Entretiens avec Danielle Darrieux (Pour Vous) 2 commentaires


Pour fêter son 98°anniversaire ce jour, voici une sélection d’entretiens avec Danielle Darrieux parus dans la revue Pour Vous dans les années trente.
Ils vous sont présentés de manière chronologique.

Danièle Darrieux, vedette toute neuve

Paru dans Pour Vous n°150 du 1 octobre 1931

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 01.10.1931)

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 01.10.1931)

Une nouvelle étoile s’est levée au firmament des studios : c’est Mlle Danièle Darrieux, la jeune vedette du Bal.

Elle est blonde, gracieuse et fraîche et ne compte pas plus de quinze printemps. Ses grands yeux limpides ouverts sur le monde, elle envisage l’avenir avec la calme confiance de son âme neuve de toute jeune fille.
Des projets ? Bien sûr qu’elle en a ! A son âge, toute espérance n’est jamais chimérique. Elle veut d’abord tourner, tourner beaucoup, pour devenir grande vedette et avoir son nom « en gros » sur les affiches. C’est une opinion qui a sa valeur commerciale. Mais ce serait mal connaître Danièle que de la juger sur ces quelques paroles, car elle ajoute généralement : « Si je parviens au titre de grande star, cela prouvera que j’ai bien servi le cinéma. Et alors je serai si heureuse… J’aime tant mon métier !… »

Elle est comme illuminée lorsqu’elle tourne et montre une telle souplesse de jeu que Berthomieu, son actuel metteur en scène, ne peut s’empêcher de murmurer parfois à son assistant Michel Bernheim : « Elle fera son chemin, cette petite ! »
Mais la « petite », toute à son rôle de Coquecigrole, n’entend rien. Elle chante d’une voix claire et juste les malheurs de pauvre Mimi. C’est véritablement charmant. Son partenaire est « un homme » de 17 ans. Il a figuré dans Son Altesse l’Amour, et le voilà promu au grade de jeune… très jeune premier. Mais chut ! Ils se marient à la fin du film et ils ont beaucoup d’enfants !…

« Comment êtes-vous venue au cinéma ? ai-je demandé à Danièle Darrieux.
Eh bien, voilà ! Comme cela m’intéressait beaucoup, je lisais dans les publications tout ce qui concernait le cinéma. Un jour, j’ai appris que M. Thiele, pour Le Bal, cherchait une ingénue. Je me suis risquée… et puis on m’a engagée.
— Et vous n’aviez jamais tourné auparavant ?
Oh non ! J’étais dans ma famille. Je vous assure que j’ai été bien impressionnée lorsque j’ai débuté. D’autant plus que M. Thiele s’exprime assez difficilement en français… Et dame ! j’étais un peu affolée ! »

Aujourd’hui, Danièle Darrieux s’est adaptée à la vie de « star ».
Souhaitons-lui bonne chance.

A. B.

Danielle Darrieux dans Le Bal (Pour Vous 01.10.1931)

Danielle Darrieux dans Le Bal (Pour Vous 01.10.1931)

En déjeunant avec DANIELE DARRIEUX

Paru dans Pour Vous n° 311 1 Novembre 1934

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 01.11.1934)

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 01.11.1934)

NON contente de compter dix-sept printemps et d’être fort jolie, Danièle Darrieux se mêle encore — et déjà — d’avoir du talent. Son passé cinématographique, bien que très léger, autorise dès maintenant les plus beaux espoirs.

