Dans la foulée du succès de son premier film à Hollywood en 1927, le mythique L’Aurore, le réalisateur F. W. Murnau entame le tournage des Quatre Diables (Four Devils), avec Janet Gaynor l’héroïne de L’Aurore (et des films que Frank Borzage tourne en même temps dont son chef d’oeuvre L’Heure suprême).
Les Quatre Diables devint un film légendaire car toutes les copies ont disparues. D’après, ce que l’on peut savoir en lisant les articles ci-dessus, il s’agissait d’un mélodrame d’aspect assez conventionnel, d’autant plus que Murnau dût céder à Hollywood et accepter une fin optimiste.
En effet, si L’Aurore remporta 3 oscars, le film ne fût pas amorti et pour son film suivant, Murnau dût se résigner aux nouvelles pratiques d’Hollywood pour chercher son public notamment avec des projections tests. De plus, la Fox sonorisa le film sans l’autorisation de Murnau lorsque celui-ci était parti à Tahiti tourner Tabou.
Quoiqu’il en soit, le film sortit à New York dans une version muette le 3 octobre 1928, puis dans cette version “semi-parlante” à Los Angeles le 10 juin 1929.
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Les Quatre Diables ne seront présentés à la presse à Paris que le 5 mars 1929.
Finalement le film sortira presqu’un an plus tard, le 7 février 1930 au Paramount, 2 boulevard des capucines, 75009 comme le montre l’encart suivant paru dans Comoedia ce 7 février 1930.
Le film sera ensuite projeté au Gaumont-Palace avant de poursuivre sa carrière dans les salles de quartier tout au long de l’année 1930. D’ailleurs, signalons qu’à aucun moment la presse ne signale si la version projetée est muette ou sonore. On peut supposer que la version muette est privilégiée sinon l’écho en aurait été plus grand vu la nouveauté et l’attractivité du film sonore au début de l’année 1930.
Mais, l’encart suivant, paru dans La Semaine à Paris le 5 septembre 1930, nous apprend que le film est projeté cette fois-ci en version sonore ! ! Est-ce parce que les salles commencent à être équipées ?
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Nous vous proposons donc de nombreux articles parus dans Pour Vous, Cinémonde, Cinémagazine, La Revue du cinéma et les quotidiens Comoedia, Paris-Midi, Paris-Soir, L’Intransigeant signés (entre autres) par Roger Régent, Pierre Leprohon (qui a également écrit dans Cinémonde), Lucie Derain, Jean-Paul Dreyfus.
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Pour terminer, nous avons ajouté une critique d’une versions précédente des Quatre Diables, réalisé par le danois A. W. Sandberg en 1921. Une critique signé par Louis Delluc !
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Bonne lecture !
Mais avant cela, voici quelques encarts que nous avons trouvés dans la presse parisienne, avant la sortie du film, dans lesquels nous apprenons que Les Quatre Diables sera un un film “plus révolutionnaire” dans le “domaine artistique” que l’Aurore.
paru dans Paris-Soir du 29 mai 1928
Que Murnau a inventé “28 mécanismes ou procédés entièrement nouveaux pour obtenir des effets de vision surprenants et originaux”.
paru dans Paris-Soir du 14 juillet 1928
Que dès la fin du tournage, il a commencé le projet Our Daily Bread (Notre Pain Quotidien) avec Mary Duncan, qui jouait déjà dans Les Quatres Diables, et retrouve son partenaire du film de Frank Borzage, The River (La Femme au Corbeau) : Charles Farrell. Le film sortira sous le nom de City Girl .
paru dans Paris-Soir du 11 août 1928
Trois mois plus tard, le film sort à New York au Gaiety Theatre et cet article nous apprend que les places pour le film sont louées “huit semaines à l’avance” !
paru dans Paris-Midi du 15 janvier 1928
Finalement, au début de l’année 1929, le film achève sa douzième semaine d’exclusivité au Gaiety Theatre alors que le tournage de Our Daily Bread se termine.
paru dans Paris-Soir du 26 janvier 1929
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Le film est présenté à la presse fin février/début mars 1929 à Paris par la Fox Film aux Folies Wagram et à l’Empire.
paru dans La Revue de l’écran du 05 mars 1929
Les Quatre Diables de F. W. Murnau par Roger Régent
paru dans Pour Vous du 7 Mars 1929
Les Quatre Diables de Murnau, d’après le roman danois de Hermann Bang qui ont été présentés mardi après-midi suscitent l’intérêt de tous les amateurs de cinéma. Ce film présente, une particularité que nous croyons unique dans les annales de l’art muet. La version de Murnau — nous devons ces détails à l’obligeance de M. Paul Kastor — n’est pas la seconde, comme on le croit communément, mais la troisième version cinématographique du roman d’Herman Bang.
La première date de 1912 et ne comportait que 600 ou 800 mètres, la seconde de 1921 comptait de 1.800 à 2.000 mètres et fut éditée grâce à une collaboration germano-danoise, la troisième est cette version américaine qui fut présentée mardi.
Il nous a paru curieux de publier au-dessus du bref compte rendu de dernière heure que nous consacrons au film nouveau, l’article écrit le 2 août 1921 par notre collaborateur Lucien Wahl, sur la deuxième version tout à fait oubliée aujourd’hui.
Une comparaison se dégagera de ce rapprochement. Nous espérons quelle amusera nos lecteurs.
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DIRA-T-ON comment s’appelle l’homme à qui est dû ce film ? Qualifiez-le réalisateur, metteur en scène, écraniste ou cinéaste, c’est un artiste, épris de beauté, de bonté, un artiste. Il n’a pas dû se demander si son film « ferait » de l’argent. Il a éprouvé la sincérité d’un scénario mince et nous l’a imposée : un quatuor de jeunes artistes, deux hommes, deux femmes ; l’un, Donald, caprice d’une grande dame, perd ses forces dans ses joies nouvelles et sa camarade Aimée souffre de cette débauche. Un soir vient que Donald et Aimée exécuteront seuls le plus dangereux exercice. Lui, de moins en moins sûr, tombe, s’écrase sur la piste où le rejoint, exprès, de haut, Aimée, qui se tue. Est-ce tout ?
Le film dit bien d’autres choses, de menus faits, des douleurs aiguës et, dès le début de sa projection, on se sent en présence d’une œuvre d’art ; peu à peu, elle déploie une puissance. Quand Aimée évoque son enfance et celle de ses compagnons chez un padrone qui les maltraitait en les dressant, puis leur arrivée dans une cirque ambulant, la faillite, la vente de cette boîte… rien n’est omis : hommes, bêtes, choses évoluent, vivent dans la réalité captivante, les effets n’ont pas été cherchés, ils naissent de l’observation directe et ils ne sont pas appuyés. Les éclairages de ce film danois méritent aussi l’approbation absolue.
