C’est dans le numéro 223 daté du 16 février 1933 que paraît dans la revue Pour Vous cet article sur Jean Vigo durant le tournage de son premier film : Zéro de Conduite.
Un jeune metteur en scène au travail : Jean Vigo
Les jeunes gens qui se destinent à la mise en scène sont longtemps contraints, pour s’exprimer, de se cantonner dans la réalisation de documentaires modestes.
A tous ces malheureux que les seuls côtés brillants du cinéma attirent — les réussites bruyantes, les hauts salaires si fréquemment injustifiés, les portraits dans les journaux, le voisinage des jolies femmes, la satisfaction facile des m’as-tu-vu — à tous ceux qui disent que « ça les amuserait de faire du cinéma », il faudrait apprendre les premières peines et les décourageantes difficultés des hommes qui ont voulu faire connaître leur talent et leur nom par des travaux propres et distincts.
Il y a des réalisateurs admirablement doués, des artistes dont on conteste rarement les mérites qui, après les bijoux de famille, ont mis leur montre, leur stylo au clou et quotidiennement ont fui de bon matin le regard de leur hôtelier pour acheter la pellicule nécessaire au travail de la journée.. Et pendant des années ou plutôt deux fois trois semaines par an pendant plusieurs années, ils ont fait des petits documentaires sur un pays, un métier, une matière qui les intéressait et dont ils pouvaient tirer gratuitement des jeux cinématographiques.
Ils ont fait ça en attendant, en attendant de faire autre chose, en attendant non pas qu’on leur donne la chance de réaliser une grande œuvre, mais tout simplement qu’on leur permette d’apprendre leur métier, en tenant leur place dans une organisation, pour petit à petit montrer et développer leurs qualités.
Mais, un jeune metteur en scène trouve d’autant moins facilement de place dans une organisation que le cinéma est, chez nous, plutôt mal organisé, et qu’il n’y a guère qu’une ou deux compagnies stables. Le metteur en scène est presque toujours son propre homme d’affaires et, après la réalisation de son film, trop souvent son propre commis-voyageur.
En trois ans, Jean Vigo n’a pas fait plus de trois films : trois documentaires dont vous avez pu voir sans doute au moins La Natation où il détailla si adroitement les exploits de Jean Taris, ou A propos de Nice.
Derrière les images de ce documentaire satirique, chargées d’intentions excellentes, le metteur en scène, l’inventeur, paraissait déjà au moins aussi habile que le chasseur d’images pittoresques. Mais sûrement très peu de producteurs firent cette constatation puisque Jean Vigo a dû attendre plus de douze mois pour tourner un nouveau film.
Actuellement, il achève le montage de son premier film d’acteurs, au studio Gaumont, et dans quelques jours nous verrons si nous avions raison d’avoir confiance en ce garçon simple, franc, confiant aussi en son travail parce qu’il ne cherche pas à tricher, parce qu’il attaque les difficultés de front.
Néanmoins, à la question traditionnelle : « Etes-vous satisfait?… », il répond avec un sourire complice :
« Assez, mais vous savez bien que c’est terriblement difficile…
« … d’autant plus difficile que mon scénario était découpé pour un film de 2.000 mètres et que c’est un 1.300 mètres que j’ai finalement tourné…
« Comme son titre l’indique, Zéro de conduite, l’action se passe dans un collège, un collège de province. Les personnages sont des internes : de jeunes internes, un professeur, un surveillant général. Un groupe d’élèves prépare une rébellion et finalement ce sont ceux qui paraissaient les moins décidés qui se montrent les plus terribles.
— Vous n’avez pas eu trop de mal avec ces enfants terribles?