Un hasard bienfaisant m’a fait déjeuner l’autre jour, dans un restaurant, à une table voisine de celle de Danièle Darrieux. Nous engageâmes la conversation par le truchement, si j’ose dire, d’un ravier à beurre.
Après avoir épuisé différents sujets de conversation, il fallut bien en venir à parler de cinéma. « Vous aimez tourner? lui demandai-je finement.
Tourner? j’adore ça. C’est toute ma vie.
— Toute votre vie, j’espère bien que non !
Enfin, c’est une façon de parler, vous me comprenez. Et puis, n’est-ce pas, puisque j’en, fais, du cinéma, autant aimer ça.
— Vous avez raison.
D’ailleurs, c’est vrai que ça m’intéresse. Au début, j’étais inconsciente. On me plaçait devant des lampes, devant un micro, je croyais rêver. Ensuite, quand je suis devenue consciente, j’ai traversé une période de trac. Maintenant, tout va beaucoup mieux. J’ai l’impression que je fais quelque chose.
— Contente de vos rôles?
Ça dépend. Je ne voudrais pas être emprisonnée trop longtemps dans des rôles de petite jeune fille bien gentille qui épouse un bon jeune homme à la fin du film…
— Vous êtes contre le mariage?
Il en faut un peu, mais pas trop. Je veux bien me marier de temps en temps, mais pas tout le temps. Et puis les ingénues, c’est assommant. Est-ce que vous trouvez que j’ai l’air d’une ingénue ?
— Non. Je ne vous donnerais le bon Dieu qu’après confession, et encore ce n’est pas sûr.
A la bonne heure, cela me fait plaisir ! Remarquez que je ne me plains pas de ce que j’ai fait jusqu’ici, cela m’a certainement été très utile, et tout le monde a été si gentil avec moi. Albert, par exemple, voilà un ami ! Qui, Albert ? Mais Préjean, voyons. J’ai déjà tourné trois films avec lui, c’est un partenaire délicieux et que j’estime beaucoup. Je tourne d’ailleurs mon prochain film encore avec lui, à Munich : Le Contrôleur des wagons-lits.
— Quand partez-vous?
Dans huit jours… Quelqu’un avec qui j’aimerais bien tourner aussi, c’est Georges Carpentier. On pourrait faire un beau film d’aventures, avec beaucoup de mouvement, beaucoup de sport : Henry Decoin m’a dit qu’il était en train d’étudier un scénario pour lui et moi… Ce café est trop chaud, je ne vais pas avoir le temps de le boire.
— Etes-vous si pressée ?
— Dame, j’apprends l’allemand, l’anglais, je prends des leçons de danse et de chant. Les jeunes filles d’aujourd’hui sont très occupées.

Raymond Thoumazeau

Danielle Darrieux (Pour Vous 01.11.1934)

Danielle Darrieux (Pour Vous 01.11.1934)

Un jour au studio avec Danièle DARRIEUX  par Serge VEBER

Paru dans Pour Vous n°341 du 30 mai 1935

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 30.05.1935)

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 30.05.1935)

On sait que M. Serge Veber a collaboré à de très nombreux films et que l’atmosphère des studios lui est familière. Nous avons déjà publié son article sur Kiepura dans l’intimité.  Croquis aigu et sans indulgence. Voici d’autres notes particulièrement vives sur Danièle Darrieux.

ON lui avait dit la veille : « L’auto viendra vous prendre à sept heures dix. » A sept heures trente, le klaxon, qui hurlait depuis vingt minutes, s’arrêta de fonctionner, vidé. Enfin, elle apparut, boutonnant d’une main sa chemisette, un bras essayant d’enfiler son manteau, un extraordinaire chapeau planté de travers sur une tignasse ébouriffée, les yeux tout gonflés de sommeil, la bouche encore endormie, pas lavée, pas peignée, pas poudrée. Ravissante. Elle eut juste le temps de crier « zut » au régisseur qui risquait une remarque, s’effondra dans l’auto et s’endormit sur l’épaule de la duègne, sa voisine.
Un cahot la réveilla, aux approches du studio.

« J’en ai marre ! » grogna-t-elle.
Puis, voyant que je la fixais, elle dit :
« Ne me regarde pas. Je suis moche.
— A quelle heure t’es-tu couchée?
Sais pas… vers cinq heures.
— C’est malin.
Oh ! F…-tnoi la paix !… T’es pas chargé de mon éducation, s’pas ?… J’ai froid. »
Elle tira à elle toute la couverture, accepta les pardessus que ses camarades lui tendaient. Puis elle ouvrit toutes les fenêtres et cria :
« Oh ! un peu d’air !… On étouffe ici !… »