Les exercices de cirque font partie intégrante du sujet et, lorsque le tambour roule en solo pendant le tour de force final et mortel, nous ne pouvons lutter contre l’angoisse envahissante. L’interprétation est belle, belle par ses ensembles et les individus, par les enfants, simplement admirables, et admirable est ce film. A-t-on lu souvent ici cette épithète ? Les directeurs vont-ils montrer cette œuvre au public et, si la grosse caisse n’est pas battue autour d’elle, les spectateurs eux-mêmes ne diront-ils pas : « Enfin, voilà du cinéma, du ci-né-ma ! ”
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Dernière Heure.
Mardi après-midi, nous avons vu le dernier film de Murnau : Les Quatre Diables, du scénario que M. Lucien Wahl explique ci-contre, la fin transformée nous montre la jeune Mariane seulement blessée dans sa chute et son compagnon (qui ne sera pas tombé) abandonnera la femme qui l’avait détourné de sa jeune camarade.
Il faut bien le dire, nous attendions mieux de l’auteur du Dernier des Hommes et de L’Aurore, Il n’y a pas dans ces Quatre Diables la sincérité et l’émotion que le sujet pouvait apporter, il y a des longueurs. Janet Gaynor est excellente et souvent touchante. Charles Morton est bien. Mary Duncan est très loin de ce qu’elle fit dans La Femme au Corbeau.
Roger Régent
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“Murnau, philosophe et metteur en scène” par Pierre Leprohon
Un hasard, heureux entre tous, a guidé Murnau vers le cinéma. Se destinant à la science, il avait fait ses études à l’Université de Heidelberg et obtenu rapidement ses diplômes de docteur ès-philosophie. Cependant, déjà à cette époque, l’art l’occupait beaucoup. Il avait employé ses loisirs d’étudiant en faisant un peu de théâtre ; il appartint même quelque temps à une troupe en tournée, puis, décidé à commencer sa carrière scientifique, il demanda la direction d’une mission océanographique devant se rendre aux Canaries. Vers cette époque, des offres intéressantes lui furent faites pour la réalisation d’un film. Il hésita devant ces deux voies qui s’ouvraient devant lui et se décida enfin pour le cinéma. Dès lors, F.-W. Murnau s’y consacra avec ferveur. Il fut l’ami de Max Reinhardt, et doué d’un talent très personnel il devint rapidement l’un des meilleurs metteurs en scène d’Outre-Rhin. Parmi ses œuvres, citons tout particulièrement Nosferatu ou le Vampire, La terre qui flambe, Faust, Le dernier des hommes et enfin ce Tartuffe interprété par Emil Jannings, qui n’a pas encore été présenté en France.
Cet excellent début avait suffi à Murnau pour affirmer sa personnalité. On y retrouvait cependant les conceptions toutes spéciales, l’expressionnisme qui donnèrent vers 1923 une valeur primordiale au cinéma allemand. Nosferatu était guidé par ce même goût du fantastique qui fit le succès des Pabst, Robert Wiene et Fritz Lang. Faust permit à Murnau de pousser ces tendances à l’extrême, et l’adaptation qu’il nous donna du chef-d’œuvre de Goethe demeure une bande de rare valeur. Son style avait atteint déjà une maîtrise incontestable. Grâce à d’habiles truquages, à la puissance de sa photographie, Murnau dota ce thème d’une ampleur qui nous le fit paraître nouveau. L’interprétation comprenait — on s’en souvient — Goste Eckmann, Yvette Guilbert et Emil Jannings dans le rôle de Méphisto.
Le Dernier des Hommes, réalisé en 1924, devait rester son œuvre capitale. Il y avait là, autour de simples scènes, une force de suggestion qui nous surprit. Présenté ensuite en Amérique, ce film attira l’attention sur son auteur, et Murnau ne tarda pas à être engagé par la Fox-Film pour tourner à Hollywood. Il y réalisa L’Aurore, un film qui fut présenté en France l’an dernier et qui souleva autant d’éloges que de critiques.
Il y aurait beaucoup à dire sur cette œuvre. Le scénario en fut tiré par Carl Mayer d’une nouvelle d’Hermann Sudermann intitulée Le voyage à Tilsitt. C’est une bande de valeur fort inégale mais qui demeure pourtant, à beaucoup de points de vues, très caractéristique. Il faut tout d’abord savoir gré à Murnau d’avoir réalisé un film sur des données aussi modestes. Il n’y a guère d’histoire dans L’Aurore, simplement le revirement d’une âme qui se reprend et sur ce simple thème le metteur en scène a trouvé des images d’une évocation magnifique. Après un début fait de quelques synthèses bien composées, Murnau entre en plein sujet.
Le rendez-vous nocturne de la femme de ville et du fermier est un morceau spécifiquement allemand. Par des chemins chargés de brume, l’homme s’en va vers cette passion dont le poids l’accable et le pousse. Nouvelle expression de la passivité germanique que ce dos courbé, cette démarche lourde de crainte, ce décor artificiel qu’on sent plein de menaces.
La tentative de noyade est l’une des scènes les plus émouvantes que nous connaissions.
La lenteur du rythme nous procure une angoisse indéfinissable et si tout cela paraît immense, c’est que Murnau a su réaliser une atmosphère qui colle aux êtres, les enveloppe de poésie et de mystère.
La première moitié de l’Aurore, d’une facture nettement germanique, nous promettait une œuvre de grande classe, d’une simplicité d’action que nous n’avons pas souvent rencontrée. Malheureusement le film tourne soudainement à la farce, avec des ironies un peu grosses et se termine sur un « clou » dont nous sommes las, une tempête aussi factice qu’inutile. Cette concession aux nécessités américaines a perdu un film qui aurait pu être un chef d’œuvre.
Ce premier contact de Murnau avec Hollywood ne nous paraît qu’une demi-réussite. Le cinéaste allemand nous a montré cependant par l’habileté de sa technique qu’il n’avait rien perdu de ses qualités. Nous attendons à présent une œuvre plus homogène.
Les quatre diables que l’on va présenter incessamment nous révéleront un nouvel effort de Murnau. Ce film, interprété par Charles Morton et Janet Gaynor a pour cadre la vie du cirque et contient des scènes de trapèze particulièrement impressionnantes. Un dispositif spécial de l’appareil de prise de vues doit permettre au spectateur de suivre exactement le mouvement des acrobates. Ces scènes demandèrent à elles seules deux mois pour pouvoir être réalisées comme le désirait Murnau.
