Nous avons plusieurs fois publié des posts sur Marcel l’Herbier, depuis les 5 ans qu’existe ce site, ici et là par exemple.
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Cette fois-ci, le prétexte est évident avec cet “Hommage à Marcel L’Herbier, de Gaumont à Cinégraphic” que devait lui consacrer la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, du 10 au 31 mars 2020.
Évidemment suite au Coronavirus, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a dû fermer ses portes pour une durée indéterminée.
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Aussi, nous avons trouvé cet article, datant de 1922, dans lequel Marcel l’Herbier s’attaque avec virulence aux Cinéclastes et autres cinéphobes du cinéma français au début des années vingt.
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C’est qu’en 1922, le cinéma est encore considéré par certains comme du théâtre filmé voire un “agent de la démoralisation des masses” comme le rappelle Christophe Gautier dans son ouvrage indispensable “La passion du cinéma: cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris”. Aussi, Marcel l’Herbier s’en prend aussi bien aux “cinéphobes” qui sont extérieurs à toute création cinématographique qu’aux “cinéclastes” qu’il accuse d’être des “fauteurs de rivalités intestines” s’en prenant aux censeurs “folliculaires”, et “mauvais metteurs en scène”.
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Pour finir, nous avons ajouté un texte élogieux de Louis Delluc publié dans ce même numéro spécial Marcel L’Herbier de sa revue Cinéa, à lire ici.
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Plus de renseignements sur l’hommage à Marcel L’Herbier à la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé sur leur site ici.
Quant à la programmation qui aurait dû être projetée, voici le lien direct pour la télécharger en PDF.
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Les publications de La Belle Equipe vont s’espacer pour un moment.
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Profitez en pour revenir sur les cinq ans passés depuis l’existence de ce site (oui cela fait 5 ans !) et sans doute découvrir des articles que vous n’avez pas lu.
Utilisez le plan du site pour cela.
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Bonne lecture ! et surtout #RESTEZCHEZVOUS.
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Portez vous bien et faites attention à vous et à vos proches.
“Cinéclastes” par Marcel L’Herbier
paru dans Cinéa du 6 octobre 1922
Circé, la magicienne aux yeux pailletés de sortilèges, transforme en se jouant des agneaux en loups.
Par un jeu semblable, mais dans un rythme inverse, Louis Delluc tente, à son tour, de transmuer en agneaux de véritables fauves. Lisez-le ; et voyez comme d’un tour de plume passe-passe il transforme en purs « cinéastes » les pires cinéphobes.
Hélas ! L’encre du brillant essayiste n’est pas une liqueur qui vaille celle de l’Enchanteresse, — et des métamorphoses qu’il prétend opérer, grâce à elle, il ne subsiste à nos yeux que trompeuses métaphores, brochant sur un fond inexplicable indulgence.
Pour nous, en effet, tous ces prétendus agneaux que l’ironique auteur de Fièvre invente sur papier, qu’il enrubanne avec style, et qu’il paît d’une houlette Watermann entre les solides colonnes d’un monument dont le fronton clame « Excelsior », ces agneaux demeurent tout à fait des loups.
Louis Delluc, regardez de près : la plupart de vos « cinéastes » ce ne sont que des cinéphobes.
BOB SCALON et LILI SAMUEL dans Villa Destin
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Cinéphobes, — mais est-ce assez dire, est-ce assez maudire, quand il s’agit de désigner ces hommes d’écran que notre critique transubstantie par perversité, — ou ces cyniques gens qui vivent du Ciné et dont pourtant tous les efforts semblent tendre à briser l’essor de l’image animée ? Cinéphobes, — est-ce assez précis pour évoquer ces iconoclastes d’un genre nouveau, ces briseurs d’élan, ces briseurs de mouvement ? — Cinèphobes, est-ce assez sévère pour flétrir ces ennemis de l’intérieur ravageant le Temple qui les abrite et les nourrit ? Bref ne sont-ils que des cinéphobes, tous ces briseurs d’imaginations ?… on les nommerait plus justement des cinéclastes.
Distinction nécessaire.
Car, à côté de ces professionnels ennemis que Louis Delluc, dans ses récents articles, amnistie et considère comme étant quand même des cinéastes, et que je propose de tenir (passez-moi le mot) pour des « cinéclastes », nous savons bien, lui comme moi, qu’il existe aussi de vrais comtempteurs, de vrais honnisseurs du cinématographe : — des cinéphobes.