— J’ai eu beaucoup de plaisir à les diriger, mais évidemment pas sans difficultés ; on ne devine pas toujours, en effet, du premier coup quels sont les meilleurs éléments et dans quel rôle ils seront le plus à l’aise. »
Vigo ne se plaint pas, il se montre même heureux d’avoir pu réaliser une histoire, une histoire qui lui est chère, une histoire de lui. Maintenant, ici, une fois de plus, nous pouvons regretter qu’on ne consacre pas plus de temps aux répétitions, à la mise au point d’un travail aussi délicat, aussi multiple que celui de la réalisation d’un film. Nous ne demandons pas qu’on investisse plus d’argent dans la production, mais qu’on répartisse mieux cet argent et qu’on l’emploie utilement en tirant profit des expériences heureuses ou malheureuses des productions précédentes.
Jean-Georges Auriol
Quelques mois plus tard paraît la chronique de Zéro de conduite de Lucien Wahl.
Pour Vous le 20 avril 1933.
Chronique : Zéro de conduite par Lucien Wahl
M. Jean Vigo, qui a prouvé son goût du cinéma dans des films sportifs et dans le touchant A propos de Nice, a composé Zéro de conduite, pochade qu’à la présentation les uns sifflèrent et que d’autres applaudirent avec vigueur.
Elle ne mérite ni cet excès d’honneur ni cette indignité, est moins irrévérencieuse qu’elle ne veut le paraître, contient quelques trouvailles. Elle a le tort de frôler la scatologie, ce qui la rapproche plus du banal que de l’original, et l’avantage d’être jouée par de petites et grandes personnes qui ont dû s’amuser : MM. Delphin (en principal), Larive (en professeur crasseux), Raphaël Diligent, de Gonzague-Frick, Dasté, Louis Lefebvre, etc.
Images inégales.
Lucien Wahl
Pour finir, on trouve dans le numéro 314, du 22 Novembre 1934, cet article de Claude Vermorel s’élevant contre la censure dont fait l’objet Zéro de conduite.
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la Commission de Contrôle des Films
Nous venons vous prier très gentiment. Monsieur le Président, d’user de votre haute influence pour faire lever l’interdiction de Zéro de conduite, de Jean Vigo.
Nous ne nous faisons pas d’illusion sur la difficulté de l’entreprise, car Zéro de conduite est un film subversif.
On y voit des enfants fumer dans les cabinets alors que c’est interdit, un autre demander s’il peut « y aller », ce qui n’est vraiment pas convenable.
Le principal du collège, représentant l’Autorité, est, hélas ! un nain, à belle barbe noire il est vrai, mais bien qu’il le soit terriblement, on ne peut le prendre au sérieux.
Il y a même un répétiteur de fantaisie qui suit les femmes dans la rue et qui va jusqu’à prendre un ecclésiastique pour une dame à cause de sa robe.
On dira en effet ce qu’on voudra, et qu’il ne l’a pas fait exprès, et que c’est un poète, ce ne sont pas des choses à donner en exemple à des enfants.
On voit pire, Monsieur le Président. A la fin du film, un sous-préfet et un capitaine des pompiers reçoivent des boîtes de conserves et de vieux livres de classe sur leur bel uniforme de cérémonie. Si on se met à se moquer des sous-préfets, où allons-nous ?
Déjà, au siècle dernier, une espèce d’anarchiste qui ne put même pas être de l’Académie française en avait représenté un dans ses écrits, sans chapeau, sans habit, couché dans l’herbe et mangeant des violettes. Mais il n’était pas allé jusqu’à en faire une cible pour des galopins.
Tout cela est intolérable, Monsieur le Président, et fort capable d’inciter des citoyens paisibles à descendre dans la rue ou à renvoyer leurs feuilles d’impôts.
Déjà, des jeunes gens de très bonne famille avaient sifflé le film à sa présentation, usant ainsi à juste raison des droits de la critique.
Mais, Monsieur le Président, Jean Vigo est mort.
Il ne se moquera plus des sous-préfets, des ecclésiastiques et des principaux de collège.
Donnez-nous son film.
Claude Vermorel.
Jean Vigo était décédé un mois et demie avant cet article, le 5 octobre 1934.
Zéro de conduite n’obtiendra son visa d’exploitation en France qu’en… 1945.
Il sera projeté en novembre 1945 au cinéma Panthéon avec le film d’André Malraux : Espoir.
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse