Entretien d’Abel Gance avec André Lang (La Revue Hebdomadaire 1923)


Nous avons publié précédemment la première partie d’une série d’entretiens qu’André Lang fit paraître dans La Revue Hebdomadaire en 1923 tout d’abord avec André Antoine à lire ici, puis la seconde partie avec Marcel L’Herbier et Louis Delluc que vous pouvez lire .

***

Voici donc la troisième partie (il y en aura quatre en tout) et cette fois-ci André Lang rencontre Abel Gance au moment où celui-ci vient de tourner un nouveau chef d’oeuvre La Roue après J’Accuse.

Ce qui fait tout l’intérêt de ces entretiens d’André Lang c’est qu’il laisse son interlocuteur parler, il semble le mettre en confiance, ainsi Abel Gance se laisse à dire :

« Aujourd’hui, je ne dois pas, pour ma satisfaction personnelle et celle de quelques amis que j’aime bien, sortir des films qui ne seraient sans doute pas compris, et qui risqueraient de compromettre ma situation commerciale et mon crédit, crédit dont j’ai besoin pour travailler aux œuvres qui me hantent, et par lesquelles je cherche à atteindre l’âme universelle. »

Il a suffisamment de recul sur son art pour évoquer le fait qu’en 1923 le cinéma n’est pas encore un art justement. Ainsi il développe sa pensée en disant :

« L’art musical est en puissance dans la gamme. Mais il faut le révéler et le construire. La gamme, c’est l’ossature, c’est la charpente, l’indication. Nous en sommes là. »

Mais nous vous laissons découvrir cet entretien passionnant.

La quatrième et dernière partie de cette série d’entretiens sera mise en ligne prochainement.

 

 

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ENTRETIENS CINÉMATOGRAPHIQUES

III

LA CONFESSION D’ABEL GANCE
LA PUISSANCE AU CINÉMA

paru dans LA REVUE HEBDOMADAIRE le 23 juin 1923

Je ne connaissais Abel Gance que par ses films, et quel que fût mon respect devant un pareil effort, je ne pouvais m’empêcher de le caractériser sommairement en pensée d’un de ces proverbes passe-partout si gentiment illustrés par les images d’Épinal. Je songeais : « Abel Gance, Qui trop embrasse mal étreint ». Après l’avoir vu et écouté, je crois comprendre que je le connaissais mal.

Et quoiqu’en ces sortes d’entretiens je sois toujours sur le qui-vive, avec la défiance pour principe, j’avoue que je me suis laissé bientôt gagner par la sincérité de mon interlocuteur. Lorsqu’il me dit, par exemple : « Je cherche à vous convaincre, mais non parce que vous êtes trait-d’union. Permettez-moi de vous affirmer que je suis très supérieur à ce que j’ai déjà réalisé. », je ne pensais pas à sourire. Les mêmes mots sont beaux ou ridicules, selon la bouche qui les prononce et le regard qui les souligne. La vanité est à la portés de tous les esprits, mais non l’orgueil. L’orgueil est l’armure du guerrier.

Rien ici-bas n’étant laissé au hasard, plus le guerrier a de courage et risque d’être abattu par ses ennemis, et plus son armure est forte. Abel Gance est évidemment de la race des guerriers.

Sans doute tout ce qu’il dit n’est pas de la même qualité, tant s’en faut ! et il ne voit pas très clair en lui :
« Excusez-moi. Je m’exprime difficilement, j’ai dix idées qui me sollicitent à la fois. » C’est un homme qui bouillonne ; mais on croit entrevoir, en l’écoutant, ce qu’il sera capable de réaliser s’il sait sortir de sa gangue — et il devient alors impossible de ne pas lui faire entière confiance.

Quand il sourit, ses yeux clignotent, et il semble avoir vingt-cinq ans. Il en a trente-deux, et paraît son âge lorsqu’il parle, grave, assis devant un petit bureau, au fond d’une longue pièce gothique, comme Benito Mussolini.

Le cinéma est un métier terrible. Il rend un, quand on donne cent. On meurt cent fois pour lui, et qui croirait que vous êtes seulement mort une fois ! Les difficultés sont si grandes, les obstacles si considérables que je ne peux pas obtenir les résultats que j’ambitionne d’atteindre un jour. Et pourtant, ce qu’on ne sait pas, c’est qu’en poursuivant quand même, dans la voie où je me suis engagé, j’accomplis un réel sacrifice. J’ai des scénarios qui satisferaient le petit groupe de mes amis et qui me plaisent bien davantage que ceux que je donne. Mais je n’ai pas le droit de leur accorder la préférence.