Les couloirs du studio résonnèrent d’un éclat de rire suraigu. Puis, l’on entendit crier :
« Mariiiie ! ! !… Quelle v…, celle-là !… Elle est jamais là !… »
Et tout le studio sut que Danièle était arrivée.
Trois subalternes se précipitèrent sur elle et la poussèrent, malgré ses griffes, sur le fauteuil du maquilleur. Calmée subitement, elle livra son visage au fond de teint, les yeux clos, comme si elle dormait à nouveau. Mais ce n’était qu’une fausse joie. Quand l’homme aux pinceaux voulut lui faire les yeux, elle lui arracha ses instruments, l’injuria, l’embrassa et commença elle-même à se faire sa beauté pour l’écran.
« Oh ! m… ! murmura-t-elle. J’en ai une g… !
— Ce n’est pas étonnant !…
Ta bouche ! »

Puis, changeant de ton soudain, elle déclare :
« C’que c’est crétin tout de même !… Je mène une vie idiote… Jamais plus j’sortirai…
— T’es-tu bien amusée au moins?
Rasée ! Oui… J’étais avec des types dont j’sais pas leurs noms… Un grand avec des cheveux gris, qui me faisait du genou… Et puis un gros avec de bons yeux, un Yougoslovaque, je crois!… J’comprenais pas un mot de c’qu’il me disait… Probable qu’il me parlait d’amour… Ah !… c’que les hommes sont bêtes !… Oh ! Marcel, te voilà, mon chéri !… »

Un assistant est entré. Il regarde Danièle avec des yeux de Roméo transi. Pourquoi n’est-elle pas venue hier soir au rendez-vous qu’il lui avait fixé ?…
Elle imagine une étonnante explication, où il est question d’une mère très sévère, d’un petit frère difficile et d’une grande soeur à principes. Enfin, comme elle ne s’en tire pas, elle clôt la scène par un baiser. Le maquillage est à refaire. Résigné, le maquilleur lève au ciel des yeux pleins de patience et essaye d’immobiliser cette tète folle, d’où jaillissent des imprécations.

Daniele Darrieux (Pour Vous 30.05.1935)

Daniele Darrieux (Pour Vous 30.05.1935)

Elle arrive sur le studio, lance des « bonjours » aguichants à tous les machinistes, électriciens et accessoiristes, flirte trois minutes avec l’opérateur, quatre minutes avec l’auteur, trente-cinq secondes avec l’ingénieur du son, un quart d’heure avec le metteur en scène, pour disparaître enfin dans un autre studio, où il faut aller la chercher.
On la trouve dans un coin, en extase devant un vieil acteur.
Je l’entraîne. Elle murmure, en se faisant tirer par le bras :
« Tu as vu ses rides ? Il est marqué, c’est magnifique… Jamais un homme comme ça ne fera attention à moi… Tous les hommes sont pareils… Ils me prennent tous pour une môme… »
Et c’est ça dont elle souffre : qu’on la prenne pour une môme. Elle aimerait mieux qu’on la prenne pour une grue. Elle souffre de n’avoir que dix-huit ans. Elle voudrait qu’on fasse des folies pour elle, au besoin même qu’on se tue.

La voici tout de même dans le champ. Il faut refaire son maquillage. Elle m’appelle :
« Quelle scène que c’est ?… Donne-moi le texte… Oh ! tout ça ?… Qu’est-ce que j’dis ?… »
Elle ne sait pas où elle en est, elle ne sait pas ce qu’on va tourner. Elle écoute vaguement le metteur en scène. Elle répète et tout de suite ça y est.
Elle tourne, et c’est juste. Un miracle qui se répète à chaque prise de vues.
Elle se laisse aller à son instinct. Parfois, lorsqu’on lui donne une indication, elle essaye de s’y conformer. Elle s’applique comme une écolière qui ne comprend pas ce que le professeur lui dit. Son front se barre, fermé. Elle arrive au passage difficile et bute. Elle lance alors à nouveau son juron favori et recommence. En vain.
« Je n’peux pas !… dit-elle.
— Essaye encore…
C’est pas la peine. Je n’pourrai jamais… »

Pourtant, elle essaye une autre fois. Rien à faire. Elle s’exaspère, souffle, renâcle, se tire les cheveux. Il faut y renoncer. Et comme elle est tout près de la crise de nerfs, on lui dit de faire ce qu’elle veut. Elle le fait. Et c’est très bien.

