Pour débuter cette nouvelle saison de La Belle Equipe, nous voulons rendre hommage à celle dont nous avons fêté cet été le 120° anniversaire : Florelle (née le 9 août 1898).
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Nous lui avions déjà consacré un post en 2015 avec cet article paru dans Cinéa en 1932.
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Cette fois-ci voici une série de trois articles relatant les souvenirs de Florelle en 1932, romancé par André R. Maugé, un ancien collaborateur de La Revue du Cinéma.
Insistant sur sa longue carrière au Music-Hall, il passe curieusement sous silence les débuts au cinéma de Florelle à l’époque du muet : en effet, elle apparaîtrait dès 1912 dans Le Masque d’horreur d’Abel Gance et au début des années 20 on la retrouve dans trois films avec Maurice Chevalier sous la direction de Henri Diamant-Berger dont il n’est fait nulle mention ici.
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Signalons qu’après 1932, la carrière de Florelle se poursuivra avec surtout Les Misérables de Raymond Bernard en 1934 dans lequel elle joue le rôle de Fantine, et la même année dans Liliom de Fritz Lang. En 1936, elle sera la Valentine de René Lefevbre dans Le Crime de Monsieur Lange de Jean Renoir.
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Malheureusement, la guerre signera la fin de sa carrière et elle ne tournera qu’épisodiquement (retenons en 1956, Gervaise de René Clément et Le Sang à la tête de Gilles Grangier avec Gabin).
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Florelle décédera, oubliée de tous, en 1974 dans un hôpital aux Sables-d’Olonne où elle était retournée vivre.
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Et pour clore cette introduction, je vous signale que si vous habitez dans la Seine-et-Marne, Le Crime de Monsieur Lange sera projeté dans une rare copie 16mm lors du Festival Paradisio dans le village de Flagy. Festival auquel j’ai eu le plaisir de contribuer à la programmation (que vous retrouvez à cette adresse).
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Bonne lecture et bonne rentrée à tous et à toutes.
Souvenirs inédits de Florelle par André R. Maugé – part 1
La vocation et les débuts de Florelle
paru dans Pour Vous du 27 octobre 1927
Odette Florelle est née un beau jour au sein d’une famille de pêcheurs qui vivaient aux Sables-d’Olonne.
Les Sables-d’Olonne, c’est, sur la côte de Vendée, une plage sans grand éclat que fréquentent des gens paisibles. On n’y voit point de mascarades pour milliardaires, ni de nudités coûteuses offertes, sous le fard et l’huile de Chaldée, dans l’écrin des belles voitures, mais de petits ânes mélancoliques qui promènent à pas menus les enfants sages. Pourtant l’Océan y roule de larges vagues fraîches qui viennent tout droit d’Amérique, et les filles du pays sont les plus jolies de toutes les provinces de l’Ouest.
La petite fille qui devait un jour s’appeler Florelle serait peut-être simplement devenue une de ces Sablaises délurées, en cotillon court, coiffées de dentelles et chaussées de sabots vernis à hauts talons, qui ont l’air de girls déguisées en ouvrières pour quelque opérette intitulée Le Roi de la sardine, si ses parents n’avaient décidé, à la suite de revers imprévus, d’aller à Paris chercher fortune.
Avec ce premier voyage commence la vie difficile de Florelle. Elle avait cinq ans quand elle quitta l’air libre pour une pauvre petite chambre de la rue d’Uzès, et un morne paysage de cours et de cheminées. Passage brutal d’une enfance au bord de la mer à une enfance parisienne — et non pas celle des promenades aux Tuileries, du guignol et de la voiture aux chèvres des Champs-Elysées, mais l’enfance sans jouet et sans dessert, qui s’aplatit le nez aux glaces des vitrines et qui dessine des jeux de marelle sur le bitume des trottoirs.
Cette petite fille frêle et pâlotte, avec son teint transparent, ses veines bleues, ses mains gercées en hiver par l’eau froide, qui s’amusait du mieux qu’elle pouvait et faisait d’un vieux corset de sa mère une poupée improvisée, on lui trouverait sans doute aujourd’hui, au hasard des faubourgs et des rues populeuses, bien des petites sœurs, ses semblables, et qui seront peut-être un jour célèbres comme elle. Car les plus grands artistes sont rarement des enfants riches, trop occupés d’eux-mêmes, de leurs humeurs, de leurs plaisirs, mais bien plutôt des enfants pauvres, sensibles, aiguisés par la misère, et débordants de toute l’expérience précieuse des années de souffrance et de lutte.