Le cinéma est une langue universelle, l’espéranto de l’image, voilà ce qui commande le renoncement. Il faut perpétuellement songer que dans une salle peuvent être réunis le Français, l’Espagnol, l’Allemand, l’Anglo-Saxon, le Chinois, le Patagon, et qu’il faut profiter de leur présence pour que ces frères en curiosité puissent se sentir frères par le cœur. Le cinéma, c’est un évangile.

C’est pourquoi maintenant, pour commencer, deux ou trois thèmes très simples, sur lesquels on brode, deux ou trois thèmes éternels suffisent. On ne comprend pas cela. Mais je ne puis m’empêcher de continuer. On préfère me traiter de primaire. Et certes, les objections qu’on m’apporte, en elles-mêmes, sont parfaitement justes, bien qu’on ait tort de confondre trop souvent les mots primitif et primaire, mais je ne puis m’arrêter aux détails. Je ne vise qu’à l’impression d’ensemble : oui, en animant des thèmes élémentaires, je veux toucher la sensibilité profonde des êtres, parler un langage qu’ils puissent tous comprendre. Je le fais volontairement, assuré que c’est le seul chemin vrai.

— Alors pourquoi, comme dans la Roue, permettre qu’interviennent les poètes, les penseurs et les écrivains et placer ces longues citations qui contrastent si violemment avec l’évidente simplicité du scénario ?

Parce que lorsque naît le symbole, il est besoin de le souligner dans l’esprit populaire, d’ouvrir au public d’autres fenêtres sur des horizons nouveaux, de lui montrer le chemin qui reste à parcourir, de l’idée suggérée par l’image à l’idée exprimée par le style.

— Pourquoi ne pas chercher à obtenir ce résultat, vous-même et seul ? Pourquoi ne pas substituer à ces textes un peu officiels et difficiles, qui ne semblent pas toujours s’imposer, des textes qui soient vôtres et dans le ton de vos images, simple et nu ?

Parce qu’on ne voudrait pas comprendre, et qu’on rirait. Avec les citations de ces maîtres, je suis tranquille. On peut en nier l’opportunité ou l’utilité ; on ne peut condamner la citation elle-même, qui demeure inattaquable.

— Cependant ce scrupule discutable crée, je vous assure, dans votre œuvre, une rupture d’équilibre qui peut conduire jusqu’au malaise. On passe d’un monde dans un autre, et c’est fâcheux.

Oui, peut-être est-ce une faiblesse que de vouloir ainsi étayer mes idées de telles autorités, et je me rends compte que, par exemple dans la Roue, les citations n’ont rien ajouté au film. Je persiste pourtant à les préférer à mon texte, convaincu qu’on me reprocherait alors bien davantage mes intentions symboliques.

— C’est avouer que vous faites de la critique un cas considérable.

D’abord elle m’est un thermomètre. Elle me renseigne. Et puis, j’ai besoin d’elle. J’ai besoin qu’elle me comprenne et qu’elle me suive. Je ne suis pas entièrement libre. Avant d’aborder le film, il faut que je m’engage dans la roue financière ; après avoir tourné le film, il faut passer dans la roue commerciale. Je suis placé entre ces deux roues. Comprenez-vous qu’il ne m’est pas permis de commettre de trop lourdes erreurs ? Je ne puis donner mon effort et remplir en quelque sorte ma mission que si les deux roues tournent. Il faut assurer la réussite matérielle. Je ne suis pas seul. Je n’imagine pas l’artiste misérable ou méconnu dans son grenier. Il est réduit à l’impuissance. Gœthe écrivait à Schiller : « Avant toute chose, il faut s’occuper d’avoir 6 ooo livres de rente, et quand on les a, il n’y faut plus penser ; » et Stendhal reproduisant cette phrase, ajoutait : « Sans doute, ai-je eu tort de n’y pas penser plus tôt. »

— Vous vous imposez cette ligne de conduite parce que vous vous attaquez à des tâches énormes, que vous vous efforcez de mener à bien « dans un esprit de pur sacrifice et quelquefois à contre-cœur », vous l’avez dit au début de cet entretien. Mais si vous obéissiez à l’autre voix, si vous ne vous préoccupiez que de vous réaliser complètement, sans ce noble et orgueilleux souci de savoir jusqu’où votre geste peut conduire, ne croyez-vous pas que beaucoup d’obstacles tomberaient, et qui sait ? que les résultats obtenus de la sorte seraient presque aussi importants et précieux.