Actuellement, après une opération qui a retardé un moment ses travaux, il poursuit à Hollywood les prises de vues de Notre pain quotidien avec Mary Duncan, Charles Farrel et David Torrence.
Pierre Leprohon
A la suite de cet article, Pierre Leprohon ajoute cet encart sur l’actrice principale des Quatre Diables : Janet Gaynor.
Janet Gaynor, comme Lilian Gish, est une petite fille qu’on aimerait à plaindre. Il y a en elle-même une simple conviction de bonheur qui nous fait toujours craindre de trop grandes amertumes. Petite et frêle, les cheveux tirés en bandeaux, Janet Gaynor, nous est apparue dans L’Aurore comme une image immatérielle tellement elle était nouvelle.
Son visage a des transparences émouvantes où se reflètent les pensées et les peines qu’on ne veut pas dire. On ne sait de quoi est faite sa beauté ; des traits fins, de sa fraîcheur ou bien de cette admirable candeur qu’on y découvre.
Mais Janet Gaynor n’est pas seulement l’une des plus belles vedettes d’Outre-Atlantique, elle est aussi l’une des meilleures artistes. Sa création de L’Aurore est absolument remarquable. Son jeu laisse à ses traits une immobilité presque totale, mais il y a dans l’attitude, dans un regard, mille nuances qui s’expriment. Qui donc aurait su peindre aussi sincèrement cet effroi qui l’éloigne de l’homme, cette peur qui la fait trébucher dans la forêt devant ce regard où elle a lu la haine ?
Nous la reverrons demain dans Les Quatre diables, puis dans Christine de William H. Howard.
P. L.
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Les présentations : « LES QUATRE DIABLES » par René Lebreton
paru dans Comoedia du 7 mars 1929
De manière générale le public a boudé L’Aurore, réalisation qui précède dans l’œuvre de F.-W. Murnau, la production dont nous rendons compte aujourd’hui.
Cette incompréhension par la foule d’un film que les cinéastes furent unanimes à décréter chef-d’œuvre marque assez bien le goût du populaire qui préférera toujours la romance sentimentale a un » lied » de Schubert. Et L’Aurore, par son rythme rappelait le « lied », transposition du romantisme dans le domaine musical
Mettant, cette fois-ci, sur le chantier une œuvre plus à la portée du public, F.-W. Murnau a réalisé Les Quatre Diables, film qui, sur son devancier, gagne en intérêt spectaculaire mais perd en originalité. La manière si spéciale du réalisateur de L’Aurore est, ici, quelque peu sacrifiée au profit de l’attraction. Commercialement. le film se trouve très bien de cette concession faite au désir de capter, avant tout, la faveur populaire ; du point de vue de l’art intrinsèque, il marque pour Murnau une régression.
A tout bien considérer et se mettant pour le juger à la place du spectateur moyen, on ne peut dénier aux Quatre Diables qu’il bénéficie d’un scénario captivant, d’une mise en scène irréprochable et d’une interprétation de premier ordre. Combien est-il d’œuvres qui puisse se prévaloir d’un tel ensemble de qualités ?
Le scénario.
Certain soir, une pauvre femme vient confier au directeur d’un cirque ambulant deux petits orphelins, fils d’acrobates réputés.
Ce directeur est une brute alcoolique : il martyrise ses nouveaux pensionnaires et aussi deux fillettes sans père ni mère, Marianne et Louise, que la misère a placées sous sa coupe.
Un clown de la troupe, le bon Walker, s’indigne des mauvais traitements du directeur : il décide d’éloigner de ce monstre les quatre enfants. Avec eux il part.
Dix ans plus tard, les petits orphelins, habilement formés par Walker, sont devenus des acrobates réputés : les Quatre Diables. Le clou de leur numéro de trapèze est le « saut de la mort » qu’exécutent Charles et Marianne. Les sentiments d’affection qui unissaient les petits déshérités ont évolué : l’amour a remplacé l’amitié fraternelle ; Charles et Marianne sont fiancés.
A Paris, où un engagement important a appelé les Quatre Diables, le succès que recueille la troupe est considérable. Une belle inconnue est là, chaque soir, qui s’enthousiasme devant l’adresse des trapézistes et la beauté de Charles. Celui-ci n’a pas été sans surprendre le manège de l’inconnue ; indifférent d’abord, flatté ensuite, conquis, enfin il devient l’amant de cette femme qui l’ensorcelle. Les remontrances de Walker, les objurgations de son frère, la muette prière de Marianne n’empêchent pas Charles de poursuivre l’amoureuse aventure.
Décidée à sauver malgré tout son grand amour, Marianne se rend chez l’inconnue, la supplie de renoncer à Charles, pour elle simple passade. La pauvre fille ne recueille que rire narquois. Présent à la scène, Charles repousse sa cruelle maîtresse et se lance à la poursuite de Marianne partie comme une folle, dans la nuit, vers la Seine. Rattrapant la désespérée, Charles lui jure de s’amender.
Arrive la soirée d’adieu des Quatre Diables. Pour cette circonstance, Charles et Marianne doivent effectuer sans filet le « saut de la mort ». Pendant la dernière répétition de travail, Charles se rendant dans sa loge y trouve la belle inconnue. Faiblement il tente de vaincre l’emprise, mais la chair succombe et Charles suit encore une fois sa maîtresse.
Le soir même, au cirque. Le moment est venu : Charles et Marianne vont exécuter le « saut de la mort ». Avant de s’élancer dans le vide, Charles fait à Marianne le serment de l’épouser bientôt.
Hop! Lâchant le trapèze, Charles exécute dans l’espace un double saut périlleux qu’il termine en se suspendant aux jambes de Marianne elle-même cramponnée à la barre d’un trapèze volant. Charles reprend pied sur la planche de départ. Marianne s’apprête à faire de même quand elle aperçoit l’inconnue qui fait, en cet instant, son entrée. Cette femme sera-t-elle donc toujours un obstacle à son bonheur ?
Lasse de lutter, la petite trapéziste desserre son étreinte, lâche la barre. Au milieu : des cris d’effroi de la foule, son corps menu raye l’espace et s’abat sur la piste.
Morte Marianne ? Charles, effondré, s’est réfugié dans sa loge. Entre Walker qui annonce que Marianne vivra : transfiguré par la joie, Charles, en un geste de repentir et d’amour, incline son front sur la poitrine de Marianne que des brancardiers emportent.
La mise en scene des Quatre Diables est extrêmement vivante ; par plus d’un point elle rappelle Variétés et non pas seulement en raison de la similitude des exercices au trapèze volant qui, dans ces deux films. sont le « clou ». Cette analogie n’est pas pour surprendre, la technique allemande ne compte t-elle pas parmi ses plus remarquables représentants Dupont et Murnau ?
