Les Poupées animées de Ladislas Starewitch (1930)


Il y a quelques semaines est sorti chez Doriane Films, Carrousel, l’avant-dernier DVD de la série des films d’animations réalisés en France par l’un des pionniers de l’animation : Ladislas Starewitch. Le dernier sera disponible d’ici la fin de l’année.

Il y a presque trois ans déjà que nous lui avions rendu hommage avec cet article de Cinémonde en 1929.

Ladislas Starewitch, Le Roman de Renard (Cinémonde 1929)

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D’origine russe, arrivé en France au début des années 20 en banlieue parisienne, il va créer, aidé de sa fille aînée Irène, toute une série de films d’animations remarquables dont Le Roman de Renard est le plus connu. Ainsi, dans son pavillon de Fontenay-sous-bois, il va imaginer tout un univers peuplé de marionnettes étranges, poétiques qu’il crée lui-même (principalement des animaux) et anime image par image (c’est donc l’ancêtre du stop-motion) avec des moyens plutôt modestes mais décuplés par une grande créativité.

Décédé en 1965, il consacra sa vie à donner aux films d’animation ses lettres de noblesse, à une époque où le public allait plus facilement vers les dessins animés. Dans les années trente, son personnage fétiche, un petit chien très attachant, du nom de Fétiche justement, faillit rivaliser avec la petite souris de Walt Disney mais lui manquèrent sans doute les moyens…

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Ladislas Starewitch mériterait une plus grande reconnaissance de nos jours et c’est avec plaisir que nous ajoutons notre pierre à cet édifice en vous proposant ces deux articles.

Le premier est paru en 1930 dans La petite illustration cinématographique et le second en 1929 dans la luxueuse revue Cinéma.

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Bonne lecture et à suivre !

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Les Poupées animées de Ladislas Starewitch

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

C’est encore par le procédé des photographies successives que sont obtenus des films de poupées animées. Ils nécessitent la même patience presque incroyable, la même fantaisie d’imagination, mais ici, au lieu de disposer devant l’objectif de prise de vues une suite de dessins, il faut d’abord construire des poupées articulées, qui deviendront les acteurs vivants de la féerie. Cet art particulier a un maître, qui l’a poussé à sa perfection : c’est un Russe, nomme Ladislas Starewitch, actuellement fixé en France.

Un des journalistes cinématographiques qui le connaissent le mieux pour avoir suivi depuis plusieurs années son effort, M. Francis F. Rouanet, nous fournit à son sujet ces intéressantes précisions :

« Il y avait une fois un professeur d’histoire naturelle, directeur du musée de Kovno, membre de l’Academie des beaux-arts de Saint-Pétersbourg, qui accompagnait ses cours de projections cinématographiques qu il réalisait lui-même. Mais la nature a créé des animaux réfractaires à la lumière naturelle ou artificielle. Un jour le professeur Starewitch eut à faire un cours sur quelques-uns de ces fâcheux animaux. Lorsque le cours arriva, ses collègues ne furent pas peu surpris de le voir, comme de coutume, installer son appareil, préparer ses bobines de pellicules et accompagner ses explications des projections habituelles. Il s’agissait du combat de deux coléoptères, sortes de scarabées, qui était exactement rendu. Comment une telle photographie avait-elle pu être obtenue ? Starewitch laissa les hypothèses s’échafauder, puis il dévoila le mystère: « Je les ai reconstitués », dit-il simplement. La reconstitution était faite avec une vérité telle qu’on n’en voulut d’abord rien croire, mais il fallut bien se rendre à l’évidence lorsque le professeur eut montré ses « marionnettes d’animaux ».

Depuis lors, délaissant son laboratoire d’histoire naturelle, Ladislas Starewitch installa un petit studio approprié et, peu de temps après, il présentait au public émerveillé la Cigale et la Fourmi. Le tsar Nicolas II demanda à voir le film et fit accorder une récompense à son auteur.

La Cigale et la Fourmi  fut la première production cinématographique russe qui franchit les frontières.

