Louis Jouvet tourne « Knock » (Pour Vous 1933)


Alors que sort en salle un remake ni fait ni à faire de Knock dont nous tairons le nom de la réalisatrice par pitié pour elle, intéressons-nous à la première version parlante de ce classique, réalisé par Roger Goupillières et Louis Jouvet, en 1933, malheureusement devenu invisible : Knock ou le triomphe de la médecine.

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Vous allez pouvoir lire un article sur le tournage du film aux Studios d’Epinay paru dans Pour Vous, puis une critique par Lucien Wahl.

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Nous avons ajouté en bonus un encart publicitaire et une critique parus dans Cinémagazine concernant la première version de Knock, celle muette de 1925 réalisée par René Hervil (à lire ici).

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Signalons que la version de 1951 de Guy Lefranc avec Louis Jouvet ressort ce jour en salles en version restaurée.

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Bonne lecture !

 

Louis Jouvet tourne « Knock »

paru dans Pour Vous du 7 septembre 1933

Pour Vous du 7 septembre 1933

Pour Vous du 7 septembre 1933

Les regardeurs futurs de Knock noir sur blanc ne pourront éprouver la sensation bizarrement chirurgicale qui me saisit quand j’entrai dans le studio d’Epinay. La terrible lumière des sunlights faisait luire comme feux de foudre les vitrines, le fauteuil et les instruments de nickel des vitrines qui meublent tout un côté du cabinet de KnockEt ces mêmes feux brutaux mêlaient dans un même miroitement métallique les appareils de prises de vues à ceux de la chirurgie.

L’honnête caméra, braquée sur le comédien Rignault, assis au bord d’une espèce de chaise d’opération, avait, elle aussi, l’air d’un engin à découper le vif…
Pour ajouter à la sensation, il me suffisait
 de regarder Rignault, un bras à demi enfilé dans une chemise de grosse flanelle rose tendre, l’autre bras comme affalé sur la cuisse, Rignault, écoutant et regardant, avec un ahurissement épouvanté, le docteur Knock, sataniquement sévère…
« Vous avez encore votre père ? demandait Jouvet-Satan.
— Non. Il est mort.
De mort subite ? »

Et, disant ces trois mots, d’un pied preste sur une pédale, Knock fait s’ouvrir une large boîte ronde de métal, au haut d’un support, voisin de l’homme en chemise rose…
« De mort subite ? » demande-t-il.
« Dzzing ! » fait la boîte.
L’homme répond :
« Oui.
C’est ça », dit Knock.
Nouveau coup de pédale. La boîte se ferme avec un dzzing féroce.

L’homme sursaute, le regard bouleversé, la bouche qui s’écarquille, le bras affalé qui s’affale un peu plus, celui qui est à demi dans la manche faisant trembloter la flanelle…
« Coupez.
— Bon ! dit le son.
Encore une fois, demande Jouvet.
— Knock, 447, troisième fois.
Vous avez encore votre père ?… »

Pour Vous du 7 septembre 1933

Pour Vous du 7 septembre 1933

Ça va très bien. On déplace des appareils. On photographie Rignault (qui ressemble bigrement à Bancroft !) dans son expression terrifiée. On prépare une prise de vues dans une autre position des personnages… Marrek,(c’est Roger Goupillières qui réalise le film. NDLR), qui met en scène, a découpé une demi-page de texte en je ne sais combien de fragments. C’est rudement calé. On va passer l’après-midi tout entier sur un bout de scène qui, dans la brochure imprimée de Knock, tient environ quarante lignes ! On prend Knock devant sa table, montrant des images de foie, de cœur, de rein, à Rignault. On prend Rignault. On prendra à part Saint-Isles, le paysan qui accompagne Rignault : la consultation, Saint-Isles frémissant d’horreur et de peur à la vue des images médicales…
« Allumez les deux kilos… Commencez par le 18… Essayez le 53… »

Le chef opérateur, Bourgassoff (Fédote Bourgasoff. NDLR) compose ses lumières. Il a un long bâton à la main,  des knickerbockers, un petit chapeau de toile blanche qui lui donne l’air d’un berger d’Arcadie et une voix traînante, émaillée d’accent russe.

Tout est en place. On va travailler. « Catastrophe ! » dit Jouvet. On a oublié trois répliques dans la scène précédente. Après : « de mort subite », il y avait :
« Il ne devait pas être vieux.
— Quarante-neuf ans.
Si vieux que ça !… »

Il y a des zut !… des grattements de tête, des palabres. Cependant, ça s’arrange. On ne va pas recommencer tout le branle-bas du déplacement des appareils de prises de vue, du micro et des lumières de Bourgassoff
On dira les répliques dans la scène qui vient. Mais la discussion reprend à propos des gros plans…

« Si on employait tous les moments perdus au studio à la culture des pommes de terre, ça ferait une belle récolte… » Qui a proféré cette observation si exacte, judicieuse, définitive, digne de demeurer à jamais dans le répertoire des travailleurs du cinéma ?

