Le Chef-opérateur Rudolph Maté (Pour Vous 1934)


Nous venons de consacrer un nouvel article à La Passion de Jeanne d’Arc, le chef d’oeuvre de Carl Dreyer. Mais bien sur ce film ne serait rien sans la maîtrise et le sens de la photographie d’un quasi-débutant : Rudolph Maté.

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D’origine polonaise, Rudolph Maté a été un grand chef opérateur et travailla par la suite avec Auguste Génina en 1930 pour Prix de beauté (avec Louise Brooks), encore avec Dreyer pour Vampyr, sur le film français de Fritz Lang (Liliom), puis il partit à Hollywood où on le retrouve avec Lubistch, Hitchcock et surtout Gilda de Charles Vidor.

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Puis il se consacra à la réalisation : Mort à l’arrivée (1950) ou Le Choc des mondes (1951).

Bonne lecture !

Pour Vous du 11 janvier 1934

Pour Vous du 11 janvier 1934

Un Maître de la lumière : “Rudy” Maté

paru dans Pour Vous du 11 janvier 1934

Il y a très, très longtemps… au temps où un film commencé le matin était achevé le soir… au temps où les acteurs exprimaient la joie et la douleur avec les attitudes des statues de la Troisième République… au temps où André Brûlé jouait Werther dans un décor coupé en deux : d’un côté Charlotte, une noble poitrine soulevée par des sanglots, de l’autre côté Werther, beau suicidé, s’appuyant sur le cœur un pistolet de mousquetaire, dont le coup fatal était sonorisé à l’orchestre par le malheureux qui tenait le tambour… En ces temps-là, l’homme qui tournait la manivelle ne comptait guère plus qu’un esclave assyrien et gagnait 550 fr. par mois.
Le cinéma gisait dans les baraques foraines, « la lanterne magique » lui ayant conféré cette ascendance charlatanesque.

L’opérateur était à la fois le metteur en scène, le scénariste, voire le projectionniste. Le public ne voyait en lui qu’un merveilleux illusionniste de foire.
Quel début ! Quel chemin parcouru ! Aujourd’hui, l’opérateur dont l’ancêtre, si j’ose dire, a été ce « montreur d’images », s’appelle « chef opérateur », il a une suite, des assistants, son matériel est un monde, il vaut une dot de fille bien née d’il y a trente ans ; il est écouté, respecté, respectable ; son nom est imposé au public, il est discuté, admiré, critiqué… C’est quelqu’un… et l’on a parfaitement raison.

Collaborateur immédiat du metteur en scène, il partage la responsabilité de l’œuvre filmée. Aussi, tout au haut d’une liste de noms célèbres, il faut inscrire dès maintenant celui de Rudolph Maté. D’origine hongroise, Rudolph Maté vint en France vers 1927 avec Carl Dreyer, afin d’y tourner La Passion de Jeanne d’Arc. Dreyer avait deviné en ce jeune opérateur toutes les qualités qui devaient le conduire à la place qu’il occupe dans la cinématographie d’aujourd’hui.

Enthousiaste, épris de son métier. Maté allait avec un tel maître faire la plus belle œuvre photographique que l’on ait rarement réalisée.
Dreyer était pénétré d’idées nouvelles : bannissant le maquillage du visage des acteurs, recréant avec des décors simples et blancs les dessins des miniaturistes du XIV° siècle, il bouleversa toutes les méthodes et tous les principes d’éclairage et donna vraiment naissance à un mode d’expression cinégraphique complètement neuf. Le plus grand mérite peut-être de Rudolph Maté, c’est d’avoir compris Carl Dreyer et d’avoir été avec lui un précurseur.

Depuis lors, nous lui devons d’autres belles choses : opérateur de La Couturière de Lunéville, de La Belle Marinière, il éclaira joliment Madeleine Renaud ; opérateur du Vampire, dernier film de Dreyer, il a su traduire en teintes douce, la nébuleuse aventure. Et de quels beaux ciels ne nous lui sommes-nous pas redevables !… Les ciels parisiens du film de Victor Trivas, Dans les rues, ces ciels où un vent aigre-doux de printemps bouscule des nuages blancs et ronds, semblables à un troupeau de moutons sur une immense plaine… Cadre poétique dans lequel se dessinent des cheminées d’usine et des terrains pelés comme le dos des vieux chiens abandonnés, terre triste, appelée « terrain vague »…, lumière blafarde des petits jours, aurore baudelairienne, enveloppant les quais de la Seine d’une si tendre mélancolie qu’on se met à aimer la tristesse… Puis, ce sont les ciels du Roi Pausole, de Granowsky, nuages dignes de l’Olympe où le corps blond de Vénus s’affale dans un tumulte de fleurs et d’amour… et où l’apparition de cette Blanche Aline, toute frémissante de son éblouissante jeunesse, suffirait à elle seule à consacrer le talent de Rudolph Maté.

Mais si Maté est un artiste, il est avant tout un travailleur, je dirai un passionné du travail : il s’acharne à ce qu’il fait. Il n’a qu’une pensée : servir pleinement celui qui lui confia la tâche de mettre une lumière précise et vivante sur la fiction qu’il doit créer.
Dans chacun de ses films, Maté se renouvelle ; il est impossible de reconnaître à priori son style, tant il épouse étroitement l’idée du réalisateur ; sa propre personnalité s’efface devant le créateur. Cela est un bien grand mérite ; il est le plus sincère des collaborateurs que je connaisse…

Il vient d’achever Liliom avec Fritz Lang ; il commence Le Dernier des milliardaires avec René Clair… Deux grands réalisateurs… deux esprits totalement différents… Nous attendons.
Lumière, créatrice du rêve, du moment, de la seconde, en Rudolph Maté vous avez trouvé un maître.

Eliane Tayar

Pour Vous du 11 janvier 1934

Pour Vous du 11 janvier 1934

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

 

Pour en savoir plus :

Rudolph Maté sur le site Cinematographers.

Plusieurs posts sur son travail à Hollywood sur le blog de Jean Charpentier.

 

Une analyse de Vampyr par Fandor.

 

Un extrait de Liliom de Fritz Lang.

 

La critique de D.O.A (Mort à l’arrivée) sur le site de DVDClassik.

La Bande-annonce de D.O.A (Mort à l’arrivée)

 

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