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

» Starewitch faisait de la mise en scène à Moscou quand éclata la guerre. La révolution l’exila. Il se réfugia en France et consacra désormais toute son activité à la réalisation de ses films. Dans une calme villa de la banlieue parisienne, il a monté son studio qui est sans doute le plus petit de tous. C’est là qu’il travaille, d’un labeur obstiné, avec la collaboration d’une de ses filles, Mlle Irène Starewitch.

» Une marionnette évoque à notre esprit une poupée au visage figé, aux gestes raides et maladroits. Mais les marionnettes de Starewitch vivent réellement : elles ont une mobilité, une richesse d’expression que pourraient leur envier souvent les meilleurs acteurs de l’écran. Comment Starewitch parvient-il à leur insuffler ce don de vie ? C’est lui qui crée son interprète de toutes pièces. Une carcasse bâtie suivant le personnage à animer, puis, sur cette carcasse, conçue exactement dans l’esprit de notre ossature, un revêtement de peau, souple, modelée, préparée d’une façon toute particulière et qui donne à ces personnages une apparence étonnante de vérité. La tête est pour chacun d’eux un véritable petit chef-d’œuvre de goût et d’ingéniosité : cheveux, yeux, bouche avec lèvres mobiles, denture, palais, langue, rien ne manque à ces êtres parfaits, hormis le souffle de vie auquel suppléera l’artifice de la prise de vues.

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

» Le film est tourné par tour de manivelle. Starewitch dispose ses personnages dans son décor et donne à leur visage mobile l’expression qui sied, à leur corps l’attitude qu’exige l’action. Un tour de manivelle éclaire le minuscule théâtre et, par un mécanisme spécial, le temps de pose est mécaniquement réglé d’après l’intensité lumineuse. Aussitôt l’image enregistrée, l’obscurité s’établit à nouveau. Starewitch reprend alors avec délicatesse chacun de ses personnages, modifie insensiblement leur expression, leur attitude et l’opération recommence. On est vraiment en présence d’une décomposition de la vie qui constitue proprement le miracle créateur. Quel ensemble prodigieux de connaissances ne faut-il pas avoir en effet de l’anatomie, de la plastique et de la psychologie humaines pour reconstituer ainsi, par tour de manivelle, un éclat de rire, un sanglot, toutes les nuances infinies de nos expressions multiples… En notre époque de hâte fiévreuse, de fabrication en série, Starewitch est une exception surprenante et comme un artiste-artisan digne du moyen âge. »

C’est à M. Louis Nalpas, l’un des plus judicieux animateurs du cinéma français, que Ladislas Starewitch a dû de pouvoir réaliser son art. Par son dédain des contingences commerciales, une pareille entreprise était presque un paradoxe : elle a pourtant été récompensée par la réussite matérielle. Le film de la Petite Parade, dont cette page reproduit quelques gracieuses images, a tenu l’affiche pendant six semaines sur les boulevards, au Cinéma Marivaux, et son succès de public a été considérable. Les marionnettes des deux pages précédentes sont celles que Starewitch utilise actuellement pour un film sonore inachevé qui sera plus prodigieux encore: le Roman de Renard. Il lui aura coûté près de vingt mois de travail assidu, mais il accroîtra la réputation d’un grand artiste dont le nom est déjà connu et l’œuvre admirée dans le monde entier.

Robert de Beauplan

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

paru dans La petite illustration cinématographique du 22 mars 1930

 

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Notes d’un Chasseur d’images LADISLAS STAREWITCH

le Magicien de Fontenay-sous-Bois

paru dans Cinéma de mai 1929

paru dans Cinéma de mai 1929

paru dans Cinéma de mai 1929

La paupière en coquille, l’oeil gros et vif, la tête ronde, pas grand, il fait penser à Sylphe. Vous savez bien, ce petit dieu spirituel et artiste qui, dans L’Horloge Magique, embellit et fignole sans cesse la nature. Semblable à sa fantaisiste créature, on imaginerait aisément M. Starewitch, la gauche armée d’un minuscule pot de peinture et la droite d’un pinceau, fleurissant d’ornements délicats les champignons, les papillons et les coléoptères. Et, lorsqu’on lui rend visite dans sa calme villa de Fontenay, que l’on voit affleurer dans son regard, par ondes successives, la vivacité, la bonhomie, le rêve, c’est Sylphe que, malgré soi, l’on y surimpressionne.

