Le Ciné-Latin, salle de cinéma (Cinémagazine 1928)


Cette fois-ci nous avons voulu rendre hommage à l’une des premières salles emblématique de la cinéphilie parisienne, l’époque des ciné-clubs de la fin des années vingt, avec le Ciné-Latin, une salle qui se trouvait derrière le Panthéon à l’emplacement d’un ancien cinéma de quartier, le Mouff’tard Palace, au 10-12 rue Thouin.

La Semaine à Paris du 17 novembre 1922

La Semaine à Paris du 17 novembre 1922

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Cette salle, ouverte en janvier 1927, fut l’une des premières à proposer ce qu’on appelait à l’époque des films de “répertoire”, on dirait de nos jours des films de “patrimoine” ou plus simplement des “classiques”. Cette salle, de trois cent places, proposait chaque semaine des films différents. L’historien du cinéma Christophe Gauthier nous apprend qu’un questionnaire était proposé au public afin de “l’intéresser à son effort pour le cinéma meilleur et à la création du répertoire cinématographique”“. Deux questions portaient sur le film du jour et sur ceux que les spectateurs voulaient revoir.

Christophe Gauthier souligne également le lien avec la programmations du ciné-club la Tribune Libre du cinéma, de Charles Léger le pionnier du genre, qui proposait ses séances à la Salle Adyar mais qui également organisait deux fois par mois des débats au Ciné-Latin autour d’une reprise importante tel L’Inhumaine de Marcel L’Herbier, en sa présence, le 26 janvier 1928.

Signalons que le Ciné-Latin ressortira cette année Nosferatu comme nous en parlions lors de notre article consacré aux sorties à Paris du chef d’oeuvre de Murnau (à lire ici).

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Pour finir, selon Christophe Gauthier, le directeur du Ciné-Latin s’appellerait José-Miguel Duran et non Léo Duran comme l’écrit l’auteur de cet article François Mazeline.

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Nous avons rajouté à la suite un article sur le Ciné-Latin paru dans Cinéa le 1 juillet 1927 (à lire ici).

Bonne lecture !

Au Ciné-Latin

paru dans Cinémagazine du 22 juin 1928

Cinémagazine du 22 juin 1928

Cinémagazine du 22 juin 1928

Chaque soir, des êtres disparus depuis vingt ans ressuscitent rue Thouin. Ce miracle n’éveille point l’attention de la police, non plus que celle des polytechniciens, enfants sages qui, à l’ombre du Panthéon, dans leur lit bien bordé, rêvent à la prochaine guerre et au bal de la sous-préfecture…
Quel est donc le temple de ces miracles ?
C’est le Ciné-Latin : une curieuse petite salle en forme de cylindre. L’écran blanc y apparaît, tel un mouchoir, qu’un prestidigitateur se serait plu à dissimuler sous un chapeau haut de forme.
Pourtant ce ne sont pas des poissons rouges ou des œufs durs, que le prestidigitateur extrait du mouchoir ; mais seulement des sourires, des baisers, des larmes : l’essentiel de la détresse et de la joie humaines.
L’illusionniste s’appelle Léo Duran, comme tout le monde…

II y a quelques années, un danseur et une danseuse, animés de l’amour du cinéma, quittèrent la piste lumineuse, où ils décrivaient d’élégantes arabesques et acquirent cette petite salle de quartier dont ils firent le Ciné-Latin.

Prenant pour base de leurs spectacles, le principe des « reprises », ils contribuèrent à la constitution du répertoire cinégraphique si souvent préconisé par Cinémagazine. Les œuvres dignes d’intérêt et susceptibles de toucher le public sont désormais connues par les directeurs de salles. Et ce sont précisément ces œuvres, qui servent la cause de l’éducateur du public, mieux que de longs discours…

Depuis 1926, le Ciné-Latin projeta :
1°- Les meilleures productions cinégraphiques françaises, telles que : El Dorado (L’herbier), Cœur Fidèle (Epstein), Gribiche (Feyder), L’Image (Feyder), L’Inondation (Delluc), Paris qui dort (René Clair), Entr’acte et Le Voyage imaginaire (René Clair), J’accuse (Abel Gance), etc.
2°- Les productions étrangères les plus caractéristiques :
Le Dernier des Hommes (Murnau), Nosferatu le Vampire (Murnau), La Rue sans joie (Pabst), Les Rapaces (Von Stroheim), Jazz (James Cruze), Les Proscrits (Victor Sjöström), La Charrette fantôme (Victor Sjöström), Le trésor d’Arne (Stiller), les films de Chaplin, etc..

