ou la même lampe exécutée par deux ouvriers différents d’après un unique modèle seront tout autres selon que l’un obéira brutalement au programme « en série » et que l’autre sera amoureux de son métier. Maurice Tourneur, amoureux de son métier, est venu au point où l’ingéniosité du studio, de la lumière électrique, de l’appareil, de la pellicule ne sont que petits éléments quasi accessoires dans des compositions dont il est lui, avec sa sincérité et son ardeur, le principal élément.

Parti d’importantes études de peintures — ne fut-il pas élève de Puvis de Chavannes et de Rodin ? — il subit comme beaucoup de peintres la séduction du théâtre. Comédien, metteur en scène, administrateur, régisseur on le voit à la Renaissance, chez Réjane, dans je ne sais combien de tournées. Le cinéma, banquier inespéré des comédiens d’avant-guerre, s’empare de lui et le voilà à l’Eclair qui filme du Gyp et du Gaston Leroux. Enfin l’Amérique…

paru dans Cinéa du 08 septembre 1922

paru dans Cinéa du 08 septembre 1922

En huit ans, Maurice Tourneur a réalisé quelque cinquante films. Nous ne connaissons pas les tout premiers et l’on tarde un peu trop à nous montrer les tout derniers. Cette énorme production se répartit entre plusieurs grandes firmes :

  • « World », où il emploie Vivian Martin, Clara Kimball, Georges Beban, House Peters, Doris Kenyon, Robert Warwick ;
  • « State Rights », où se crée La Casaque verte et Woman (devenue pour Paris Les Fées de la Mer et L’Eternelle Tentatrice) ;
  • « Artcraft », et ce sont Fille d’Ecosse et Une Pauvre Petite Riche (avec Mary Pickford), L’Oiseau Bleu, Prunella, quatre films d’Olga Petrova, cinq d’Elsie Ferguson ;
  • « Paramount » avec Lady Love, All Star Cast, La Bruyère Blanche, Victoryd’après Joseph Conrad, L’Ile au Trésor, d’après Stevenson, The White circle, d’après Stevenson encore, Deep Waters, The Bait, etc. ;
  • « Associated producers » pour la réalisation de Le Dernier des Mohicans, The foolish matrons, Lorna Dooneetc., etc.

Au contraire de beaucoup de ses confrères d’Amérique, Maurice Tourneur ne transforme pas le thème choisi. Il s’y soumet. Sa valeur n’en éclate que davantage. Le meilleur instrument ne parle pas tout seul. Maurice Tourneur a su faire parler le sien.

Louis DELLUC

 

Source : Cinéa Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française
autres : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Pour en savoir plus :

Le cycle “Le cinéma muet de Maurice Tourneur” à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé jusqu’au 1 mai 2018.

L’hommage à Maurice Tourneur avec de nombreuses affiches de ses films sur le blog de Ciné-Tom.

Le blog de Christine Leteux spécialisé sur le cinéma muet :  Ann Harding’s Treasures.

De nombreux films muets de Maurice Tourneur sont disponibles sur YouTube dans des copies à la qualité aléatoire, par exemple :

Le Dernier des Mohicans (1920).

Victory (1919) avec Lon Chaney.

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La première scène de A Girl’s Folly  (1917), un rare aperçu des coulisses d’un film au début d’Hollywood.

Extrait de L’Oiseau Bleu (1918).

Maurice Tourneur apparaît en boxeur dans ce court-métrage ave Max Linder et Hope Hampton !

Entretien de Christine Leteux à propos de Maurice Tourneur en 2015.

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