Et certes ces cinéphobes, si par définition même ils ne sont jamais des professionnels du moving, n’en sont pas moins tout autant les ennemis. Mais, différence essentielle : ceux-là nous sont des ennemis indispensables, voire avantageux.
Et d’abord ils sont des ennemis nettement déclarés ; ils se montrent en face et l’on sait où les rencontrer ; de plus, contrairement aux « cinéclastes », ils évoluent à l’extérieur du Temple comme étant étrangers à l’activité cinématographique ; — la guerre qu’ils nous font n’est donc pas guerre civile ; c’est un combat ouvert d’opinion à opinion, et qui permet d’apercevoir la diversité des assaillants comme les effectifs de l’ennemi.
D’ailleurs, plus leurs rangs sont serrés, plus nous nous réjouissons secrètement. On sait bien, pour peu qu’on y réfléchisse, que c’est de leur nombre et de leur puissance que dépend le grandissement même du Cinématographe, car « la valeur d’un mouvement se juge à la valeur de ses ennemis ».
Et puisque « aucune Force ne peut prétendre à vivre qui ne sait se trouver des ennemis suffisants », ce nous est en définitive une grande occasion de joie que de rencontrer, partout, en grand nombre, des cinéphobes, conscients ou non, mais dont l’inimitié contient en dépôt la garantie de notre progrès.
Le Carnaval des Vérités
Juan (JAQUE CATELAIN) retourné au village évoque les minutes de son bonheur auprès de la belle Andrée Cernin (DIANE FERVAL)
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… braves cinéphobes, dès lors, ces amis quittés naguère dans leurs salons, les mains tendues, et qu’on retrouve les bras levés d’indignation, devant vous qui osâtes vous commettre avec « ces forains de l’écran »,— délicieux cinéphobes, ces vénérables parents qui tiennent pour déchu du rang ancestral l’enfant devenu artisan du moving et qui, l’espoir foudroyé, balbutient sur son passage les noms magiques : Hervieu. Rostand, Académie, Décoration, — signes des belles gloires que le fils perdu renonce à jamais ;
… excellents cinéphobes, en somme, ces spectateurs qui chaque semaine proclament l’ineptie du film à mouvement, l’ennui du film sans mouvement, et qui chaque semaine…
… cinéphobes d’élite, enfin, ces hommes de lettres, ces artistes, qui par dégoût foncier ou manque d’initiation atteignent à diverses cinéphobies, à celle, intégrale, d’un Henry Bernstein, ou bien à celle très subtile et pour ainsi dire du deuxième degré, celle de ce notoire cinégraphiste, celle d’un Emile Vuillermoz.
Rose-France
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Indulgence. Non pas, une sorte de vénération foncière voilà ce que nous réservons à de tels ennemis de notre activité. Et ceux qui suivirent nos anciennes apologies du culte de l’inimitié ne sauraient se méprendre sur le sens exact que nous attachons à cette vénération.
Toutefois, si la considération que nous prodiguons en nous aux cinéphobes se trouve de la sorte entièrement élucidée, celui des cinéclastes ne saurait participer des mêmes conclusions.
Car ceux-là ne sont pas qu’ennemis ; ils sont traîtres. Attachés au Cinématographe, par des liens de métier, d’intérêts, ou par d’autres… ils exploitent bassement leur situation dans le Temple. Et les voici sans cesse jetant le désarroi, la confusion, la guerre parmi les fidèles qui voudraient demeurer laborieux et probes.
Fauteurs de rivalités intestines, dès lors c’est la vie même de la profession qu’ils mettent à chaque seconde en péril.
Leurs attentats sont de tout ordre, de toute violence. Briser les icônes, briser l’idole, c’est peu. C’est briser l’élan intérieur de tous qui est l’ambition directe ou détournée de chacun d’eux. — Briseurs de mouvement, briseurs de poésies, vous les retrouvez partout, dans tous les rouages de cette vaste usine d’images qu’est le Cinématographe.
Leur présence se révèle si clairement qu’ils cherchent, par un comble d’adresse, à la dissimuler sous des visages d’innocence ou à la travestir, — mais qui donc s’y tromperait longtemps ?
1917. — Phantasmes. — ROGER KARL et Mlle AISSÉ.
Un des premiers tableaux flous. Roger Karl se revoit travaillant avec sa femme dans son laboratoire.