Les tableaux du cirque (la piste, les gradins, les coulisses) sont excellents ; la panique qui suit la chute de Marianne est un chef d’œuvre.
Egalement très bien rendues sont les acrobaties aériennes.
Pour si parfaites que soient ces scènes, elles ne font pas oublier celles du début : l’arrivée des enfants, leur persécution par le directeur brutal, la bataille dans la roulotte. Toute cette première partie est du Murnau intégral ; sa construction irréprochable, l’art nuancé qui s’y révèle dégagent une intense émotion. Des Quatre Diables c’est assurément le meilleur morceau.
Une belle photographie ajoute encore au plaisir que les yeux et l’esprit prennent à cette œuvre captivante et digne d’admiration.
Janet Gaynor est elle-même dans le rôle de Marianne ; ceci indique assez combien sa création est sensible et humaine. Charles Morton (Charles), corps athlétique et visage sympathique, a joué ici son meilleur rôle. Farrell Mac Donald, Barry Norton, Nancy Drexel, Claire Mac Dowell et Anders Randolph sont bons.
Les quatre enfants du début jouent avec un naturel extrême et un sens de la mimique remarquable.
René Lebreton
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Critique des “Quatre Diables”
paru dans Cinéa du 15 Mars 1929
On peut préférer le Murnau de L’Aurore, de la première partie de l’Aurore devrions-nous dire.
Ce nouveau film du grand réalisateur allemand n’apporte pas cet élément de nouveauté qui fait les chefs-d’œuvre, mais il constitue, tel qu’il est, une production très attachante dont la valeur commerciale est indéniable.
Le roman d’Hermann Bang, qui n’est pas sans analogie avec Les Frères Zunganno d’Edmond de Goncourt, fut déjà remarquablement traité à l’écran jadis.
Murnau a très habilement mêlé le spectacle au drame intérieur et sauf quelques longueurs aisément réparables le film aura tout pour plaire.
L’interprétation de Janet Gaynor et de Mary Duncan, de Nancy Drexel, Charles Morton, Farrell Mac Donald et Barry Norton, est excellente.
Non signé
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Critique des “Quatre Diables” par Robert Vernay
paru dans Cinémagazine du 15 Mars 1929
LES QUATRE DIABLES
Interprété par JANET GAYNOR, NANCY DREXEL, MARY DUNCAN, FARRELL MAC DONALD, BARRY NORTON, etc.
Réalisation de F.-W. MURNAU (Fox-Film).
Après tant de films sur la vie du cirque dont un était même un authentique chef-d’œuvre, c’était une belle audace que de chercher à faire « neuf » avec un sujet déjà tellement exploité.
F. W. Murnau a derrière lui tout un passé artistique qui l’oblige à tenir un certain rang, ses scénarii du Dernier des Hommes ou de L’Aurore étaient d’une pensée assez élevée, l’esprit critique est de ce fait plus éveillé pour lui que pour tout autre. En prenant un sujet plus populaire, il risquait une dangereuse comparaison. Disons tout de suite que Les Quatre Diables, de Murnau, est une très belle réussite, c’est l’ennoblissement d’une histoire courante par la perfection artistique poussée à son point extrême.
Les deux orphelins des célèbres trapézistes « Rossy » sont confiés au propriétaire d’un cirque ambulant qui dresse les enfants. Mais ce directeur est une brute qui les martyrise eux et deux pauvres fillettes Louise et Marianne. Le bon clown Walker tâche de les protéger. Et un soir tous les cinq quittent la roulotte devenue un enfer. Les années passent, Walker peine pour élever ses protégés, riant plus fort quand sa tâche est plus rude. Un jour enfin, le bonheur semble leur sourire. Les quatre jeunes gens sont engagés dans un cirque parisien où ils présentent un numéro sensationnel, «Le saut de la Mort», et Walker s’apprête à bénir une double union.
Hélas ! une inconnue vient troubler ce bonheur, elle ensorcelle Charles, le chef de la troupe. L’équilibre est rompu, des disputes s’élèvent, la concorde indispensable ne règne plus. Et le soir de la représentation d’adieu des « quatre diables » un accident survient, Marianne tombe sur la piste du haut de la coupole.
Il y a un dieu—dit-on—pour les amoureux, elle survivra donc heureuse dans les bras de Charles qui découvre que là est le bonheur véritable.
Toutes les scènes du cirque, la première représentation, l’affolement du public après l’accident, sont traitées avec un sens du mouvement absolument remarquable. L’atmosphère parisienne est évoquée avec un tact et une justesse qui ne sont pas toujours de règle dans les productions étrangères, mais c’est surtout dans la manière de conduire et d’utiliser ses interprètes que l’on reconnaît la maîtrise de Murnau. Le moindre figurant prend soudain une grande importance par la justesse et la vérité de ses expressions ; quant aux artistes, ils sont tous parfaits et Janet Gaynor, dans la scène où elle attend vainement son fiancé pour lui souhaiter son anniversaire, a su nous émouvoir avec un minimum de gestes, une retenue de jeu qui est le propre du grand art.
Murnau, qui dans L’Aurore était resté d’un esprit très germanique, a, dans Les Quatre Diables, été visiblement plus influencé par les Américains, il a perdu quelques-uns de ses défauts dont la lourdeur n’était pas le moindre. C’est actuellement un des plus intéressants réalisateurs du cinéma mondial.
Robert Vernay
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“Les Quatre Diables”
paru dans Cinémonde du 19 Décembre 1929
Les histoires de cirque exercent toujours leur attirance sur nous. C’est qu’elles font appel à l’esprit aventureux de chacun, et réveillent, au fond du bourgeois le plus assagi, des rêves qui sont à la fois de force, de beauté et d’infini… Les Quatre Diables nous évoquent en images magnifiques ce qu’est la vie de ceux-là dont la voltige nous éblouit au plafond du cirque et qui sont, bien qu’ils paraissent graviter dans un ciel dépourvu de pesanteur, faits de chair comme nous, avec un cœur comme le nôtre, qui se grippe aux réalités…
Avez-vous pensé qu’un drame pouvait se jouer dans l’âme de ces équilibristes, vêtus d’argents, scintillants de paillettes, sous la vélocité rythmique de leurs gestes ? Tout cela chante dans ce drame que l’objectif a saisi de son œil multiple. Murnau, à qui nous devons le pur chef-d’œuvre de l’Aurore, renouvelant sa manière, développant sa technique, a brossé cette fresque, qui fait songer au Delacroix des épopées.
