Le Palais-Rochechouart, salle de cinéma (Cinémagazine 1930)


Cela fait un moment que nous n’avions pas consacré un post à l’une de ces salles de cinéma qui firent les beaux jours des cinéphiles parisiens il y a bien longtemps.

Cette fois-ci, nous nous intéressons au Palais-Rochechouart qui était situé au 56 boulevard Rochechouart, à l’angle de la rue Seveste et du boulevard Rochechouart, près du métro Anvers (C’est un magasin Darty maintenant).

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C’était l’un des grands cinéma du quartier avec près de 1500 places, initialement ouvert en 1912, il fut rénové en 1929 et c’est l’objet de cet article très détaillé, comme d’habitude, de Paul Audinet dans Cinémagazine en août 1930. Il appartenait au grand circuit de l’époque de distribution de films  : Aubert-Palace créé par Louis Aubert. La salle fit plus tard partie du circuit Gaumont.

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Le 29 novembre 1929, le premier film projeté après la rénovation du Palais-Rochechouart était La Chanson de Paris (Innocents of Paris). Il s’agit de l’une des premières comédies musicale au début du parlant, elle fût réalisée par Richard Wallace. On y retrouve Maurice Chevalier, dont c’est le premier film à Hollywood, il y interprète son fameux succès Valentine.

La publicité suivante, trouvé dans Le Petit Parisien du jour, vante les qualités de ce futur grand cinéma de Paris (où nombre d’avant-premières auront lieu dans les années qui suivirent).

Le Petit Parisien du 29 novembre 1929

Le Petit Parisien du 29 novembre 1929

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Il fût détruit en 1969.

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On peut se rendre compte de la grandeur de la façade de ce cinéma grâce à la photographie suivante, que l’on trouve sur le site Flickr de L’ARP – Cinéma des Cinéastes.

Le PALAIS ROCHECHOUART hier

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Bonne lecture !

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L’Exploitation Moderne — Le Nouveau Palais-Rochechouart

paru dans Cinémagazine daté d’août 1930

Autrefois, l’exploitant de cinéma avait la tâche relativement facile. Son principal souci résidant en la mise sur pied, mûrement réfléchie, de son programme de chaque semaine, il pouvait, s’inspirant du succès obtenu par les films dans les salles où ils avaient déjà été projetés, rencontrer, aisément en somme, le goût de sa clientèle. Ce qui revient à dire que, de la qualité des productions sélectionnées presque exclusivement, dépendait la vogue d’un établissement cinématographique.

Le métier d’exhibitor est, aujourd’hui, beaucoup plus complexe. Les tracas inhérents à toute exploitation commerciale, l’élaboration judicieuse du programme suivant le public auquel il est destiné, l’art de savoir compléter une affiche avec les films secondaires, selon que le plat de résistance choisi est un drame, une comédie, une fantaisie, un fou-rire ou un documentaire, font toujours partie intégrante de la profession.

Mais, maintenant, depuis que l’on est parvenu à synchroniser à l’écran le son et le mouvement, il ne suffit plus de présenter de bons films. Il faut, pour être appréciés à leur juste valeur, que ces bons films soient projetés dans des salles où la « sonorisation » ne prête point à critique. Voilà où se tient actuellement l’écueil de toute exploitation cinématographique et d’où dépend la vitalité d’une salle.

Comoedia du 01 décembre 1929

Comoedia du 01 décembre 1929

Du temps où le film était exclusivement muet on pouvait passer une fort agréable soirée dans un cinéma même médiocrement installé. Le fauteuil était dur, peut-être, il fallait bien se pencher un peu pour éviter le pilier ou la colonne soutenant la toiture ; mais qu’importe, au bout d’un moment, on en prenait son parti, car la projection était nette, l’action passionnante, le violon de l’orchestre jouait juste et la dame pianiste accomplissait sa besogne avec conscience. Et puis, ma foi, si le scénario traînait en longueur, le spectateur avait toujours la suprême ressource de s’endormir, délicieusement bercé par la valse ou la mélodie de l’orchestre symphonique.