C’est, en vérité, un poète, un bien curieux poète que Ladislas Starewitch. D’abord, il est savant. Il a dirigé jadis le Musée d’Histoire Naturelle de Kovno, où, dès 1911, il réalisait — comme, en France, à la même époque, le Dr Comandon — des films sur la vie des bêtes. Pour un élève des Beaux-Arts — fussent-ils russes — le fait est exceptionnel et mérite d’être noté. Les sciences naturelles donnent si rarement la main aux beaux-arts ! J’ai souvenir d’un grand atelier de la rive gauche où, sur 70 élèves, trois seulement savaient un peu dessiner les plantes et les insectes, trois dont un Japonais. Chez les Japonais, c’est congénital.

M. Starewitch, lui, ne fait pas que dessiner les insectes, les batraciens, les oiseaux, les fleurs ou les humains. Il les modèle, les sculpte, les articule, les maquille, les meut, et parvient — au moyen de quels sortilèges ? — à leur donner l’apparence de la vie. Mais une vie compréhensible pour nous, une vie dirigée, logique dans la plus extrême fantaisie. Certains dessinateurs s’étaient fait autrefois une réputation en douant nos animaux familiers d’une expression humaine, de gestes humains. Les bêtes de M. Starewitch gardent à travers les pires aventures leur caractère zoologique. Le rat des champs retrousse sa lèvre, montre ses longues incisives, lisse sa moustache en rat véritable, non en homme. N’a-t-on pas entendu dire, devant Le Rat de Ville et le Rat des Champs : « Je comprends encore qu’on les dresse. Mais comment fait-on pour les habiller ? »

Voyez les gestes lamentables de l’araignée, coupée en deux par la porte du coffre-fort, à l’articulation du thorax et de l’abdomen, et cherchant, moitié d’elle-même, à se dresser encore. Combien d’exemples offre aussi L’Horloge Magique de cette virtuosité zoologique. Ondin, ce lutin à demi grenouille, ramasse au fond de l’eau une larve de libellule et, parvenu sur la rive, l’accroche à une feuille. Au cours de la scène suivante, la libellule perce son enveloppe, se dégage, défripe ses ailes et s’envole. Tour de force artistique, scientifique et technique, mais, pour M. Starewitch, détail secondaire destiné à animer le décor.

Chose curieuse, ces vies innombrables peuplant ses films, M. Starewitch ne les reproduit pas fidèlement. Il accentue leurs caractères, synthétise leurs mouvements avec un humour subtil qui les rend plus vrais que nature. Voyez ses grenouilles.

« Ondin, me dit-il, j’ai eu beaucoup de mal à le faire nager convenablement. Je lui avais d’abord fait exécuter les mouvements exacts d’une grenouille. A l’écran, cela ne donnait rien. Alors, je l’ai animé d’un mouvement un peu caricatural. Les résultats étaient bien meilleurs. »

Il faut dire que M. Starewitch, dans sa retraite banlieusarde, a peu d’occasions de parler français. Il possède heureusement, dans sa famille même, de charmantes collaboratrices et d’habiles interprètes. Sans Mlle Starewitch, la conversation se fût réduite entre nous à un échange de noms d’insectes, en latin, la langue internationale par excellence.

« Je vais vous montrer mes artistes. »

