La Femme du boulanger de Marcel Pagnol (Pour Vous 1938)


Il y a longtemps les films de Marcel Pagnol passaient à la télévision régulièrement. Bien sûr la trilogie marseillaise était multi-rediffusée mais les autres comme Le Schpountz ou Manon des sources n’étaient pas oubliés. Et puis certains étaient presque invisible, telle La Femme du boulanger, malgré son statut de classique.

C’est donc pour saluer la sortie en DVD et Blu-ray, le 15 octobre de la version restaurée en 4K, que nous avons décidé de partager avec vous ces quelques articles parus dans la revue Pour Vous en 1938.

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La Femme du boulanger est donc la quatrième adaptation par Marcel Pagnol d’un livre de Jean Giono après Jofroi (1933), Angèle (1934) et Regain (1937).

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C’est justement pour ce film que Pagnol et Giono vont se fâcher et l’auteur de Que ma joie demeure va intenter un procès à Pagnol (qu’il perdra) (cf l’article de L’Express de 1994). Leur brouille durera 16 ans.

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Bref, le premier article que nous reproduisons évoque le tournage du film dans le village du Castellet (Var), le second est un extrait de l’une des scènes du film (la fameuse “Boulanger, ta femme est belle”), puis nous avons ajouté la critique du film ainsi que quelques critiques des lecteurs de Pour Vous.

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Signalons que la même année Marcel Pagnol réalisa deux films, Le Schpountz étant sorti 5 mois auparavant ! (Espérons qu’il sera restauré à son tour).

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Bonne lecture !

 

Sur une colline provençale

LE BOULANGER FAILLIT MOURIR DE DÉSESPOIR ET LE VILLAGE MANQUA DE PAIN
Un nouveau film de Pagnol inspiré par un texte de Jean Giono

paru dans Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Celui qui demeure au Castellet est vraiment le maître de la colline et des richesses qu’elle porte : vignes nourries de l’amour de chaque cultivateur, oliviers traversés de frissons d’argent, mer qui se confond avec le ciel dans une échancrure de la côte.
Marcel Pagnol a choisi ce village pour y tourner « la Femme du boulanger », afin que les extérieurs baignent dans une lumière ayant force et chaleur comme l’amitié.

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Il a loué une propriété où la vie s’est organisée dans la bonne humeur. C’est une maison très vaste « avec le rez-de-chaussée à tous les étages ». Il y en a trois. Le dernier palier est juste au niveau de la grande place dont un figuier occupe le milieu. Cet arbre joue un rôle, un tout petit rôle : il porte la boîte où le facteur déposera « le Petit Provençal » de l’instituteur.

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Il suffirait d’abattre deux cloisons pour traverser d’enfilade l’école, la mairie et la poste. Plus loin, plus haut, l’église et ce qui reste du château et du monastère construit par des religieux du IXsiècle. Des murs épais de trois ou quatre mètres évoquent le refuge contre les invasions. Malgré ces précautions les Maures se retrouvent dans quelques enfants bruns et fiers qui s’ébattent, insouciants, parmi les vieilles pierres.

Pagnol a installé la boutique du boulanger dans une de ces ruelles montantes, défendues par leurs aspérités, qui composent un étrange labyrinthe. Des volets de bois. Une enseigne peinte à la main. Du seuil on aperçoit l’église. Et le cercle républicain n’est pas très loin, avec son odeur d’absinthe. Le boulanger y traînera sa peine. Une peine si lourde ! Il faut qu’il n’ait que quelques pas à faire.

Le premier jour de l’occupation, le Castellet s’était donné un air de village abandonné. Mais, derrière les persiennes closes, il y avait, comme autant de veilleuses allumées, les curiosités nées pour ce mouvement insolite, pour ces câbles rampant sur le sol, pour les rails sur lesquels quatre robustes gars poussaient en retenant leur souffle, le chariot portant Ledru et sa caméra, pour ces écrans ronds et jaunes comme des soleils que les hommes tiennent à bout de bras, pour la girafe, toutes choses inconnues… Des bannières pendaient aux fenêtres d’où coulait une odeur de lessive. Le vent de la mer animait ces grosses toiles, et les chats, parfaitement immobiles, ressemblaient à des guetteurs dont les yeux voient de loin comme de près.

