Raimu ou le bougon magnifique (Cinémagazine 1932)


C’est dans le numéro 12 daté de décembre 1932 de la revue Cinémagazine que parait cet article savoureux sur Raimu.

Raimu (Cinémagazine 1932)

Raimu (Cinémagazine 1932)

Raimu ou le bougon magnifique

J’aime beaucoup Raimu ; c’est pourquoi je ne suis pas allé le voir… Je craignais, pour mon enthousiasme, un accueil décevant. Aussi ai-je préféré retourner à Fanny, aux Gaîtés de l’escadron, à La petite Chocolatière
Ce n’est pas que je soupçonne son excellent cœur; mais il s’ingénie à le dissimuler à tous, dans la vie courante… Alors… Alors, il vaut mieux le découvrir dans ses films, et tant pis si on se trompe ! Il nous aura toujours fait, tour à tour, rire et pleurer !

Raimu, — qui a conquis si vite la grande faveur du public français, — Raimu a commencé à triompher à l’écran grâce au parlant. Comme les langues d’Ésope, — à la fois le meilleur et le pire, —ce bouleversement des valeurs, néfaste et navrant pour certains, fut, pour d’autres, le coup de dé du hasard.
Ce qui arriva pour Raimu.

Raimu (Cinémagazine 1932)

Raimu à la ville (Cinémagazine 1932)

Chacun sait sans doute que Raimu, de son véritable nom Muraire, est né à Toulon, il y a quelques années…
La chronique ne relate malheureusement pas les « traits d’enfance » du futur César (ne pas confondre avec celui qui vainquit Marius ! entendons-nous, Marius le Romain, pas Marius-Fresnay !), mais nous pouvons penser que le « pitchoun » fut, pour ses parents, tout comme dans chaque famille chaque nouveau-né, la « merveille du monde », surtout dans notre Midi où l’enfant est roi !

Le jeune Muraire mena donc la vie indolente et facile de tous les garnements de Provence : flâneries sur le port, parties de pêches, excursions avec toute une bande de copains, et le spectacle continuel qu’est cette vie provençale, exposée à tous, où disputes, querelles, réjouissances se font, pour ainsi dire, dans la rue…

Mais le jeune garçon ne rêvait que d’une chose : devenir un grand chanteur ! Un beau jour, il n’y tint plus… et zou ! le voilà parti pour la capitale…
Ce n’est point à Paris, cependant, qu’il débuta. Lorsqu’il y arriva, il avait déjà à son actif une tournée théâtrale…
Il faut ajouter qu’il avait débuté dans la troupe des « Lauri-Lauri » (troupe anglaise) comme… souffleur ! Et il avait tenu cet emploi non seulement dans son Midi natal, mais encore en Suisse, en Italie et, enfin, en Belgique.

Raimu dans Fanny (Cinémagazine 1932)

Raimu dans Fanny (Cinémagazine 1932)

Mais ce rôle effacé et modeste ne convenait point à Raimu, qui, avec l’impatience propre à la jeunesse, rêvait de rôles où son talent éclaterait à tous les yeux ; il voulait monter sur les planches… Il débuta donc dans un « tour de chant », revêtu du classique uniforme du « tourlourou » ! Mais ce ne fut pas précisément un succès… Non seulement il manquait totalement d’expérience, mais encore il était franchement mauvais ; les engagements succédaient aux engagements… Non point qu’on se disputât le pauvre « diseur », mais parce que les dits engagements étaient toujours d’extrêmement courte durée…

Raimu songea alors à déserter cette vie, pour laquelle il se voyait totalement dépourvu de chance de succès ; il vendit du sel… Je ne saurais dire combien de temps, mais le sort n’avait pas dit son dernier mot… Il accepta un jour de participer à une représentation à « bénéfice » et, de ce jour, sa carrière s’engagea définitivement.

Raimu dans Fanny (Cinémagazine 1932)

Raimu dans Fanny (Cinémagazine 1932)

Ce fut son compatriote et ami Mayol qui le fit débuter dans la comédie, au Concert-Mayol, dans une pièce d’Yves Mirande : C’est solide… ; puis il fit de nouveau des tours de chant, parut au music-hall, fit une brève apparition au studio, et continua à jouer la comédie, où il se tailla des succès de plus en plus retentissants !

Mais son véritable début à l’écran, c’est le parlant qui lui en fournit l’occasion, lorsqu’il joue le rôle principal du film tiré de la pièce de Sacha Guitry, Le Blanc et le Noir, où il s’essaie déjà à ce rôle de père qu’il saura rendre, bientôt après, inoubliable. Mam’zelle Nitouche suit, et Raimu campe un monsieur Floridor savoureux auprès de la pauvre charmante Janie Marèse, si tragiquement disparue. Mais le rôle qui devait apporter à Raimu la gloire et la popularité mondiale, c’est ce rôle de César dans lequel il triomphait chaque soir, au théâtre.