Seulement, pour sortir de l’ornière, du chemin trop évident de l’atelier ou de l’usine, il faut un prétexte, une circonstance déterminante… La petite Odette allait à l’école.
Un jour qu’elle avait eu de meilleures notes que d’ordinaire, on l’emmena, en récompense, au théâtre, ou plus exactement au music-hall, à la Cigale, où travaillait une de ses tantes.
Ce fut la révélation, l’enthousiasme, l’arrêt du destin… Bien curieuse est l’impression que laisse, dans une âme enfantine, le premier spectacle. Parfois, ce n’est qu’une excitation passagère, un vague plaisir mitigé d’incompréhension et de fatigue. Parfois aussi, c’est un éblouissement, et les parents inconscients ramènent à la maison un être différent, transporté, qui ne songera plus désormais qu’à passer, coûte que coûte, de l’autre côté de la rampe.
La carrière de Florelle se décida ce soir-là, dans la salle de la Cigale… La petite fille revint ensuite, le plus souvent qu’elle put se plonger dans ce monde nouveau, si plein d’enchantements. On l’imagine sans peine se glissant dans un coin comme une souris patiente, et dévorant des yeux les roses peintes, et les colonnades, et les draperies de velours, et l’éclat magique des visages fardés.
Soleil brutal des projecteurs… nuit bleue plus veloutée que la vraie… rouge de crime et de catastrophe… Sans doute aussi entrait-elle dans les chambres comme en scène, sans doute voyait-elle dans les glaces les mille visages de ses rôles futurs, et pleurait-elle, la nuit, d’ardeur refrénée et de juvénile impatience. Car une vocation précoce est aussi exigeante, aussi pleine de tourments qu’un premier amour…
Toujours est-il qu’à force de la voir au théâtre, tout le monde finit par la connaître. Et le jour où le directeur eut besoin, pour un petit rôle, d’un enfant, il songea tout naturellement à la petite fille fascinée qu’il avait souvent remarquée dans la salle. Il fit venir les parents, et le premier contrat, en bonne et due forme, fut signé. Une nouvelle « artiste » était née. Ce n’était pas encore Florelle. Pas même une Florelle en herbe. C’était une enfant mince, avec de grands yeux dans un petit visage délicat et qui s’appelait Odette Devernière (elle s’appelait en réalité Rousseau. ndlr). Son emploi ? Figurante. Odette Devernière figura à la Cigale, où chose curieuse, elle incarnait pendant quelques minutes Raimu enfant. Elle figura dans une revue, à l’Ambigu.
Elle connut ses premières mésaventures. Un soir, à la Scala, dans Les Trois Amoureuses de Lehar, elle résolut de se faire remarquer par l’auteur qui était dans la salle. Cet important personnage la remarqua en effet…
« Dites donc à cette petite de faire moins de gestes, confia-t-il au directeur, elle est complètement ridicule… »
L’habitude cependant venait, et l’expérience… Bientôt Odette Devernière dédaigna la figuration. Elle avait découvert le faubourg Saint-Denis, et appris quelques chansons.
Elle connut l’attente dans les agences, et la ronde démoralisante des auditions, du casino Montparnasse au casino Saint-Martin. Habillée en garçon, elle chantait La Môme Chipette, ou bien Je gobe les aviateurs. Bien souvent, on la remerciait froidement, et on lui demandait son adresse, en promettant de lui écrire. Formule, qui, dans la tête de l’artiste débutant, résonne aussi impitoyablement qu’un glas funèbre. Mais parfois aussi la chance souriait.
Un jour, on lui offre 300 francs par mois, à Munich. La fortune ? Mais les parents, consultés, refusent de laisser partir leur fille. L’imprésario, qui croit à une manœuvre, insiste, offre successivement 400, puis 500, puis 600 francs par mois. A ce chiffre, les parents, éblouis eux-mêmes, se laissent fléchir. Et Odette Devernière quitte la France. Elle sera une de ces jolies filles lasses qui vont de ville en ville, traînant des valises trop lourdes, qui arrivent de la gare pour répéter en hâte, dîner par cœur, chanter le soir, et bien souvent repartent la même nuit vers d’autres gares, d’autres hôtels meublés, d’autres « Kursaals », d’autres « Edens » provinciaux. A moins qu’elles ne doivent rester dans une salle de cabaret, jusqu’à la fermeture, assises en robe du soir, devant le verre de champagne que leur alloue généreusement la direction.
