La trilogie de Pagnol version américaine (Pour Vous 1938)


Saviez-vous que la trilogie marseillaise de Pagnol avait été adapté à Hollywood en 1938 par le réalisateur de Frankenstein, James Whale ?

En effet, sous le nom de Port of Seven Seas est sorti en 1938 cette adaptation qui condense en un seul film les trois films Marius, Fanny et César. Et c’est le futur grand réalisateur, Preston Sturges, qui s’est chargé de cette adaptation.

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Si, le film est introuvable de nos jours, nous avons trouvé néanmoins cet article de Pour Vous qui évoque, en 1938, cette nouvelle version dans laquelle Wallace Beery remplace Raimu (César),  Maureen O’Sullivan Orane Demazis (Fanny) et John Beal Pierre Fresnay (Marius).

Puis, nous ajoutons un article paru dans le quotidien Ce Soir, à la même époque, évoquant le succès du film outre atlantique.

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Sur ce, nous vous souhaitons de bonnes vacances et vous retrouvons à la rentrée.

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VERSION AMÉRICAINE

Fanny est devenue Madelon et Wallace Beery joue le rôle de Raimu

MAIS PAGNOL N’A PAS ÉTÉ TRAHI PAR HOLLYWOOD

paru dans Pour Vous du 11 mai 1938

paru dans Pour Vous du 11 mai 1938

paru dans Pour Vous du 11 mai 1938

Hollywood, avril.
Il y a des films dont la seule idée vous fait peur : c’est le cas lorsque l’on pense à ce que pouvait devenir une oeuvre charmante comme Fanny, de Marcel Pagnol, adaptée à l’américaine et portée à l’écran à Hollywood, sous le titre de Port of seven seas (Port des sept mers), après avoir été appelée tour à tour Madelon, Men of the waterfront (Les hommes du port), et Life on the waterfront (La vie dans un port).

Or, Port of seven seas est la grande surprise de l’année : ce film prouve que, même dans ce Hollywood commercial qui dénature la plupart des sujets, il peut encore y avoir des actes d’héroïsme pur, des gestes de dévouement total à l’art. C’est le cas de l’adaptation de Fanny.

Parlons d’abord du sujet, puisque c’est lui qui compte le plus : l’excellent auteur dramatique américain Preston Sturges fit l’adaptation. Non seulement il a suivi de près le scénario de Pagnol, mais encore il a transposé fidèlement le dialogue. Il était impossible de rendre en anglais l’accent marseillais, ou l’esprit typique du Midi. Sturges a donc sagement traduit (mais littéralement) des expressions et des tournures de Pagnol : de sorte que, sans avoir le goût de la Canebière (que les Américains n’auraient pas compris), le film a un charme étrange, exotique, un peu maladroit, mais infiniment humain dans sa maladresse, et cette transposition réussit à donner un reflet de l’atmosphère marseillaise, gaillarde, attendrissante, vantarde, et sincère tout à la fois.

Il reste d’ailleurs un mystère : comment la censure américaine, l’Office Hays, a-t-il permis à la Métro de tourner ce film dont le scénario tourne autour d’un enfant conçu dans l’illégitimité, des tirades sur les efforts qu’avaient faits Panisse et sa première épouse pour avoir des enfants… Tout cela purement et simplement à l’index de Hollywood. Même avant la Légion de Décence, on aurait à peine osé tourner ce sujet ; depuis, il ne pouvait plus en être question.

C’est un hommage à Pagnol et à ses adaptateurs que, malgré l’audace du sujet, la forme en ait paru aux censeurs au-dessus de tout reproche.
Puis, les artistes : Wallace Beery campe un César bien Marseillais, s’il ne peut pas faire oublier Raimu (ce n’est pas un reproche. Qui saurait faire oublier Raimu ?). Mais Beery a plus de chaleur, plus de profondeur, plus de bonhomie qu’il n’en a jamais eu auparavant.
Quant à Panisse, c’est Frank Morgan, et il est 
tout simplement magistral. Par son jeu étonnant, Panisse devient le héros du film, le caractère principal, le plus beau, le plus humain et le plus sympathique de tous.

Les jeunes gens sont peut-être inférieurs à leurs aînés : Maureen O’Sullivan est acceptable dans le rôle de Madelon (c’est ainsi qu’a été baptisée Fanny, dont le nom a pris, en argot américain, un sens si scabreux que le public se serait esclaffé). Toutefois Maureen reste un peu trop Hollywoodienne, elle n’atteint point à la simplicité que devrait avoir cette jeune fille. John Beal, en Marius, est bien incolore ; mais, au second plan, Etienne Girardot est un magnifique Bruneau, E. Allyn Warren un excellent Escartefigue, et Jessie Ralph et Cora Witherspoon s’acquittent honnêtement des rôles (presque inexistants) d’Honorine et de Claudine.

De la version française… à la version américaine

Ci-dessus : une discussion entre Panisse (Charpin) et César (Raimu), dans le petit café de César, sur le Vieux-Port de Marseille.

Ci-dessous : la même scène, telle que l’interprètent Frank Morgan (Panisse) et Wallace Beery (César) dans « Port of seven seas », version américaine de « Fanny ».