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Dès le second jour, tous les habitants du Castellet — une centaine — étaient rassemblés sur le lieu des prises de vues. Ils évitaient de se parler : beaucoup ont hérité les rancunes de leurs parents. Certaines remontent jusqu’à la troisième génération et seront transmises aux enfants, par respect de la tradition. Depuis le matin le curé et l’instituteur (ceux du film, naturellement) se harcelaient. Une trêve pour le déjeuner. Après quoi la dispute avait repris, ni l’un ni l’autre ne voulant céder. Pagnol s’était retiré au cercle. Tout seul, il remplissait un cahier d’écolier ; ses doigts tachés d’encre étaient ceux d’un élève peu soigneux. (Il fait du texte sans paraître autrement s’inquiéter de la réalisation confiée à ses collaborateurs ; il recommence une scène en s’inspirant du jeu des acteurs qu’il a fait répéter).

Quelqu’un l’attira près de la fenêtre, le forçant à regarder. Là-bas deux pouvoirs s’affrontaient : le spirituel et le temporel ; le curé s’accrochait à l’instituteur. Nous pensions surprendre une scène reproduisant la vie et c’était la vie qui nous surprenait.
Voilà ! dit Pagnol.
Il rentra dans l’ombre fraîche et se remît à écrire. Dehors, Bassac et Robert Vattier se défiaient.

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Poupon nous rejoignit bientôt. L’habit dont il était revêtu l’auréolait de sainteté. Pagnol leva la tête :
Que tu es beau ! Cette robe sur l’écran, près de la silhouette noire du curé, fera très bien.

Il commença de réfléchir tout haut :
Evêque des Missions Bénédictin ? Tu ne préfères pas être un père blanc ?
— Non, dit Poupon. Vois-tu, Marcel, pour le public, Napoléon sans le petit chapeau, sans la main dons le gilet, il ne serait plus Napoléon. Un mauvais cliché représente le père blanc fumant la pipe et parlant grossièrement. C est pour cela que je préfère l’évêque ou le bénédictin.
Je te promets l’un ou l’autre.

Le marquis d’Arboise (Charpin) qui ne tourne pas, est venu en voisin. Gentleman-farmer et talon rouge.
— Un vrai personnage de Molière, s’exclame-t-il ravi.

Dulac, Maffre et Maupi, « la Femme du boulanger » en fera trois inséparables. Dulac tout en chair, Maffre tout en os (les claquettes sont sa spécialité : il leur doit sa réputation dans le music-hall), Maupi tout en joyeuses rides, réalisent un ensemble assez étonnant.
Avec sa blouse gonflée d’air, son pantalon couleur de terre retombant sur de gros souliers, la casquette molle et la moustache raide, Blavette exprimera le dévouement de Tonin. Son rôle à lui n’est pas seulement humain, il est divin. C’est l’ange gardien du boulanger.

Giono a connu le boulanger :

C’était un petit homme grêle et roux. Il avait trop longtemps gardé le feu devant lui, à hauteur de poitrine, et il s’était tordu comme du bois vert. Il mettait toujours des maillots de marin, blancs à rates bleues. On ne devait jamais en trouver d‘assez petits. Ils étaient tous faits pour des hommes, avec un bombu à la place de la poitrine. Lui, justement, il avait un creux là et son maillot pendait comme une peau flasque sous son cou. »

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Ce portrait ne ressemble guère à Raimu. Pas plus sans doute que Ginette Leclerc ne ressemble, elle, à la boulangère de Giono. Quelques lignes de « Jean le bleu » ont inspiré à Pagnol un film ayant la même importance qu’ « Angèle ». En développant l’histoire du couple — et celle du village — il a recréé, à son idée, le boulanger et sa femme. Grâce à lui, tous deux seront, demain, aussi célèbres que « César » et « Fanny ». Mais on ne les citera pas en exemple, car si le boulanger faillît mourir du départ de sa femme, son désespoir fut cause que le village manqua de pain.

