A la suite de l’article sur Michel Simon et La Chienne de Jean Renoir, nous avons eu envie de rendre hommage à Janie Marèse, morte accidentellement (à 23 ans) avant que le film sorte.
Voici donc l’article paru dans la revue Pour Vous ainsi que sa nécrologie et divers articles parus dans la presse de l’époque (Comoedia, Hebdo-Film, Le Figaro, Lyrica).
En dansant le “boston” avec Janie Marèse
paru dans Pour Vous le 18 Juin 1931
— Oh ! Janie, quelle surprise ! que venez-vous faire ici ?
— Je viens danser. Des amis m’ont entraînée en ces lieux et je veux m’amuser.
Janie Marèse évite les couples de danseurs et, le sourire au vent, l’œil malin, se dirige vers une table.
Cette pétillante enfant est gaie comme d’autres sont tristes, sans savoir pourquoi. La joie sans objet n’est-elle pas la plus belle ? C’est, en tout cas, la plus sincère. Pour être Mam’zelle Nitouche, au cinéma, Janie Marèse, j’en suis persuadé, ne doit pas avoir de très grands efforts à faire. J’imagine qu’elle trouve en elle, le plus naturellement du monde, l’espièglerie, la turbulence que les auteurs ont mis dans leur ravissante héroïne d’opérette.
Un air langoureux sort de l’orchestre.
— Qu’est-ce que c’est ?
— Un boston.
— Voulez-vous ?
Et sur le parquet ciré, j’essaie tant bien que mal de ne pas trop marcher sur les pieds de ma spirituelle danseuse. Ce n’est pas facile.
Cherchons un encouragement.
— N’est-ce pas que je danse mieux que Robert Allard ?
Janie Marèse danse ici comme au théâtre. C’est très impressionnant. Il est beaucoup plus difficile de faire valoir son manque de souplesse avec une personne qui danse parfaitement qu’avec toute autre. Aussi j’appréhende la comparaison avec son brillant partenaire Robert Allard qui glisse sur la scène avec tant d’aisance et de facilité. Mais Janie est la bonté même !
— Vous dansez beaucoup mieux, me dit-elle.
Je peux, ainsi, faire semblant d’être rassuré.
— Vous êtes légère comme une fée.
— Je suis pourtant bien fatiguée.
— On ne le dirait pas.
— Je me suis levée à six heures ce matin pour aller au studio. J’ai tourné toute la journée et ce soir j’ai joué Comtesse Maritza aux Ambassadeurs.
— Quel courage !
— Il faut bien.
— Que pensez-vous du cinéma ?
— J’adore Mam’zelle Nitouche.
— Mam’zelle Nitouche ce n’est pas le cinéma !
— C’est du cinéma. C’est grâce à elle que j’ai fait sa connaissance.
— Quelle a été votre première impression de studio ?
— J’ai eu très chaud.
— Et puis ?
— Depuis ? Je m’amuse beaucoup. Je joue un rôle tellement amusant ! Je porte un costume impossible et délicieux. J’ai un nœud dans les cheveux et un adorable petit chapeau rigolo comme tout !
Janie se moque des modes passées avec une désinvolture incroyable. Ne sait-elle pas que sa robe et son petit chapeau vont faire tressaillir de bonheur nos chères grand’mères et que le cœur de nos grand-pères retrouvera en eux le souvenir de ses amours de jadis ? Mais elle n’est pas tendre pour les robes d’à présent lorsqu’elle en aperçoit une qui ne lui plaît pas ou qui est mal portée.
Revenons au cinéma.
— Alors, il vous plaît ?
— Je vous crois.
— Et le théâtre ? Fini ?
— Oh ! non…
— Que préférez-vous ?
— Il est impossible de choisir. La scène est très agréable, mais l’écran a, lui aussi, bien des charmes. Je voudrais faire de l’un et de l’autre, toujours, comme en ce moment, même si je dois me lever à six heures du matin pour ne quitter le théâtre qu’à minuit passé !
L’orchestre s’est tu. Nous nous arrêtons et je reconduis Janie Marèse à ses amis, heureux d’avoir pu, un instant, être seul avec elle et ravi d’avoir appris qu’elle aime le cinéma comme elle aime le théâtre.
Didier Daix
Nécrologie de Janie Marèse
paru le 20 Août 1931
Deux disparues : Janie Marèze et Maria Dalbaïcin.
Le cinéma a été particulièrement éprouvé cette semaine. On venait d’apprendre, trois jours plus tôt, la mort de Maria Dalbaïcin, lorsque parvint la nouvelle de la fin tragique de Janie Marèse.
