Jean Epstein est l’un des cinéastes français les plus singulier. Grand théoricien du cinématographe, sa filmographie est partagée entre films d’avant-garde, films de commande et films poétiques sur sa région d’adoption : la Bretagne. En effet, de Finis terrae en 1929 au Tempestaire en 1947, Jean Epstein n’aura de cesse de mettre en valeur, par son audace visuelle, la beauté de cette région.
Dans un autre style bien sûr, nous ne voyons que Marcel Pagnol qui a su mieux que quiconque, sur un plan cinématographique, promouvoir une autre belle région de France : la Provence.
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Jean Epstein répond aux question du journaliste de Pour Vous alors qu’il est en plein montage de son nouveau film, le moyen-métrage d’une quarantaine de minutes qui deviendra le premier film en langue bretonne : Chanson d’Ar-Mor.
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Nous avions déjà rendu hommage à Jean Epstein il y a un peu plus d’un an :
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Chanson d’Ar-Mor est disponible dans le très beau coffret sur Jean Epstein édité par Potemkine et en VOD sur le site de la Cinetek.
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Bonne lecture !
Un Film de Jean Epstein sur la poésie de la Bretagne : Chanson d’Ar-Mor
paru dans Pour Vous du 20 septembre 1934
La Bretagne, terre des légendes, a toujours inspiré les poètes. Depuis les mythes druidiques jusqu’aux chansons de Théodore Botrel, elle a été exaltée sous ses aspects divers, aimée pour les formes si multiples de sa beauté farouche.
Mais à la poésie littéraire a succédé la poésie visuelle, et la Bretagne a trouvé encore un poète pour la chanter. Jean Epstein, dont trois films déjà (Finis Terrae, Mor Vran et L’Or des mers) lui avaient été consacrés, vient d’en terminer un quatrième à sa gloire.
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Nous sommes allés demander à son auteur de nous en parler. Délaissant pour un moment son absorbante besogne de montage, Jean Epstein nous a dit :
« J’ai fait ce film parce que j’aime la Bretagne. J’y suis venu pour la première fois quand j’étais tout petit, et j’y suis retourné depuis lors chaque année. Et chaque année a été pour moi un nouvel émerveillement, car les beautés de ce pays ne se livrent pas toutes d’un coup. Il faut patiemment les chercher, forcer la malicieuse nature à vous les livrer, savoir écarter le voile de brume qui veut vous les dérober.
— Mais cette brume, qui est l’un des caractères bretons, vous nous l’avez montrée dans L’Or des mers ?
— Oui, aussi vous ne reconnaîtrez pas mon nouveau film. C’est une Bretagne « méditerranéenne » que j’ai dépeinte. J’ai fait mes prises de vues en été, et non plus en hiver, dans une Bretagne gaie, pleine de couleurs. De plus, je ne me suis pas borné à une certaine partie du pays, mais j’ai circulé dans tout le Finistère ; la partie terrienne, montagneuse, m’a fourni beaucoup de cadres nouveaux, nombre de paysages que je n’avais pas eus avant.
— Votre film sera-t-il un documentaire ou bien contiendra-t-il une intrigue ?
— Il sera en quelque sorte l’un et l’autre. Imaginez un film dramatique dont les péripéties vous promènent dans les diverses parties d’une région donnée. J’ai suivi le scénario de Jean des Cognets ; Jacques Larmanjat a écrit une musique inspirée par le folklore local et dans laquelle ont été incorporées deux ou trois vieilles chansons du pays. Pour acteurs, je n’ai pris que quelques indigènes ; les autres sont des professionnels, parmi lesquels se trouvent Yvon Le Mar’hadour, Viguier, Georges Prieur. Mais les deux héroïnes sont deux petites Bretonnes, que j’ai trouvées à Quimper, au concours de beauté des fêtes de Cornouailles. Le barde Francis Gourvil aura également un rôle.
— Comme s’appellera votre film ?
— Probablement Chanson d’Armor. J’ai à dessein choisi le nom celtique de la Bretagne, ce terme ancien désignant tout le pays, car j’ai tenté de faire un poème visuel et lyrique des beautés de la région entière. C’est une synthèse de la région, et non plus une monographie que sera mon film. Le thème des vieilles chansons bretonnes y sera adapté au thème cinégraphique et conduira l’action.
— Dans quelles parties du pays avez-vous tourné ?
— Un peu partout, mais plus spécialement dans les environs de Quimper, à Concarneau, Huelgoat, Kerjean-en-Saint-Vougay, Rumengol, Penmarc’h, à Dinard, Roscoff et à la dramatique Pointe-du-Raz, qui est peut-être mon coin préféré. »
Le plaisir avec lequel Jean Epstein nous fait cette énumération, la joie visible qu’il ressent à nous énoncer des noms d’une terre qu’il aime, semblent nous autoriser à lui poser une question :
« Pourquoi aimez-vous la Bretagne ?
— Je l’aime parce que j’aime la mer. Et toute la Bretagne n’est que ça. La mer m’émeut, le pays entier en est imprégné. Même au cœur de la Bretagne terrienne, on sent sa présence. C’est une mer sauvage, rude, difficile, et c’est ce qui cause la force de son emprise sur moi.
— Votre film est-il terminé ?
— A très peu de chose près. Je dois repartir vers la fin de la semaine avec mon opérateur, Jean Lucas, pour faire quelques raccords. »
G. L. George
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Pour en savoir plus :
“Jean Epstein, cinéaste à trois faces (1897-1953)” sur le site de la Cinémathèque française.
La critique de Chanson d’Ar-Mor sur le site DVDClassik.
Extrait de Chanson d’Ar-Mor de Jean Epstein.
Extrait de Chanson d’Ar-Mor de Jean Epstein.