George Neveux, le charmant dramaturge, auteur du scénario de ce Knock, qu’on tourne ici, et qui, avec l’admiration que l’on conçoit pour l’oeuvre de Jules Romains, se défend d’avoir fait autre chose que l’arrangement indispensable à la transposition du texte de la scène à l’écran…

Voici Jouvet derrière sa table, commençant de manipuler les longs panneaux de bois entouré de nickel, où sont figurés des foies, des cœurs, des reins, en haut normaux, en bas malades.
George Neveux, l’œil à la caméra, établit la prise de vue de Jouvet.
« Tu me veux tout ? » demande galamment le comédien au scénariste.

Pour Vous du 7 septembre 1933

Pour Vous du 7 septembre 1933

Puis Jouvet, manipulant ses panneaux, commence, s’adressant à Rignault :
« Je vais vous montrer dans quel état sont nos principaux organes… Voilà les reins d’un homme ordinaire. Voilà les vôtres… Voici votre foie… Voici votre cœur… Mais chez vous le cœur est déjà plus abîmé qu’on ne le représente là-dessus…
— Allons-y, mes enfants », dit Marrek.
On va tourner. On tourne…
« Je vais vous montrer dans quel état…
— Coupez. »

Qu’est-ce ? Le chef accessoiriste vient de surgir avec une petite boule de mastic. Il commence, posément, à frotter de cette boule le nickel des panneaux, dont la réverbération ferait du gâchis, à l’écran. Placide, Jouvet prend une partie de la boule et se met, lui aussi, à mastiquer le nickel.
Temps-or.
Puis, les panneaux au point :
« Allons-y, Alonzo », dit Jouvet.
On tourne.
« Voilà les reins d’un…
— Coupez. »

Quoi donc ?
L’angle d’un panneau a accroché quelques feuillets d’un bloc qui traînait sur la table, et éparpillé ces feuillets dans les répliques
 .

« Knock, 448, cinquième fois… sixième fois… »

Quelle récolte, si on consacrait à la pomme de terre.

André Arnyvelde

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Critique de Knock par Lucien Wahl

paru dans Pour Vous du 9 novembre 1933

Pour Vous du 9 novembre 1933

Pour Vous du 9 novembre 1933

Knock
(Film parlant français.)

Knock ou le triomphe de la médecine de M. Jules Romains, parait au cinéma parlant, avec une fidélité sans doute trop grande à l’original.

Le succès de certaines pièces à peu près photographiées est incontestable. Par exemple : Jean de la Lune. Sans doute le théâtre va-t-il continuer à servir d’épreuve à l’écran. Knock, mis en scène par son interprète principal à la scène et par M. Roger Goupillières, place au premier rang le précieux texte de M. Jules Romains. Or, si la pièce gagne à être lue et si elle a pu amuser au théâtre, elle permettrait à l’écran des images extrêmement réjouissantes et satiriques qui traduiraient avec esprit l’histoire du fameux médecin-industriel, industrieux aussi.

A-t-on cru qu’en les composant on risquerait un échec, au moins pécuniaire ? C’est possible, car il est difficile, de croire que les adaptateurs de la comédie n’aient pas pensé à utiliser pour le cinéma un grand nombre d’idées de l’auteur. On peut penser aussi que M. Jules Romains, qui travaille à son ouvrage considérable, Les Hommes de bonne volontédont les quatre premiers volumes affirment déjà un génie, n’a pas eu le temps de bâtir un scénario pour Knock.

Comment !… Toutes les conversations du docteur subsistent ! Comment !… Il rappelle ses fonctions sur un bateau, et c’est seulement par la parole ! Comment !… Il a déclaré : “A ce point que depuis quelque temps j’évite de me regarder dans la glace », et ces mots ; il les dit encore à l’écran, alors qu’une image aurait pu magistralement exprimer son cas !
Comment !… On ne nous montre pas éclairées les fenêtres des pseudo-malades ! Ah ! que le film silencieux de M. René Hervil contenait d’esprit… knockiste ! Car, cette fois, l’optique de l’écran diffère plus que jamais de la scène. Et les phrases pèsent davantage au cinéma, d’autant plus que l’interprétation, qui sue l’intelligence, prouve aussi le travail.
Le film est, en vérité, un laborieux document, qui mérite d’être vu pour cette raison même.