Non, je ne le crois pas. Et, en tout cas, je ne peux pas le faire. Plus tard, peut-être. Aujourd’hui, je ne dois pas, pour ma satisfaction personnelle et celle de quelques amis que j’aime bien, sortir des films qui ne seraient sans doute pas compris, et qui risqueraient de compromettre ma situation commerciale et mon crédit, crédit dont j’ai besoin pour travailler aux œuvres qui me hantent, et par lesquelles je cherche à atteindre l’âme universelle.

— Vous êtes franc.

Voyez-vous, je voudrais pouvoir supprimer le romanesque, les enfantillages et les répétitions, dans un film comme la Roue ! Naturellement, ce qui m’intéresse, ce qui me passionne, ce sont les minutes de paroxysme technique, si j’ose dire, les périodes d’intensité du scénario, Mais je ne travaille pas que pour moi. Il faut que ceux qui me regardent et me suivent, les plus simples comme les plus exigeants, puissent, à ces moments, ne pas se laisser surprendre et bien recevoir en émotion ce que j’ai apporté en technique. Or, ils ne le peuvent que si je les y amène progressivement, que si je les y prépare doucement, et par les procédés ordinaires. C’est une obligation. Je ne saurais m’y dérober. Vous avez voulu, tout à l’heure parler de ma puissance. Eh bien, oui, je crois que c’est exact, c’est ce qui doit me caractériser. Je crois, sentir qu’une énergie… mais je freine… parce je ne dois pas me laisser aller… il faut de la discipline. Je m’exprime très mal… comprenez-vous ?… Je voudrais dire mille choses, en même temps… excusez-moi… »

Il faut ajouter mon impression personnelle à ces mots, à ces silences, qui pourraient être les plus ridicules et les plus prétentieux du monde, Car c’est là que je rencontrai vraiment Abel Gance. Ne vous fiez pas à la lecture de ces propos fidèlement rapportés. Il y a certaine crispation des mains, certaine tension des mâchoires, certain éclat des yeux, et certaine tranquillité dans la voix, qui trompent difficilement l’interlocuteur. Il est plein d’orgueil et de foi, et pourtant déjà si à l’aise entre ses deux roues. Il ira loin.

— Quand avez-vous débuté au cinéma ?

En 1915. J’étais très pauvre. J’ai apporté un premier scénario à Nalpas qui l’accepta et le fit tourner. Cela réussit assez bien. Nalpas m’en demanda un second et m’offrit de le tourner moi-même avec un budget de 4 000 francs. Je fis ensuite plusieurs films commerciaux, et parvins enfin, après maintes difficultés, à obtenir 40 000 francs pour un grand film qui fut Mater Dolorosa où je pus commencer à montrer ce que je souhaitais réaliser. Ensuite vinrent Zone de mort, la Dixième Symphonie, J’accuse, et la Roue. Un mot tandis que j’y pense. On est souvent fort injuste vis-à-vis des milieux commerciaux cinématographiques ; et je voudrais dire qu’un homme comme Charles Pathé a fait preuve, jusqu’au moment où il s’est retiré de la bataille (1), de la plus remarquable intuition et du plus grand bon vouloir. J’ai pour ma part toujours trouvé auprès de lui le plus encourageant accueil.

— Et que préparez-vous actuellement ?

Je tournerai Peter Pan l’hiver prochain, qui ne sera presque interprété que par des enfants. Comme les compositeurs adoptent les chansons populaires sans y rien changer, car ils n’inventeraient rien de plus frais et de plus naïf, je crois qu’il faut adopter à l’écran les contes de fées, si simples et si frais dans leur merveilleux dessin et qui parlent à l’imagination de tous les peuples. Et puis, c’est une chose nouvelle à essayer au cinéma.

— Avez-vous des projets plus lointains ?

Beaucoup; je les laisse dormir. Il est encore trop tôt. J’ai le scénario de la Fin du monde, que j’aime beaucoup, mais le public n’est pas encore prêt.

(1) M. Charles Pathé ne s’occupe plus aujourd’hui que de la fabrication et de la vente des pellicules et des appareils cinématographiques. Pathé Consortium lui a succédé dans la production et la vente des films.
* *

— Le cinéma est-il un art ?