Toute la presse corporative, lors de la presentation des Quatre Diables, fut unanime à louanger cette production. Je ne sache pas que Janet Gaynor, la protagoniste des films, ait jamais atteint à un pathétisme plus vrai, plus humain : ses larmes ont le don d’émouvoir ; elle est depuis la Lilian Gish du Lys brisé, la vedette dont l’émotion nous paraît la plus naturelle, la plus directe. Soyons reconnaissants à la Fox Film de nous l’avoir révélée.
A ses côtés, contraste la perverse Mary Duncan. Quant à Charles Morton, Nancy Drevel, Barry Norton, Farrell Mac Donald ils étoffent d’action une aventure doucement sentimentale.
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F.W. Murnau est le réalisateur des Quatre Diables que l’on verra prochainement à Paris.
par Pierre Leprohon
paru dans Cinémonde du 30 Janvier 1930
Son nom évoque toute la brillante époque du cinéma allemand, alors que les réalisateurs d’outre-Rhin dotaient l’art naissant de quelques œuvres aujourd’hui classiques. Réalisées avec cette sombre conviction qui dénote l’esprit germanique, ces bandes, apparaissant à l’âge des naïvetés américaines, produisirent un effet de surprise. On cherchait enfin à faire exprimer par l’image une idée, un symbole. L’Allemagne se servait de l’écran pour définir sa philosophie. Mais le cinéma se prête mal aux théories, et les œuvres allemandes en étaient bourrées. La plupart d’entre elles n’ont plus aujourd’hui qu’une valeur historique. Elle n’en a d’ailleurs pas moins d’intérêt pour cela.
Les films de Murnau n’échappent pas à cette règle, mais ils révèlent pourtant un si constant désir de grandeur qu’on ne saurait méconnaître leur valeur émotive, même à notre époque.
Le film muet, au moins dans sa forme actuelle, entre dans le passé. Il serait temps que l’on songeât à établir ce répertoire d’œuvres classiques. Presque toutes celles de Murnau devraient y figurer. Ce ne fut d’ailleurs pas sans une profonde culture que Murnau commença, en 1920, sa carrière de cinéaste. Agrégé de l’Université de Heidelberg, docteur ès-philosophie, il songeait alors à entreprendre un voyage d’études océanographiques aux Iles Canaries. Mais le savant était aussi un fervent du théâtre. Il étudiait avec curiosité l’art neuf du cinéma, sur les conseils du metteur en scène Max Reinhardt. Finalement, il renonça à son voyage pour accepter les propositions qui lui étaient faites en vue de la réalisation d’un film. Cette résolution prise, Murnau s’adonna passionnément à l’étude de la technique. Il prouve, dès ses premières bandes, sa clairvoyance. On sait l’intérêt que suscita Nosferatu le Vampire, l’un des plus étranges drames grand-guignolesques nous que devions à la cinégraphie allemande, amoureuse du fantastique.
Mais la plupart des oeuvres de Murnau, surtout dans ces dernières années, ont été âprement discutées. Le Faust qu’il réalisa d’après la pièce de Goethe fut critiqué par les uns, louangé par les autres. Par un habile amalgame de truquage et de réalisme, Murnau parvint cependant à nous donner, de ce thème usé, quelques images curieuses. Emil Jannings fut un Méphisto personnel, peu soucieux de se plier aux conventions habituelles.
Le pivot de l’œuvre de F.-W. Murnau demeure cependant Le Dernier des Hommes. Il n’est pas besoin de rappeler combien ce film fit sensation lors de sa parution, par son action dépouillée, sa pénétration psychologique et même par sa technique. Il fallait une belle audace pour le réaliser ainsi et cela — quelque impression que l’on en garde mérite l’admiration. Mais aujourd’hui la surprise est passée, et nous mesurons ce qu’une œuvre de ce genre pourrait avoir de nuisible. D’un bout à l’autre du film, depuis l’image de cette porte d’hôtel jusqu’à la déchéance du « dernier des hommes », on sent une prodigieuse puissance. Mais la recherche y est toujours visible, l’artifice apparaît parfois grossièrement, longueurs des actes, insistance sur certains détails, abus des gros plans. Le jeu de Jannings, à coup sûr étonnant, mais combien trop poussé, les éclairages brutaux, la lenteur du rythme, tout cela sont choses spécifiquement allemandes. Curieuse étude du « prestige de l’uniforme » dans laquelle on découvre parfois un sens humain très juste, une ironie assez dure qui pousse Murnau à la charge à plusieurs reprises.
Appelé en Amérique après Le Dernier des Hommes, le cinéaste composait, en 1927, L’Aurore, d’après une nouvelle d’Hermann Sudermann. Moins riche sans doute que le précédent, ce film nous a quand même laissé une impression plus grande. Je crois que toute la première partie peut être considérée comme l’un des plus beaux morceaux du cinéma psychologique. Il y avait là, dans un thème dépouillé mais juste, une évolution de sentiments menée avec une force poignante et en même temps une remarquable mesure. Je ne sais rien de plus émouvant que la fuite hallucinée de Janet Gaynor sautant de la barque où elle a senti la mort, cette peur exprimée par sa seule attitude et son silence. L’influence allemande dans l’Aurore reste entière, mais, se jouant dans une atmosphère plus humaine, elle ne semble pas si malsaine. Quant au rythme, à la forme même de cette première partie, elle est tout à fait remarquable. Les images du rendez-vous nocturne, des eaux immenses entourant la hantise de l’homme sont des choses qu’on ne saurait oublier. Une étrange poésie les pare, lourde, gonflée d’inquiétude et pourtant très large, aussi prenante qu’un rêve.
Mais tout cela s’effrite ensuite, l’intrigue tourne à la farce et s’achève sur une véritable accumulation de mauvais goût et de pompiérisme. Et ce manque d’unité perd un film qui promettait d’être un chef-d’œuvre.
Depuis, Murnau a tourné Les Quatre Diables, que l’on peut voir cette semaine au Paramount. Il a prouvé une fois de plus sa virtuosité, sa technique admirable, au bénéfice d’une histoire redite et sans grand intérêt. Sa dernière bande, Notre Pain quotidien, n’a pas encore , été projetée en France.
Ses projets ? Murnau écrivait, l’an dernier, ceci :
« J’aimerais maintenant réaliser un grand film qui aurait pour cadre une grande cité américaine. Les villes américaines me hantent. J’ai ce film dans la tête, ce serait comme une large fresque de la vie d’une métropole. »
Mais au cinéma comme ailleurs l’homme propose… Dégoûté du travail en série cher aux studios américains, Murnau a quitté Hollywood en compagnie de Flaherty, l’auteur du célèbre Moana. Ils tournent ensemble, dans les Iles du Sud des films parlants exotiques pour une société, la Colorart Company, dont Murnau lui-même est le directeur.