A la cantine. Elle enguirlande le garçon, picore à droite et à gauche, change de table, jette un cri de guerre, aperçoit une figure qui lui plaît, change encore de table, boit une gorgée de fine, chipe une cigarette, ronge un os, avale un vermouth, commande un café-crème, jure qu’elle ne boira plus jamais d’alcool, sirote un cocktail et, s’enfermant tout à coup dans une immense mélancolie, demande un quart Vichy. Elle tire de son sac une lettre, la lit, la relit et murmure qu’elle n’a jamais aimé qu’un seul homme au monde.
« Oui, mais quand Raoul apprendra ça, qu’est-cequi va se passer ?… Il me tuera… Tu sais, j’ai beaucoup de tendresse pour lui. Au fond, j’aurais dû l’épouser… Ça me rappelle Marc… Il avait des yeux de Chinois et il n’osait rien me dire… Quel imbécile ! Je l’adore… »

Elle égrène des souvenirs qui n’ont pas six semaines, mais elle fait comme s’il s’agissait d’un vieux passé lointain. Ainsi, ça la vieillira peut-être.
Car elle n’a que cette obsession : paraître plus âgée qu’elle n’est, être prise au sérieux, jouer les dames, à grand renfort d’argent sur les paupières et de rouge aux ongles.
Nous sommes en projection. Tout est silencieux.
La porte s’ouvre.
« Bande de s… ! crie Danièle qui fait irruption. Vous n’auriez pas pu me prévenir ?… Quelle boîte !… Je plaquerai le film, j’m’en !.. !… Vous m’dégoûtez tous ! »
La lumière se fait. Elle aperçoit le directeur de la firme, bredouille des excuses, s’aplatit contre lui, le fait rire et obtient qu’on repasse les bouts.
Tout le monde est content. Sauf elle. Sans dire un mot, elle s’est pelotonnée dans son fauteuil et mord son mouchoir en se regardant jouer.
Je lui dis :
« C’est très bien. Tu es contente ?
Oh ! c’que j’suis moche, répond-elle.
— Pourquoi dis-tu ça?
Mais regarde, voyons !… C’est lamentable, j’n’ai pas assez de seins. »
Et, insensible aux compliments, laissant libre cours à sa douleur, elle n’est plus qu’une petite fille qui pleure, parce que sa poitrine n’a pas encore assez poussé.

S. V

Danielle Darrieux et Albert Préjean (Pour Vous 30.05.1935)

Danielle Darrieux et Albert Préjean (Pour Vous 30.05.1935)

DANIELE DARRIEUX va débuter au théâtre

Paru dans Pour Vous n° 376 du 30 Janvier 1936

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 30.01.1936)

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 30.01.1936)

EST-CE parce que nous lisons des romans policiers qu’il nous arrive de tirer, avec quelque vanité, de subtiles déductions de la présence d’un objet ?
C’est ainsi qu’ayant été introduit dans le coquet appartement de Danièle Darrieux, j’observai un manteau de fourrure négligemment jeté sur un divan.
« C’est son manteau, pensai-je. Donc elle est là. Elle l’a jeté sur ce divan. Il est donc vraisemblable qu’elle vient de rentrer ; ce qui me prouve qu’elle était sortie ce matin… »
Mais la porte s’ouvrit et Danièle Darrieux entra. Elle avait ce visage à la fois sérieux et espiègle qui nous enchante toujours lorsque nous le voyons apparaître sur l’écran. Je la félicitai et je lui dis : « Vous nous avez donné, dans Le Domino vert, une nouvelle Danièle Darrieux. Jusque-là, et je ne crois pas me tromper, vous n’aviez eu que des rôles comiques. Pour la première fois, vous venez d’interpréter un rôle dramatique.
Oui, me répondit-elle. C’est à mon mari que je dois ce rôle. On lui avait demandé de superviser Le Domino vert, La vedette qui devait tourner le rôle ayant, au dernier moment, fait défaut, Henri Decoin lança mon nom.
« Danièle Darrieux ! mais c’est une comique », lui répondit-on.
« Il insista et aujourd’hui on veut bien admettre que je ne suis pas seulement une comique. Dans Mayerling, que j’ai tourné avec Charles Boyer, on me verra encore dans un rôle dramatique. Je voudrais que vous disiez la joie que j’ai eue de travailler avec Charles Boyer. C’était la première fois que je tournais avec un artiste venu du théâtre, et quel artiste ! Cette rencontre aura certainement une influence sur ma carrière. Elle m’a donné envie de monter sur les planches. Je vous annonce que je vais faire mes débuts au théâtre, en avril prochain vraisemblablement, dans une pièce d’Henri Decoin.
— Dans quel théâtre ? ».
Le spirituel auteur d’Hector demande à sa jeune femme d’être discrète.
« C’est un peu prématuré, pour annoncer tout cela, dit-il. Pour l’instant, Danièle va partir pour Londres où elle tournera La Chaste Suzanne. C’est la première fois qu’elle tournera en Angleterre ; ça l’obligera à travailler son anglais. Après cela deux contrats ont été signés avec le Docteur Rabinovitch, producteur de La Symphonie inachevée. Le premier film sera mis en scène,
soit par Shuntzel, soit par Willy Forst ; le second à Paris et j’en serai le réalisateur. Et puisque Danièle vous a parlé de ses projets de théâtre, vous pouvez encore dire que Pierre Wolf écrit une pièce pour elle. »