La Semaine à Paris du 24 février 1928

La Semaine à Paris du 24 février 1928

Il y a, dans la liste qui précède, la matière de nombreux programmes pour toutes les salles de projections possédant un public désireux de s’initier sérieusement à l’art cinégraphique.
Déjà, à l’approche de l’été, certains directeurs se livrent à de nombreuses reprises pour composer des programmes intelligents et économiques à la fois. Grâce à ce dictionnaire des formes cinématographiques qu’est la liste des programmes du Ciné-Latin, ils pourront choisir leurs films sans risques d’erreurs.

Mais l’œuvre des Duran présente un autre intérêt. En effet, non seulement ils découvrent de vieilles bandes qui méritent d’être connues, mais encore ils interviennent fréquemment, pour assurer la conservation d’œuvres magnifiques, que la négligence des éditeurs condamnait à la destruction. C’est ainsi par exemple, après de longues recherches, qu’ils viennent de retrouver les fragments séparés d’une vieille copie d’un très beau film allemand, vieux de six ou sept ans ; production dont le négatif est disparu et dont il n’existait plus en France, une seule copie complète.

Dans vingt-cinq années, l’effort de ces nobles artisans fera peut-être sourire. Parmi les films que nous admirons maintenant, beaucoup sont condamnés à disparaître sous les sarcasmes.
Mais il en est quelques-uns animés d’une vie surréelle, qui feront encore penser, rire et pleurer nos enfants ou les enfants de nos enfants.

Léo Duran aura consacré sa jeune vie à les signaler à l’attention des vrais cinéphiles.

François Mazeline

Source : Ciné-Ressources / La Cinémathèque Française

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Le Cinéma Latin

paru dans Cinéa du 1 juillet 1927

Cinéa du 1 juillet 1927

Cinéa du 1 juillet 1927

Le Théâtre du Vieux-Colombier est ouvert au cinéma depuis trois ans. Le Studio des Ursulines en est à sa seconde saison. Enfin, le Pavillon du Cinéma reçoit une impulsion analogue à celle du Vieux-Colombier.

Tous deux, à côté de films d’avant-garde, ont fait une place aux films dits de « répertoire » ; c’est du reste dans le même sens que s’est aiguillé le Club du Cinéma de Bruxelles dont les récentes séances au Lever-House ont été suivies avec beaucoup d’attention par un nombreux public.

Déjà un fait se dégage de ces diverses expériences : c’est que si le grand film documentaire paraît recueillir tous les suffrages dans les salles que dirige Jean Tedesco et que si les films d’avant-guerre et d’avant-garde plaisent au public de Tallier et Myrga, le film de répertoire, lui, semble jouir d’une faveur bien moindre.
Il est cependant bien intéressant pour ceux qui s’intéressent à l’art des images animées de pouvoir de temps à autre revoir les « classiques » provisoires de l’écran.

C’est pour répondre à ce désir qu’une nouvelle initiative vient de se faire jour à l’ombre du Panthéon, dans l’ancien Cinéma Mouffetard, à présent nommé « Cinéma Latin ».

Dirigé depuis près d’un an par un artiste chorégraphique espagnol, Miguel Duran, converti à l’art silencieux, le Cinéma Latin, après quelques essais dans la voie commerciale ordinaire, est graduellement venu au répertoire des meilleurs. films de ces dernières années.

On a pu y revoir depuis janvier Varuna, Polikouchka, Les Lois de l’Hospitalité, un Douglas Fairbanks inédit de 1915 : Le Métis, La Poupée Brisée, Le Cabinet des Figures de Cire, Kean, La Rue sans Joie, Le Cabinet du Docteur Caligari, Le Lys Brisé, Paris qui dort, ainsi que deux des films les plus significatifs des deux grands disparus du cinéma français, L’Etroit Mousquetaire de Max Linder, et La Femme de Nulle Part de Louis Delluc.
Et l’on nous promet Jazz, Le Golem, etc..