C’est donc vers un genre tout à fait nouveau que s’oriente le talent de ce grand cinéaste. Spécialiste des décors reconstitués — il fit construire une véritable ville pour y tourner quelques scènes de L’Aurore — Murnau va surprendre à présent, en pleine vérité, les secrets de la nature. Sa science de réalisateur ne peut qu’y gagner l’élargissement et l’aération qui manquent à la plupart des cinéastes allemands.
Celui-ci nous a déjà donné beaucoup, mais nous en attendons davantage encore, des œuvres plus homogènes, plus scrupuleuses enfin, dignes dans leur pensée et dans leur style des dons magnifiques qu’il nous a laissé entrevoir.
Pierre Leprohon
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paru dans Paris-Soir du 11 janvier 1930
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paru dans Le Petit Parisien du 31 janvier 1930
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paru dans Comoedia 31 janvier 1930
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On verra cette semaine à Paris : LES QUATRE DIABLES par René Olivet
paru dans Cinémonde du 30 Janvier 1930
Réalisation de F.-W. Murnau.
Interprétation de Barry Norton, Charles Morton, Janet Gaynor, Nancy Drexel, Mary Duncan et Farrell Mac Donald.
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F.-W. Murnau, auteur de La Terre qui flambe, du Dernier des Hommes, de Faust, de L’Aurore (tourné en Amérique) a réalisé Les Quatre diables, d’après un sujet qui fut déjà, par un metteur en scène danois (Sandberg, je crois) tourné pendant la guerre ou tout de suite après.
J’ai souvenir de ces Quatre Diables. C’était une bien belle oeuvre, sobre, sèche, dramatique, haletante de passion tragique, finissant très mal. Je sais qu’elle est restée vivante dans l’esprit de tous ceux qui la virent.
Murnau a été, on le conçoit, séduit par cette histoire de cirque si dramatique. Pourquoi donc a-t-il éprouvé le besoin de transformer la fin et de donner une conclusion optimiste à un scénario qui devait implacablement se terminer par une mort ?
Quatre trapézistes, jeunes, beaux, audacieux, glorieux, surnommés les Quatres Diables, s’aiment profondément . Les deux jeunes filles sont fiancées aux deux jeunes gens. Les mariages sont proches. Un soir, dans une loge, entre une femme d’une éblouissante beauté. Elle regarde intensément le plus âgé des trapézistes, le plus beau aussi, et celui-ci, troublé par cette attention flatteuse, commet des étourderies qui pourraient être dangereuses.
A la sortie, la femme se trouve sur son chemin.
Le lendemain soir elle est encore là. Des camarades murmurent des choses horribles sur cette femme. On dit qu’elle n’aime que le spectacle d’un homme flirtant avec la mort, et l’on cite des passions soudaines, fulgurantes, assouvies au mépris même de la prudence, et des accidents survenus après que cette femme a passé.
Le trapéziste se laisse entraîner dans cette aventure magnifique. La femme vient le chercher chaque soir, l’emmène chez elle, et, après l’avoir grisé de caresses, le renvoie au petit jour, chez lui, sans forces, sans énergie, mou comme un pantin.
Le trapéziste n’a plus la souplesse d’autrefois. Il rate des coups. A un moment il manque de se tuer, son partenaire le rattrape. La jeune fille, désespérée par cette trahison, vient trouver son fiancé chez la femme fatale, mais cette dernière la met à la porte.
Le soir, pendant l’exercice, le trapéziste aperçoit sa maîtresse dans une loge. Il a pourtant rompu avec elle. Il a décidé de reconquérir son sang-froid. Mais la petite fiancée a, elle aussi, remarqué la femme. Elle se figure que l’autre vient la narguer, elle ignore que celui qu’elle aime a terminé cette aventure redoutable, et, n’en pouvant plus de chagrin, elle se laisse glisser dans le vide…
C’est là que Murnau a fait œuvre commerciale en changeant la fin. Le film danois s’arrêtait là… sur le corps inanimé et sanglant de la trapéziste morte d’amour. Tandis que dans le film américain, on sait que l’enfant vivra, vivra pour aimer et être aimée.
On connaît le vigoureux talent de Murnau, son don de l’expression, sa science des éclairages, la puissance contenue dans la moindre de ses images. Dans Les Quatre Diables, il dresse des scènes larges, expressives, riches en lumière, des scènes où éclate toute la chaude et trouble atmosphère du cirque. Toute la partie dramatique est traitée en demi-teintes et fait penser à certaines toiles flamandes, traversées d’éclairs et de nuées tragiques.
Murnau a réalisé un film inégal et plein de défauts, mais où néanmoins son style personnel s’épanouit librement.
Le grand metteur en scène a été admirablement servi par les deux interprètes féminines : Janet Gaynor, vibrante, petite chose frissonnante et douloureuse, et Mary Duncan, belle, féline, véritable ange pervers aux yeux noyés de volupté, au corps ondoyant, à la troublante féminité. Barry Norton, Charles Morton, Nancy Drexel sont simples.
René Olivet
paru dans Comoedia du 04 février 1930
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paru dans Comoedia du 07 février 1930
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paru dans Comoedia du 07 février 1930
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paru dans Comoedia du 07 février 1930
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Critique des “Quatre Diables”
paru dans Pour Vous du 6 Fevrier 1930
Les quatre Diables
Les quatre artistes du cirque, surnommés « Les quatre diables », sont des amis d’enfance. Orphelins, les deux filles et les deux garçons ont été élevés par le clown Walker. Après de longues années de travail acharné, ils ont réussi un numéro sensationnel et, à leur arrivée à Paris, leur succès est triomphal. Joie immense qui est fêtée par un petit dîner intime pour lequel on attend en vain Charles, chef de la troupe et fiancé de la petite Marianne.
Charles a succombé aux charmes dangereux d’une « vamp » classique qui s’est éprise du beau garçon. Après de vaines tentatives de Marianne auprès de la dame fatale, Charles a promis à sa fiancée de rompre.
La soirée d’adieu venue, le groupe des « Quatre diables » exécutera le numéro du « saut de la mort » sans filet. Angoisse des spectateurs. Charles s’élance dans le vide, Marianne le rattrape et le relance sur son trapèze. A ce moment, elle voit entrer la femme fatale, qui prend place dans sa loge habituelle. Perdant conscience en voyant sa concurrente, la petite Marianne tombe…
Elle n’est que blessée et sera guérie. Charles, bien entendu, l’épousera et la rendra heureuse, espérons-le du moins.