Lorsqu’on décida de tourner Marius, on pensa tout naturellement à lui…

Raimu dans Fanny (Cinémagazine 1932)

Raimu dans Fanny (Cinémagazine 1932)

On sait le succès énorme, imprévisible, qui accueillit cette œuvre à sa sortie à l’écran. Mais peut-on oublier, lorsqu’on l’a vu, Raimu dans César ? Peut-on oublier sa démarche nonchalante, sa façon de trainer les pieds, de mettre sa casquette, et cette voix, sa voix, moelleuse, si souple et si belle, qui sait si bien vous émouvoir ; peut-on oublier ce visage expressif, ces yeux qui vous observent et vous suivent, prompts à saisir chaque nuance de. votre pensée ou de votre humeur ; ces yeux-là disent : « Tu me prends peut-être pour une gourde ! tu as bien tort, mais marche, va ! tu t’en apercevras bien toi-même, un jour ou l’autre ! ».

De son rôle de César, dans Marius comme dans Fanny, on pourrait longtemps discuter ; car, à côté du personnage tel que l’a voulu Pagnol, il y a l’individu que Raimu a incarné, qu’on ne peut se représenter que sous son apparence, avec son accent, ses gestes, tantôt lents et nonchalants, tantôt nerveux, rapides, emportés.
L’assassinat (manqué !) de Panisse, la scène avec « le petit », la demande en mariage, sa scène finale avec Fanny et celle avec Fanny et Panisse, autant de choses que l’on ne peut oublier, une fois entendues et vues. Dans ce personnage de « mastroquet », un peu forban, un peu fripouille, un peu tout, mais portant à son fils un amour passionné et ayant, des « choses sérieuses » de l’existence, une conception qui n’entend plus la plaisanterie, il a su, tout à son aise, camper un personnage merveilleux de simple humanité.

Raimu dans Marius (Cinémagazine 1932)

Raimu dans Marius (Cinémagazine 1932)

Fanny terminé, on tourne à nouveau, en version parlante, La petite Chocolatière, qui avait connu un assez gros succès jadis, avec Dolly Davis et André Roanne. Dans la version que tourne Raimu, avec Pierre Bertin et Jacqueline Francell, le rôle de l’ami-parasite (c’est-à-dire le sien) prend une importance de premier plan ; il faut avoir vu ses protestations de fierté et d’ombrageuse dignité, lorsqu’il crie si haut, avec ce délicieux accent méridional : « Rosette ! nous partons ! mets le pyjama ! » Il est, à parler franc, le principal attrait du film où il déploie une délicieuse et bouffonne fantaisie.

Raimu dans Les Gaietés de l'escadron(Cinémagazine 1932)

Raimu dans Les Gaietés de l’escadron(Cinémagazine 1932)

Il termine à peine La petite Chocolatière qu’on le pressent pour un grand rôle, dans un grand film, le capitaine Hurluret, dans Les Gaîtés de l’escadron !… Courteline vu par Raimu ! Il fait du capitaine Hurluret, si joliment décrit par Courteline, une merveilleuse création, si on fait abstraction de quelques exagérations, légères au reste… Il est, remarquablement, le vieux galonné, qui est sorti du rang, et qui garde pour les hommes du régiment des trésors d’indulgence et de bonté ; ronchonnant toujours, toujours bougonnant, attablé nombre de fois par jour devant la « verte », qui constitue d’ailleurs son petit déjeuner. Son capitaine Hurluret, qui nous amuse et nous fait rire, parvient à nous émouvoir, dans son entrevue avec le général inspecteur, ancien camarade qui, lui, a fait son chemin, tandis qu’Hurluret est resté et restera, à jamais, enfoui dans cette morne vie de garnison.

Raimu dans Les Gaietés de l'escadron(Cinémagazine 1932)

Raimu dans Les Gaietés de l’escadron(Cinémagazine 1932)

Et cette confession de vieil homme clairvoyant et sans espoir est peut-être ce que Raimu nous a donné de plus émouvant ; sur un ton de confidence murmurée, il évoque à petites touches la tristesse de ces existences de vieux officiers où l’heure de la retraite approchant les plonge dans toutes les affres du désespoir qu’ils connaîtront à quitter leur caserne, leur régiment, leurs hommes ; ainsi Hurluret rend-il compte des causes de son indulgence infinie… Se faire aimer, laisser peut-être un nom : celui d’un bon bougre !

Tels sont les personnages variés auxquels Raimu a jusqu’ici prêté son grand talent et son merveilleux don de vie; il joue si juste, avec tant de simplicité et de naturel, que nous nous demandons, devant la perfection de ses moyens scéniques, par quel tour de force va-t-il se renouveler encore, pour éviter la pure virtuosité ? Mais, en dépit de cette habileté, en dépit de cette réputation  de « ronchonneur » que Raimu a gagnée, nous sommes, cependant, persuadés qu’il ne tardera pas à nous donner de nouvelles, vivantes et humaines créations marquées de son talent varié, souple, proche toujours de la vie.

Luc Mauran

Raimu dans Les Gaietés de l'escadron(Cinémagazine 1932)

Raimu (Cinémagazine 1932)

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

Pour en savoir plus :

Le site du Musée Raimu à Marignane

Biographie de Raimu sur le site de l’Encinémathèque.

[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=3s-OMkOm1GQ[/youtube]

Bande-annonce du documentaire “MONSIEUR RAIMU EST UN GÉNIE” (New Deal Films)

[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=wtXffWVokCI[/youtube]

Interview du réalisateur de ce documentaire, Jean-Louis Bonpoint (France 3).

[youtube width=”420″ height=”315″]https://www.youtube.com/watch?v=w8rXPeB8-DY[/youtube]

Pour le plaisir, la fameuse partie de cartes dans Marius.

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