Odette Devernière chante à Munich. Son bagage est mince. Elle n’a qu’une robe, sa robe du lendemain de première communion : qu’un accident lui arrive, c’est un désastre… Puis c’est Vienne, où un directeur grincheux refuse de l’engager, sous prétexte qu’il n’a besoin que de danseuses, et ne se laisse attendrir qu’à grand’peine. Ensuite, Budapest, Bucarest. Odette Devernière progresse. Elle gagne maintenant 900 francs par mois. Elle possède quelques costumes, son numéro prend de l’aplomb et de l’importance. Son succès s’affirme. On la redemande à Munich, où elle fait venir ses parents. De là, par Constanza, elle va à Constantinople. Mais tout va mal de nouveau. Une bronchite l’empêche de travailler trois semaines sur quatre. Il n’est guère drôle d’être seule, malade, presque sans argent, dans une ville comme Constantinople, étape forcée de toutes les tournées d’Europe centrale et du Proche-Orient, étape fatale pour bien des femmes. Surtout si l’on est à l’âge où les jeunes filles, d’ordinaire, sortent à peine seules.
Pourtant, Odette Devernière échappera encore à Constantinople. Et bientôt les premiers bruits de guerre la ramèneront, en hâte, vers Paris.
André R. Maugé
(A suivre.)
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Souvenirs inédits de Florelle par André R. Maugé – part 2
La vocation et les débuts de Florelle
paru dans Pour Vous du 03 novembre 1927
Le mois d’août 1914 trouva Odette Devernière à Paris. D’ailleurs, ce n’était plus Odette Devernière, mais déjà Florelle.
En effet, à Bucarest, sur la route du retour, un camarade nommé Jean Flor lui avait fabriqué, en se servant de son propre nom, le pseudonyme de Florelli, que la jeune fille avait adopté après en avoir modifié la dernière syllabe, inutilement italianisante.
La guerre déclarée, Florelle, toujours tentée par l’aventure, décida d’entrer à la Croix-Rouge. Elle commença à suivre les cours, et pendant deux ou trois mois elle vécut ainsi sur les petites économies qu’elle avait faites en tournée. Mais celles-ci s’épuisèrent bientôt, et comme d’autre part le départ de son père laissait la famille dans une situation difficile, Florelle se vit obligée d’abandonner ses projets et de reprendre son métier d’artiste.
Elle trouva un engagement au théâtre de l’Abri, qui s’appelait alors « La Sirène » et où l’on jouait, sous la direction de Carmen Vildez, une petite revue, avec le chansonnier Léonce Paco. Et elle se consola de n’avoir pu être infirmière en adoptant, sentimentalement, des douzaines de « filleuls »…
Cependant, Florelle et la direction de la Sirène ne s’entendirent pas longtemps, peut-être à cause du poil à gratter qu’elle avoue aujourd’hui avoir utilisé abondamment comme instrument de vengeance et de représailles. Aussi saisit-elle la première occasion favorable qui se présenta… Un jour justement, un bruit courut dans les coulisses et dans les loges, colporté de bouche en bouche : « Mme Rasimi est dans la salle… » On n’imagine pas l’émotion que provoque, dans un petit music-hall, une nouvelle de ce genre. Chacun se surpasse, chacun espère être remarqué, décrocher enfin le contrat magnifique, le rôle rêvé… Car le peuple des artistes connaît des lendemains incertains, et au bout de chaque engagement s’ouvre un trou noir qu’il faut sans cesse combler, sous peine de mort…
Donc, Florelle ce jour-là dut se montrer plus brillante encore que de coutume, en songeant que Mme Rasimi allait monter une revue à la Cigale. Puis elle attendit des nouvelles. Un jour, deux jours, rien… Alors elle se décida à écrire elle-même, et elle en fut récompensée par un pneumatique qui disait : « Venez me voir tout de suite… ». Ainsi Florelle eut deux petits rôles à la Cigale, non sans mal d’ailleurs, car elle devait fournir elle-même sa robe et son chapeau, et si elle n’avait pas eu la chance de trouver un vieux chapeau à plumes, oublié dans une loge, elle n y fût jamais parvenue.