Pierre Bret

Danielle Darrieux (Pour Vous 30.01.1936)

Danielle Darrieux (Pour Vous 30.01.1936)

Danielle…

Paru dans Pour Vous n° 435 du 18 Mars 1937

Danielle Darrieux dans Pour Vous 18.03.1937

Danielle Darrieux dans Pour Vous 18.03.1937

EST-CE parce qu’elle va nous quitter qu’elle a l’air si triste ? Non, ce n’est qu’une seconde de mélancolie devant l’objectif. Car, dans la vie, pétulante de gaieté, avide de tout connaître, malicieuse, insouciante, fantasque, aimant tout, le travail, la belote, l’alcool, le cheval, le bateau et même son mari, elle éclate de santé, de rire, de fraîcheur et de sève.

A quatorze ans, gamine inconnue, elle devint vedette. A l’âge où l’on vient de quitter sa poupée, elle quitta ses études pour apprendre le dur travail du studio, et c’est sous la lumière des projecteurs, qui ne l’étiola point, que grandit cette fine fleur du pavé parisien. A seize ans, elle se vieillissait déjà, jurait ses grands dieux qu’elle en avait dix-huit et pleurait de rage quand on ne la traitait pas comme une femme.
Brûlant toutes les étapes, celles de la gloire comme celles de l’amour, sautant d’un flirt et d’un film à l’autre, plus vite, toujours plus vite, plus haut, toujours plus haut, plus chère, toujours plus chère, elle est arrivée, à la force de ses poignets fragiles, au sommet de la bonne fortune et de la célébrité.
Et elle n’a que vingt ans !
Serge VEBER

Danielle Darrieux dans Pour Vous 18.03.1937

Danielle Darrieux dans Pour Vous 18.03.1937

Danielle Darrieux telle que je l’ai connue

Paru dans Pour Vous n° 456 du 12 Août 1937

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 12.08.1937)

Article sur Danielle Darrieux (Pour Vous 12.08.1937)

ELLE a vingt ans ; elle en avait seize. On m’assure qu’elle est beaucoup mieux aujourd’hui. Comme ne manquerait pas de me répondre Serge Veber : « C’est possible, mais elle ne sera jamais aussi bien. » Elle disait, avec toute la turbulence de sa jeunesse riche en dons variés, mille choses contradictoires. C’était à la fois instinctif et intelligent, candide et profond, tumultueux et subtil, un peu fou et fort attachant.
Il paraît — je dis il paraît, car je n’en ai rien lu — que ces propos effervescents et sympathiques ont été mal répétés, rendus ridicules et dangereux et tout. Le monde est-il si méchant ? Quoi qu’il en soit, Danielle, désormais, ne parle plus que par personne interposée. Si intéressante que soit, je n’en doute point, la conversation de son mari, elle ne saurait que très imparfaitement refléter la nature propre de Danielle. Je n’ai jamais eu de goût pour les interviews par truchement. (Les gens calés écrivent trucheman).
Il se peut donc que la Danielle qui va nous quitter pour les Amériques ait découvert le mot de sa propre énigme, que la Danielle de Mauvaise graine se refusait à chercher. Il se peut qu’elle soit aujourd’hui bien différente. Pour moi, péremptoire autant qu’incertaine, elle demeure l’enfant de naguère.