La mise en scène de Murnau est soignée extrêmement, voire élégante, mais elle manque, par un excès d’habileté, de profondeur et d’émotion.
Mary Duncan n’a pas trouvé en Murnau le directeur qu’il lui fallait. C’est dommage.
Janet Gaynor est douce comme toujours. Un film dont la richesse extérieure ne cache pas une réelle pauvreté.
— L
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paru dans Paris-Soir du 08 février 1930
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paru dans l’Intransigeant du 08 février 1930
Au Paramount : Les Quatre Diables
paru dans Comoedia du 8 février 1930
x Il neige ! Il fait froid ! Triste est l’ambiance de Paris sous le ciel obscurci de ces éphémères fleurs blanches qui tombent lentement, éparpillées par quelque main géante.
x Heureusement, le Paramount offre un abri contre la morosité de la température et la mélancolie qu’elle enfante. Et ce titre : Les Quatre Diables a un petit cachet infernal qui évoque les feux rougeoyants de messire Satan: cela réchauffe.
x Autant vous dire tout de suite que les quatre diables dont il s’agit sont faits d’une matière très humaine, que leur aspect n’est pas farouche et qu’ils font preuve d’une admirable virtuosité dans les jeux icariens.
x Mais pour voler si haut et si harmonieusement on n’est pas moins attaché aux choses de la terre. L’un des « quatre », le grand Charles Morton, tout en se balançant du haut de son trapèze, remarque une ravissante spectatrice qui ne paraît pas insensible à l’avantageux physique de l’acrobate diabolique.
x Il devient l’amant de Mary Duncan — celle qui sera plus tard la « femme au corbeau » — et délaisse sa petite fiancée, Janet Gaynor. La pauvre enfant est bien résolue à mourir si son grand Charles ne lui revient pas. Et alors tout le monde est ému devant une douleur aussi sincère. Reviendra-t-il ? Janet se tuera-t-elle ? Ah ! je préfère ne plus regarder.
x Il est dommage que je sois aussi sensible de nature, car je me prive ainsi du plaisir délicat de voir les dernières images d’un film émouvant et supérieurement réalisé. Mais, que voulez-vous, j’aime pas les histoires tristes, na !
x Tiens, on applaudit ! C’est donc fini ? Eh ! oui. Voici que les deux douzaines de Mangan-Tillerettes barrent la scène de leur chaîne souple et ondoyante. Cela fait plaisir, réellement, de les revoir. Elles dansent mieux que jamais au cours d’un divertissement scénique intitulé Caprices.
x Après un dessin animé sonore, si drôle qu’on en regrette la brièveté, passent les actualités parlantes et sonores. On fait un succès à un « baby » chinois à qui sa mère apprend à se servir de baguettes pour porter la nourriture à sa bouche ; mais, lui, malin trouve un « truc » beaucoup plus simple pour avaler sa soupe.
x Enfin, l’orchestre Paramount, sous la direction du sympathique Pierre Millot, joue très brillamment le ballet de Sylvia et recueille son habituel succès.
J.-H.-K. Mezzanine
paru dans Paris-Soir du 29 mars 1930
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paru dans Paris-Soir du 29 mars 1930
Critique des “Quatre Diables” par Lucie Derain
paru dans Cinémagazine de Mars 1930
LES QUATRE DIABLES
Interprété par CHARLES MORTON, MARY DUNCAN, BARRY NORTON, NANCY DREXEL, FARREL MAC DONALD et JANET GAYNOR.
Réalisation de F. W. MURNAU.
Le sujet des Quatre Diables a fourni, il y a dix ans, la matière d’un film qui reste comme une des époques du cinéma. Murnau n’a pas gagné la gageure de L’Aurore. Il a fait de la virtuosité, mais n’a pas toujours parlé au cœur, à l’âme.
Le début mélodramatique : une roulotte, des petits enfants persécutés s’évadent et se jurent une affection éternelle… la fin assez conventionnelle : la petite trapéziste qui s’est jetée dans le vide par désespoir d’amour ne meurt pas, et sera aimée… nous empêchent d’oublier l’âpre et tragique version originale des Quatre Diables.
On ne peut nier que ce film ait de la branche, des effets cinégraphiques d’une richesse certaine : numéros de music-hall, attractions, voltiges de trapézistes.
Il contient aussi de bien belles qualités : maîtrise technique incomparable, direction des artistes, montage expressif, etc…
Janet Gaynor joue, avec sensibilité, le rôle de la petite camarade d’enfance amoureuse de son partenaire, et qui, jalouse et délaissée, se jette dans le vide pendant un exercice. Les autres interprètes jouent avec une grande fraîcheur.
Les Quatre Diables est une œuvre de qualité et qui sera si populaire.
Lucie Derain
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paru dans Comoedia du 28 mars 1930
Voici la sévère critique de Jean-Paul Dreyfus (le futur réalisateur Jean-Paul le Chanois) paru dans La Revue du Cinéma.
Critique des “Quatre Diables” par Jean-Paul Dreyfus
paru dans La Revue du Cinéma du 1 Mars 1930
LES QUATRE DIABLES, par F.-W. Murnau, adapté du roman d’Hermann Bang par Berthold Viertel (Fox).
Les scénaristes sont fidèles à certains milieux. Ils ont une tendance fâcheuse à revenir vers les sujets déjà exploités avec succès, et à faire plus ou moins habilement du neuf avec du vieux.
Un des plus riches filons qui aient été ainsi découverts est le music-hall ou le cirque. On ne compte plus les films qui évoluent sur le plateau, sur la piste ou dans les coulisses. Nous possédons le bon clown malheureux, le chanteur cocu ou dont l’enfant est mort ou se meurt, malgré tout obligé de faire rire la foule, en pleurant sous son maquillage ! De Larmes de clown au Fou chantant, en passant par Ris donc Paillasse ! Nous possédons les rivalités artistiques ou amoureuses entre acrobates des deux sexes, chanteurs et chanteuses, clowns et écuyères ! Dans d’autres films on spécule sur le danger que représente un numéro d’acrobatie : Tombera-t-il ? Les Quatre Diables présentent un confus mélange de tout cela avec une pointe d’originalité mal exploitée.
Les quatre diables ce sont quatre acrobates, deux hommes, deux femmes (et non pas deux couples) parmi lesquels l’un fait chaque soir le saut de la mort au-dessus de spectateurs angoissés dont certains j’en suis sûr souhaitent qu’il tombe. Toute cette partie d’acrobatie avec l’émotion facile qu’elle entraîne est bonne, mais reste inférieure à ce que Dupont avait obtenu dans Variétés, même en ce qui concerne la prise de vue.