Sans l’instituteur et sans le curé qui se réconcilièrent pour rattraper la brebis égarée, quel eût été le dénouement de ce que Pagnol appelle « un véritable attentat contre la morale et le ravitaillement » ?
Et tout ça pour le jeune corps d’Aurélie, pour ses beaux yeux « des yeux comme ça, on ne pouvait pas les laisser longtemps libres ! », pour ses lèvres écartées sur des dents très blanches, pour ses cheveux où dansent des flammes…

Les décors attendent dans les nouveaux studios de Pagnol dont on dit merveille. La section nîmoise des Amis de l’Ecran a demandé pour ses adhérents l’autorisation de les visiter et d’assister en même temps aux prises de vues. Cette démarche peut être assimilée à une pétition, car les inscriptions dépassent la deux centième ! Et voici en perspective un rallye automobile que les actualités ne manqueront pas.

Pour Vous du 18 Mai 1938

Pour Vous du 18 Mai 1938

Ayant jeté à Marseille les bases du Hollywood français (comme il l’avait annoncé), Pagnol songe au « Roi de Bandol ». à « Fritz » (la Crau fournirait les extérieurs de ce film sur le rapprochement franco-allemand), peut-être même au « Président Hautecoeur », d’après un scénario de Roger Ferdinand.

Mais je.sais que rien ne pourra l’empêcher de se détacher de « la Femme du boulanger ». Elle connaîtra le sort commun aux œuvres d’un réalisateur qui n’a jamais consenti à voir un seul de ses films après le montage qui les fixe dans leur forme définitive…
…Si ce que ton raconte est
vrai.

Francia-Rohl

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“Boulanger, ta femme est belle”

Une Scène inédite du nouveau film de Marcel Pagnol

paru dans Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938

Nous devons à l’amitié que Marcel Pagnol porte à notre journal de pouvoir publier aujourd’hui des scènes importantes de la Femme du Boulanger qui sera présenté à Paris au cours du mois prochain. Marcel Pagnol, rappelons-le, a conçu et composé ce nouveau film en s’inspirant d’un court passage de « Jean le Bleu », le roman de son ami Jean Giono. Mais il a développé l’action et recréé des personnages qui n’ont, dans le livre, qu’une importance épisodique. A travers l’histoire du boulanger et de sa femme infidèle il évoque la vie et les gens d’un petit village de Provence perché sur sa colline, baigne dans sa douce et chaude lumière.

Voici les paroles qu’échangent, devant la boutique, le boulanger (Raimu), l’instituteur (Bassac), Maillefer (Delmont), Casimir (Dullac), Tonin (Blavette). Barnabé (Maupi), Mlle Angèle (Maximilienne), Miette (Odette Roger), Petuque (Maffre) et quelques autres…

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938

Et voici que Mr l’instituteur sort de la boulangerie. Il est très jeune, il a une grosse tête et une lavallière noire.

MAILLEFER. Alors, qu’est-ce que vous en dites ?
L’INSTITUTEUR. Ma foi, je ne suis pas boulanger. Mais il me semble que cet homme-là connaît parfaitement son métier et qu’il va nous faire du bon pain.
MAILLEFER. Il en a déjà sorti du four ?
L’INSTITUTEUR. Non. Dans dix minutes.
LE BOUCHER. Qui sait s’il le fait bon ?
LE BOULANGER (qui sort sur la porte). — Et pourquoi je le ferais mauvais ?
LE BOUCHER. On ne veut pas dire que tu le feras mauvais, non. Seulement, tu comprends, il y a pain et pain.
CASIMIR. Celui qui était avant toi, Lange, celui qui s’est pendu dans la cave…
LE BOULANGER (effrayé). — Chut… (il fait un pas vers eux et parle à voix basse).
Ecoutez-moi bien. Ne parlez jamais de cette histoire-là devant ma femme. De penser que nous avons pris la suite d’un pendu, c’est une chose qui l’impressionnerait et peut-être elle ne voudrait plus rester ici. Alors, motus, hein !
CASIMIR. Oui, on a compris. Motus.
ANTONIN. Motus.
PETUGUE. Motus.
MIETTE (au Papet). — Motus.