Pour Vous du 9 novembre 1933

Pour Vous du 9 novembre 1933

A part M. Louis Jouvet, les acteurs principaux sont MM. Le Vigan, Alexandre Rignault, Moor, Palau, Romain Bouquet, Mmes Thérèse Dorny, Madeleine Ozeray, Jane Lory.
Tous contribuent à un ensemble qui élève la dignité au comique et le comique à la dignité, un ensemble qui, répétons-le, éclate de compréhension. M. Larquey, en tambour de ville, apporte le naturel discret, la simplicité drôle, la modération perspicace, la vérité vraie.

Quelques plein air dans un style convenable. Des accompagnements musicaux de M. Jean Wiener — amusants et qui semblent spontanés, ceux-là — allègent la représentation démonstrative d’une pièce justement célèbre, film qu’on pourrait croire un exemple donné à l’auditoire par un théoricien de la scène, alors qu’ayant pris toute la sève de l’original, il ne parvient à l’amoindrir que par une respectueuse fidélité.

Lucien Wahl

 

Critique de Knock

paru dans Cinémagazine de décembre 1933

« Knock »

C’est de l’excellent théâtre filmé, et ceux qui connaissaient la pièce ne seront pas déçus, ce qui est assez rare lorsque l’ouvrage transposé fait depuis longtemps déjà figure de chef-d’œuvre.
Le public prend le même plaisir à suivre sur l’écran qu’à la scène l’admirable interprétation de Louis Jouvet et à écouter, un peu allégé, mais non mutilé, le génial dialogue de Jules Romains.

L’extraordinaire personnage du Dr Knock, que Jouvet a créé et qu’il a su faire sien au point qu’il semble être devenu inséparable de sa personne, nous apparaît même étonnement grandi du fait du relief que lui donnent certains premiers plans. Nous ne perdons rien des expressions de sa physionomie, alors qu’au théâtre le jeu volontairement sobre et dépouillé de Jouvet avait paru un peu froid à ceux qui se trouvaient trop éloignés de la scène et n’avaient pu voir, dans ses yeux et sur ses traits, le reflet de l’âme originale et complexe de son personnage.

A peu près scène par scène nous retrouvons la pièce.
La mise en scène par Jouvet d’une pièce qui est presque autant sa pièce que celle de Jules Romains (non, tout de même pas) se devait d’être parfaite. Le public regrette seulement parfois de perdre certains fragments du dialogue, du fait du débit fort rapide et très particulier de Jouvet, qui, dans son habitude du théâtre, a dû oublier parfois que son premier public était d’abord l’appareil enregistreur.

LE FAUTEUIL 48

Nous ajoutons en bonus, ces articles relatifs à la première version de Knock ou le triomphe de la médecine, celle de 1925 réalisé par René Hervil.

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Tout d’abord cet encart publicitaire annonçant le tournage de l’adaptation de cette pièce de Jules Romain, paru dans Cinémagazine du 15 août 1924.

Cinémagazine du 15 août 1924

Cinémagazine du 15 août 1924

KNOCK ou le triomphe de la Médecine du Maître Jules ROMAINS, un des écrivains les plus représentatifs de la littérature moderne.
— Production VANDAL et DELAC. Mise en scène de M. René HERVIL.
Film français.
— Remarquable interprétation de Marcel LEVESQUE dans le rôle du “Docteur Parpalaid”.

Knock ou le Triomphe de la Médecinec’est le triomphe du Théâtre des Champs-Elysées qui a créé cette pièce et n’a pas encore vu son succès décroître un seul soir.
C’est la plus amusante, mais aussi la plus troublante et la plus acerbe critique du monde médical.
Toute la presse a reconnu la valeur indis
cutable de cette pièce moderne qui soulève un problème des plus délicats de la vie.
Depuis Molière, nous n’avons pas eu une oeuvre stigmatisant aussi profondément le monde des Purgons.
Ce n’est pas seulement le côté critique qui est à retenir dans la pièce de Jules Romains, il y a aussi un côté d’humour d’une très grande valeur, et quand on saura que, parmi les interprètes, se trouve notre grand comique Marcel Levesque, on comprendra quelle ampleur tragi-comique sera donnée à cette œuvre.
René Hervil, excellent ouvrier d’art, mettra en scène
Knock. Tâche combien délicate et qui exige d’un metteur en scène des dons de tout premier ordre.

Cinémagazine du 15 août 1924

Cinémagazine du 15 août 1924

Critique de  KNOCK OU LE TRIOMPHE DE LA MÉDECINE (1925)

paru dans Cinémagazine du 25 décembre 1925

Cinémagazine du 25 décembre 1926

Cinémagazine du 25 décembre 1925

Film français interprété par FERNAND FABRE, MALAVIER, RAOUL DARBLAY, LOUIS MONFILS, RENÉ LEFEBVRE, CAROL, MORTON, IZA REYNER, MARYANNE, LUCE FABIOLE, MARYSE NOËL, IRMA PERROT. Réalisation de RENÉ HERVIL.

