Un jeune metteur en scène courageux : Pierre Chenal (Pour Vous 1932)


Pierre Chenal fût un metteur en scène français dont le nom se perd chez les cinéphiles malgré de belles réussites comme Le Dernier Tournant ou La Foire aux chimères.

Nous lui avons déjà rendu hommage avec un article consacré à son second long métrage, La Rue sans nom, qui fût le premier film qui appartiendra au fameux courant : “réalisme poétique”.

Pierre Chenal et le Réalisme Poétique (Cinémonde 1934)

Il était temps de poursuivre cet hommage avec un article écrit par l’éminent critique Jean-George Auriol (de La Revue du Cinéma) avant que Pierre Chenal ne tourne justement son premier long métrage et après plusieurs courts-métrages remarqués.

Bonne lecture !

Pour Vous du 30 juin 1932

Pour Vous du 30 juin 1932

Un jeune metteur en scène courageux : Pierre Chenal

paru dans Pour Vous du 30 juin 1932

Le premier choc de Pierre Chenal avec le cinéma date de 1913, ou 1914, devant une première version des Misérables : J. Valjean y soulevait une charrette épouvantablement lourde — c’en fut fait. Pendant la guerre, Pearl White lui fit rater quelques prix d’excellence.

Quand, ses études achevées, il lui fallut gagner sa vie, il dessina des visages de stars ; l’Intran, Paris-Midi lui prirent ses premiers portraits, des portraits très nets, stylisés en taches noires et blanches délimitées avec précision, qui décelaient déjà ce besoin de perfection, cette recherche du fini qui caractérisent en partie Pierre Chenal. Il fréquentait assidûment les studios et, chez Gaumont, feu Louis Feuillade lui apparut, gardons ses mots « … véritablement comme un dieu ; ventru et rougeaud c’est entendu, mais sachant pétrir son monde ! »

« Bientôt, confie Chenal, seuls les arts de mouvement m’intéressèrent : littérature, théâtre, cinéma. Cela compris, je me mis à chercher une commandite. Pendant deux ans, j’ai tâtonné sans résultat. N’ayant rien à montrer, j’en serais peut-être encore au même point si le critique Gaston Thierry ne m’avait présenté à l’homme-qui-me-donna-ma-première-chance ! »

Voulant connaître à fond la technique, Chenal propose un reportage sur le travail des studios : Paris-Cinéma (1927). Ce fut le premier documentaire sur les coulisses du cinéma ; et un documentaire si bien fait, si net, si peu à l’esbroufe que les spectateurs les plus ignorants de la fabrication des films se sentaient tout de suite éclairés, initiés.

« Je me rendis vivement compte, précise Chenal, de la difficulté de faire du reportage avec un gros appareil de studio manœuvré par un opérateur à qui, en improvisant, en voulant saisir un tableau, un mouvement de hasard sur le vif, on n’a pas le temps de communiquer ce qu’on VOIT. Je décidai d’opérer moi-même avec un appareil léger. Je pense que, pour le reportage tout au moins, prendre les vues avec un portatif est le seul moyen de fournir du bon travail, car la conception, l’inspiration ou simplement… le choix se font en même temps, se fondent. L’homme-camera, le ciné-œil, ces expressions dans ce cas disent bien ce qu’elles veulent dire : l’appareil — en l’occurrence un de ces excellents Kinamo— devient un de vos organes. »

1928 : avec quelques sous, Chenal réalise une courte fantaisie d’avant-garde : Un coup de dés. Souvent, il vaut mieux faire fausse route que rester inactif ; car la leçon profite.
1929 : Une cité du cinéma, nouveau documentaire technique, pour Pathé.
1930 : gonflé d’idées de gags et n’ayant pas la possibilité de les réaliser, il fait paraître un recueil de brefs scénarios qui témoignent d’une ingéniosité sympathique : Drames sur celluloïd.


