La Rue du Premier-Film (Pour Vous 1930)


Nous avons déjà mis en ligne deux articles parus dans Pour Vous au moment de l’inauguration de la Rue du Premier Film à Lyon le 2 juin 1930 (vous trouverez les liens ci-dessous).

Voici un troisième qui revient sur cette journée d’inauguration ainsi que plusieurs réflexions que cela inspire au journaliste Nino Frank.

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En bonus, nous vous proposons un entretien de Louis Lumière paru quelques mois plus tard, à la fin de l’année 1930, qui fut publié dans le quotidien Comoedia (à lire ici).

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Evidemment, la Rue du Premier Film est devenue depuis l’adresse de l’Institut Lumière qui accueille également le Musée Lumière et notamment le Hangar du Premier-Film (dernier vestige des usines Lumière, classé Monument Historique).

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L’Institut Lumière démarre ce jour le 8° Festival Lumière jusqu’au 16 octobre 2016 avec plusieurs hommages remarqués Buster Keaton, L’Inhumaine de Marcel L’Herbier, une rétrospective Marcel Carné (durant laquelle nous présenterons plusieurs films le week-end du 15/16 octobre). Pour le reste, nous vous renvoyons au programme complet à cette adresse.

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Bonne lecture !

 

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“Malgré les augures, Il vit”

paru dans Pour Vous du 12 juin 1930

(Lyon. De notre correspondant particulier)

Pour perpétuer le souvenir et la gloire des frères Auguste et Louis Lumière, un comité s’est formé à Lyon, sous la présidence de MM. Givaudan, Gélibert et Clément Sahuc, et sous le patronage des plus hautes notabilités de la ville.
Son premier acte fut la récente inauguration ; d’une rue et d’un groupe scolaire dédiés aux frères Lumière.
L’ancien chemin Saint-Victor, dans le quartier de Monplaisir, où furent conçues les premières pellicules, devient la « rue du Premier Film », cependant que le groupe scolaire de Monplaisir s’appellera désormais « Groupe Lumière ».

Mais le comité ne s arrêtera pas là. Il vise plus haut et entend édifier, au confluent du Rhône et de la Saône, un vaste palais, temple du cinéma « monument qui serait à la fois symbole solennel et organisme actif, une filmathèque constamment tenue à jour, une centrale d’études ». Pour en permettre la réalisation, le comité va lancer une vaste souscription dans le monde entier.

Telles ont été les déclarations de M. Givaudan. président du comité, à la séance d’inauguration qui eut lieu le 4 mai, place de Monplaisir. Plusieurs milliers d’auditeurs.

Après que M. Givaudan eut salué la famille de MM. Lumière, lu leur touchante lettre d’excuses, remercié les personnalités présentes, et félicité les initiateurs de cette manifestation, il termina en déclarant : « C’est un geste de justice et de fierté que nous accomplissons en rendant hommage à ces deux hommes de science qui ont si puissamment contribué à accroître dans le monde le rayonnement de la pensée française ». M. le recteur Gheusi lui succéda.

Puis M. Herriot associa le conseil municipal de Lyon à l’initiative du Comité Lumière et, après avoir évoqué la grande figure de M. Antoine Lumière, père des inventeurs du cinématographe, il conclut en souhaitant « que l’admirable invention des Lumière se tourne davantage vers l’enseignement scolaire, Le moulin à images peut et doit apprendre aux enfants rapidement, solidement, joyeusement, toutes les beautés de la vie ».

Louis Delaprée

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Photogramme du film La Sortie de l’usine Lumière à Lyon (Wikipedia)

 

Péchés originels

On vient de lire, ci-dessus, les paroles prononcées par M. Edouard Herriot, à Lyon, à l’occasion de l’inauguration de la Rue du Premier-Film.
Cette rue, la première star en ordre chronologique, puisqu’elle était la protagoniste du petit film d’essai que les frères Louis et Auguste Lumière projetèrent le 22 mars 1895, à la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale, à Paris, n’a pourtant pas ressenti le besoin de s’enorgueillir outre mesure pour ce beau titre d’honneur. Voilà trente-cinq ans qu’elle a débuté sur l’écran : elle en avait peut-être vu bien d’autres…
C’est une rue comme toutes les rues du monde.
Néanmoins, là, commença, officiellement, l’ère du miracle.
Y eut-il, parmi les passants, un inconnu qui le pressentit ? Il est permis d’en douter, le scepticisme et l’ironie plairont toujours plus que l’enthousiasme. Il s’agissait de deviner, d’imaginer, de comprendre. Les frères Lumière, eux, devaient sentir que leur invention ne serait pas stérile. Mais M. Tout-le-Monde ?