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Cette période devait être, dans la vie de Florelle, une période heureuse. On commençait à la remarquer, elle recevait des fleurs, des invitations. Elle se fit de nouveaux amis, qui devaient la suivre, l’aider et l’encourager dans sa carrière pendant de nombreuses années.
D’autre part, une certaine aisance matérielle succédait enfin aux jours de misère. Après tant de luttes, tant de désespoirs cachés, tant de privations vaillamment supportées, elle abordait un monde nouveau, trop longtemps interdit, et elle parle encore aujourd’hui avec émotion de son premier dîner au Café de Paris, où elle dut être bien charmante, un peu effrayée et toute rougissante de plaisir, dans la belle robe de velours qu’une camarade lui avait prêtée…
Bien des femmes, arrivées au point où elles n’ont plus à se préoccuper de savoir comment elles mangeront le lendemain, s’estiment définitivement sauvées et ne songent plus qu’à occuper agréablement leurs loisirs. La sagesse de Florelle fut de profiter de cette situation pour travailler davantage. Elle aimait son métier, et jusqu’alors elle n’avait guère pu l’apprendre qu’à la dure école de l’expérience. Elle pouvait désormais songer à se perfectionner. Elle prit des leçons de chant avec Mme Paravicini, qui fut aussi le professeur d’Yvonne Printemps. Mlle Beauvais et Stilson lui enseignèrent la danse. Pendant tout ce temps, elle travaillait toujours pour Mme Rasimi, à la Cigale, puis à Ba-Ta-Clan, puis en tournée dans les quartiers. C’était encore une existence passablement dure.
C’était encore, malgré tout, le régime des petits théâtres mal chauffés où l’on gèle l’hiver dans des loges étroites, où des courants d’air glacés vous accueillent quand on sort de scène trempé de sueur, le régime des courses nocturnes vers le dernier métro, des matins moroses où l’on se hâte vers la répétition ou vers la leçon de danse, les jambes lourdes et les paupières encore gonflées de sommeil. Cependant, Florelle était heureuse. Elle faisait des progrès, et elle partageait un appartement de Montmartre avec une petite amie qui s’appelait Gaby. Florelle et Gaby vivaient gaiement leur vie laborieuse. Elles travaillaient ensemble, riaient ensemble, faisaient des blagues et transformaient en aventures magnifiques les plus simples incidents quotidiens. Florelle se souvient encore du soir où elles avaient perdu leur clé et où leur concierge les laissa dormir dans l’appartement d’un monsieur qui était parti pour le Mexique six ans auparavant. Elles fouillèrent tous les meubles, elles ouvrirent tous les tiroirs… Mais elles ne trouvèrent point de trésor, point de squelette dans un placard, et elles se bornèrent à dormir dans des fauteuils, découragées par ce qu elles avaient pris pour un couvre-pied de laine grise, et qui n’était qu’une couche de poussière accumulée sur le lit…
Pourtant, Florelle souhaitait un changement. Elle quitta Ba-Ta-Clan, malgré les conseils de Mme Rasimi qui ne voulait pas la laisser partir. Elle joua à la Scala, à l’Eldorado. Gaby, entre temps, s’était mariée ; elle était de nouveau seule… Elle fut engagée aux Capucines dans une revue de Rip, dont Nina Myral était la vedette. Il y avait, dans le final de Marraines de guerre, des couplets destinés à Nina Myral, mais que celle-ci ne pouvait chanter, à cause d’un changement trop rapide. Rip remarqua Florelle, qui, dans cette troupe de jeunes femmes insouciantes et coquettes, occupées de leurs amours et de leurs rendezvous, était presque seule à connaître effectivement son métier, et lui donna les couplets.
Florelle chanta donc, sur l’air du fameux Envoi de fleurs.
Pour vous obliger de penser à moi
D’y penser toujours, d’y penser encore,
François, mon filleul, je vous fis l’envoi
D’un petit cadeau, vous l’avez encore…
Elle chanta si bien qu’on lui fit un succès à la générale, et qu’elle resta pour la seconde revue, Paris au bleu.