Le film sonore a changé d’un coup cet état de choses. Mal reproduit, il peut suffire à lui seul à faire le vide dans les fauteuils. Le recours au sommeil n’existe plus ! Il n’y a qu’à fuir !

C’est ainsi que tel grand film, dont le succès fut extraordinaire — unique même — dans une salle convenablement sonorisée, a-t-il causé une déception quasi générale lorsqu’il a été introduit dans les cinémas de quartier.

Personnellement, je me souviens d’avoir été navré de voir un film sonore de très bonne classe absolument gâté, — pour ne pas employer un terme plus fort, — par la résonance dans une salle des boulevards, où les places sont pourtant d’un prix élevé. Conséquence : le film en question n’a tenu l’affiche que fort peu de temps, après une maigre recette.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

La sonorisation doit donc être avant tout le point de mire du directeur moderne. Il faut que celui-ci étudie scrupuleusement les défauts acoustiques de son établissement et qu’il y remédie — en procédant par tâtonnements peut-être — jusqu’à mise au point complète.

Qu’on ne s’y trompe pas. La bonne sonorisation ne dépend point uniquement, comme d’aucuns le prétendent, de la qualité des appareils reproducteurs des sons, car on a maintes fois constaté l’impuissance de systèmes d’émission pourtant réputés dans des salles non acoustiques.

Une corporation, autre que celle des directeurs de cinémas, devient alors directement intéressée par le problème de l’acoustique. C’est celle des architectes et entrepreneurs appelés à construire ou à réadapter les salles cinématographiques. Pour eux également, le but à atteindre est la bonne propagation des sons : forme de la salle, matériaux employés à la construction, décoration, aménagement (1), tout doit concourir à ce résultat.

Un architecte parisien, qui a droit à la reconnaissance des cinéphiles, M. Henri Belloc, a fort bien compris la nouvelle orientation de la construction des salles.
Chargé d’édifier le nouveau Palais-Rochechouart, M. Belloc s’est attaché à réaliser, d’abord, une chambre acoustique.

Pour cela, il a adopté une disposition particulière, appelée « boîte à violon », c’est-à-dire que le plafond du théâtre se compose de plusieurs plans rabattus, — volets à section courbe, — dont l’assemblage ingénieux a pour effet de ramener, en atténuant leur vigueur, les vibrations vers le balcon et l’orchestre, et ce, correctement, sans écho, car les sons lancés par les haut-parleurs ne se heurtent pas de front à la surface plane trop étendue qu’offrent les grands plafonds ordinaires.

Une autre caractéristique du Palais-Rochechouart méritant d’être signalée au point de vue de l’acoustique, c’est l’existence de voûtes dans la salle. J’ai noté plus spécialement le bon rendement de celle établie sous le balcon et qui vient s’appuyer juste au-dessus des loges, au fond du parterre. A ces places, pourtant situées très loin des haut-parleurs et si défectueuses quant à l’acoustique dans beaucoup d’autres salles, la perception des sons est excellente grâce à la voûte, qui dirige, en les amortissant les vibrations sonores.

Je tiens donc à mentionner tout particulièrement les travaux exécutés au Palais-Rochechouart par l’entreprise de maçonnerie Fabre (44, boulevard du Port-Royal) (2). Ces travaux — plafonds et voûtes — ont contribué pour une large part à la bonne acoustique de la salle, d’autant plus que les matériaux employés à leur exécution ont été soigneusement choisis dans ce but. M. Fabre, inventeur d’un système de voûte légère, solide et économique, ayant rendu d’innombrables services au « bâtiment », est d’ailleurs bien connu des architectes, car son entreprise, vieille de trente années, a à son actif plus de mille églises, sans compter les nombreux cinémas, chapelles, voire même mosquées, auxquels elle a été appelée à collaborer. Les églises ont ce point commun avec les cinémas modernes qu’elles doivent être construites dans un « esprit acoustique ». On connaît les résultats extraordinaires au point de vue ampleur et conduite des sons que l’emploi de la voûte permet d’y obtenir ; M. Belloc ne pouvait donc être mieux inspiré que d’avoir recours, pour le Palais-Rochechouart, à M. Fabre, grand spécialiste de construction d’églises.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