Danielle Darrieux dans Le Bal (Pour Vous 12.08.1937)

Danielle Darrieux dans Le Bal (Pour Vous 12.08.1937)

Le Sac à malices

C’était l’été. La mère de Darrieux avait, comme chaque année, loué une maison à Royan.
« Irez-vous ?
Non. je tourne.
— Regrets ?
Pour maman, oui, car je l’aime beaucoup.
— Pour Royan ?
Oh ! pas le moins du monde. Royan, je ne voudrais faire aucun tort à cette ville sans doute agréable, Royan est plein de petits jeunes gens précieux et prétentieux, et de petites jeunes filles snobs de qui je ne voudrais jouer le rôle pour rien au monde. Comme elles me le rendent sans aucun doute, nous sommes quittes.
— Vous fûtes une jeune fille, une vraie, tout à fait charmante, dans Château de rêve.
Merci… oui… je ne dis pas… mais je crains de voir poindre à l’horizon le rôle de la-demoiselle-très-bien-qui-épousera-le-bel-employé-pauvre – qui-sera-en-vérité-le-fils-du-concurrent-milliardaire-de-son-propre-millionnaire-de-papa !  Non !… la fausse gaieté de tout cela et sa vraie bêtise et son assommante convention… Pas moyen.
— Alors, quoi ?… Les rôles tragiques ?
Jamais ! Pas même tristes… Les rôles complexes… un peu tendres… un peu cafardeux… Tenez, voilà la vérité vraie : j’aime le cafard ! »

Elle ne rêvait ni de la vamp, ni de La Rue sans joie,mais elle voulait tout de même des rôles « un peu grue, un peu fille », ce qu’elle appelait candidement « des rôles vécus ». Après quoi elle fut une admirable Marie Veczera, grande dame au possible et merveilleusement amoureuse, dans Mayerling. Elle est Mademoiselle ma mère, malgré son horreur de la gaieté conventionnelle. Toutes choses qui tendent à prouver qu’on change et qu’on est plus complexe que l’on croit.

Danielle Darrieux dans Mademoiselle ma mère (Pour Vous 12.08.1937)

Danielle Darrieux dans Mademoiselle ma mère (Pour Vous 12.08.1937)

 

Le bruit

Dieu, qu’elle pouvait aimer le bruit ! Comme l’aiment les jeunes chiens aboyeurs qui s’interrompent de déchiqueter un coussin pour mener grand tapage autour d’une plume envolée. Pour un oui, pour un non, pour beaucoup moins que ça, elle poussait des cris pointus, menait un train d’enfer, balançait à terre les objets dont elle attendait le maximum de tintamarre, et puis, au milieu de tout ce vacarme, reprenait soudainement son air d’enfant sage et résignée.
Avec des camarades, elle allait à Colombes le dimanche :
« C’est des trucs auxquels je ne comprends rien, les matches ; ça, je peux l’affirmer ! Rigoureusement rien de rien. Alors toute notre bande applaudit avec frénésie… Nous crions très fort, pour essayer de nous faire croire que nous y comprenons quelque chose… et nous rentrons ivres de mouvement et de bruit…
— Et de vide !
Pourquoi me dites-vous cela ? C’est mon droit d’aimer le bruit ! »
Elle avait son petit air farouche et batailleur de quand elle se sentait touchée :
« Oh ! bien sûr, c’est votre droit… Pour masquer le silence.
Ce qui veut dire ?
— Que dans le silence on s’examine, on s’analyse…
C’est mon droit d’aimer être en bande ! Je ne peux pas supporter d’être seule. »