Le trapéziste volant rencontre une belle mondaine au sang chaud qui l’accapare et le renvoie au matin les reins lourds, les yeux cernés et les muscles mous. Si bien qu’à l’entraînement le malheureux garçon loupe son saut et s’effondre dans le filet ! Se tuera-t-il ce soir ? ou demain ? Probablement, car cette femme l’obsède. Conflit entre son métier, son milieu et son amour. Ses amis, l’amour de sa gentille partenaire avec laquelle il s’est fiancé comme un collégien, l’orgueil de son « numéro », la peur de la mort ou de l’infirmité, tout cela bouleversé par une femme aux yeux brillants et fixes, au corps prodigue et exigeant. Mettra-t-il en jeu sa vie et son avenir pour la joie que lui dispense cette femme ? Quand on réfléchit que cette femme, c est Mary Duncan, le problème est douloureux, mais il ne semble pas avoir d’autre solution que ses baisers.
Mais le film, avant d’en arriver à ce drame de conscience cornélien, nous promène à travers la sensiblerie d’un scénario imbécile : on ne nous a pas épargné le méchant homme qui bat les petits garçons et les petites filles qu’il est chargé de garder, parce qu’ils n’obéissent pas assez vite ou manquent les tours qu’il leur apprend. Un bon clown (je vous l’avais dit…) défend les enfants et au cours d’une lutte, étrangle le méchant homme, qui ne fera plus de mal à personne !
Et maintenant les quatre enfants ont grandi ! Ce sont deux belles jeunes filles dont l’une est Janet Gaynor, et deux jeunes gigolos d un genre équivoque : Barry Norton et Charles Morton. Ces deux garçons poudrés aux cheveux brillants et aux yeux de poissons sont complètement désaxés dans leurs rôles d’acrobates. On se demande comment Murnau qui s’y connaît en hommes a pu faire une telle gaffe dans le choix de ces deux beaux garçons de série professionnels. On ne comprend pas comment Mary Duncan (tous les qualificatifs semblent ridicules quand on cherche à les accoupler avec son nom) peut tomber amoureuse de Charles Morton dont on trouve des doubles un peu partout. Il aurait fallu là un beau male à la poitrine profonde, aux traits creusés, un homme dont on puisse sentir qu il lui ferait mal en la prenant. Mary Duncan a dû regretter Charles Farrell ! Nous aussi ! Qu’importe, Mary Duncan est là.
Sa rivale, Janet Gaynor, est bien gentille et bien sympathique, mais elle appartient à cette race effacée de gens sur le malheur desquels on passe vite. Son amoureux la trompe, on comprend qu’elle ait envie de pleurer, qu’elle pleure, mais au fond, on s’en fout. Cette pauvre fille semble faite pour jouer les victimes résignées, comme Jannings parut un moment fait pour les rôles de cocus qu’il a eu bien tort de quitter !
Je m’en voudrais de ne pas vous dire que le jeune acrobate comprend quel est son devoir, qu’il se détourne de l’amour décalcifiant, qu’il épouse sa petite partenaire (c’est elle finalement qui, brisée de chagrin, a manqué le trapèze et a failli se tuer) et s’apprête à vivre une vie tranquille et honorable en attendant les chaussons et le coin du feu. Quant à nous, nous demandons ce qu’est devenue la belle aventureuse.
L’histoire de ce film est médiocre, souvent inintéressante et Murnau n’a même pas su en tirer quelque chose. Quand ce film passera dans un des « Ciné-Parlottes-Club » on pourra se demander avec angoisse si le talent de Murnau a décru régulièrement depuis Nosferatu et Faust et quelle influence a pu avoir l’Amérique sur un tempérament comme le sien.
Jean-Paul Dreyfus
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paru dans La Semaine à Paris du 28 mars 1930
La dernière trace d’une projection à Paris des Quatre Diables que nous avons trouvé date de mars 1931.
paru dans La Semaine à Paris du 20 mars 31
Finalement voici la critique de Louis Delluc d’un version danoise des Quatre Diables de 1921, qui semble très intéressante.
paru dans La Semaine à Paris du 29 décembre 1922
Critique des “Quatre Diables” de A. W. Sandberg par Louis Delluc
paru dans Paris-Midi du 28 septembre 1921
CINÉMA
Les quatre diables
C’est vraiment de la photogénie. L’acrobatie des quatre audacieux du trapèze vole et volte au plafond du cirque dans une ample fluidité gris de perle zébrée de projecteurs. Et cette évocation de la vie des banquistes est toujours sobrement traitée. Dans aucun des aperçus divers du cirque, des cirques, nous n’avons été gênés par ce chiqué romantique, dont les Italiens abusèrent pour des thèmes de ce genre.
Le conte est fort menu. Deux jeunes hommes, deux jeunes filles, voilà le quatuor des diables trapézistes. L’as, Donald, est aimé de sa partenaire, Aimée. Mais il aime une comtesse — née, je pense, chez Jean Lorrain ou Henry Bataille — devient son amant, se surmène sensuellement, perd sa prodigieuse élasticité, et tombe du cintre un jour de gala où, par attraction, on a supprimé le filet. Aimée, désespérée, à son tour, se laisse tomber et meurt sur le corps de Donald.
La grâce et le goût qu’il y a dans la réalisation de ce film sont remarquables. L’envers du cirque, les écuries, les loges, tout est juste et delicat. Il y a de bien jolis détails — et des enfants d’une grande beauté — dans le récit rétrospectif des débuts de Donald.
Les acteurs enfin sont excellente : Ernest Winar (Donald), Vera Nansen (la comtesse) et aussi l’interprète du comte, et surtout Marguerite Schelgel et Heddy Ford, couple féminin si fin, si harmonieux, si chaste, si émouvant.
LOUIS DELLUC
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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
sauf
Pour Vous = Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Cinémagazine / Cinémonde = Ciné-Ressources / La Cinémathèque française
Cinémonde / La Revue du cinéma 1930 = Collection personnelle Philippe Morisson
Pour en savoir plus :
L’article sur Les Quatres Diables sur le blog Allen John’s attic.
Un autre article sur le blog de Christophe Lefèvre Flaneries Cinéma.
La page (très complète) consacrée aux Quatre Diables sur le site Lost Films.
Le (vieux) site de la Cinémathèque française sur Murnau.
Le documentaire de Janet Bergstrom “Murnau’s 4 Devils: Traces of a Lost Film”.
Vous pouvez trouver ce documentaire sur les bonus DVD/Blu-ray de L’Aurore édité par Carlotta en 2010.