En haut : intérieur de la salle vu du parterre ; on aperçoit, à droite, la voûte s’appuyant au-dessus des loges du fond du parterre.

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D’autre part, afin que rien ne soit négligé dans cette recherche de la perfection acoustique, les murs, voûtes et plafonds du cinéma du boulevard Rochechouart ont été recouverts de peinture plastique « Marb-L-Cote », extrêmement efficace pour combattre la résonance dans les théâtres et salles d’auditions. Introduit récemment dans la construction, le « Marb-L-Cote » sera, sans aucun doute, adopté par beaucoup d’autres salles. Déjà, le Casino et le Ciné-Majestic d’Alger, la Maison de Colon et le Palais des Fêtes d’Oran, l’Astoria de Londres, de nombreux cinémas anglais et, tout récemment encore, l’Olympia de Paris, l’ont utilisé avec fruit.

Ce produit, élastique par excellence, présente une consistance granuleuse qui lui permet d’« accrocher », en quelque sorte, les vibrations sonores sans les réfléchir brutalement, comme le cas se produit avec les surfaces trop lisses. A titre d’indication, voici quelques chiffres sur le degré d’absorption de vibrations du « Marb-L-Cote»: appliqué sur plâtre, textures et dentelles, 12 p. 100 ; sur plâtre, poché ou gros, 13,2 p. 100 ; sur matières fibreuses, 20 à 21 p. 100. Les bureaux et dépôts du Marb-L-Cote, dirigés par M. Garner, sont situés à Paris, 37, rue d’Artois.

La forme du devant du balcon du Palais-Rochechouart, légèrement cintrée, n’offre pas non plus de prise à la résonance, et les fauteuils même jouent leur rôle dans l’acoustique. Fournis par la grande firme Gallay et Cie, de Bagnolet, ils sont tous copieusement rembourrés, tant au balcon qu’à l’orchestre, ce qui a pour effet de « meubler » la chambre acoustique. Le matériau doux, avec lequel ils sont recouverts, aide beaucoup à annihiler la résonance, surtout lorsque la salle n’est pas entièrement pleine.

Enfin, par leur grande capacité d’absorption de vibrations sonores, les tapis dont ont été abondamment pourvus les planchers et qui proviennent du magasin de M. L. Dauphin, le tapissier-décorateur renommé, établi 17, passage des Princes, complètent heureusement, avec les rideaux et les tentures, cette installation acoustique.

Aussi, en raison de toutes les précautions prises, le rendement sonore du Palais-Rochechouart est-il quasi parfait à toutes les places. J’ai pu m’en rendre compte moi-même en passant du balcon à l’orchestre et en changeant fréquemment de fauteuil au cours d’une projection de The Divine Lady, dont l’adaptation musicale est, on le sait, particulièrement délicate. Partout, j’ai pu saisir les moindres nuances dans les chants et distinguer la nature des divers instruments composant l’orchestre accompagnateur.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

Au milieu : le plafond et sa disposition particulière. La forte inclinaison du plancher du balcon est nettement apparente sur cette photographie.