Enfin, pour la saison prochaine un programme aussi complet que le permet l’état des copies de films, qui parfois même sont introuvables aujourd’hui…

L’initiative de Miguel Duran mérite, d’attirer l’attention des cinéphiles, à qui est dédié le Cinéma Latin.

P. H. (Pierre Henry)

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Au Ciné-Latin

paru dans La Semaine à Paris du 21 octobre 1927

La Semaine à Paris du 21 octobre 1927

La Semaine à Paris du 21 octobre 1927

Ils étaient danseurs. Ils avaient réussi. Et c’était chaque soir bravos et acclamations. Mais ils aimaient le cinéma. L’art de l’écran a ses passionnés : ils en sont. Ils ont désiré y avoir part.
Et derrière le Panthéon, dans ce vieux Paris d’où se lèvent tant de souvenirs, ils ont acheté un cinéma. C’était une « salle de quartier ». Ils l’ont voulu donner au meilleur cinéma.

De beaux exemples les sollicitaient : celui d’un Jean Tedesco et de son Vieux-Colombier ; celui d’une Myrga et d’un Tallier et de leurs Ursulines. Ils ont voulu leur part à eux : ils se tournent vers les reprises. Le succès doit leur venir. Combien de gens qui désirent voir un beau film — ou le revoir. Le courrier nous porte chaque semaine des lettres où l’on nous demande : « Quand reprendra-t-on ceci ou cela ? » Le Ciné-Latin répondra donc à un besoin. La salle a été remise à neuf : elle est accueillante. Il est juste que J-M. Duran et sa femme rencontrent un destin favorable. N’ont-ils pas entre leurs mains l’arme la meilleure : la jeunesse !

— R.

La semaine dernière, le Ciné-Latin reprenait Ménilmontant, de Kirsanoff, film réaliste et sensible tout à la fois où se révéla Nadia Sibirsbaïa. Cette semaine, voici rue Thouin ce délicat chef d’oeuvre, Le Premier Amour, qui est le meilleur film de Charles Ray, et aussi Le Signe de Zorro qui est peut-être également le meilleur film de Douglas Fairbanks. On y verra prochainement La Lanterne Rouge avec Nazimova, drame de race puissant où Nazimova y était étrange et douloureuse tout à la fois. On reverra aussi Le Dernier des Hommes avec Emil Jannings, et aussi l’Expédition de Shakleton, les Dix Commandements, L’Image de Jacques Feyder et aussi ce Poil de Carotte à qui on a reproché d’être peu de Jules Renard — mais qui en dehors du roman reste quand même un chef-d’oeuvre d’observation et de sensibilité.

La Semaine à Paris du 21 octobre 1927

La Semaine à Paris du 21 octobre 1927

Ces dessins sont signés de Chenal, serait-ce le réalisateur Pierre Chenal ?

La Semaine à Paris du 28 octobre 1927

La Semaine à Paris du 28 octobre 1927

 Dans le numéro du 4 novembre 1927 de La Semaine à Paris, nous apprenons qu’a eu lieu une soirée de gala et le vernissage de la Galerie d’art du Ciné-Latin, sous la présidence de l’homme de lettres André de Fouquières, et l’assistance des réalisateurs Alberto Cavalcanti (dont le Ciné-Latin projetait le très beau Rien que les heures) et René Clair (dont le court-métrage surréaliste Entr’acte était projeté également).

Et le 30 décembre 1927, nous apprenons, toujours dans La Semaine à Paris, la confirmation que La Tribune Libre du Cinéma (de Charles Léger) tiendra l’une de ces soirées spéciales (dont parlait Christophe Gauthier) le 5 janvier 1928 à l’occasion de la projection du film Variétés du réalisateur allemand E.A. Dupont.

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Source : gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France

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Pour en savoir plus :

Lire le livre de Christophe GauthierPassion du cinéma, cinéphiles, ciné-clubs et salles spécialisées à Paris de 1920 à 1929 paru  chez l’AFRHC en 1999, une bible si vous vous intéressé à ce sujet.

Le site de  l’AFRHC (Association française de recherche sur l’histoire du cinéma).

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