La nouvelle production que René Hervil a réalisée d’après la pièce de Jules Romains séduira tant par son originalité que par la conception amusante qu’elle nous donne de la médecine — ou plutôt de certains médecins — car il est à souhaiter que nos Esculapes n’exercent point sur nos volontés semblable tyrannie. Pourtant, en dépit de son âpreté, le sujet reproduit bien souvent une cruelle réalité… Si certains de nos médicastres n’ont pas changé depuis Molière, la faute en incombe presque toujours au malheureux client, facilement impressionnable, qui prend tous les mots de quelques charlatans pour paroles d’Evangile.

De cet état d’esprit, le docteur Knock, nanti de son diplôme et résolu à faire fortune dans la médecine, abuse plus que tout autre… Le voilà débarquant dans un petit village de Corrèze, destiné à remplacer un brave médecin Tant-Mieux, le docteur Parpalaid. Tous les habitants du pays étant robustes et bien portants, la clientèle ne se présente pas à Knock sous un jour très brillant… Le pharmacien passe les interminables loisirs que lui laisse la santé des villageois à faire de la peinture.

Beau joueur, Knock comprend qu’il pourra admirablement tirer parti de la crédulité des habitants. Il échafaude son plan et, une fois installé, après le départ de son prédécesseur, fait annoncer par le tambour de ville, un jour de foire, qu’il donnera des consultations gratuites… On devine si cette nouvelle fait sensation ! D’aucuns se rendent chez le médecin pour un simple bobo, d’autres pour lui jouer un mauvais tour. Tous enfin sont unanimes à déclarer que le nouveau praticien doit être une « bonne poire… » Pourtant, les consultations du docteur Knock obtiennent un tel succès et le nouveau venu est si persuasif qu’au bout de quelques semaines tout le pays est malade…

Cinémagazine du 25 décembre 1926

Cinémagazine du 25 décembre 1925

On voit par ce court résumé combien ce film diffère des productions qui nous sont ordinairement projetées… Il n’y a pas d’intrigue amoureuse…, point de jeune premier…, point de jeune première… Cela signifie-t-il que Knock ait perdu de son intérêt ? Au contraire !  Rarement satire fut plus adroite, caricature plus acerbe…

Toute la finesse de la pièce de Jules Romains reparaît dans le film. René Hervil, dont la précédente réalisation, La Flammeavait recueilli les suffrages unanimes, remporte, avec Knock, remarquablement adapté par Jean Manoussi, un nouveau succès. La science de sa technique se révèle dans des trucs qui amuseront beaucoup, comme la course des apothicaires de Molière, par exemple.

On ne saurait assez louer le talent des interprètes. Fernand Fabre fait vivre sobrement un docteur Knock, silhouette des plus délicates où beaucoup se fussent trompés ; sa création marquera. A Léon Malavier a été confié le rôle du bon médecin de campagne Parpalaid ; il s’en acquitte avec bonhomie et conscience. Les clients et les collaborateurs de Knock sont magistralement animés par les excellents artistes que sont Iza Reyner, Maryanne, Luce Fabiole, Maryse Noël, Irma Perrot, Raoul Darblay, Louis Monfils, Lefebvre, Carol et le très amusant Morton, qui nous trace une humoristique caricature de paysan madré.

Cinémagazine du 25 décembre 1926

Cinémagazine du 25 décembre 1925

A sa présentation et à la soirée de gala organisée par les « Amis du Cinéma », Knock ou le Triomphe de la Médecineproduction Delac et Vandal, éditée par Louis Aubert, a obtenu un très vif succès, succès que l’accueil du public confirme dès à présent à l’Electric Palace où le beau film de René Hervil passe en exclusivité.

Jean de Mirbel

Cinémagazine du 16 avril 1926

Cinémagazine du 16 avril 1926

Source :
Pour Vous : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

Cinémagazine : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

Pour en savoir plus :

La chronique de Marianne de la version 2017 de Knock avec Omar Sy : “ça nous énervouille…”

La version restaurée de Knock version 1951 ressort en salles à partir du 18 octobre 2017.

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Rare vidéo comparant les deux versions de Knock avec Louis Jouvet (1933 et 1951)

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“Knock” avec Louis Jouvet, deux versions rares projetées à Uzerches en 2011 (Culturebox).

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Extrait fameux du “ça vous grattouille ou ça vous chatouille ?” de Knock version 1951 avec Louis Jouvet et Yves Deniaud.

 

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