Il est bon, à cette occasion, de faire, par humilité, un retour en arrière. Suivons les collections des journaux du temps : le Journal, le Petit Journal, la Justice, le Journal des Débats, la Patrie, Gil Blas… On n’y trouvera pas seulement les comptes rendus des reporters anonymes ; les chroniqueurs eux-mêmes ne dédaignèrent point de signaler ces faits : la projection de la Sortie des Usines Lumière à Lyon-Monplaisir ; le 22 mars 1895, à la Société d’Encouragement à l’Industrie Nationale, et celles, plus solennelles, de cette même première bande, de L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat, de La mer par gros temps, et, enfin, de ce fameux Arroseur arrosé, à partir du 28 décembre de cette même année, dans les sous-sols du Grand Café, boulevard des Capucines, premier cinéma de Paris…

Comprirent-ils, apprécièrent-ils l’importance de l’événement qui venait d’avoir lieu ? Doutons-en.
On a pu lire, ici-même, la phrase d’un spectateur inconnu qui affirmait, au sortir de la séance du Grand Café, : « On nous a dérangé pour peu de chose. Cette petite trouvaille n’aura point de lendemain ».
A feuilleter les collections des journaux cités plus haut, je ne suis pas éloigné de croire que ce spectateur inconnu fut l’un des journalistes considérables qui assistèrent à ce « petit événement ». Bien entendu, on ne se douta guère que cette invention nouvelle, ce « cinématographe », pût devenir un jour un concurrent victorieux du théâtre. On pensait que c’était là une curiosité scientifique, une invention plaisante.
Il est bon d’ajouter, pour ne pas trop accabler les spectateurs de 1895, qu’ils avaient peut-être connu les autres inventions similaires, le fusil photographique d’Etienne Marey (1882), le théâtre optique d’Emile Reynaud (1892) , le chronophotographe de Demeny (1893) , desquelles aucun résultat notable n’était acquis. On pouvait penser que le cinématographe des frères Lumière ne serait, lui aussi, qu’une « petite trouvaille »…
Mais à quoi bon faire de l’ironie ?

« Parturiens mons… Il n’est question, un peu partout, que de cette merveille. On nous laisse dans une pénombre propice au sommeil. Et, devant vous, sur un mur, des rayons blancs s’agitent. On ne voit rien… Mais, décidément, ce cinématographe est une belle invention… » « Nous avions apporté une longue vue, des lunettes. Imaginez, sur un mur, des ombres, du noir et du blanc : on vous explique que c’est un train, des hommes. Seigneur, rendez-nous cette bonne lanterne magique de notre enfance !… Pourquoi l’Arroseur arrosé ? Et si je veux l’appeler, moi, Culture des choux de Bruxelles, ou La Mégère apprivoisée ? Mon cœur me dit que le résultat serait le même… »

Dix mois après, à Montreuil-sous-Bois, Georges Méliès construisait le premier studio de prise de vues… Voilà quelques perles, Il y en a eu d’autres. Et il y a aussi des comptes rendus dénués d’ironie. Il ne faut quand même pas croire que l’on ne trouva, au Grand Café du boulevard des Capucines, que des prétextes pour des blagues un peu faciles. D’autres, avec la meilleure volonté, n’y voyaient qu’un jouet.

Et puis… je lis, dans Le Panorama du Cinéma, de G. Charensol, cette phrase extraite d’un article publié en 1911 : « Les scènes pour cinématographe doivent être simples et rapides ; simples, pour qu’elles se comprennent sans peine, et rapides, pour ne pas retenir l’attention du spectateur. Elles ne doivent pas le fatiguer. Il faut de la diversité et beaucoup de changements de décors ».
Nous allons publier, dans nos prochains numéros, quelques autres extraits de la presse de 1895, commentant les débuts du cinématographe. C’est une manière comme une autre de rendre hommage à Louis et Auguste Lumière.

Nino Frank

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

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(c) wikipedia

 

Louis Delaprée et Nino Frank font référence à cet encart paru dans le quotidien l’Intransigeant dans le n°18487 daté du 2 juin 1930.

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Louis Lumière parle du Cinéma

paru dans Comoedia du 30 décembre 1930

Comoedia du 30 décembre 1930

Comoedia du 30 décembre 1930

Dans l’Intransigeant, Hervé Lauwick rapporte un entretien qu’il a eu avec Louis Lumière sur l’invention du cinéma. Notre confrère avait été étonné comme nous d’apprendre que l’on se proposait d’élever une statue à Le Prince, inventeur du cinéma. Voici Hervé Lauwick devant Louis Lumière.

Qu’il ait, avec son frère, inventé le cinématographe, cela ne fait de doute pour personne. On a dit : « Mais Marey »! Parbleu, Marey avait créé le fusil à prendre des images, pour chronométrer des mouvements, juger la vitesse d’un coureur à pied. Il n’avait jamais pensé à perforer une bande, à projeter ces images pour l’amusement ou l’éducation des hommes. J’ai eu sous les yeux une lettre où il dit et signe : « MM. Lumière sont les inventeurs du cinématographe.” Oui, de son encre. Il semble difficile d’y revenir. La cause est jugée !

— Comment, suis-je venu demander à Louis Lumière : avez-vous inventé le cinéma ? Et n’est-il pas extraordinaire que ce petit mécanisme, dessiné par vous, tel quel, dès le premier jour, n’ait jamais eu à être modifié plus tard ?