Maria Dalbaïcin n’avait fait que de rares apparitions au cinéma (Mylord l’Arsouille, entre autres) et s’était surtout fait applaudir dans les ballets de Serge de Diaghilew.
L’on s’est souvent demandé pourquoi les metteurs en scène n’avaient pas fait appel plus souvent à Maria Dalbaïcin pour leurs films. D’une grande beauté, d’une extraordinaire photogénie, elle semblait appelée à une importante carrière cinématographique. Elle était de nationalité espagnole et avait épousé le comédien Aimé Simon-Girard, bien connu, lui aussi, des amateurs de cinéma.
Janie Marèse, elle, était venue tout récemment à l’écran. Après être sortie du Conservatoire avec un prix d’opéra-comique, elle joua la comédie (Olive, à l’Ambigu), puis l’opérette à la Gaîté-Lyrique et aux Ambassadeurs, où on la vit dans Reine joyeuse, Comtesse Maritza, etc. Sollicitée par une importante société de production, elle tourna Le Collier, Amours viennoises et deux films que nous verrons au début de la saison prochaine : Mam’zelle Nitouche et La Chienne.
C’était la plus charmante camarade que l’on pouvait rêver. Tous ceux qui l’ont connue se rappellent avec émotion sa jeunesse et sa gaieté communicative. Il y a quelques semaines à peine elle était venue rendre visite à Pour Vous, et comme nous lui demandions ses projets : « Vacances d’abord ! nous dit-elle en riant. Nous verrons plus tard. » Elle était engagée, pour la rentrée, au théâtre des Folies-Wagram, où elle devait jouer dans la nouvelle revue.
Roger Régent
Sur la même page on apprend dans une brève que la journaliste de Pour Vous (Lucie Derain) a également été blessée dans cet accident de voiture.
Nous avons de meilleures nouvelles de Mlle Lucie Derain, qui fut blessée dans l’accident qui coûta la vie à Janie Marèse.
Notre collaboratrice et amie nous télégraphie qu’elle n’a reçu que de douloureuses contusions sans gravité. Nous lui souhaitons un prompt rétablissement.
Pour Vous mettra finalement Janie Marèse en couverture le 26 novembre 1931.
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Nous avons trouvé ces articles parus dans la presse quotidienne relatif à la mort de Janie Marèse. Rappelons que la voiture (dont il est question) était conduite par l’acteur Georges Flamant qui était son partenaire dans La Chienne.
Comoedia
Hebdo-Film
LES OBSÈQUES DE JANIE MARÈSE
paru dans Hebdo-Film daté du 19 septembre 1931
Lundi dernier, dans l’Eglise Notre-Dame-du-Raincy, à l’architecture bizarre, a été célébré, au milieu d’une très nombreuse assistance, le service funèbre de la pauvre Janie Marèse, qui périt si cruellement au cours d’un stupide accident d’auto, le 14 août dernier, alors qu’elle venait à peine de terminer les deux magnifiques films qui nous ont été présentés cette semaine, par la grande firme française, Braunberger-Riehebé.
Après la cérémonie, d’une belle et poignante simplicité, les assistants, très émus, vinrent saluer la famille, dont la douleur faisait mal à voir, de Janie Marèse (Mme Piganne, née Bugnot).
Entre autres camarades de la malheureuse disparue, on pouvait reconnaître MM. Albert Carré, Raimu, Lurville, Prince, René Hèrent, Marcel Carpentier, J.-P. Aumont, Colline, Géo Bury, Rousselière, Georgé, Duvaleix, Marcel Teisseire, Paul Ollivier, Braunberger, R. Beunke, André de Reusse, etc.; Mmes Sim-Viva, Madeleine Guitty, Raymonde Vécart, Lucie Derain, Janine Crispin, Suzy Vilna, Marie-Jeanne Martin, Moussia, Regelly, Mme et Mlle de Reusse, etc.
Puis le char funèbre, disparaissant sous les fleurs, monte lentement la côte du Raincy jusqu’au cimetière. Là, en l’absence du Président del’A.P.P.G. retenu à la dernière minute, et sur sa délégation, notre directeur, adressa au nom de toute la corporation, un dernier adieu à Janie Marèse, rappelant, au milieu de l’émotion de tous, que, tel un cruel anniversaire, il y a onze ans, le 20 août 1920, presque jour pour jour peut-on dire, et dans des conditions identiques, un affreux accident d’auto nous enlevait Suzanne Grandais, si riche, elle aussi, de dons et de talent. Ce douloureux rapprochement d’événements trop semblables fit les yeux plus humides, et c’est dans un silence attristé que, après avoir défilé devant le pauvre petit cercueil, l’assistance vint s’incliner une dernière fois devant les parents si cruellement frappés.