Je ferais mieux de ne pas répondre à cette question. Je ne crois pas que le cinéma soit un art. Il porte en soi ce qui lui permettra peut-être de le devenir, mais à l’heure actuelle, non, il est impossible encore de parler d’art. Je crois pouvoir me permettre de dire qu’il y a certains premiers plans de Séverin Mars dans la Roue qui sont au point et ne bougeront pas, et qu’on ne réussirait pas mieux dans cinquante ans, mais ce n’est qu’un coin de mosaïque. Il y aurait art si ce fragment était un morceau inscrit dans la grande mosaïque d’où il ne pût être détaché sans compromettre la parfaite harmonie de l’ensemble. Or, il n’en est pas ainsi. La grande mosaïque n’existe pas. Le fragment n’est qu’un fragment. Il est impossible qu’il en soit autrement aujourd’hui. Imaginez que rien n’existe de ce que nous devons à l’art musical, ni symphonies, ni opéras, ni orchestrations, et qu’un homme découvre un jour la gamme chromatique. On s’exclamerait, on s’emballerait. « Quelle merveille ! Un art est né. » Pas encore !

L’art musical est en puissance dans la gamme. Mais il faut le révéler et le construire. La gamme, c’est l’ossature, c’est la charpente, l’indication. Nous en sommes là.

Nous en sommes à l’alphabet. Il faut dix, quinze, vingt ans peut-être pour que l’éducation visuelle du public et la nôtre soient achevées. Il faut que l’œil s’habitue aux rythmes cinématographiques, comme l’oreille s’est habituée aux rythmes musicaux. Tout rythme nouveau exige une éducation nouvelle, et je me souviens d’avoir stupidement sifflé Debussy en compagnie de gens qui l’admirent et l’aiment autant que moi aujourd’hui. Quand l’éducation du spectateur sera chose faite, on pourra passer à un autre genre d’exercices. A l’heure actuelle, il convient d’attendre. Il faut une graduation.

J’ai pu dans la Roue, au moment où la locomotive est lancée par Sisif sur le butoir, j’ai pu faire alterner les images comme des vers. Huit, — quatre, huit — quatre, huit — quatre, quatre — deux, quatre — deux. On arrive ainsi à obtenir un rythme véritable. Plus tard, on parviendra à composer des poèmes cinématographiques parfaits, avec leurs rimes qui tomberont, à intervalles réguliers, comme des gouttes, par des rappels d’images. Mais maintenant on tâtonne ; on ne parvient pas du premier coup au résultat ! Antoine croit qu’il faut avant tout faire vrai, saisir la vie au vol. Quelle erreur ! C’est peut-être une excellente idée au théâtre ; c’en est une mauvaise au cinéma.

Combien de fois ai-je vu des metteurs en scène stupéfaits et déçus de ce que rendait une présentation de choses vraies, de choses vues ! J’ai moi-même pris des douleurs vraies, des premiers plans de femmes qui venaient de perdre leur enfant, et qui faisaient sourire, et rire à l’écran. Eh oui, c’est ainsi. Je ne veux pas dire qu’il faille proscrire la vérité. Dans J’accuse, j’ai pris des soldats, et dans la Roue des cheminots (il ne s’agissait d’ailleurs que de figurants, de personnages épisodiques)… mais la vie et la vérité ne suffisent pas au cinéma. C’est ce qui explique l’ennui que dégagent la plupart des comédies américaines. Il faut transposer.

Antoine n’a pas compris et n’admet pas cela. D’ailleurs, Antoine il ne comprend pas le cinéma, ce qu’il y a tenté le prouve. Il me reproche mes scénarios. Mais où sont les siens ? Il les a empruntés à Dumas, à Hugo, à Daudet, à Zola, sans pouvoir les animer, ni en rendre à l’écran la substance et la vie. Pourquoi ? Ah ! voyez-vous, c’est que l’écran est d’une extraordinaire voracité. Il absorbe tout ce qu’on lui apporte, les bonnes histoires et les mauvaises, et n’en restitue rien, ou presque. Il digère avec une rapidité inouïe. Il faut l’alimenter perpétuellement. L’immense succès des romans-cinéma, à leur début, vient de là. On arrivait, par la quantité, à rassasier le monstre: C’est cette avidité qui a poussé Griffith, comprenant qu’une action était insuffisante à nourrir l’écran, aux quatre actions chevauchantes d’Intolérance. Les situations les plus pathétiques du théâtre contemporain, de Bataille ou de Bernstein, qui tiennent trois heures le spectateur en haleine, sont épuisées en cinq minutes au cinéma. Voilà ce qui a trompé Antoine, et trompe beaucoup d’autres avec lui. »

Une interview à l’américaine pour finir.