C’est là que se place l’histoire des documents diplomatiques que Florelle trouva un soir dans un taxi, devant le café de la Paix, et qu’elle alla par la suite, sur les conseils de ses amis, porter au ministère de la Guerre. Cet incident pourtant simple lui apporta plus d’ennuis que d’avantages, car certains de ses camarades de théâtre, jaloux de la publicité dont les journaux avaient entouré son nom, en profitèrent pour insinuer mille mensonges et pour susciter, autour de ces malheureux documents, de déplaisantes intrigues.
D’ailleurs, Florelle, fatiguée par des mois de travail ininterrompu, dut bientôt quitter les Capucines pour aller se reposer chez elle, aux Sables-d’Olonne. Rétablie, elle travailla à la Pie-qui-Chante, au Perchoir, à la Porte-Saint-Martin, enfin à l’Athénée, dans La Sonnette d’alarme, de Romain Coolus. Là, sous prétexte qu’elle venait du music-hall, on lui fit d’abord grise mine, et l’auteur lui-même dut l’imposer en menaçant de retirer sa pièce. Mais Florelle eut sa revanche après la générale, quand un article de Mme Colette la distingua tout spécialement, aux dépens des autres interprètes.
C’est alors que Volterra proposa à Florelle une tournée en Amérique du Sud… C’était à la fois dangereux et tentant. Ses amis lui conseillaient de refuser, mais d’autre part son vieux goût du voyage et du changement la poussait à partir coûte que coûte. Finalement elle accepta, et elle alla à Bordeaux, accompagnée jusqu’au quai par un petit camarade d’enfance, son « filleul » préféré, s’embarquer pour cette aventure nouvelle.
André R. Maugé.
(A suivre.)
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Souvenirs inédits de Florelle par André R. Maugé – part 3
La vocation et les débuts de Florelle
paru dans Pour Vous du 10 novembre 1927
Pour les artistes de Music-Hall, l’Amérique du Sud est aussi fascinante que pour les papillons une lampe allumée. Dans les loges étroites où s’entassent, de huit heures à minuit, les petites femmes de revue, on murmure mille histoires tragiques et fabuleuses : simples figurantes parties sans un sou et qui reviennent en cabine de luxe, avec perles, zibeline, compte en banque… femmes enlevées par surprise et retenues captives dans un ranch isolé… danseuses abandonnées par leur imprésario et que leur consulat rapatrie à grand’peine, à moins qu’elles ne sombrent dans la prostitution, les drogues, l’oubli…
Aussi, n’est-ce pas sans émotion que Florelle dut voir la rade merveilleuse de Rio, la première escale… Après avoir erré au hasard, à son habitude, dans les rues de Rio, où elle rencontra d’ailleurs d’étranges compatriotes, elle repartit pour Buenos-Aires. Elle y trouva un public assez froid, qui ne manifestait guère quelque tempérament qu’à la sortie des artistes, après le spectacle. Mais peu à peu, son succès s’affirma — elle reprenait les rôles de Mistinguett — et quand elle revint à Buenos-Aires après une tournée à Montevideo, le directeur d’un grand cinéma de la ville lui offrit un engagement. Florelle accepta, laissa repartir ses camarades et prolongea son séjour de trois semaines.
Un télégramme de Volterra l’attendait à son retour à Lisbonne, et elle dut se rendre précipitamment à Bruxelles pour y reprendre la revue. Elle resta deux mois à Bruxelles, avec un tel succès que Volterra, enchanté, lui promit la vedette au Casino de Paris, promesse qui ne devait pas survivre à sa réconciliation avec Mistinguett. Et Florelle, lasse d’attendre, repartit pour Buenos-Aires, mais cette fois avec Randall et une douzaine de personnes. Deux mois au cinéma Empire à Buenos-Aires, puis ce fut le Brésil, où la petite troupe tomba en pleine révolution et se disloqua. Florelle se retrouva seule à Buenos-Aires. C’est alors qu’elle eut l’idée de monter elle-même une revue.