 

paru dans Pour Vous du 11 mai 1938

paru dans Pour Vous du 11 mai 1938

La mise en scène de James Whale est honnête ; c’est tout ce qu’on peut en dire. Encore faudrait-il savoir si les qualités du film sont dues à Whale qui fit la mise en scène originale, où à Sam Wood qui fit plus de quinze jours de scènes supplémentaires et de scènes refaites. Mais la mise en scène en général tend à être humaine plutôt qu’amusante. On ne peut pas s’en plaindre.

Les décors de Gabriel Scognamillo sont excellents : ils rendent avec perfection le Midi avec son charme et son soleil. Les détails français du film sont d’ailleurs impeccables (sans doute parce qu’on a eu sous les yeux le film de Pagnol, qu’on n’avait qu’à imiter). On aurait pu cependant souhaiter que le metteur en scène arrêta une fois pour toutes la prononciation des prénoms et des noms français et qu’il l’fît observer par tous ses interprètes. Car on est assez gêné d’entendre Honoré appelé parfois Onoraie et parfois Honorre, ou Madelon devenir tantôt Madelonne et tantôt Médelan, sans parler de Marius, nom qui est à peu près impossible à prononcer en anglais (cela devient Marry us, ce qui signifie « Epousez-nous » ou « Mariez-nous »).

Dans « Port of seven seas », le rôle de Fanny (qu’on a baptisée « Madelon ») est tenu par Maureen O’Sullivan.

On voit, ci-dessus : César (Raimu), Fanny (Orane Demazis), Panisse (Charpin), dans une scène de « Fanny », version française.

Ci-dessous : Madelon (Maureen O’Sullivan) et César (Wallace Beery) dans une scène du film américain.

Mais, à ces détails près, le film est vraiment splendide. Je ne crois pas que Pagnol trouve qu’il a été trahi. Je crois, au contraire, qu’il sera surpris de la fidélité qu’on a montrée envers son texte (fidélité bien rare pour Hollywood !).

Reste à voir ce que le film fera comme recettes aux Etats-Unis. Il a perdu, nous l’avons dit, son esprit de terroir — esprit d’ailleurs aussi difficile à saisir pour les Américains que le sont Will Rogers ou Bob Burns pour les Français. A la place de cet esprit, il y a une atmosphère gentiment étrangère, désuète, attendrissante. Mais ces attributs ne font pas souvent courir la foule vers les guichets des théâtres américains. Espérons, cependant, que l’Amérique reconnaîtra l’héroïsme de cette tentative de faire une œuvre d’art véritable, de rester fidèle à Pagnol et de braver en même temps la censure Alors, peut-être, nos appréhensions seront sans fondement.

Harold J.Salemson

 

P.S

Notre enquête personnelle révèle que l’Office Hays, auto-censure du cinéma américain, a donné son visa au scénario et au film achevé, parce qu’elle sentait que l’histoire de Pagnol était sur un plan tellement élevé que nul ne pourrait l’accuser d’obscénité.

Toutefois, après avoir présenté son film, et avoir obtenu les critiques les plus élogieuses, la Métro vient, sans explication, de retirer Port des sept mers de son programme. Le studio refuse de dire quand il sortira le film, ou si, même, le public américain le verra jamais.

On pense, à Hollywood, que la Métro craint, malgré le visa Hays, trop de protestations des censures locales et des organisations pudibondes. Port des sept mers ne sera pas montré en France, nous l’avons dit, car le studio estime sagement que nulle version étrangère ne saurait se comparer à l’originale. Si on ne la montre pas aux Etats-Unis non plus, l’adaptation américaine de Fanny n’aura-t-elle été pour le studio qu’un geste gratuit ?

Ce post-scriptum nous interpelle car le film est déjà sorti aux USA au moment où paraît cet article et semble connaître le succès si l’on en juge cet article paru le quotidien Ce Soir daté du 4 avril 1938. Ceci dit, nous n’avons pas trouvé trace d’une sortie en France de ce film.

« FANNY » de Marcel Pagnol est devenu « PORT OF SEVEN SEAS » et remporte un très grand succès aux Etats-Unis

DE NOTRE ENVOYE SPECIAL PERMANENT
(Par câble direct Western Union)

Hollywood, 3 avril. — On attendait avec une grande curiosité la présentation du film, tiré de l’oeuvre célèbre de Marcel Pagnol, « Fanny », et dont la réalisation cinématographique en France avait eu le succès que l’on sait.

Rebaptisé en anglais « Port of seven seas » (Le port des sept mers), l’oeuvre a gardé, presque intacte, son atmosphère marseillaise, et la réalisation hollywoodienne est excellente. Le dialogue, traduit directement en grande partie, a pu conserver ainsi son charme original.

On craignait quelque peu les foudres de l’Office Hays en raison de l’histoire de l’enfant illégitime de Fanny, mais tout s’est bien passé, et le visa nécessaire a été accordé.

Notons que c’est Wallace Beery qui interprète le rôle de César — le meilleur rôle de sa carrière.
Frank Morgan est un excellent Panisse. John Beal est Marius, et Maureen O’Sullivan est une charmante Fanny, appelée dans cette version américaine Madelon. Bien que l’on ne puisse que complimenter Maureen et John Beal, leur interprétation est éclipsée par la perfection de celle de Wallace Beery et de Frank Morgan.

On pense ici que le film devrait avoir un grand succès en France.

 

Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

sauf Ce Soir : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

 

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