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938


LE PAPET. Où il est ? (Il regarde anxieusement autour de lui.)
LE BOULANGER. Bon. Alors, qu’est-ce qu’il faisait, Lange, quand il ne se pendait pas ?
MAILLEFER. Eh bien ! il faisait du pain, mais ce pain n’était jamais pareil.
CASIMIR. Des fois très bon, des fois pas mangeable.
BARNABE. Surtout le dimanche matin. Tu comprends, le samedi il se prenait une cuite terrible avec de l’anis. Alors, vers minuit, quand il commençait à pétrir, il ne savait plus ce qu’il faisait.
L’INSTITUTEUR. Une fois, dans le pain, on a trouvé la moitié d’un cigare.
TONIN. Et une autre fois, un dimanche matin, le pain avait le goût de l’anis.
MAILLEFER. Les enfants se sont régalés.
LE BOULANGER. Et vous supportiez ça, vous autres ?
BARNABÉ. — Et qu’est-ce que nous pouvions faire ?
LE BOULANGER. Aller chercher du pain ailleurs.
CASIMIR. Té, pardi ! nous l’avons fait longtemps.
BARNABE. Le plus près, c’est à Volx, à douze kilomètres, et par des chemins de montagne… Alors, on en prenait pour une semaine.
MIETTE. Mais au bout de quatre ou cinq jours, le pain était si dur qu’on s’y cassait les dents dessus.
TONIN. Alors, on revenait chez Lange, parce qu’il ne le faisait pas toujours bon, mais il le faisait toujours ici.
LE BOULANGER. Et moi, où je le fais?
L’INSTITUTEUR. Il a raison, voyons ! Attendons avant de juger.

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938


Mlle
ANGÈLE. Où étiez-vous, boulanger, avant de venir ici ?
LE BOULANGER. J’ai été à Valensole, puis à Banon. J’y ai gagné des sous et, pourtant, il y avait de la concurrence ; nous étions trois boulangers. C‘était pas un petit village comme ici. C‘était une vraie petite ville où il y avait des connaisseurs…
CASIMIR. — Et c’est parce que les connaisseurs t’ont plus voulu que tu es venu chez nous ?
LE 
BOULANGER. Je suis venu chez vous pour faire plaisir à ma femme, parce qu’elle craint le froid et que, ici, c’est beaucoup moins haut… Mais les connaisseurs, quand je suis parti, tu sais ce qu’ils ont dit, les connaisseurs ? Ils ont dit : « Boulanger, nous te regretterons. » Et puis, vous saurez que pour être un bon boulanger, il n’y a pas besoin d’être un monstre carnassier.
FÉLIX. — Bravo! boulanger. Tu as raison !
LE BOUCHER. Pourquoi dis-tu : « Bravo ! boulanger ». C’est contre moi que tu en as ?
PETUGUE. Moi, monsieur, je ne vous parle pas.
LE BOULANGER (à Maillefer). — Ils sont fâchés ?
MAILLEFER. A mort. D’ailleurs, ce sont deux imbéciles, et je suis fâché avec tous les deux.
LE BOULANGER. Pourquoi ?
CASIMIR. Tout ça n’a aucun intérêt, ce qui est important c’est que tu nous fasses du pain, et pourvu qu’il soit aussi beau que ta femme, ça nous suffira.
L’INSTITUTEUR. Oh ! ça, certainement !
LE BOULANGER (joyeux). — Il n’est pas difficile, lui ! Du pain aussi beau que ma femme ! Eh bien ! dis donc, mais je ne sais pas si on n’a jamais fait du pain aussi beau que ma femme.
BARNABE. — Là, tu as raison, boulanger.