Elle se heurta à mille difficultés, rencontra autour d’elle plus d’ingratitude et de mauvaise volonté que de collaborations utiles, et finalement dut abandonner son projet. Cette malencontreuse affaire lui coûtait 80.000 piastres. Les jours pénibles, oubliés depuis quelque temps, reparurent, d’autant plus accablants, d’autant plus moroses. Florelle vendit ses fourrures, mit ses bijoux au clou et attendit désespérément une chance. Elle vint sous la forme d’un contrat pour le Chili.
A Santiago, le directeur avait annoncé une artiste « Ba-Ta-Clan ». Cette expression désignait alors une artiste qui paraissait en scène vêtue simplement d’un cache-sexe et d’un soutien-gorge. A la vue des robes de Florelle, élégantes, mais « trop habillées » pour un public friand surtout de chair fraîche, il fit grise mine, prédit l’insuccès. Il n’en fut rien cependant. C’est même là, à Santiago du Chili, que Florelle eut la surprise d’une voix parisienne, tombant soudain du balcon pour réclamer Mon homme.
Le propriétaire de la voix se présenta à la sortie, accompagné d’un camarade et porteur d’un bouquet de violettes. C’étaient deux petits gars « à la coule » que leur métier avait amenés en ce lointain pays et qui étaient venus applaudir leur compatriote. Ils passèrent la soirée tous ensemble… Curieuse rencontre, à l’autre bout de la terre, que celle de la chanteuse errante et des deux petits marlous exilés… Sans doute évoquèrent-ils le boulevard Saint-Martin et les petits bals de la Bastille, et les vins blancs gommés d’une époque disparue, et chantèrent-ils, les larmes aux yeux, les mélancoliques refrains des faubourgs. Ils revinrent chaque soir entendre Florelle, accompagnés de celles de leurs dames qui se trouvaient, par hasard, de sortie…
C’est encore au Chili que Florelle apprit, en lisant par hasard un vieux journal, que Mme Rasimi organisait une tournée au Mexique. Elle envoya, à tout hasard, un télégramme.
La réponse, favorable, ne devait lui parvenir que longtemps après, à Buenos-Aires. Entre temps, Florelle avait essayé, sans succès, Valparaiso, et passé une saison à Mar del Plata, le Deauville local. Mais cette réponse décida de son départ. Solitaire, triste, fatiguée de tout, elle s’embarqua pour New-York, avec la petite chienne qui ne la quittait jamais, la traditionnelle petite chienne qui est l’unique amie des artistes vagabondes.
De New-York, cinq jours de chemin de fer, compliqués par le manque d’argent et par son ignorance de l’anglais, amenèrent Florelle à la frontière mexicaine. Voyage sinistre, éclairé seulement par la rencontre d’une ravissante jeune Américaine qui s’en allait, assez bizarrement, au Texas pour y entendre le récit de la nuit de noces d’une de ses amies de pension. A la frontière mexicaine — le désert, avec une pulqueria, une baraque qui servait à la fois de restaurant et de banque — Florelle, heureuse, retrouva l’atmosphère espagnole et une langue qui lui était devenue familière .
A Mexico, avec Mme Rasimi, ce fut le succès. Puis tout le monde partit pour La Havane. Après La Havane, ce fut une tournée dans l’île de Cuba. La troupe produisait sur la population un effet électrique. Les nègres n’avaient jamais vu tant de femmes blanches déshabillées. De la scène, on les voyait s’agiter de façon gênante. Un jour même, un spectateur dévora entièrement son chapeau de paille A ces inconvénients s’ajoutaient la présence des cafards, des moustiques, et le manque d’eau. Mais malgré tout, quand la tournée s’acheva à La Havane, Florelle, encore une fois, laissa partir la troupe et resta. Elle devait vivre deux ans à La Havane, dans un pays qu’aujourd’hui encore elle considère comme le plus enchanteur de toute la terre. Elle fit pendant ce temps quelques voyages à Mexico à Puebla, en dépit des fusillades et des bandits de grand chemin.
Ce n’est sans doute point sans regrets qu’elle vit s’achever un jour cette paresseuse trêve tropicale, mais enfin Florelle prit la route du retour, arriva à Paris, répéta aux Folies-Bergère, sans y rester d’ailleurs, à cause de tableaux qu’on fut obligé de couper aux représentations, ce qui diminuait exagérément l’importance de ses rôles, et s’en alla à Barcelone jouer une revue espagnole. Là, un brusque accès de nostalgie lui fit reprendre le bateau pour aller passer encore un mois à La Havane. On la rappela alors pour prendre la suite de Mistinguett au Moulin-Rouge.