paru dans Cinéma de mai 1929

paru dans Cinéma de mai 1929

Voici des chambres aux murs revêtus d’armoires et de vitrines, où se fige tout un petit peuple : les créatures étranges de Ladislas Starewitch. Le château de la Belle au Bois Dormant devait être pareil, avec ses oiseaux, ses gardes et ses pages endormis, avant que vînt le Prince Charmant. La Princesse elle-même nous contemple, la Princesse Chinoise rêvant aux « Yeux du Dragon », entre un gros mandarin et des gardes aux armures hérissées. Assis sur leurs stalles minuscules, les mains sur les genoux, les onze Pairs de L’Horloge Magique, On reconnaît le peureux, le fanfaron, l’ivrogne avec sa bouteille. Puis, sous une cloche de verre, son heaume noir baissé, le Géant Destin s’appuie sur sa fidèle épée. Avec prudence, le Magicien ne lui a pas donné de compagnons, qu’il aurait aussitôt taillés en pièces. Isolé dans sa tour de verre, silencieux, impénétrable, il veille, et ne nous entend pas. Je cherche en vain le douzième pair et son beau cheval, son cheval à l’œil terrible et qui retrousse si méchamment les lèvres. Je les retrouverai tout à l’heure dans le bureau de M. Starewitch. Preux dans l’immobilité même, il transperce un dragon au sommet d’une bibliothèque.

Ici, sur les glacis et les murailles d’une forteresse à leur échelle, une quarantaine de fourmis combattent avec la lance, l’épée et la masse d’armes. Elles sont grosses comme des frelons.

« Cette scène de son film La Reine des Papillons, me dit Mlle Starewitch, mon père l’a tournée en huit jours. Pour chaque image, il faisait mouvoir ses quarante insectes et suivait ainsi, à leurs vitesses respectives, tous les mouvements individuels, sans prendre une note et sans jamais se tromper. Je ne sais pas comment il fait, ajoute-t-elle en riant, d’inventer des scènes à mesure qu’il tourne et de tout retenir. Moi, je suis obligée de noter chaque fois. »

Avec M. Starewitch, il ne faut s’étonner de rien. S’étonne-t-on des poètes ?

« Oh ! fait-il, ce n’est pas bien difficile, avec un peu d’habitude… Comment je trouve les idées ? Ma foi… c’est dans l’air ! »

« Ça m’est venu de nuit, en entendant chanter le rossignol ! » disait de même le Tambourinaire ingénu d’Alphonse Daudet.

M. Starewitch ouvre une armoire : telle devait être l’armoire de Dieu le dernier jour de la création. Il y a là, mêlés à des fragments informes, des membres épars d’insectes et de personnages, une couronne en carton, revêtue de papier d’argent, des petits canons, un crâne de chat taillé dans le bois, poli et articulé, que Pompon ne désavouerait pas. Dans un coin, une pile de grenouilles.

« Je vous présente un de mes plus anciens artistes. »

C’est une grenouille énorme, ventrue, verte, avec une large bouche et des yeux si pleins de malice que je crains de la voir s’échapper. M. Starewitch la tient par une patte :

« … L’orateur des Grenouilles qui demandent un Roi et la mangeuse de papillons de L’Horloge Magique. Aussi, c est un de mes artistes préférés. »

A ces mots, le corbeau déplumé perché au-dessus de nous dans sa cage de verre — un poltron, spectral, lugubre et ancien corbeau — se hérissa et battit légèrement des ailes. Quelques plumes tombèrent. Et il me sembla que toutes les autres créatures de Mr Starewitch s’animaient : le casse-noisette et les noisettes, les deux rattes danseuses étoiles, le rat de ville et le rat des champs, la mante religieuse, les fourmis, et, dans un coin, des marionnettes javanaises aux silhouettes fantastiques.

Et l’on entendit un ronflement sourd : c’était, dans ses cartons, la collection de papillons qui battait des ailes.

A ce moment, M. Starewitch alluma, au-dessus des Debrie de prise de vues, trois projecteurs à incandescence. Le murmure des monstres prisonniers se tut. Leurs yeux de verre contemplèrent le décor, le petit décor posé sur une table, où évoluaient des jouets.

Pierre Ichac

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Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque française

Pour en savoir plus :

Le site officiel de Ladislas Starewitch très complet et mis à jour régulièrement.

La critique du coffret DVD Carrousel sur le site On-Mag.

L’article « Les poupées animées de W. Starewitch » paru dans Cinéa en 1923.

La Cinémathèque de Bourgogne montre Ladislas Starewitch (2015) de Gérard Courant.

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Bande-annonce : Les Fables de Starewitch.

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Extrait du Roman de Renard, 1941.

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Extrait de la version anglaise de Fétiche (The Mascot), 1933.

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