Le Figaro
Le journaliste Richard Pierre-Bodin publiera ces articles émouvant (et un peu trop lyrique!) à la mort de Janie Marèse dans Le Figaro.
paru le 23 août 1931 (à la suite d’un article sur Jeannette MacDonald).
P.S
Au moment que, je signais ces lignes, à Saint-Tropez, Gaston Ravel vint vers moi, m’apprit qu’à quelques heures et à quelques kilomètres de là, un destin farouche venait de retrancher des joies de vivre le beau visage de Janie Marèse. Son frère, et notre confrère Lucie Derain, étaient, affirmait-on, soignés à l’hôpital tout proche.
Nous nous y rendîmes, et l’on nous demanda si nous étions de la famille? était-ce mentir que répondre oui ?
Mais je n’eus pas, Janie Marèse, le courage qu’eut Raimu — votre partenaire d’il y a si peu de jours — le triste courage de remplacer le souvenir des traits dont chacune de vos expressions renouvelait le cadeau par la vision de ce visage que la mort vous sculpta avec la tragédie, ce visage où vous n’êtes plus…
C’est en nous que les morts meurent, l’on ne meurt que d’oubli : Janie, nous ne permettrons pas que vous mouriez encore !
Et voici que les journaux ajoutent à votre deuil celui de Maria Dalbaïcin.
D’où vient ce vent d’automne qui dès la mi-août obscurcit les ciels dont nous avions élu la lumière, dépouille tes jardins de l’art, traite en feuilles mortes les plus vivantes fleurs ? Il n’y a plus d’été, comme dit, après tant d’autres, la mort.
Richard Pierre-Bodin
A la sortie de La Chienne de Jean Renoir, Richard Pierre-Bodin publiera cette belle critique du film et terminera par cette éloge de Janie Marèse.
paru le 06 décembre 1931
Colisée : La Chienne (P.)
On connaît le sujet traité, par M. de la Fouchardière : ne le connaîtrait-on pas, on pourrait faire confiance à Jean Renoir pour le connaître, et compter sur la ponctualité de M. de la Fouchardiere pour remercier Jean Renoir du service qu’il lui eût, ainsi, rendu. Jean Renoir a changé de manière au milieu dit film qu’importe, puisque personne ne s’en est aperçu, que lui sans doute, et peut-être moi. C’est un beau film, c’est, plus encore, une promesse de très beaux films.
Michel Simon a voulu nous prouver qu’il pouvait avoir le talent de Jannings. Michel Simon a cette suprême élégance de la perte de temps: il nous avait déjà prouvé qu’il peut avoir le talent de Michel Simon, et c’est tellement plus.
Je reçois, d’amis qui me sont chers, et d’amis indifférents — j’entends de mes vrais amis — des recommandations à l’indulgence pour Georges Flamant, qui redoute, m’affirme-t-on, ce que je vais écrire de lui. C’est m’accorder trop d’importance, et c’est s’en trop refuser : je pardonne moins à Georges Flamant d’avoir douté de soi que d’avoir, en moi, trop cru malgré ses amis, et malgré les miens, je suis bien obligé de constater que Flamant a dit talent mais c’est le talent de Gabin. Attention il n’est pas de talent plus difficile à maintenir : nous vous y aiderons, monsieur, en dépit de nos amis communs, en dépit même de ceux qui ne le sont pas.
Janie Marèse vit là, par miracle, et, là, est assassinée : Simon troue, à la gorge, d’un coupe-papier, le rire de Janie Marèse, un rire qui n’en finit plus : est-il donc encore des morts qu’il faille qu’on tue ?
Je revois, Janie Marèse, cette forme déformée de vous, sous un drap de l’hôpital de Saint-Tropez, cette forme épouvantablement nouvelle de vous que je n’eus pas le courage de voir en vous découvrant d’un drap, en découvrant ce que l’on sait toujours assez tôt pour qu’il y ait quelque excuse à le découvrir…
Janie Marèse, printemps écrasé en ce récent été, Janie Marèse, petite morte de l’écran, Janie Marèse, qui nous rapportez de l’au-delà votre rire, Janie Marèse — Chienne qui rapporterez — , et de si loin.
Lyrica
Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Pour en savoir plus :
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La bande-annonce de La Chienne de Jean Renoir.
[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=VaOVL6ZCLPs[/youtube]
Janie Marèse dans Mam’zelle Nitouche de Marc Allégret.