Jeunesse

Dans ce temps-là, Danielle lisait volontiers du Mauriac, souhaitait tourner La Renarde et Le Blé en herbe, avait deux chiens, dont un brabançon qui s’appelait Mowgli « pour la couleur locale », huit bengalis qui ne l’intéressaient pas, une chatte, nommée Grisette, et une guenon, baptisée Sophie, dont elle était folle parce que ladite guenon était méchante au possible.
Elle était gourmande, mais n’aimait pas manger à cause du temps perdu à table ; paresseuse, mais n’aimait pas dormir à cause de la nuit qui est si belle à regarder ; fumait tant et plus, adorait recevoir des lettres et avait une sainte horreur d’écrire le moindre mot, même de signer un portrait.
Il lui arrivait d’envoyer une photo à un magazine avec une dédicace de ce genre : « Toute mon amitié à ceux qui m’ont fait plaisir en m’écrivant, toutes mes excuses pour le retard mis à leur répondre et tous mes regrets parce que je sens que je ne le ferai jamais ! » C’était sincère.  L’amitié, le plaisir, les regrets et la certitude qu’elle ne ferait pas mieux la fois suivante.

Un jour, elle ouvrit devant moi une valise où, dans la plus belle pagaille, étaient tassés un peignoir, une écharpe de tulle, plusieurs illustrés et deux chapeaux de feutre :
« Vous n’avez pas beaucoup d’ordre, je crois ? »
Elle prit son plus grand air de reine outragée :
« Pas beaucoup d’ordre ? Dites : PAS DU TOUT ! »

Car elle fait partie d’une génération qui, contrairement à ses aînées, ne pense aucunement à épater le bourgeois, mais cherche à s’épater soi-même, d’une génération de gosses qui jouent tour à tour aux gangsters, aux amoureux, aux grands curieux, aux neurasthéniques avec une désarmante sincérité. Le moindre péril les rend à leur âge, à leur droiture, à leur famille. Au milieu de cette fraîcheur qui voulait s’ignorer, qui tentait en vain de se renier, Danielle avait trouvé son climat provisoire.

Enfant grandie trop vite, fleur épanouie sans avoir eu sa maturation progressive, la vedette de 17 ans se croyait une femme. Elle n’était qu’une ingénue qui prenait le mors aux dents. Et c’est pourquoi, comme d’autres refusent de se pencher sur leurs tares, leurs péchés, leurs fautes, Danielle Darrieux s’étourdissait de bruit, fuyait sa propre compagnie afin de n’avoir point loisir de se pencher sur son miroir intérieur, d’éviter la vue de son « moi » trop clair, trop frais, trop enfantin.

Maintenant que sa vie est faite, elle n’aura plus jamais le temps ni le moyen de retrouver cette pure image dont elle détournait ses yeux verts. Elle n’aura jamais fait amitié avec sa prodigieuse adolescence.

Thérèse Delrée

Danielle Darrieux dans Mauvaise Graine (Pour Vous 12.08.1937)

Danielle Darrieux dans Mauvaise Graine (Pour Vous 12.08.1937)

 

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

 

Pour en savoir plus :

Le blog consacré à Danielle Darrieux.

La notice biographique de Danielle Darrieux sur le site de l’Encinémathèque.

Danielle Darrieux: le feu sous la glace“, article d’Olivier Rajchman dans L’Express en 2015.

Souvenirs et chansons de Danielle Darrieux.

 

Un beau diaporama sur la carrière de Danielle Darrieux.

 

 


Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

2 commentaires sur “Entretiens avec Danielle Darrieux (Pour Vous)

  • Claude Guilhem

    Le 1° mai dernier Danièle Darrieux à eu 98 ans !
    En 84 années quelle carrière…Lire ces articles en 2015 c’est presque de la “magie”.
    Puisqu’elle parle avec enthousiasme de Charles Boyer je ne peux m’empêcher de penser à l’un des films les réunissant, et qui est parmi les plus réussis des années 50 : “Madame de..” signé Max Ophuls avec Vittorio de Sica. Du grand Cinéma !

    • Philippe M. Auteur de l’article

      Merci pour votre commentaire. 98 ans, quelle carrière ! en effet. C’est pour cette raison que je trouvais intéressant de se replonger dans ces entretiens du début de sa carrière. bien à vous.