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Cet exposé de l’importance que prend la sonorisation n’implique pas cependant que l’architecte chargé de bâtir un cinéma doive s’hypnotiser uniquement sur l’acoustique. Il lui faut prévoir aussi la parfaite visibilité à toutes places. Au Palais-Rochechouart, M. Belloc n’a pas oublié ce point important. Tout juste pourra-t-on lui reprocher la situation défectueuse des loges extrêmes des côtés du balcon, qui sont d’ailleurs considérées comme places sacrifiées. Mais il convient de noter la forte inclinaison du plancher du balcon : 30 p. 100. Voilà un chiffre éloquent et à retenir ! Placé très haut sur scène, l’écran est visible, dans sa surface entière, pour tous les spectateurs du parterre.

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La décoration constitue toujours, elle aussi, un sérieux atout pour le succès d’une salle. Alors que la façade extérieure doit être d’une conception hardie, puisqu’elle tend à frapper plutôt le client de passage, la décoration intérieure, destinée surtout à l’habitué, doit réaliser au contraire une ambiance sympathique et familière.
Pour que ces conditions, d’ordre psychologique, pourrait-on 
dire, — se trouvent heureusement réunies au Palais-Rochechouart, M. Belloc a confié à M. Perron, directeur de la Société anonyme de décoration architecturale et mobilière (S. A. D. A. M.), 17 bis, rue de la Reine-Blanche, les principaux travaux décoratifs.

La façade de l’établissement est de style franchement moderne, se détachant nettement de celui des constructions d’alentour. De larges revêtements de marbre exécutés par la S. A. D. A. M., une marquise lumineuse à double vitrage venant des ateliers des constructeurs Allemant d’Aubervilliers et de vastes portes d’entrée la caractérisent. Au sommet, le nom du cinéma apparaît, isolé, en lettres énormes, tandis qu’une enseigne lumineuse éclatante, dont les lettres sont disposées verticalement, le fait jaillir dans la nuit en rouge et en bleu. Cette enseigne lumineuse a été construite par les établissements Paz et Silva, 55, rue Sainte-Anne, bien connus dans la corporation cinématographique ; ils ont collaboré à l’installation de tous les cinémas — combien nombreux ! — de la compagnie Aubert Franco-Film.

Ajoutons, à titre documentaire, que les constructeurs ont utilisé pour les lettres de l’enseigne les tubes Néon, procédé Claude. En dessous de la marquise, un tableau lumineux de grandes dimensions permet d’annoncer le principal film du programme et le nom de la vedette qui y figure. Soixante projecteurs fournis par la Société Mécalux, 48 bis, rue de Monceau, illuminent puissamment cette façade, si bien comprise.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

En bas : L’écran et la scène. On voit, de chaque côté, les piliers latéraux, colorés par dégradations, et, au-dessus, la tombée du plafond en voûte.

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A l’intérieur, une décoration sobre, sans heurts violents, qui ne date pas, est évidemment la meilleure. Les travaux de la S. A. D. A. M. ont assuré au Palais-Rochechouart ce type de décoration.
Il nous avait déjà été donné d’admirer les remarquables résultats obtenus par la S. A. D. A. M. au Paramount, et nous avions vivement apprécié le parti qu’elle avait tiré de l’emploi du staff,
créant dans cette salle une atmosphère de haut luxe qui contribue pour beaucoup à la vogue de l’établissement.

Au Palais-Rochechouart, la S.A.D.A.M. a su se renouveler. Les matériaux qu’elle y a employés et le sens artistique avec lequel ils ont été traités apportent une formule nouvelle très douce, très harmonieuse et très reposante à l’œil. Simplicité, discrétion, unité décorative, nette tendance vers un style de demain, telles sont les caractéristiques essentielles de la décoration du Palais Rochechouart.

On pourrait même ajouter que l’ensemble ne manque ni de grandeur ni de majesté, si l’on s’attarde à contempler les hauts piliers d’angle à facettes colorées par dégradations. Là encore, la S. A. D. A. M. a eu recours au staff en l’utilisant avec bonheur pour les gorges lumineuses. Pour les murs et les plafonds, elle a employé soit le marbre, soit le « Marb-L.-Cote». Les revêtements de marbre font du Palais-Rochechouart une salle de luxe et dénotent la sûreté de goût des décorateurs.

