“Le Cinéma n’est pas un art facile” par Pierre Bost (Pour Vous 1928) 1 commentaire


A l’occasion de la sortie du livre de Pierre BostLa Matière d’un grand art (Ed.La Thébaide, 2016), il nous a paru intéressant de publier l’un de ses premiers articles.

En effet, ce complice de Jean Aurenche, avec qui il formera le célèbre duo de scénaristes du cinéma français des années cinquante, a beaucoup écrit dans les années trente sur le cinéma (La Matière d’un grand art regroupe justement quatre-vingt de ses articles).

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Dans « Le Cinéma n’est pas un art facile », écrit à la fin du Muet, Pierre Bost évoque l’importance du cinéma à cette époque qui est « entré dans nos mœurs ».  Il semble regretter son accessibilité, sa familiarité pour le grand public en opposition au théâtre. Ainsi, il écrit : « il n’est pas mauvais qu’un art s’enveloppe de quelque mystère qui puisse effaroucher le profane ».

Mais surtout il met en évidence ces réalisateurs qui cherchent non pas à réaliser des « films », mais des œuvres.

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A cette époque, Pierre Bost a vingt-six ans et vient de publier quelques mois auparavant son roman Faillite.

Bonne lecture.

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Pour Vous daté du 6 décembre 1928

Le Cinéma n’est pas un art facile

paru dans Pour Vous daté du 6 décembre 1928

Aujourd’hui, l’ambition commune ce n’est pas, comme naguère, de monter sur la scène, c’est de paraître sur l’écran. « Faire du cinéma », c’est peut-être le seul mot de la langue qui évoque encore des idées de contes de fées.

C’est vers cet avenir chimérique que se tournent les pensées de toute une jeunesse ambitieuse et incertaine, bien plus encore qu’elles ne se tournaient hier vers le théâtre. C’est que le théâtre évoquait jadis l’image d’un monde brillant et glorieux, mais fermé, d un accès difficile. La rampe éblouissante mettait une barrière entre la scène et la salle, et l’enfant dévoré de désirs, en haut des quatrièmes galeries, ne connaissait pas ce chemin admirable qui conduit aux coulisses, paradis de planches et de poussière. Cette salle même, dorée et rouge, était pour lui comme un sanctuaire où il n’entrait pas sans respect.

Mais aujourd’hui, le cinéma n’est pas si lointain. Le cinéma n’est plus un luxe, comme le théâtre était toujours un peu pour nos aînés ; le cinéma est entré dans nos mœurs. Le jeune ménage qui s’installe dans une maison nouvelle, repère dès le premier jour la crémière, le boucher, le bureau de poste, le prochain métro et le cinéma du quartier. Lequel cinéma n’est plus du tout un sanctuaire ; on dit : « mon cinéma » comme on dit : « mon salon ».

Et puis, il y a la presse. Ce qu’on savait du théâtre et des acteurs, jadis, on l’avait appris en causant avec son voisin de poulailler, ou par quelques petites lignes dans un coin du journal. Il fallait imaginer tout le reste. Le monde du théâtre demeurait clos, inaccessible.

Aujourd’hui, le cinéma ne reste pas secret ; il vient de lui-même à ses fervents ; comme il a besoin d’être admiré, il ne craint pas de faciliter la tâche de ses admirateurs ; il parle de lui-même ; il se raconte. Journaux, magazines, revues, tout y est… L’amateur de cinéma peut vivre sans cesse « dans le cinéma ». Il sait ce qu’on prépare pour lui, et comment on le prépare ; il connaît ses vedettes jusque dans le secret de leur vie ; il connaît leur travail, leur visage, leur tailleur, leurs amours. L’éclatante lumière des sunlights frappe sur cet univers tout entier, l’éclaire tout cru devant nos yeux. Chacun veut tout savoir et on lui dit presque tout. Il y a autre chose encore. Le public n’assiste jamais à la préparation d’une pièce. Les répétitions sont secrètes. Assis dans votre fauteuil, vous ne voyez jamais qu’un spectacle achevé, mis au point, et vous n’en avez pas connu les premiers tâtonnements…

Au contraire, qui de nous n’a assisté, un jour, à une prise de vues en plein air ?… Vous marchez dans une rue ou sur une route qui vous est familière, et, soudain, vous voyez devant vous, au milieu d’un attroupement, les grosses boîtes à trépied maniées par des jeunes gens élégants et affairés qui font de grands gestes des bras en criant : « Ecartez-vous ! Ecartez-vous !… ». C’est le cinéma qui prend possession d’un petit triangle d’univers… Les voici près de vous, ces êtres mystérieux dont vous ne connaissez, sur la toile, que l’image noire et blanche. La foule rassemblée reconnaît les acteurs, murmure leurs noms, les dévore des yeux. Chacun est heureux d’avoir vu cela ; chacun, rentré chez soi, racontera l’incident comme une grande aventure, et ce sera pour chacun comme un lien de plus qui l’attache à l’écran.

Combien de fois, dans une salle, avez-vous entendu une spectatrice, les yeux braqués sur l’écran, dire à son voisin, avec un mélange de joie et d’orgueil : « C’est la place de l’Opéra », ou bien : « Tu reconnais Saint-Jean-de-Luz ?… », ou bien : « Oh! Regarde ! A gauche, c’est Marcel ; il m’a dit qu’il avait vu prendre le film… ».

Le cinéma paye ainsi sa trop grande familiarité avec le public. Il a trop laissé croire qu’il était un art « facile » ; il l’a été trop souvent. Or, il n’est pas mauvais qu’un art s’enveloppe de quelque mystère qui puisse effaroucher le profane. Ne touchez pas trop. Ceux qui aiment le cinéma ont souvent ce regret, de le voir s’offrir trop facilement, renoncer à ce bel orgueil des créateurs qui, seul, les élève au-dessus de notre humble condition humaine.

C’est pourquoi nous devons tant de reconnaissance à ceux qui cherchent, un peu plus haut que le sol, à réaliser non pas seulement des « films », mais des œuvres. Ils ont le courage de s’éloigner de la foule pour travailler mieux. Ils pourraient craindre parfois de n’être pas compris, mais non ; ils reçoivent presque toujours cette récompense promise aux vrais artistes, que moins ils s’efforcent de « plaire », plus ils sont aimés.

Cinéma, ô Cinéma !… Toi qui es chargé d’une si grande puissance, qui peux donner de si belles œuvres, sache parfois te retirer un peu du monde pour méditer et travailler. Apprends, art dans l’enfance, cette sagesse que te transmettent tes aînés, et cache-toi parfois pour qu’on t’admire mieux…

Pierre Bost
Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

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Pierre Bost via le blog Underscore


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