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Sont-ils ou non des cinéclastes, ces hommes d’affaires réunis en comité secret de puissances anonymes, qui sourdement et patiemment ont préparé, puis déclenché ce grand recul que l’on constate sur tout le front cinématographique français, recul des sujets, recul du respect de la pensée des auteurs ou de la liberté des interprètes, recul de la valeur même des œuvres qu’on rabaisse jusqu’à l’étiage du mélodrame ?
Sont-ils ou non des cinéclastes, ces quelques critiques de nos films qui se sont laissé peu à peu emporter dans ce courant d’affaires et de publicité, déferlant sur les quotidiens, contre quoi la volonté de quelques-uns s’est assez imposée cependant déjà pour que la volonté de tous en doive triompher définitivement, si elle se coalise ?
Sont-ils ou non des cinéclastes, ces censeurs qui pèsent toutes les œuvres d’écran sur les mêmes bases d’évaluation et sans tenir compte de la tenue, de la portée générale de chacune, — juges capables de confondre la basse pornographie avec l’audace vraie, juges pour lesquels un nu de Manet vaudrait une carte postale transparente ?
Mlle AISSÉ dans Rose-France
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Sont-ils ou non des cinéclastes, tous ces folliculaires perpétuellement en porte à faux sur deux ou trois situations indéfinies et dont l’équilibre ne se maintient qu’à coups de balancier frappés contre la stabilité de ceux qui œuvrent ?
Sont-ils ou non des cinéclastes, ces trafiquants obscurs de tous les droits d’auteurs, de toutes les options d’œuvres, qui même sur les plus glorieux noms des littératures, menacent de faire courir la lèpre de leurs « combinaisons » ?
Sont-ils ou non des cinéclastes, ces « metteurs en scène » sortis de l’ombre où d’autres entreprises les avaient menés, ces arlequins de la corporation et contre lesquels il semble que vous autres, les éclaireurs Delluc, Gance, Roussell, Baroncelli, Poirier, et vous tous aussi, réalisateurs sincères des films qui nous sauveront, vous devriez vous élever d’un même mouvement, d’une même révolte afin que soit enfin désinfectée l’atmosphère où vous travaillez non seulement de votre cerveau, mais de votre vie !
JAQUE CATELAIN et Mlle AISSÉ dans Rose-France.
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Mon cher Louis Delluc, vous plait-il d’en convenir ? Si certains de vos cinéastes ne sont que ces cinéclastes, qu’on les rejette définitivement, et réunissons ici dans le plus grand désintéressement les efforts des gens probes qui veulent comme nous qu ‘un air enfin respirable soit répandu autour de ce labeur, d’où doit sortir l’hégémonie du film français.
Marcel L’Herbier
Caricature de Marcel L’Herbier par Spat.
Dans ce même numéro, nous trouvons cet éloge de Marcel l’Herbier par Louis Delluc, que nous publions ci-dessous.
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Les Cinéastes – Marcel L’Herbier par Louis Delluc
paru dans Cinéa du 6 octobre 1922
Il eut bien agréable de présenter Marcel L’Herbier au public international du cinéma, mais c’est complètement inutile. Maintenant il a gagné la partie, il a connu le succès, il va connaître la gloire, en imposant ses idées et son talent et en ne se laissant pas imposer les vieilles habitudes des autres. Je dois avouer que sa valeur aurait peut-être mis quelques mois de plus à triompher, mais par bonheur, il a eu ce nombre important d’ennemis qui constitue particulièrement en cinégraphie le plus sûr élément de publicité et de victoire.
J’ai passé quelques après-midi au studio Gaumont, où Marcel L’Herbier filmait les dernières scènes de Don Juan. Le spectacle de L’Herbier au travail me donne un grand plaisir. D’abord, il ne croit pas utile de dire aux figurants : « Sacré nom de D…, vous êtes un tas de … » ; à ses acteurs : « Ne fais pas cette gueule-là, ma petite ! » ou « Totor, tu as l’air d’un veau » ; à son opérateur : « F…-en un vieux coup… », et il n’a pas honte d’être propre, sobre, élégant, bienséant.
Au fait, ce sont menus détails,mais qui vont si bien avec sa manière laborieuse et le ton de ses œuvres. Réfléchi, minutieux, tourmenté souvent, mais aussi concentré que possible, il réalise un film comme un physicien fait ses calculs et ses expériences dans un laboratoire. Aucun romantisme extérieur ; et pourquoi en serait-il autrement dans cette vaste cage de fer et de vitres qui évoque la salle d’opérations ? Salle d’opérations, à cela près que le chirurgien et le patient ne font qu’un.