Quant au « Marb-L.-Cote », outre ses qualités acoustiques, il est d’une très belle tenue décorative. Se prêtant à tous les effets, simples ou luxueux, intérieurs ou extérieurs, il convient très bien pour les ensembles modernes, faits de plans larges et nets. En pleine lumière, il favorise l’éclairage lumineux, et, dans la pénombre, il donne une grande impression de légèreté. L’emploi de ce produit peu coûteux est à conseiller, car sa durabilité, de plus, est illimitée.

L’éclairage de la salle proprement dite joue un rôle de première importance dans la décoration du Palais-Rochechouart, car c’est lui qui ajoute à l’ambiance générale de l’établissement ce caractère d’intimité si apprécié du public. C’est, en effet, une chose très douce à l’œil, et combien reposante pour l’esprit, que ce bain de demi-lumière diffuse qu’a su réaliser avec tant d’art, sous les directives de son administrateur-délégué, M. Dufour, la Société Mécalux, chargée de cette partie délicate de l’aménagement.

Le jeu d’orgues, au moyen duquel l’éclairage est réglé, permet d’obtenir une grande variété de combinaisons lumineuses par l’emploi simultané ou alternatif du bleu, du blanc, du rouge et du jaune. Il produit par mariages des harmonies de nuances et des fondus, — ceux-ci souvent imprévus,—de l’effet le plus charmant qui soit. Les fauteuils sont tous recouverts d’un beau velours couleur brique, et leur effet d’ensemble est un joli coup d’œil lorsque la salle est vide. C’est encore un succès de plus à l’actif des établissements Gallay, dont nous avions déjà pu admirer les beaux échantillons de fabrication à la salle Pleyel, au théâtre Pigalle et dans les plus belles salles cinématographiques de France.

Enfin les tapis de M. Dauphin apportent également leur note de confort et de luxe à la présentation du Palais-Rochechouart.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

Indépendamment du rôle important qu’ils jouent dans l’acoustique et dans la décoration, les fauteuils ont aussi celui d’assurer le maximum de confort au spectateur. Lorsque celui-ci est parfaitement installé et qu’il se sent à l’aise sur son fauteuil, n’est-il pas disposé à… avaler le spectacle qu’on lui donne ? Ne peut-il jouir pleinement de l’attrait du film ou s’abandonner complètement au charme de la partition musicale autrement que dans ces conditions ? On ne saurait donc apporter trop de soin à la conception et à la mise au point des gabarits des fauteuils.

Pour le Palais-Rochechouart, les ingénieurs des établissements Gallay ont étudié spécialement la courbure et l’inclinaison du dossier épousant la forme du dos du spectateur. Les strapontins, qu’il conviendrait mieux d’appeler des fauteuils pliants, sont à dossier et, eux-mêmes copieusement rembourrés, se trouvent être tout aussi moelleux que les fauteuils ordinaires.

Auxiliaires précieux pour obtenir une acoustique parfaite, les tapis ont encore pour but, dans une salle de spectacle, d’étouffer les pas des spectateurs ou des employés chargés de placer ceux-ci. Quoi de plus désagréable, en effet, pour l’auditeur attentif que d’avoir à entendre malgré lui le bruit insupportable produit par les allées et venues de ses voisins. Dans un cinéma permanent, ce brouhaha peut rendre toute audition impossible. Il faut donc que les architectes n’aient point peur de faire garnir de tapis planchers et escaliers. Au Palais-Rochechouart, M. Dauphin a d’abord employé, pour la partie située entre le hall et la salle proprement dite, un tapis spécial à tétons disposés de champ, appelé tapis-brosse caoutchouc, dont le grand avantage est, outre de rendre silencieuse l’entrée des spectateurs, de retenir en même temps la boue des chaussures de ces mêmes spectateurs. Au plancher de l’orchestre : tapis de caoutchouc, et, au balcon, dont la charpente moins ferme que celle du plancher est plus propice au bruit de pas : épais tapis ordinaires décorés. Les escaliers ont été recouverts de caoutchouc blanc ininflammable, dont l’aspect décoratif rappelle la pierre.
Rappelons, puisque nous parlons de lui, que c’est M. Dauphin qui fournit, ainsi que dans beaucoup d’autres salles, l’écran trans-sonore.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