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938

LE BOULANGER (ravi). — Elle est belle, hein ! ma femme !
ANTONIN. — Ah ! oui, elle est belle !
LE BOULANGER (à Maillefer). — N’est-ce pas qu’elle est belle ?
MAILLEFER. — Ah ! ça oui. Ca, on peut le dire !
LE BOULANGER. — Dites, monsieur l’instituteur, n’est-ce pas qu’elle est belle, ma femme ?
L’INSTITUTEUR. — Mon cher, si elle essayait, tout à coup, la nuit, dans un eruelle obscure, de m’embrasser fortement sur la bouche, eh bien ! je ne porterais pas plainte !
(Le boulanger est ravi, il rit avec une joie enfantine.)
LE BOULANGER. — Ça, je vous le souhaite à vous, mais je me le souhaite pas à moi ! Alors, si je vous fais du pain moitié aussi beau que ma femme, ça vous suffira ?
BARNABE. Eh ben, je comprends !

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938

Mlle ANGÈLE. Pour mon goût personnel, j’aimerais mieux du pain qui fût aussi beau que du pain, car la beauté des femmes n’est qu’une parure éphémère qui se flétrit comme une fleur.
TONIN. Et ça fait plaisir aux vieilles betteraves qui ne risquent pas de se flétrir. Boulanger, ta femme est belle !
PETUGUE (qui regarde à l’intérieur du magasin, le nez collé contre la vitrine). — Je comprends qu’elle est belle !
LE BOULANGER. Ça me fait plaisir que vous la trouviez belle. Et encore vous ne l’avez pas vue habillée du dimanche. Ou alors, le soir…, quand elle se prépare à se coucher et que…
(La voix de la boulangère.)
LA BOULANGÈRE. Aimable ! Le pain est prêt.
LE BOULANGER. Et modeste, avec ça. Elle ne veut pas qu’on parle d’elle !

Pour Vous du 24 Août 1938

Pour Vous du 24 Août 1938

(Il entre dans la boutique. On le suit. La boulangère est au comptoir, bien coiffée, immobile. Le boulanger traverse la boutique. Il hume l’air. Il dit : « C’est prêt, vous sentez ? C’est prêt. » Il va au fournil. Tous le suivent. Il ouvre le four. Il flaire. Il dit : « Une minute de plus ne lui fera pas de mal… » Tous attendent.)
MAILLEFER (il se tourne vers la boutique).
— Voilà M. le marquis.

Dans sa critique du film, Serge Veber fait référence au fait que le film ne fût pas sélectionné pour la Biennale de Venise (l’ancienne Mostra de Venise), qui s’est déroulée du 8 août au 1 septembre 1938.

Critique de La Femme du boulanger

paru dans Pour Vous du 7 Septembre 1938

Pour Vous du 7 Septembre 1938

Pour Vous du 7 Septembre 1938

Marcel Pagnol doit se moquer de la Biennale de Venise comme de son premier fond de culotte, mais pour l’honneur et le prestige du cinéma français il eût été souhaitable que ce film magnifique fût présenté là-bas.

Les films de Pagnol, c’est du dialogue profond, humain, éblouissant autour d’une belle idée. Elle est, cette fois-ci encore, de Giono. Il ne s’embarrasse pas de situations compliquées, de coups de théâtre plus ou moins attendus et se fiche de la technique avec une insolente désinvolture, ignorant l’existence des enchaînés habiles et passant, sans la moindre vergogne, d’un long shot à un gros plan. Mais il n’a pas son égal pour exposer simplement un simple sujet, puis pour mettre successivement ses personnages face à face et les faire parler.

Mais quel langage ! Ah ! messieurs, tirons notre chapeau et prenons-en, si nous le pouvons, de la graine. Si parfois quelques lenteurs se font sentir, au cours d’un dialogue toujours prestigieux, c’est que le génie (ne craignons pas d’employer ce mot) quand il s’exprime, ne sait pas se freiner. M. de Porto Riche était jadis ainsi. Et quand il faut couper dans un chef d’œuvre, n’est-il pas naturel qu’on ait peur d’abîmer ?