C’était en 1927. Malgré le succès qu’elle remporta, elle n’arriva pas encore à s’imposer, à triompher de l’opposition redoutable des vedettes en place. Elle travailla encore au Casino de Paris, puis, découragée de retomber toujours dans les rôles subalternes, elle repartit pour l’étranger, où on semblait l’apprécier davantage, alla à Turin, triompha du terrible public italien, terreur des artistes. Ensuite, ce fut Athènes, Constantinople, où elle retrouva les souvenirs de sa première tournée, Alexandrie…
C’est pendant son séjour à Alexandrie que l’apparition du cinéma parlant devait orienter Florelle vers une nouvelle voie. Décidée à tenter sa chance, elle partit pour Berlin, où elle ne rencontra, tout d’abord, que des difficultés. Il est assez étrange que celle qui devait devenir une des rares actrices dont le cinéma français puisse être fier ait rencontré tant d’opposition à ses débuts, en dépit de toute l’expérience, de tout le métier dont elle pouvait se recommander.
Pourtant c’est ainsi ; Florelle n’obtint qu à grand’peine une petite chanson dans Le Procureur Hallers, et quand il fut question de tourner L’amour chante , on l’écarta délibérément de la version française et on ne lui confia la version espagnole que parce qu’il n’y avait personne d’autre sous la main et que tout le monde, de toute façon, s’en désintéressait complètement.
Pabst lui-même, à qui Florelle fut présentée, refusa à première vue de la prendre en considération. Par contre, quand il lui eut fait faire, à tout hasard, un essai, — le jour même où, lasse de chercher en vain, elle allait rentrer à Paris — il ne craignit point, devant les résultats, de revenir sur son jugement et de reconnaître qu’il s’était trompé. Ils devinrent amis, et de leur travail commun naquit le magnifique personnage de Polly dans L’Opéra de quat’sous. Et Florelle a voué à Pabst une admiration profonde et une infinie reconnaissance.
Seulement, on s’en souvient, L’Opéra de quat’sous ne devait sortir à Paris que longtemps après avoir été tourné. Entre temps, les difficultés, pour Florelle, recommencèrent.
Elle dut lutter pour obtenir trois jours de travail et une chanson dans Faubourg Montmartre. Ensuite Pommer, sur le conseil de Pabst, l’engagea pour Autour d’une enquête. Puis, ce fut Atout cœur, et enfin le succès de L’Opéra de quat’sous vint lui ouvrir définitivement la voie.
Bientôt Florelle, remise de son malheureux accident, sera La Dame de chez Maxim’s, en même temps que l’étoile de la revue des Folies-Bergère. Célèbre aujourd’hui, elle garde toute la simplicité des jours sans gloire, et sourit en disant : « J’ai eu de la chance… »
Mais cette chance, qui l’eût mieux méritée que Florelle, le seul véritablement authentique « personnage de cinéma » que nous ayons, pour le moment, en France ?…
André R. Maugé
FIN
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse
Pour en savoir plus :
Le site du Festival Paradisio dont je vous ai parlé (outre Le Crime de Mr Lange, nous avons programmé en 16mm deux films très rares : Mademoiselle Mozart avec Darrieux et Adieu Léonard de Pierre Prévert, pour les reste de la programmation je vous laisse le soin de la découvrir.
La biographie de Florelle sur le blog D’autres Etoiles Filantes.
La biographie de Florelle sur le site des Sables d’Olonne.
“La Chaumoise Florelle, si injustement oubliée” sur le site de Ouest-France.
La page sur Florelle, chanteuse, sur le site du temps des cerises aux feuilles mortes.
Florelle chante “Si J’aime” dans la version française du film Tumultes de Robert Siodmak.
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Le Chant des canons dans la version française de L’Opéra de Quat’Sous de Pabst avec Florelle, Albert Préjean et Jacques Henley.
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Florelle chante “la complainte de Mackie” tiré de “L’Opéra de Quat’Sous”.
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Florelle chante « A la belle Etoile » (de Prévert et Kosma) dans « Le Crime de Monsieur Lange » de Jean Renoir.
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