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Pour maintenir le public dans une ambiance sans cesse agréable et pour combattre avec succès la morte-saison des mois de juillet et août, il est indispensable qu’une salle de spectacle soit munie d’une installation permettant de modifier à volonté la température de la salle proprement dite et d’en renouveler l’air constamment. Qui se soucie, la belle saison venue, d’aller s’enfermer plusieurs heures durant dans une salle mal aérée, où l’atmosphère est irrespirable et suffocante, alors que dehors le soleil est radieux ou le ciel rempli d’étoiles ? Un système de ventilation bien compris peut, au contraire, pendant la canicule, ramener le public, car celui-ci se rendra évidemment volontiers dans une salle où il sait trouver de la fraîcheur.

Le système de ventilation adopté pour le Palais-Rochechouart a été installé par les établissements L. Drevet et Cie, 216 bis, rue Championnet. Les travaux ont été exécutés sous la direction de M. Berthet, ingénieur. A la base de l’installation se trouve un puissant ventilateur à double effet, actionné par deux moteurs électriques de 25 CV chacun. L’air extérieur, aspiré par lui, est saisi haut dans l’atmosphère par l’intermédiaire d’une cheminée spéciale. Des conduites à large diamètre l’amènent au ventilateur, qui le chasse, toujours par voie de conduites à gros calibre, vers le sommet de la salle. Introduit par des bouches spéciales, l’air descend lentement, parvient aux spectateurs et, vicié, s’évacue par des bouches disposées au niveau du plancher et par les portes d’accès. Trente mille mètres cubes sont ainsi fournis en une heure. L’atmosphère complète de la salle se trouve renouvelée quatre fois en soixante minutes.

En été, l’air introduit est refroidi au moyen de l’eau d’un puits situé sous les fondations du Palais-Rochechouart, et, l’hiver, deux chaudières à vapeur, débitant 400.000 calories à l’heure, en assurent le chauffage. Ces chaudières sont alimentées au mazout au moyen de brûleurs perfectionnés S. I. A. M. La mise en marche automatique des brûleurs suivant la température de la salle permet de réaliser d’importantes économies de combustible.

J’ajoute que le prix de revient de cette installation n’est pas d’un prix exorbitant et qu’il se trouve fort bien à la portée d’un cinéma faisant convenablement ses affaires. 

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

Dans un autre ordre d’idées, la sécurité du spectateur, — considération dont l’importance n’échappe à personne, — exige que toutes dispositions soient prises pour prévenir les dangers d’incendie ou d’effondrement. 

Comme toute première première condition de sécurité, je citerai la solidité à toute épreuve que doit présenter la charpente de l’édifice. La charpente métallique du Palais-Rochechouart a été mise sur pied par des constructeurs dont la réputation n’est plus à faire, MM. Allemant et fils et Lebrun, 76 et 78, rue Heurtault, à Aubervilliers. L’ossature du bâtiment est en acier doux Thomas. Les poutres soutenant la toiture et celles supportant la charpente du balcon sont particulièrement résistantes. N’ayant aucun point d’appui intermédiaire à cause de la visibilité, elles ont jusqu’à 28m5o de portée. Les poutres de la toiture reposent sur huit poteaux d’une hauteur de 17 mètres au-dessus du sol. Le balcon s’appuie sur la façade côté boulevard et sur deux poteaux noyés dans les façades latérales. La visibilité pour cette partie de la salle a été assurée par le placement judicieux des crémaillères sur les pièces principales de soutien.