Oui, nous ne pensions pas, quand nous avons commencé nos recherches, qu’il y aurait un jour, une immense industrie du cinéma. Et cependant, dès que l’invention eut des résultats satisfaisants, dès que le public commença de faire queue à la porte du Grand Café, où l’on payait dix sous par place, nous eûmes des espoirs ambitieux. M. Emile Picard, qui était le commissaire de l’Exposition de 1900, me demanda s’il ne serait pas possible de garder le public à l’Exposition le soir. Grave problème ! Je pris alors la galerie des Machines.
Vous vous souvenez de ce désert. J’y mis une toile de 24 mètres sur 30, et on projeta pendant vingt minutes des films, toujours les mêmes, — les pauvres — qui eurent un succès fou.
Après cela, la curiosité publique s’en mêla, des industriels sentirent le besoin qui se créait, et montèrent des théâtres, jouèrent des pièces complètes.
Mais nous n’avions pas songé à aller au delà de vingt minutes.

Le grand homme se penche sur la table de son bureau et me montre quelques photos des premières bandes qui furent projetées en ce monde. Touchons avec respect ces reliques. Il y a là une sortie de barque, l’arrivée d’un train, l’arroseur et d’autres. Huit ou dix au plus.

Mon frère, me dit le savant, était à notre usine de Lyon et ne suivait pas la prise de vues. C’est au bord de la mer, chez nous, à la Ciotat, que furent enregistrées mes premières bandes.
— Historiques !

N’exagérons rien. Je n’avais pas là-bas de quoi les tirer, et je les envoyai donc pour développement à mon frère ; il me télégraphia bientôt : « Enthousiasmant. Épatant. Tout le monde recule quand le train entre en gare. »
« Je me souviens que je fus assez content ce soir-là. Mais, ajoute-t-il modestement, on a beaucoup travaillé après nous ! Il en faut davantage pour effrayer les publics actuels.

Cette crainte des spectateurs devant le train allant sur eux, on l’observa plus tard bien des fois. Il est amusant aussi de voir comme des personnes à qui l’on montre les films anciens sourient facilement des costumes qui y sont portés.

Pour moi, dit le vieux maître non sans mélancolie, ces photos ne sont pas sans évoquer quelques souvenirs ! C’est ma famille qui y est représentée. Nous n’allions pas, en ce temps-là, chercher des sujets à Honolulu. La barque sort tout simplement du petit port qui était devant chez mon père, à La Ciotat. L’arroseur travailla dans mon jardin. Et c’est, encore ma propre famille qui descend du train !

A LA GLOIRE DES FRÈRES LUMIÈRE INVENTEURS DU CINEMATOGRAPHE

paru dans Le Matin du 02 juin 1930

Le Matin du 02 juin 1930

Le Matin du 02 juin 1930

M. Herriot inaugure à Lyon la rue du Premier-Film

LYON, 1 juin. Télégr. Matin.
On a inauguré aujourd’hui à Monplaisir la rue du Premier-Film. Au cours de la cérémonie, M. Edouard Herriot maire de Lyon, assisté de M. Gheusi, recteur de l’académie, a salué MM Louis et Auguste Lumière, les inventeurs du cinématographe.

Cette journée a commémoré historiquement une grande découverte lyonnaise de laquelle est né le septième art. Ce n’est que lorsqu’ils eurent mis leur appareil complètement au point que les frères Lumière le produisirent en public. Cette première séance de cinématographe eut lieu à Paris, le 25 décembre 1895, dans le sous-sol d’un grand café du boulevard des Capucines. Les premières vues, obtenues sur des bandes de 17 mètres, reproduisaient des scènes familières l’arrivée d’un train en gare, l’arroseur public arrosé, la sortie des usines Lumière, le goûter de bébé.

A Lyon, la première salle publique de cinéma s’ouvrit un mois après, le 23 janvier 1896, au rez-de-chaussée de l’immeuble portant le numéro 1 de la rue de la République.

L’appareil des frères Lumière fut longtemps le plus employé, sans modification, pour la prise de vues et pour la projection dans les salles de cinéma qui s’ouvrirent, au cours de cette même année 1896, à Bordeaux, à Londres, à Bruxelles et à Berlin.

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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

En savoir plus :

La semaine précédente, Pour Vous publiait cet entretien avec Louis Lumière que nous avions déjà mis en ligne :

Louis Lumière, inventeur du cinéma (Pour Vous 1930)

Et le 3 juillet 1930 Nino Frank publiait cet article sur l’accueil par la presse du Cinématographe des frères Lumière.

Ce que la presse disait des frères Lumière (Pour Vous 1930)

Sur le site de l’Institut Lumière nous trouvons plusieurs pages consacrées aux frères Lumière et à leurs inventions :

La page consacrée à la première séance publique payante (avec quelques vidéos des frères Lumière),

celle consacrée aux frères Lumière et leurs inventions,

celle sur le Hangar du Premier-Film (dernier vestige des usines Lumière, classé Monument Historique).

La rue du Premier Film aujourd’hui.

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