— Que pensez-vous de Marcel L’Herbier ?

Je le tiens pour le plus intelligent des metteurs en scène français ; on peut justement fonder sur lui de grands espoirs. Mais ses films récents justifient pleinement ce que je vous disais du cinéma considéré comme un art. L’art cinématographique est encore à naître ; les films de L’Herbier sont des évocations d’art, mais d’art littéraire ou pictural, et ne nous plaisent tant que parce qu’ils nous rappellent des émotions déjà perçues. C’est Oscar Wilde, c’est Goya, c’est Velasquez, c’est Murillo… c’est un perpétuel et merveilleux trompe-l’œil. Entendez bien que je ne mets là aucune malice. Je vous répète que je place très haut L’Herbier ; je veux seulement dire que c’est un artiste véritable, qui, dans le domaine de l’art cinématographique, n’a pas encore fait œuvre de créateur.

Louis Delluc ?

Il est à l’écran comme il est à la ville : insaisissable, fuyant. Il est très doué. Peut-être gâté par un peu trop de présomption.

—Et les Suédois ?

Je les aime et je les admire beaucoup. Ils baissent un peu parce qu’ils cherchent à plaire, et je crains qu’ils ne tentent d’exploiter leur grand et légitime succès d’estime. Et puis, ils ne parlent pas la langue universelle. Ils ne sont pas compris des Anglo-Saxons. Mais il y a parmi eux un homme remarquable : Sjöström.

— Quels sont vos réalisateurs préférés ?

Sjöström, Stiller, Genina en Italie, Wiene en Allmagne, Griffith en Amérique et Inde, mais qui, je crois ne travaille plus. En France, Marcel L’Herbier, et parmi les nouveaux venus, Jean Epstein, particulièrement doué.

— Je voudrais que vous me parliez de Charlot.

C’est un homme de génie. Sa sensibilité est extrême. Il va souvent voir ses films, incognito, dans les salles. Et lorsqu’on ne rit pas aux instants où il voulait qu’on rît, il rentre navré, dégoûté : « Ce que je fais est idiot. Je ne vaux plus rien ! » Un vrai tempérament de créateur. Il évolue. Son rire va de plus en plus côtoyer les larmes. On ne comprendra pas, et on ne lui pardonnera pas cette évolution.

– Et Griffith ?

Notre maître à tous. Nous utilisons aujourd’hui ses découvertes. Il a tout trouvé, et il nous a permis de nous perfectionner techniquement. Il nous a devancés ; il ne faut pas l’oublier.

Abel Gance voulut que l’interview fût close sur cette hommage.

P.-S. — L’émotion soulevée par les déclarations d’Antoine n’était pas encore apaisée cette semaine ; dans Comœdia (15 juin) M. de Baroncelli publia un article polémique assez vif. M. Antoine consacra le lendemain son billet du Journal à cette nouvelle histoire de cinéma :

« On a toujours l’air d’un fou ou d’un malfaiteur, écrit-il, lorsqu’on s’avise de dire carrément des choses sensées. Aussi, on discute, on épluche le texte de mes confidences à André Lang et je ne songe pourtant pas à en atténuer la franchise et même la verdeur; j’ai dit les mêmes choses il y a huit ans, en prédisant où ces routines nous mèneraient ; les faits m’ont donné raison et on ne peut pas sortir de là. Que l’on me tienne, comme jadis, pour le monsieur qui gâche le métier, c’est possible mais on ne changera rien à ce qui est, c’est-à-dire que on continue à nous infliger des niaiseries.

« S’il faut m’expliquer à fond et plus nettement encore, c’est une campagne que je reprendrai volontiers, dès que j’en aurai le loisir; pour l’instant, l’émotion que soulèvent ces aperçus de simple bon sens montre à quel point le mal est profond et que les gens de bonne volonté n’ont pas fini de batailler. »

André Lang

Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Photographie d’Abel Gance paru dans Cinémagazine du 14 septembre 1923.

Cinémagazine du 14 septembre 1923

Cinémagazine du 14 septembre 1923

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

Pour en savoir plus :

Lire l’Étude sur une longue copie teintée de La Roue par Roger Icart sur le site de la revue 1895.

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Un extrait de La Roue (1923)

 

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