La cabine de projection, d’une longueur de 25 mètres pour une largeur de 4 mètres, est supportée directement par une poutre maîtresse spéciale qui reçoit à la fois le plancher et le faux plancher métalliques de la cabine.

L’encadrement de la scène, d’une largeur de 15 mètres, est composé de deux poteau verticaux tubulaires et d’une poutre sur laquelle vient s’appuyer la tombée du plafond. Les piliers d’angle et les escaliers sont également à armature métallique ainsi que les dépendances intérieures de la salle (bureaux, logement, toilette, etc.) construites en pans de fer.

Là encore, la charpente métallique a permis de réaliser rapidement une construction extrêmement solide. La fabrication de cette charpente et sa pose n’ont pas demandé cinq mois. Les constructeurs ont conduit les travaux avec une précision et une conscience dignes d’éloges.

Il est assez curieux de noter en passant que la charpente métallique du Palais-Rochechouart a été échafaudée par-dessus l’ancien bâtiment, avant que celui-ci ne soit démoli. La photographie ci-dessous apporte un témoignage amusant de ce détail de construction.

Cinémagazine daté d'août 1930

Cinémagazine daté d’août 1930

Toujours dans un but de solidité et de lutte contre l’incendie sans nuire à la beauté décorative, M. Bion, constructeur breveté, 42, boulevard du Port-Royal, à qui furent confiées la construction des escaliers et l’exécution des dallages, a employé pour ces travaux des matériaux appropriés, suivant en cela le principe qui lui a valu de si brillants résultats dans les nombreuses salles cinématographiques— chaîne Aubert, en particulier — à l’installation desquelles il a été appelé à collaborer.

Les escaliers latéraux sont en pierre de Danton, provenant des carrières d’Ancy-le-Franc. Le dallage du hall et les escaliers symétriques donnant accès au balcon ont été exécutés en comblanchien, pierre classique extraite des carrières de ce nom et utilisée — ce qui en fait une pierre « officielle » en quelque sorte, — dans de nombreux monuments, ministères, musées, etc.. Les voûtes Fabre offrent, elles aussi, toutes garanties de solidité et d’incombustibilité.

Puisque nous parlons de sécurité, je ne voudrais pas passer sous silence le dernier progrès réalisé en ce sens par les établissements R. Gallay.

Dans leurs ateliers, si remarquablement installés 93-105, rue Jules-Ferry, à Bagnolet, et munis de matériel perfectionné, les ingénieurs de cette firme viennent de mettre en fabrication un nouveau modèle de fauteuil dont la structure est absolument ininflammable.

Pour terminer, il convient de féliciter les dirigeants de la compagnie Aubert-Franco-Film d’avoir produit, les premiers, un effort réel pour l’installation d’une salle éloignée du boulevard. L’exemple est à suivre.

Paul Audinet

(1) Voir l’article « Le film parlant et le problème de l’acoustique» (Ciné-Magazine, n° 38 du 20 septembre 1929).

(2) Nous pensons être utile aux architectes et aux constructeurs en indiquant dans cet article l’adresse des entreprises qui ont collabore à l’édification du Palais-Rochechouart.

Comoedia du 30 novembre 1929

Comoedia du 30 novembre 1929

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

Sauf Comoedia et le Petit Parisien : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

Pour en savoir plus :

La page sur le Palais Rochechouart sur le site Ciné-Façades.

Nous avons déjà publié un autre article de Paul Audinet pour Cinémagazine consacré à la transformation de l’Olympia en salle de cinéma.

L’Olympia, salle de cinéma (Cinémagazine 1930)

La page sur La Chanson de Paris sur le site Musique de Film 1928/1945.

Scène d’ouverture du film “Folies-Bergère” datant de 1935. Maurice Chevalier y reprend un de ses grands succès des années 1920, “Valentine“.

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