La question de l’Invention du Cinématographe (III) (Cinémagazine 1924)


Faisant suite aux deux précédents articles que nous avons déjà publié, l’un des Frères Lumière (à lire ici) et l’autre de Pierre Noguès de l’Institut Marey (), voici le troisième paru à la suite dans la revue Cinémagazine le 18 avril 1924 avec la réponse de Léon Gaumont à l’article précédent de Pierre Noguès et de la légataire de Etienne Marey (Mme Noël BOUTON).

A suivre.

La question de l'Invention du Cinématographe

La question de l’Invention du Cinématographe

La question de l’Invention du Cinématographe

La controverse continue. Nous avons reçu la lettre ci-dessous que notre habituelle impartialité nous impose de publier, laissant à MM. Lumière le soin d’y répondre.

Paris, le 8 avril 1924.

« MONSIEUR LE DIRECTEUR,
« Comme légataire de mon oncle, le professeur Marey, je ne puis laisser passer sans protester et rectifier la lettre que MM Auguste et Louis Lumière vous ont envoyée et que vous avez insérée dans votre numéro du 4 avril courant.
« Contrairement à l’opinion de MM. Lumière nous estimons très naturel et juste que l’Académie de Médecine, dont Marey fut président ait protesté en démontrant que leurs prétentions étaient injustifiées comme inventeurs.
« MM. Lumière jettent le trouble dans cette question, qui, jusqu’à la mort de Marey, fut si simple et que personne ne contesta. C’est, de cette époque seulement que datent les diverses prétentions à l’invention. Avant les Lumière ce fut Demeny (Appareil de Marey) et enfin MM. Lumière récemment. Qu’ils me permettent de rectifier, leur lettre étant un tissu de contradictions.

Marey fut l’inventeur du Chronophotographe ou Cinématographe. Il commença en 1882 par les Chronophotographies sur plaques fixes ; en 1889 par les Chronophotographies à pellicules; il continua à rechercher des perfections à son invention jusqu’à sa mort en 1904.

« MM. Lumière citent les paroles élogieuses de Marey à leur égard, ils ont raison, elles prouvent sa droiture mais ils oublient, en citant le passage du rapport de la Centenale en 1900, tout le texte qui précède leur citation. De cette manière, ils lui font dire tout autre chose, il était cependant bien juste de citer ce qu’il attribuait aux autres et à lui-même.

« Marey reconnaît les qualités de l’appareil des frères Lumière, construit plusieurs années après le sien, cela ne veut nullement dire qu’ils soient les inventeurs du « Cinéma ». Ils ont fait après lui un appareil perfectionné, le meilleur peut-être à son apparition, c’est tout. MM. Lumière ont pris un brevet, et tout le monde peut en prendre, sur un appareil autre ou modifié : Demeny, qui s’était emparé de l’appareil de Marey, en avait pris un aussi !

« Puisque MM. Lumière rappellent qu’ils ont été avec l’Etat et la Ville des souscripteurs de Marey, qu’ils nous permettent de rappeler, en particulier à M. Louis Lumière, certaines paroles qu’il a dites à Marey devant nous : « M. Marey, nous avons gagné quatre millions avec notre cinéma, c’est à vous que nous le devons. »

Et enfin, et à plusieurs reprises, qu’ils n’étaient pour rien dans l’invention de leur appareil, notamment en ce qui concerne la particularité du mécanisme emprunté à la machine à coudre, mais à un de leur contremaître !

« Pour terminer, nous déclarons, en effet, que Marey fut toujours contre la perforation des pellicules, cause du tremblement de la projection, insupportable à la vue, ce n’est pas là une « utopie » et je ne doute pas qu’il eut fini par trouver cette solution. Est-il toujours juste de dire que la perforation est de l’ingénieur Reynaud, le nom de Cinéma de l’inventeur Bouly, ce qui enlève, quant au nom, toute priorité à MM. Lumière ; ils ont perfectionné et non inventé, ils ne sont même pas les premiers à avoir fait du spectacle, comme ils le proclament, puisque Gaumont a exploité en premier le brevet Demeny.

« Alors !
« Nous leur rappelons que si intéressantes qu’aient été leurs projections anciennes, celles de Marey l’étaient au moins autant, car, à ses très belles expériences scientifiques sur le mouvement, on peut ajouter celles, tout aussi plaisantes, qu’il a projetées, entre autres, à sa conférence sur la Chromophotographie aux Arts et Métiers en 1899.
« Pour l’équité et la justice, nous vous demandons, M. le Directeur, d’insérer cette lettre comme vous avez accueillie celle de MM. Lumière.
« Veuillez agréer, Monsieur, l’assurance de ma parfaite considération. »

« F.-R.-Noël BOUTON. »

Dans le même numéro l’on trouve cette réponse de Léon Gaumont à Pierre Noguès paru dans le numéro précédent.

M. Léon Gaumont répond à M. Pierre Noguès

M. Léon Gaumont répond à M. Pierre Noguès

L’Invention du Cinématographe

M. Léon Gaumont répond à M. Pierre Noguès

M. Noguès a demandé à Cinémagazine l’insertion d’une note qui vraiment n’était pas très utile, car il ne s’y trouve aucun argument qui n’ait déjà été réfuté.

Nous rendons volontiers hommage au sentiment qui pousse un chef de laboratoire de l’Institut Marey à revendiquer pour un maître vénéré — et vénéré de tous ! — la gloire d’une invention éminemment populaire ; mais il va un peu loin quand il met en question la bonne foi de ses adversaires. Les citations que ceux-ci ont puisées en grand nombre dans les œuvres de Marey, n’ont été aucunement détournées de leur sens et leur interprétation ne repose sur aucun quiproquo : il suffit, pour s’en convaincre, de se reporter aux textes mêmes; toutes les références propres à faciliter ce contrôle ont été données.

En voici une encore ; moins connue, elle est tout à fait intéressante : dans une conférence faite en 1899 au Conservatoire des Arts et Métiers — elle a été publiée à part sous le titre « La Chronophotographie, par J. Marey, de l’Institut. Paris, Gauthier-Villars 1899 » — l’illustre savant apporte au procès un témoignage sur lequel il serait bien difficile d’épiloguer ! Tout le monde peut lire, aux pages 25, 26, 27 de la brochure, ce que le Maître dit de ses propres tentatives, et de l’« admirable invention » des frères Lumière.

La part de Marey, dans l’histoire de la science française, est assez grande pour qu’il ne soit pas besoin, pour l’augmenter, de prendre sur celle des autres : il l’a lui-même, quoi qu’on puisse dire, délimitée avec une haute et belle loyauté.
Au surplus, la discussion par échange de notes pourrait se prolonger indéfiniment ; nous la tenons pour close par la réunion contradictoire qui s’est tenue le 31 mars à la Société Française de Photographie.
A cette réunion, M. Noguès était personnellement convoqué ; en s’abstenant volontairement de se rendre à l’invitation, il a mal servi la cause qu’il entend défendre.

LEON GAUMONT

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

 

 

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