Dans la Femme du Boulanger, Pagnol s’est, pour la première fois, résigné à laisser couper trois cent cinquante mètres.
Le film y gagne en intensité et en puissance, et pourtant j’ai lu les parties sacrifiées. Quel dommage !

Le sujet ? Il tient en quelques mots. La femme d’un brave homme de boulanger s’enfuit avec un berger. Le boulanger n’a plus le coeur à faire du pain. Tout le village part à la chasse de la coupable et la ramène au fournil. Et, durant cette chasse, les habitants du village qui étaient fâchés se réconcilient. Pas plus. Pas moins. Et c’est très beau.

Pour Vous du 7 Septembre 1938

Pour Vous du 7 Septembre 1938

Dans cet incontestable triomphe, il sied d’associer le nom de Raimu à celui de Pagnol. L’auteur, mieux que n’importe quel critique, était qualifié pour rendre hommage à son interprète. Voici ce que Pagnol a écrit comme dédicace sur la page de garde de la Femme du Boulanger :
« A Raimu, au plus grand acteur du monde, avec ma reconnaissance et mon affection. »

La troupe Pagnol, sa « compagnie » habituelle, Charpin en tète, avec Robert Vattier, Delmont, Blavette, Bassac, Maupi, Dullac, Maffre, Maximilienne Max, a droit à tous les éloges.

Ginette Leclerc n’a que vingt répliques à dire ; elle les dit bien. Et pour ce rôle il ne fallait pas de sex appeal frelaté. Il fallait qu’elle fût. .. comment dirais-je ? Non, je ne peux pas le dire. Mais elle l’est.

Serge Veber

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La Parole est aux spectateurs : La Femme du boulanger.

paru dans Pour Vous du 5 Octobre 1938

Pour Vous du 5 Octobre 1938

Pour Vous du 5 Octobre 1938

D’une façon générale, le nouveau film de Marcel Pagnol a suscité l’admiration de nos lecteurs. Aussi ai-je détaché de mon courrier quelques avis défavorables qui méritent d’être discutés.

L’ANGELE MIGNOT (Paris). « Si vous avez lu le livre de Giono et si vous allez voir la Femme du boulanger, vous serez révoltée et découragée. Que de concessions au « populaire ». Où est l’atmosphère sensuelle et mystique du roman, cette poésie profonde et fraîche comme une odeur de terre mouillée? « La femme du boulanger » n’est pas vulgaire comme Ginette Leclerc : elle porte haut une petite tête alourdie par l’épais chignon de ses cheveux luisants, elle est grave, elle est fière, elle est silencieuse ; en elle, elle porte un monde obscur et le berger est plus beau qu’un dieu. Et comme la fin du livre est plus belle, plus colorée et plus… photogénique que celle du film ! »

(Il est toujours hasardeux de comparer de trop près un film et l’œuvre littéraire dont il s’inspire. Marcel Pagnol a emprunté un sujet à Jean Giono et il l’a traité à sa manière, selon son tempérament. La poésie de Giono a disparu : elle est remplacée par la poésie de Pagnol. )

CREVETOUT, LEGIONNAIRE. « Même si la création de M. Raimu était sa meilleure, cela ne prouverait pas encore qu’elle dépasse 2 sur 20 dans l’échelle des valeurs ! Il y a soixante ans, Monchablon et Brichanteau riboulaient aussi des yeux morts de merlan qui se gâte, prenaient des temps interminables entre chaque phrase : cela s’appelait « avoir de l’autorité ».
L’élève Raimu n’a pas oublié leurs leçons : au grand casino de Sisteron ou à la salle des fêtes de Chalindrey, les « temps » et les hurlements de M. Raimu déchaînent encore les acclamations d’une foule tremblante ; mais, franchement, ici, ils font sourire d’attendrissement… ou bâiller ».