En 1931, en collaboration avec le grand architecte et urbaniste Le Corbusier, il réalise trois petits films sur la construction moderne, contre l’architecture périmée : Trois chantiers, Bâtir, Architecture. Trois bandes de 300 mètres qui, dans leur presque totalité, constituent un remarquable travail d’analyse de la situation présente de l’architecture en France : on continue à bâtir dans des villes vieilles, dans des rues tortueuses et encaissées, des maisons sans espace, sans lumière, sans verdure. Le béton permet les belles audaces, mais on continue à plaquer contre d’imposantes carcasses de fer, de molles imitations de styles motivés par l’emploi de matériaux à présent abandonnés. Chenal a présenté avec aisance, clarté et sûreté, les attristants résultats de cette anarchie ; il a jeté aussi un œil avide sur les promesses de Le Corbusier et ses compagnons. Ses images sont simples, habiles et (le cas vaut d’être signalé) non dépourvues d’humour.

Tous ces films cependant appartiennent encore au domaine technique. L’exploitation les range dans la catégorie des spéciaux : ils passent dans des salles spéciales. Chenal décide « d’humaniser » son œuvre. Il propose, comme nouveau sujet, Les Petits Métiers de Paris.
On accepte. Il repart dans les rues, son kinamo en bandoulière. « Six mois de travail : vingt minutes de projection ! » remarque Chenal avec un sourire peut-être un peu amer — mais pas encore aigri. Mac Orlan veut bien commenter ce petit film intéressant, touchant, sans défauts, et un grand circuit assure sa distribution ; Chenal n’a pas travaillé tout à fait pour rien. Les Parisiens comme les étrangers aimeront ces Petits Métiers qui les amuseront, et ils se souviendront de ce petit film plus que de bien des grands, parce qu’ils auront pu y remarquer une note de pitié, de curiosité bienveillante qui ne se confond pas avec le facile don de dénicher le pittoresque.

Au premier abord, Pierre Chenal semble plutôt triste ; il s’analyse sans cesse, avec une féconde sévérité. Mais il parle avec enthousiasme des récentes réussites de l’humour américain : What a Widow, Hollywood Thème Song, Monkey Business, etc..

« J’ai trouvé, dit-il pour finir, dans un film français récent, dont le titre faisait redouter le pire (Monsieur, Madame et Bibi) un peu de cette absence de logique, de cette fantaisie folle, de cette jeunesse fulgurante que nous aimons tant dans les bonnes comédies américaines… »

Attendra-t-on que Chenal soit aigri par le travail difficile, patient, mesquin parfois, et aussi par le défaut de travail, pour lui confier la réalisation d’un film comique français ? Travaille-t-il encore trop bien pour mériter déjà l’avancement ?

J. G. Auriol.

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

Pierre Chenal et sa script Dagmar Bolin en 1935 D.R

Pierre Chenal et sa script Dagmar Bolin en 1935 D.R

 

Pour en savoir plus :

En 2010, le Festival du film d’Amiens rendit hommage à Pierre Chenal lors d’une grande rétrospective, voici la page spéciale avec notamment un beau texte de Yves Martin.

La notice biographique publié sur le site CinéArtistes.

Sur le site Mon Cinéma à Moi, un article sur Edmond T. Gréville et Pierre Chenal : deux réalisateurs méconnus.

On y trouve aussi la reproduction d’un témoignage rare de Pierre Chenal à la fin de sa vie (extrait de l’excellent livre : Le cinéma des années 30, par ceux qui l’ont fait (Tome 2, L’Avant-Guerre : 1935-1939) – Christian Gilles – Ed. L’Harmattan, 2000).

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Le documentaire “Architecture d’aujourd’hui” de Pierre Chenal (1930).

Cliquez sur ce lien pour voir le documentaire Batir (1930) sur Vimeo.

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Extrait de LA MAISON DU MALTAIS de Pierre Chenal (1938) sur Vimeo (Mon Cinéma à Moi).

 

 

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