Physicien ou chirurgien, et poète — mais tout cela cousine — Marcel L’Herbier est Français. Presque seul à s’étonner que le pays de Ronsard, de Racine, de Voltaire, de Verlaine, fut justement le pays où l’art muet s’abaissât jusqu’à s’encanailler. L’Herbier n’eut qu’à être naturellement lui-même pour être une réaction bien nette à la débâcle.
Qu’il ait pesé et médité les leçons confortables des Américains, des Suédois, des Allemands, c’est trop juste. Qu’il ait cessé une minute d’être Français, jamais de la vie !
Marcelle Pradot dans une scène d’El Dorado supprimée par les établissements Gaumont.
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Etre cinégraphiquement Français ne se borne pas à meubler ses décors comme La Traviata à Bergerac, à fleurir ses sous-titres de calembours d’almanach, à donner aux interprètes des grâces dont l’hebdomadaire cross-country du Pathé-Journal ne voudrait pas.
Il y a une meilleure façon d’être Français, bien plus difficile, mais plus pure, et qui consiste à être tellement Français, que les Français ne le savent pas. Quand trois talents comme Debussy, Dukas et Ravel eurent été joués par tous les orchestres du monde, il fut enfin question de les admettre à l’Opéra de Paris. Quand on saura bien que le cinéma français est respecté et aimé à l’étranger dans l’œuvre de L’Herbier, et non dans l’œuvre de ceux que vous croyez, alors j’en sais qui diront avec orgueil : « Celui-là est de chez nous. Ils n’en ont pas en Angleterre. ».
Je n’ai d’ailleurs jamais hésité à discuter le plaisir qu’il me donne.
Mais un si grand effort est tel qu’on ne peut souhaiter qu’il soit autre. L’Herbier ne peut d’ailleurs s’évader de lui-même ; il suit sa route, avec et malgré les difficultés que les grinçantes routines de notre cinématographie ont multipliées.
La guerre et beaucoup d’autres choses ont installé ces routines. Ce n’est pas en un jour qu’on les détruira.
Mais pourquoi les compliquer ? Pourquoi les deux douzaines de travailleurs qui ont intérêt à les voir disparaître gâchent-ils leur temps à entraver les plus hardis ?
Nous ne leur demandons pas de nous suivre. Qu’ils laissent au moins, sans grogner et sans siffloter, avancer les braves ! Marcel L’Herbier,a composé Rose-France, Le Carnaval des Vérités, L’Homme du large, Villa Destin, El Dorado, Don Juan — les rares films français dont il soit réellement question au delà de nos frontières.
Caricature de Marcel L’Herbier par Spat.
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Cependant, je rencontre des cinéastes qui continuent de répéter: « L’Herbier ? Petite chapelle… » Petite chapelle ! Hé ! qu’y avait-il avant ? Nommez-moi un clocher français.
Ce n’est pas si mal, la petite chapelle, quand elle se dresse dans le désert africain ou quand elle domine du haut d’un roc une rase vallée d’Espagne. Le cinéma a bâti ses cathédrales ailleurs, bien loin, et les Français pensèrent tout juste à quêter aux portes de leurs sacristies.
Et si l’un d’eux a suscité la première chapelle, aidez-le, comprenez-le, au lieu d’aller quêter un jour— trop tard — à sa porte quand elle sera devenue cathédrale française.
Louis Delluc
La couverture de Cinéa du 6 octobre 1922 avec la caricature de Marcel L’Herbier par Spat.
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Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque française
Pour en savoir plus :
L’Hommage à Marcel L’Herbier, de Gaumont à Cinégraphic que lui consacre la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, du 10 au 31 mars 2020.
Le Paris de Marcel L’Herbier sur le site du Forum des Images.
La bande annonce de L’Argent de Marcel L’Herbier (1928) .
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Le tournage de L’Argent de Marcel L’Herbier (1928) par Jean Dréville.
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Extrait de Nuits de princes de Marcel L’Herbier (1930).
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Rose-France de Marcel L’Herbier (1918).
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Extrait d’El Dorado de Marcel L’Herbier (1921).
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Présentation de L’Inhumaine de Marcel L’Herbier par Serge Bromberg (Lobster Films).
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