(J’ai cité votre appréciation parce qu’elle est sincère et pittoresque, mais je ne la contresigne fichtre pas ! Le texte de la Femme du boulanger est dédié à « Raimu, au plus grand acteur du monde ». Marcel Pagnol exagère toujours, mais s’il avait mis : « au plus grand acteur de France ». peu de spectateurs, soyez-en sûr, lui auraient donné tort.)

On trouvait déjà dans le n° du 21 septembre une critique du film de ce même pseudonyme :

CREVE-TOUT LEGIONNAIRE (Paris) pourfend la Femme du boulanger. « Tout les snobs et snobettes du XVI° et des Champs-Elysées, s’exclame-t-il, se croiraient déshonorés s’ils ne s’abordaient pas en disant : Cher ami, vous avez vu ce Raimu ? Formidable, une splendeur. »
Il conclut sa virulente critique par ces mots significatifs : « Apothéose de la nullité ».
(Crève-Tout, je ne suis pas du tout de votre avis et j’ai la prétention d’être un simple spectateur aussi peu snob que possible. « La Femme du boulanger » est un film délicieux où Raimu a fait une de ses meilleures créations.)

MAURICE MOUNA-LEBLAU (Paris).
« M. Marcel Pagnol est, sinon un génie, du moins une intelligence
(Merci pour Pagnol), et son nouveau film est très attachant. Il est peu probable qu’il eût été réalisé sans le talentueux Raimu. La Femme du boulangerc’est Raimu (!) C’est Raimu tel que nous ne le vîmes jamais ! C’est Raimu lui-même !
Mais l’instituteur et l’abbé se chicanent à cause de Jeanne d’Arc (?) Que vient faire Jeanne d’Arc là-dedans ? Que Jeanne d’Arc ait entendu ou n’ait pas entendu de voix, ça n’a vraisemblablement aucune importance pour le boulanger et la boulangère infidèle. Jeanne d’Arc ? .. La boulangère ?…
» Jeanne crut entendre (!) la voix d’un ange.
» La boulangère entendit la voix d un berger… qui n’était pas un ange.
» Jeanne alla chercher le roi.
» La boulangère alla chercher… l’amour.
» La boulangère négligea son devoir pour l’amour d’un homme.
» Jeanne fit son devoir par amour de son pays.
» La boulangère trouva le pardon.
» Jeanne trouva le bûcher.

Evidemment, il ne ne faut pas chercher une corrélation entre Jeanne et la boulangère, et c’est justement pourquoi en parler dans ce film est une galéjade. Il y a d’autres sujets de galéjades, en vérité, que celui-là.

(A ce compte-là, cher ami, il faudrait en revenir au film muet. Ne soyez pas plus pointilleux que la censure et laisses les personnages dialoguer sur tous les sujets qu’ils veulent. L’important est que ces dialogues soient bons et vrais. )

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Dans le n° du 21 Septembre 1938, Pour Vous reproduit sur une page le scénario romancé du film par René Lehmann dont voici les photographies illustrant ce papier.

Pour Vous du 21 Septembre 1938

Pour Vous du 21 Septembre 1938

 

Pour Vous du 21 Septembre 1938

Pour Vous du 21 Septembre 1938

 

Pour Vous du 21 Septembre 1938

Pour Vous du 21 Septembre 1938

 

Pour Vous du 21 Septembre 1938

Pour Vous du 21 Septembre 1938

 

Pour Vous du 21 Septembre 1938

Pour Vous du 21 Septembre 1938

 

Pour Vous du 21 Septembre 1938

Pour Vous du 21 Septembre 1938

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Source : Bibliothèque numérique de la Cinémathèque de Toulouse

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Pour en savoir plus :

Le site officiel de Marcel Pagnol

GIONO-PAGNOL: LE MATCH DU CENTENAIRE sur le site de L’Express.

La fameuse scène du retour de la Pomponette dans La Femme du boulanger.

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Nicolas Pagnol à propos de la présentation de la version restaurée de “La Femme du boulanger” en avant-première mondiale à Aubagne en mai 2017.

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Ginette Leclerc à propos de  “La Femme du boulanger” et de sa rencontre avec Pagnol en 1976.

 

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